La Clémence de Titus

Wolfgang Amadeus Mozart
La Clemenza di Tito - La Clémence de Titus
opéra en  2 actes
du 19 février au 3 mars 2021

Direction musicale Maxim Emelyanychev
Mise en scène Milo Rau
Scénographie Anton Lukas
Costumes Ottavia Castellotti
Lumières Jürgen Kolb
Vidéo   Moritz von Dungern
Dramaturgie  Clara Pons
Direction des chœurs Alan Woodbridge
   
Tito Bernard Richter
Vitellia Serena Farnocchia
Sesto Anna Goryachova
Servilia Marie Lys
Annio Cecilia Molinari
Publio Justin Hopkins

Chœur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse Romande

En coproduction avec les Wiener Festwochen,
Les Théâtres de la Ville de Luxembourg et l’Opera Ballet Vlaanderen

Grand Théâtre de Genève

Vos critiques

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Revue de presse

Milo Rau torpille hardiment Titus au Grand Théâtre de Genève

Thibault Vicq – OperaOnline.com – février 2021

source: https://www.opera-online.com/fr/columns/thibaultv/milo-rau-torpille-hardiment-t…

 

Les choix d’Aviel Cahn n’ont pas fini de faire grincer des dents chez les conservateurs de l’opéra – on se souvient d’un Enlèvement au sérail très contesté par le public l’année dernière –, car sa force de persuasion en allant frapper aux bonnes portes, pour fusionner les arts, est férocement explosive. La preuve en est avec cette nouvelle Clémence de Titus, créée en livestream vendredi dernier, et mise en scène par Milo Rau, dramaturge et cinéaste suisse bien connu des spectateurs du festival d’Avignon in, du Festival d’Automne à Paris, du Théâtre Vidy-Lausanne, ou du NTGent, dont il est le directeur, mais beaucoup moins du monde lyrique. La propension au théâtre documentaire de Milo Rau l’a mené à reconstituer le procès de Ceaușescu, à retracer l’affaire Dutroux avec des enfants, à parler du génocide rwandais avec de vrais-faux rescapés, ou à s’immiscer dans le quotidien d’une famille normale avant que ses membres ne se pendent. Il donne à voir ce qui précède les actes, ce que cachent les faits divers imprimés dans les journaux en noir et blanc en deux dimensions. Si ce qu’on observe et écoute n’est pas nécessairement vrai ou ne procure pas une lisibilité de ces actes en soi, l’instant possède une teneur et un contexte. Quel rapport avec l’opéra de Mozart de 1791 ? Là est la pirouette : le concept – la clémence de Titus n’est qu’une façade pour perpétuer l’empire et la monarchie, mis à mal par la Révolution française – est moins important que son intégration plus générale dans la réalité du monde (ou du moins celle énoncée).

Le pouvoir de Titus est celui d’un despotisme artistique, en atteste l’étendard « Kunst ist Macht » (« l’art est puissance ») : sa cour commet des actes de violence qui serviront à alimenter une production artistique complaisante (peinture de pendaison, vidéo de la misère ordinaire) et à justifier une action culturelle hypocrite auprès des plus défavorisés. Milo Rau, qui débute dans le monde de l’opéra, révèle son regard désabusé sur cet univers lyrique supposé bourgeois, tout en fournissant des données claires de mise en condition de l’œuvre. Il découvre un langage musical en même temps que le nouveau public qu’il y convie, et utilise les procédés de médiation de l’univers théâtral dont il est issu. La critique qu’il émet le vise aussi lui-même, et on apprécie cette conscience assez osée (même s’il reste évidemment plus aisé de contester un système lorsqu’on y a trouvé déjà bonne place !).

Le plateau tournant alterne un lieu d’art pour les élites – le capitole de Titus – et un bidonville peuplé de figurants genevois d’adoption, ayant fui leur pays d’origines. Ces parcours de vie seront décrits en quelques lignes sur un écran au lieu d’avoir les surtitres de certains airs – peut-être l’unique véritable provocation du spectacle, mais en complète adéquation avec la lecture du narcissisme des classes dominantes, sourdes aux doléances du peuple – ou dans des dialogues ajoutés, à l’instar de la Flûte enchantée polémique de Romeo Castellucci à la Monnaie. Milo Rau joint tous les bouts de l’opéra, qu’il qualifie de « post-politique » et divise en sept parties, pour qu’il ne laisse paraître aucune fuite, pour qu’il s’humanise au-delà de ses numéros. C’est une enquête de l’instantané en vidéo qui dépasse largement le simple calque sur une scène d’opéra du metteur en scène en vogue dans le petit monde du théâtre subventionné.

La sublime distribution féminine est complètement à la hauteur du défi, du poison séducteur de Serena Farnocchia aux bouffées d’air frais de Marie Lys, en passant par la rébellion grisante et délicate d’Anna Goryachova (la vérité du théâtre documentaire par le chant, c’est bien elle qui en porte les couleurs !) ou par les finitions de soie englobante de Cecilia Molinari. Bernard Richter transpose sans difficulté en Titus la dictature du cool qu’il incarne, celle d’un homme dénué de fioritures et se donnant une réputation de proximité, même s’il est un peu fâché avec les notes qu’il essaie d’émettre au-dessus du sol. Justin Hopkins incarne avec goût un Publio insensible, concentré sur son devoir, qui pèche parfois par des orientations de phrases un peu hasardeuses. Entre des récitatifs qui remettent agréablement les pendules à l’heure de la performance dramatique, le Chœur du Grand Théâtre de Genève constitue un inframonde percutant de groupies agrippés à leur smartphone. On attendait aussi le chef russe Maxim Emelyanychev au tournant : il lui arrive de diriger l’Orchestre de la Suisse Romande dans la précipitation, engendrant des décalages assez flagrants, mais il permet à la musique de ne pas être absorbée dans cet environnement théâtral tiré au cordeau. La richesse des tempi et l’élégance du style permettent aux instrumentistes, solennels quoique sages, de s’attribuer quelques passages dansants et rebondis.

On serait étonné de savoir comment une salle pleine aurait réagi face à ce spectacle. On se console en se disant qu’Aviel Cahn a encore plus d’un tour dans son sac pour les prochaines années de son mandat.

Traitement de choc

Charles Sigel – ForumOpera.com - 23 février 2021

source: https://www.forumopera.com/la-clemenza-di-tito-streaming-geneve-traitement-de-c…

 

La première et unique représentation, donnée sans public, avait été précédée d’une vague d’interviews, de mises en condition, de making of, etc. D’un mode d’emploi, en somme. Milo Rau, présenté comme un mélange d’enfant prodige facétieux, de nouvelle référence du théâtre européen et de madré spécialiste de l’agit-prop, y expliquait que tout est politique, notamment La Clémence de Titus, qu’on y voyait la bourgeoisie récupérer le pouvoir tombé des mains de l’aristocratie et dépouiller le peuple des fruits de la révolution. Discours qui nous rajeunissait de quelques décennies, ce qui n’est pas de refus. N’empêche, on pouvait craindre un pensum. Or le spectacle est beau, il est émouvant, et même si le livret est pas mal bousculé, on y entend l’opéra de Mozart, – et servi par de très beaux interprètes.

 La misère absolue

Le début déconcerte. C’est fait pour. La scène est encombrée de tout un fatras de tentes, de caravanes, de vieilles chaises en plastique, de sacs de couchage, bref c’est Calais ou Lesbos, c’est un camp de migrants, c’est le spectacle (que nous ne voulons pas voir) de la misère absolue. Seulement voilà : bien éclairé, sur la scène d’un opéra, c’est assez beau… Et ce sera toute l’ambiguïté du concept : Milo Rau veut dénoncer la perversion des élites bourgeoises (vous et moi) qui transforment en œuvres d’art le désespoir du monde, la souffrance des laissés-pour-compte. Or ce qui va se passer, dans ce beau grand théâtre d’une des villes les plus riches de la planète, non loin du quartier des banques, ce sera justement la création d’une œuvre d’art…

 La parole des sans-voix

Mais bref, le spectacle (puisque ç’en est un) commence par la fin, par le récitatif Tutto oblio, où Titus accorde son pardon aux conjurés. Dans le fond, en une sorte de tableau vivant, un groupe de figurants mime une scène à mi-chemin du Radeau de la Méduse et de la Liberté guidant le peuple. Puis un des figurants, manifestement en surpoids, se plante au milieu de la scène, et nous dit qu’il est Genevois, qu’il a 49 ans, qu’il a posé il y a quelques années la moquette rouge qui embellit la salle, qu’il fait souvent de la figuration, qu’il fut notamment ici Bacchus, qu’il était tout nu ou presque, et le voilà qui se déshabille derechef, jusqu’au caleçon. Entre alors une figurante, qui aussitôt lui arrache le cœur, dans un flot de sang très grand-guignolesque, et le laisse pour mort. Là-dessus, l’orchestre attaque l’ouverture, sur un tempo frémissant, presque précipité. Une banderole-écran tombe du ciel, proclamant Kunst ist Macht : l’Art est Pouvoir. Titus apparaît, il porte sous son costume Prince-de-Galles tirebouchonnant un tee-shirt à l’effigie de Thomas Sankara et des pantoufles doublées fourrure.

 La bonne vieille distanciation

La musique, pour le moment, on ne l’écoute pas trop… Il y a mille choses à regarder, et d’abord les visages des figurants, venus à l’évidence d’un peu partout, des « vrais gens », chacun avec son parcours chahuté, ses drames, les accidents de sa vie (tous nous seront présentés par de petites vidéos projetées sur l’écran au cours de la seconde partie).
Pour l’heure, ce sont les chanteurs qui, dans une démarche vaguement brechtienne, vont nous être un peu dévoilés : nous saurons qu’Anna Goryachova (Sesto) avait une mère femme-de-ménage à Leningrad, que Serena Farnocchia (Vitellia) aime beaucoup le film Sunset Boulevard et se sent proche de Jean-Nicolas (l’un des figurants), que Marie Lys (Servilia) lit en ce moment un livre de Vincent Cespedes qui explique comment le capitalisme nous enferme dans des relations possessives, que Cecilia Molinari (Annio) a grandi dans une famille de mélomanes très engagés politiquement et qu’elle a fait des études de médecine, que Bernard Richter (Titus) est issu d’une famille protestante, que son père est mort à côté de lui lors d’un match de football, que Justin Hopkins (Publio), né à Philadelphie, trouve toujours étrange de jouer pour un public élitiste sans en faire partie.

Pendant ce temps, Vitellia chante son premier air « Deh se piacer mi vuoi », plutôt bien semble-t-il, mais à vrai dire on est occupé à lire tout cela, et on ne lui prête qu’une oreille distraite. J’exagère, la beauté de la ligne, l’éclat du timbre, la maîtrise des vocalises et des trilles, des ornements, mais surtout l’ardeur passionnée de Serena Farnocchia, pour qui c’est une (brillante) prise de rôle, convainquent d’emblée.

 D’un opera seria faire « una vera opera »

Un des paradoxes de cet opéra, fruit d’une commande pour le couronnement de Leopold II d’Autriche, prince éclairé (du moins au début), c’est que Mozart se voit imposer une forme archaïque, l’opera seria, alors qu’il a déjà ré-inventé l’opéra avec ses trois chefs-d’œuvre en collaboration avec Da Ponte. Il lui faut se plier à de pesantes contraintes : ainsi il conçoit d’abord le rôle de Sesto pour un ténor, au nom de sa recherche de la vérité dramatique. Mais on lui impose un castrat (Domenico Bedini). Et comme le second personnage masculin, Annio, sera interprété en travesti par une chanteuse (Carolina Perini), Mozart doit s’accommoder d’une prévalence des voix aigües.

Il n’empêche, il va s’en satisfaire et, en dix-huit jours, composer cet opéra, aidé par son élève Süssmayer, auteur sans doute des récitatifs. Il va s’employer à humaniser ces éternels airs da capo, à subvertir leur formalisme et à se jouer du livret usé jusqu’à la trame de Metastase, à peine rebadigeonné par Mazzolà. La formule qu’il inscrit dans son catalogue est révélatrice : « opera seria ridotta a vera opera dal S. Mazzolà ». On voit que sa préoccupation reste d’abord la vérité dramatique. Autre préoccupation : le message humaniste, disons maçonnique, que porte le pardon de Titus.

Ce que propose Milo Rau, dont c’est le premier travail à l’opéra, lui qui dirige le NTGent, le théâtre de Gand, n’est pas en somme très différent : la vérité humaine, dans sa mise en scène, s’exprimera grâce à une direction d’acteurs très attentive, toute en finesse (et très « cinématographique » – le spectacle a été dès le départ pensé pour la captation vidéo) et grâce au poids charnel d’humanité des dix-huit figurants. Quant au message politique, il infléchit sans doute celui de Mozart, il le « contemporanéise », certains diront qu’il le biaise, mais il lui est fidèle en esprit.

 Social-démocrate ou populiste ?

L’ouverture se terminait sur une image arrêtée : Sesto, ami du Prince, prenant une photo, flatteuse, du groupe des migrants, comme le ferait un communicant d’aujourd’hui pour Paris-Match. A côté de lui, Titus organise le tableau, comme un dirigeant soignant son image (suivez mon regard). Sur l’écran, au fond, est projeté le célèbre tableau de Giuseppe Pellizza Volpedo, Il Quarto Stato, représentant une manifestation d’ouvriers en 1901, autre image de récupération artistico-politicienne. Sous l’image, cette mention : « Ouverture : L’insurrection qui vient ».

C’est ainsi que nous sera présenté Titus : un homme politique se piquant de modernité et d’humanité, et d’autant plus pernicieux. Il ne comprend pas ce qui se passe, explique Milo Rau. Le peuple (le chœur, installé dans la salle) l’applaudit, mais ce n’est pas le peuple, c’est la bourgeoisie, plutôt la petite, si on juge par ses vêtements.
Autour du prince, le petit jeu de la cour. Vitellia, mue par le ressentiment, pousse le jeune Sesto, qui l’aime, à assassiner l’Empereur. Mais on va apprendre que Titus veut épouser Servilia, la sœur de Sesto. Dès lors, comment passer à l’acte ? Quant à Servilia, elle est amoureuse d’Annio, l’ami de Sesto. L’un des charmes, purement opératique, de cet imbroglio étant que Sesto et Annio sont chantés par des voix féminines, donc quand Sesto embrasse Sesto (sur les lèvres), est-ce que ce sont deux garçons ou deux filles qui s’embrassent ? Autre ambiguïté, assez charmante.

 Le poids de chair

L’une des forces de cette mise en scène, assurément très politique, très lutte-des-classes, c’est qu’elle évite le piège du caricatural en assumant son ambiguïté aussi. Ainsi Titus, présenté certes comme un peu fat, pas très malin, garde toute son humanité, et Bernard Richter, dès le premier de ses trois airs, « Dal piu sublime soglio », pris sur un tempo très lent, lui donne tout son poids de chair, dans un chant lyrique, fragile par instant, d’autant plus émouvant. Son deuxième air « Ah se fosse intorno al trono » lui donnera peu après l’occasion de mettre en valeur tout le brillant de sa voix très claire.

L’émotion sera constamment servie par un cast féminin impeccablement mozartien. Le couple d’amoureux n°2 Annio-Servilia (amoureuses, en l’occurrence) est incarné par les voix, fines et délicates, de Cecilia Molinari et Marie Lys, dont la musicalité ne fléchit pas une seconde alors qu’elle simulent ou fantasment un assassinat à la Caravage, sur le corps de Titus ! Très beau duetto « Ah perdona al primo affetto », qu’accompagne tout en douceur et en attention Maxim Emelyanychev.

 Mozart résiste !

L’un des plus beaux moments de cette partition, c’est bien sûr l’aria « Parto, ma tu ben mio », où Sesto comprend qu’il est manipulé par Vitellia, mais se résout quand même à accomplir sa vengeance. Anna Goryachova, dont on se souvient qu’elle fut récemment ici une magnifique Cenerentola, peut mettre en valeur les couleurs naturellement dramatiques de sa voix. Bel canto parfaitement en situation, expressif et pathétique. Vocalises et coloratures impeccablement chargées de sens autant que de musique, en dialogue avec une très belle clarinette, celle de Michel Westphal.

Cet air marque le début du final du premier acte, suite d’ensembles vocaux, sur un tempo palpitant emmené par le jeune chef Maxim Emelyaychev (l’Orchestre de la Suisse Romande constamment attentif et précis). L’un des figurants (Jean-Nicolas Dafflon, sur un siège de paralytique rescapé de l’Enlèvement au Sérail de la saison dernière) a marqué les conjurés d’un signe rouge sur le front. On déchire la grande bannière Everybody counts (allusion à Black lives Matter ?) et on l’arrose d’essence avant d’y mettre le feu avec force débris. Le Capitole est incendié. Et dans une scène pleine de bruit et de fureur, Titus est poignardé par Sesto. Le meurtre est filmé en gros plan et retransmis sur l’écran, comme par les chaines d’info en continu. Lumières d’orage, silence de mort, on n’entend plus que les flammes qui crépitent. Sesto dépouille Titus de ses vêtements et le laisse quasi nu sur le sol.

 Une Pietà

Le tableau final sera d’une angoissante puissance tragique, sur le grand ensemble avec chœur écrit par Mozart. Incertitude de lendemains qui ne chanteront peut-être pas, symbolisée par une Pietà : le corps nu de Titus gisant dans les bras accablés de son ami le sénateur Publius. Les dernières fumées se dissolvent dans la pénombre.

La seconde partie commencera, comme la première, par l’intervention d’un des figurants : « Je m’appelle Gor Sultanayan, je suis Arménien et je joue l’un des policiers. Quand nous avons commencé à répéter, le metteur en scène m’a demandé si toute cette violence, cette souffrance et cette pauvreté ne me choquaient pas, moi et mon fils Areg. J’ai répondu que je suis descendant d’un survivant du génocide de 1915, et que pendant 44 jours j’ai suivi l’invasion de l’Azerbaïdjan… » et sa voix se brise quand il évoque son fils qu’il doit faire mine de tuer à la fin du premier acte de cette production, mais il est fier du talent d’Areg.
Après quoi, il va entrer à nouveau dans son rôle et procéder à la pendaison de deux des conjurés, ceux qui avaient mis le feu au Capitole. Que dire de l’image de ce petit garçon, qui s’approche de l’un des pendus, son père, puis erre sur la scène pendant qu’Annio, dans un des airs les plus tendres de la partition (« Torna di Tito a lato ») presse Sesto de revenir dans les bonnes grâces de Titus. C’est l’un des (nombreux) moments où Mozart subvertit le formalisme de l’opera seria et Cecilia Molinari irise son chant de délicates demi-teintes touchantes.

 Une couverture de survie

Car Titus n’est pas mort. Une caméra indiscrète pénétrant dans l’une des caravanes nous montrera les soins que lui prodiguent (sur fond de chants africains) deux dames Congolaises, oignant le malheureux empereur de magiques onguents qui le feront revenir du royaume des morts, pas bien fringant, recouvert d’une affreuse couverture militaire, le visage couvert de bubons bizarres, mais vivant (notons que le beau Bernard Richter aura été assez malmené dans cette production…). Tandis que d’un pas hésitant il retrouve son palais-musée (autre décor, revers de la médaille), on entend Publius, noblement incarné par Justin Hopkins, chanter d’un très beau timbre de basse le seul air – et trop court – que lui accorde la partition.

 L’émotion pure du beau chant

Moins riche en action, ce deuxième acte offre l’occasion d’entendre de façon peut-être plus sereine la musique et les voix. Génialement mozartiens, le trio « Se al volto mai ti senti », qui confronte trois états d’âme, le désespoir de Sesto, le remords de Vitellia, la compassion de Sextus, ou le grand récitaif accompagné par l’orchestre, « Che orror ! Che tradimento ! » où Titus prend conscience de la trahison de Sesto, veut se venger de lui avec cruauté, et enfin plonge dans la mélancolie, comparant le sort toujours incertain des puissants à celui du « rustique mendiant » qui a peu de désirs et dort d’un sommeil paisible (discours assez incongru dans le contexte de cette mise en scène)…
Un bouleversant dialogue entre Titus et Sesto introduira l’Aria de Sesto « Deh per questo istante solo », (« Complainte de l’homme ordinaire », affichera l’écran) qui donne à Anna Goryachova occasion de faire entendre à nouveau les couleurs profondément mélancoliques de sa voix.

Puis viendra l’autre grand moment lyrique de La Clemenza di Tito, la grande scène de Vitellia, d’abord le récitatif accompagné « Ecco il punto, ô Vitellia », puis l’aria « Non piu di fiori », grand morceau de bravoure de neuf minutes. La passionaria vengeresse brise le masque et se résout à se prosterner aux pieds de Titus en disculpant Sesto. Tout est admirable dans le chant de Serena Farnocchia : l’homogénéité de la voix sur toute la tessiture, la noblesse, l’héroïsme, la passion, l’intelligence des ornements, la ligne musicale, l’aisance des aigus, non pas seulement brillants, mais expressifs de l’âme du personnage. De grands moyens de soprano dramatique parfaitement en situation et un très beau dialogue avec le cor de basset de Benoît Willmann.

 Destins fracassés

Pendant ce temps, les figurants-réfugiés seront revenus en scène et, dans une autre séquence que par facilité nous dirons brechtienne, nous aurons fait connaissance, par écran interposé,  avec Cem Özgün, né à Istanbul, traducteur en turc de nombreux livres dont La Peste de Camus, qui put s’exiler en Suisse après avoir été arrêté comme opposant ; avec Gisèle Kileba, une chrétienne évangélique venue du Congo que son mari abandonna car elle ne pouvait avoir d’enfants ; avec Ginette Mazamay, Congolaise aussi, abandonnée par des parents trop jeunes, recueillie par une grand-mère, maintes fois violée par des hommes de passage, devenue clocharde, mais retrouvée finalement par son père, et arrivée en Suisse ; avec l’Argentine Luz Andreani Macri et le Breton Alexandre le Gouallec, un couple d’artistes de cirque (les deux pendus de tout-à-l’heure) ; avec Rita Ndubisi, née à Kinshasa, qui dit que La Clémence de Titus la fait penser aux politiciens de son pays : les personnages ne pensent qu’à eux-mêmes… Et ainsi de suite (nous avons cessé de lire les autres portraits pour écouter la musique…)

 Et tout s’achève dans l’ambiguïté

Dernière image : le plateau tournant fait réapparaître le palais de Titus. Les réfugiés y entrent à pas lents. Sur les murs, les moments les plus dramatiques de l’opéra sont devenus œuvres de musée. Titus accorde son pardon, et tout se termine par un sextuor de la réconciliation, où Mozart exprime à la fois son aspiration la plus profonde, et celle des Lumières.

 Sur le mur, alors que le tableau vivant du Radeau de la Méduse se reconstitue, Milo Rau fait projeter une ultime sentence de son cru : « La glorification des classes inférieures, de leurs souffrances et de leurs idéaux vise à leur empêcher tout accès au pouvoir véritable. »

Le concept de départ était, rappelons-le, de dénoncer cette perversion bourgeoise consistant à transformer en œuvre d’art la misère du monde. C’est bien en somme ce à quoi, assez ironiquement, nous aurons assisté au cours de ce spectacle. Car ce n’était qu’un spectacle, – mais (opinion personnelle) abouti et réussi. Et d’une noire et paradoxale beauté.

La Clémence de Titus : Milo Rau met en scène la violence politique pour son premier Opéra

Yaël Hirsch –TouteLaCulture.com - 24 février 2021

source: https://toutelaculture.com/spectacles/opera/la-clemence-de-titus-milo-rau-met-e…

C’est le premier opéra que signe Milo Rau, le metteur en scène suisse de pièces documentaires. La Clémence de Titus a été diffusée en direct sur le site du Grand Théâtre de Genève et a su secouer les conventions tout en préservant le ballet des voix du dernier opéra de Mozart. 

 

Le dernier Opéra de Mozart

La Clémence de Titus est le dernier opéra de Wolfgang Amadeus Mozart ; c’est aussi une œuvre de commande donnée à Prague en 1791 pour le couronnement de Léopold II, roi de Bohême. Et un opera seria d’après Suetone déjà usé jusqu’à la lie par d’autres compositeurs. Pas de flamboyance, donc et pas mal de récitatifs, sauf que l’œuvre vante la tempérance et la sagesse de l’aristocratie, deux ans après la Révolution française.

La Culture comme idéologie

Il n’en fallait pas plus au fondateur de l’Institute of Political Murder (nom de sa troupe !) et directeur du NTGent pour sortir de ses gonds. Mieux, sous le panneau « Kunst ist macht », il met en cause l’art bourgeois au moment même où il naît et aussi, selon lui, celui où il collabore avec la contre-révolution. La scénographie nous montre les deux faces de la médaille : la galerie élégante où l’art roule des mécaniques et les ruelles de Rome dévastées, enflammées où les pauvres et les hirsutes ont faim, froid et peur. En bon marxiste, il investit le dernier opéra de Mozart pour nous faire passer le message que l’art est idéologie en faveur des dominants. Sachant dès le début que le spectacle ne pourrait pas se donner devant un public, mais à travers un écran, le processus cinématographique de l’acteur filmé et grandi en direct est utilisé abondamment et renforce l’idée de distanciation. À la fois, la violence est là, puissante, avec cœurs et viscères arrachés, sang étalé sur les visages. Et en même temps, rien n’est purgé : à la Brecht, il n’hésite pas à faire taire la musique pour nous permettre de nous distancier des grands sentiments mis en scène. Quand la clémence doit survenir, c’est déjà la fin du monde.

 La lutte des classes fait disparaître les frontières entre fiction et documentaire 

Un écho avec notre temps que Rau rend omniprésent avec des personnages venus de la réalité sur scène pour noyauter, par son théâtre documentaire, cette machine de guerre qu’est l’œuvre lyrique : les gilets jaunes, les sans abris, l’ouvrier qui a refait les tapis du Grand Théâtre, ainsi qu’un moment sur le cursus des chanteurs, viennent percuter la fiction. Le tout est fait pour choquer et choque et rallonge assez généreusement l’œuvre originelle. Si vous rattrapez l’opéra sur le site du Grand Théâtre, vous aurez même, en guise d’entracte, un documentaire en plusieurs parties sur les coulisses de la mise en scène… qui semble néanmoins faire partie de l’œuvre.

 Cohésion gagnante des musiciens et des chanteurs

Néanmoins, la colère originelle tient la longueur, notamment parce que le metteur en scène a su emmener avec lui tous les musiciens et les chanteurs. Vif et tout autant en colère, le chef Maxim Emelyanychev dirige avec brio l’Orchestre de la Suisse romande et fait le lien entre la musique de Mozart et l’interprétation de Rau. Le chœur du Grand Théâtre de Genève endosse son rôle de public avec félicité et les chanteurs jouent très profondément le jeu de la dénonciation de l’art bourgeois : de son timbre si clair et de sa blondeur, le ténor suisse Bernard Richter refuse de faire des atouts pour un Titus qu’il rend tyran, en Sesto, la mezzo russe Anna Goryachova semble jouer d’ombre et de lumière avec des arias époustouflants et un jeu parfaitement inquiétant, enfin, grimée en Cruella, la soprano italienne Serena Farnoccchia semble se plaire à nous déranger…

Cette cohésion de la distribution, enthousiasmée par le projet radical de Milo Rau, lui donne vie et c’est assez délicieux de se laisser choquer et transporter à la fois tout au long de cette production audacieuse que nous vous enjoignons de rattraper en ligne…

La Clémence de Titus à Genève, quand l'opéra fait sa révolution

Pierre Géraudie – Olyrix.com – 22 février 2021

source: https://www.olyrix.com/articles/production/4637/la-clemence-de-titus-mozart-gra…

Contraint, face à de nouvelles mesures sanitaires, d’annuler les représentations publiques qui étaient prévues ces jours prochains, le Grand Théâtre de Genève s’en remet (comme tant d’autres opéras) à la diffusion en ligne pour présenter sa nouvelle production de La Clémence de Titus. Aux manettes de la mise en scène pour sa première à l'opéra, Milo Rau prouve là qu’il est, surtout, un homme de théâtre.

C’est un opéra de Mozart que l’on vient voir (fut-ce de chez soi), et c’est un film que l’on découvre, façon blockbuster ou docu-fiction, c’est selon. Drôle d’effet, donc, que celui produit par cette Clémence de Titus genevoise d’un genre pour le moins désarçonnant. S'il souhaitait se démarquer franchement, et renverser certains codes et usages, pour mieux marquer ses débuts dans à la mise en scène d’une production lyrique, alors Milo Rau a réussi son coup. Sa Clémence à lui n’est pas, ou plus vraiment, un opéra à part entière : c’est une pièce de théâtre, un objet cinématographique, une matière à philosophie et à métaphore. Une dramaturgie “avignonesque” davantage que lyrique, en somme, où il est bien moins question de tragédie classique, d’empereur romain et d’intrigue amoureuse, que de critique de la bourgeoisie, du pouvoir, et d’une manière d’asservissement des classes populaires par une certaine élite politique et culturelle. Présenté comme le maître du théâtre de la controverse, Milo Rau est aussi un sociologue de formation, et cela se voit. 

 Pour cette Clémence de Titus, donc, point de représentation qui ne puisse confiner à un genre classique, avec costumes d’époque et décors impériaux (sauf à envisager le Capitole en version américaine, envahi par les pro-Trump). La scénographie proposée par Anton Lukas fait s’alterner deux scènes comme deux ambiances : d’un côté, un genre de musée, aux murs clairs avec des tableaux où s’affichent corps pendus et postures érotiques, de l’autre, un univers de favela et de camp de réfugiés, bien plus sombre, où l’on se réchauffe à la chaleur d’un brasero et où rodent loubards et hommes armés. Deux mondes qui s’opposent, donc, celui d’une élite culturelle d’un côté et des classes populaires de l’autre, ce dernier univers concentrant la quasi totalité de l’intrigue ficelée par Milo Rau. 

 Car le metteur en scène suisse crée bien ici sa propre histoire, poussant son intention métaphorique jusqu’à détourner les paroles des récitatifs et même le sous-titrage des grands airs, lesquels s’affichent sur un écran de cinéma disposé en fond de scène. Les tourments originaux de Sesto, Vitellia ou Titus, sont ici bien peu de choses, et tous les artistes présents sur scène cessent précisément d’être artistes pour devenir l’incarnation d’eux-mêmes. Voici ainsi un figurant d’origine arménienne dissertant sur sa condition d’exilé politique, ici un technicien narrant sa vie banale de célibataire issu de la classe moyenne, là le témoignage d’un réfugié de guerre expliquant son rapport à la violence. La parole est ainsi donnée “au peuple”, et les figurants sont d’ailleurs des Genevois d’origines diverses tout spécialement recrutés pour venir incarner la masse populaire dans ce spectacle. Aussi, dans ce grand détournement d’une œuvre lyrique à des fins de discussion sociale, le grand air de Vitellia à l’acte I, “Deh, se piacer”, sert même de support pour raconter la vie des chanteurs eux-mêmes, avec des textes rappelant une fameuse encyclopédie universelle en ligne.

Au moins, donc, le message est clair : dans cette chronique d’une société en déconfiture, où ces gens de la rue tentent de créer leur propre culture en opposition à un art élitiste (et ce à renfort de peinture murale et d’usage de la vidéo, dont le suremploi vire au tournage cinématographique), tous les personnages se valent. Et s’il est une clémence à en retirer, c’est sans doute celle portée par ces gens de la rue à l’égard d’un pouvoir qu’ils jugent finalement vain et inutile, en tout cas dans la construction de leurs propres vies. Ce qui donne matière à philosopher et à disserter, ce dont Milo Rau ne se prive pas, mais éloigne d'autant l’émotion pure, la grâce impériale, l’esprit mozartien. Les tenants d’un opéra qui opérerait un genre de révolution théâtrale et scénographique trouveront ici leur compte, pas les autres.

Le charme mozartien, malgré tout 

Les mélomanes, précisément, peuvent toujours se tourner vers un casting vocal de belle tenue, avec des artistes qui sont donc ici les acteurs de leur propre narration. Mention spéciale pour le Sesto d’Anna Goryachova, de retour sur cette scène où elle avait brillé, il y a peu, sous les traits de La Cenerentola. En garçon manqué (mais c’est un rôle travesti), à la mode tee-shirt et veste à capuche, la mezzo soprano russe campe un personnage aussi crédible dans l’expression de la passion amoureuse, fut-elle d’un genre adolescent, que de l’affliction. La voix est chaudement timbrée, les graves joliment moirés, et les grands airs du rôle sont idéalement servis, tel ce “Parto, parto” en délicieuse symbiose avec la clarinette. 

 En Vitellia façon Morticia Addams, Serena Farnocchia expose une voix sonore et vibrée avec maîtrise sur une large amplitude, laissant transparaître dans son chant un sens certain de l’élégance mozartienne. Le timbre fruité et la voix agréablement modulée de Cecilia Molinari sied joliment à l’autre rôle travesti, celui d’Annio, dont l’air “Torna di Tito a lato” est chanté avec une douce sensibilité. Marie Lys (elle aussi vue dans La Cenerentola genevoise) est de son côté une Servilia charmante de candeur et de fraîcheur vocale. Le timbre a des intonations juvéniles qui n’en sont que plus distinguées, et la voix, notamment dans l’aigu, est projetée avec assurance.

En Tito, moins empereur romain que père d’un peuple promis à un chaos économico-social, le ténor Bernard Richter dégage un charisme visuel qui colle plutôt bien à cette version quasi “filmique” voulue par le metteur en scène. Le timbre est clair, le medium corsé, et la ligne de chant joliment polie par une diction soignée. L’aigu est parfois atteint avec moins d’aisance, ce qui n’empêche pas les grands airs du rôle, tel ce “Del più sublime soglio”, d’être honorés avec une certaine finesse de chant. Enfin, en Publio loin d’être réduit au second plan, Justin Hopkins se démarque par une profonde et ample voix de baryton-basse. Le membre de la jeune troupe du Grand Théâtre de Genève s’acquitte avec une grande présence scénique de son grand air, “Tardi s’avvede”. 

À la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, qui n’entame l’ouverture de l’œuvre qu’à la douzième minute de la diffusion (après que la fin de l’opéra a d‘abord été donnée une première fois, comme pour mieux poser un décor renversant), le jeune chef Maxim Emelyanychev imprime derrière son pianoforte un tempo énergique à une partition dont le charme mozartien parvient à subsister face au contexte alentour. Réparti au parterre, le chœur du Grand Théâtre de Genève, sonore et homogène, livre une prestation sans fausse note dans un spectacle conclu par des chants d’oiseaux, avec une représentation sur scène, par les artistes réunis, de “La Liberté guidant le peuple” de Delacroix. Une liberté qui, ici, a aussi guidé un Milo Rau dont les débuts lyriques assurément, ne passent pas inaperçus. 

La Clémence de Titus à Genève : une histoire de coeur

Jean-Luc Clairet – ResMusica.com – 22 février 2021

source: https://www.resmusica.com/2021/02/22/la-clemence-de-titus-a-geneve-une-histoire…

Le dernier opéra de Mozart permet au Grand Théâtre de Genève de signer l’irruption marquante, dans le monde de l’opéra, du grand homme de théâtre suisse Milo Rau.

 

Milo Rau, directeur du NTGent, fondateur du International Institut of Political Murder, est activiste, essayiste, réalisateur, metteur en scène à l’avant-garde du théâtre documentaire. Sa Clémence de Titus s’inscrit dans une logique créative inspirée par une bien funeste liste de réalisations (The Last Days of The Ceausescus, Breiwik’s Statement, Hate Radio sur le Rwanda, La Reprise autopsie d’un meurtre homosexuel…) : « Notre histoire : un musée de l’échec » dit-il.

 Par-delà le jugement – risible – « una porcheria tedesca ! » de la béotienne Marie-Louise d’Autriche , l’ultime opéra de Mozart n’a jamais eu bonne presse. Quel magnifique chant du cygne pourtant que celui d’un Mozart complétant, à partir de la commande (le couronnement de Leopold II à la tête de la Bohème) le fraternel cahier des charges maçonnique de La Flûte enchantée. Un livret passionnant, une musique de bout en bout sublime pour six héros aussi touchants que ceux de Così fan tutte. Particulièrement Titus, à l’indéfectible bonté.

 Bonté ? Clémence ? De la part des puissants ? Milo Rau a des doutes. L’Art au chevet du monde ? Plutôt l’Art au service du Pouvoir. Au service de puissants auto-centrés une fois qu’ils ont été élus par un peuple dont la souffrance ne les intéressent qu’en amont de l’élection ou au musée. « Qui dit clémence dit culpabilité », fait dire Milo Rau à Vitellia. Titus, en visite dans les bidonvilles au I avec caméras et gardes du corps est de ceux-là, qui sont assis sur un volcan (l’éruption du Vésuve en 79 fut un des marqueurs de son règne) et restent sourds à l’atmosphère de guerre civile qui gronde. Le Capitole envahi (troublante actualité) devient Radeau de la Méduse, et Titus un roi nu (au propre comme au figuré) appelé, au II, à se reconstruire une conscience par-delà une résurrection de type chamanique, et à se fondre au finale dans un ultime tableau : La Liberté guidant le peuple. Autre (urgente ?) actualité, qui voit le tableau de Delacroix invité à l’opéra pour la seconde fois en une semaine. Avec un résultat autrement convaincant à Genève qu’à Paris.

Le mélomane rivé au piédestal seria de son héros grincera des dents face à un début qui commence par la fin (le chef ouvre le flashback géant imaginé par le metteur en scène en attaquant par l’avant-dernier chœur, le galvanisant Che del ciel, che degli dei), sera stupéfait à l’audition d’un récitatif inédit pour lancer le discours introductif de Titus, puis d’une prise de parole d’un homme se présentant comme le « dernier Genevois » qui raconte (avant qu’on ne lui arrache le cœur en direct, destiné à passer de mains en mains) que c’est lui qui a posé, en 2006, la moquette rouge du Grand Théâtre ! L’adepte du choc esthétique froncera le sourcil devant le bric-à-brac apparent du plateau, les costumes sans séduction, les bruitages anxiogènes, les caméras en direct… UNE Clémence de Titus plutôt que LA Clémence de Titus ? Que nenni ! Le chef-d’œuvre est bien là. Le mille-feuilles sémantique de Milo Rau, assez vite communicatif, va militer certes pour une idée mais aussi pour une œuvre à défendre.

 Le décor, janusien, pivote entre bidonville et musée. Du sordide de la misère en action à sa sublimation par l’Art. La clique de Titus est composée d’artistes. « L’Art est le Pouvoir », tel est est le credo affiché de Titus lors du vernissage final d’œuvres immortalisant les exactions commises durant le spectacle. Œuvres du passé (on rejoue Delacroix mais aussi David et sa Mort de Marat), du présent (Marina Abramović, Neo Rauch…) et même du futur (Lisa Kränsler dont un tableau s’inspire du spectacle lui-même). Le message est clair et l’on s’étonne que Milo Rau déclare que l’opéra n’est pas politique, alors qu’il n’a de cesse (et réussit) à en faire la démonstration inverse.

 Une complicité évidente l’aura uni à Maxim Emelyanychev. Le jeune maestro arrive presque en courant et sa direction baroque et bondissante, ourlée du liseré d’un piano forte, en symbiose avec la vibration du plateau, souligne la grande beauté de tous les numéros avec une constante intelligence musicale.

 Cet empathique voyage, décliné en tableaux musicaux (Ouverture/L’insurrection qui vient… Allegretto/La Douleur des autres… Andantino/Le Sommeil de la raison… Larghetto-Complainte de l’homme ordinaire…) embarque une fine équipe mozartienne : Anna Goryachova, velours et vocalises virtuoses à l’appui, est un Sesto sublime, portant beau le travesti. Serena Farnocchia une Vitellia bien trempée, (aux aigus véhéments, quoiqu’un peu rétrécis sur l’irrésistible Vengo…aspettate.) Nouveau Titus pour Bernard Richter, empereur à la séduction décontractée façon Julien Doré au I, bouleversant revenu des morts, le visage enduit de terre, au II : excellemment dirigé, le ténor suisse qu’on verrait de plus en plus chez Wagner, habite de sa voix solaire, de son engagement corps et âme, une soirée qui le contraint çà et là à quelques aigus tirés, à quelques attaques trop vives, les vocalises de Se all’ impero s’avérant un brin tendues. L’image filmique (qu’on imagine volontiers redoutable) imposée par la situation sanitaire à ce soir de « première » (car « dernière ») révèle aussi le mezzo chaud et simple de Cecilia Molinari en Annio. Autre artiste à suivre, Marie Lys, ex-remarquable Yniold in loco, délicieuse Servilia. Quant au Publio de Justin Hopkins, ramage et plumage ne s’accordent pas encore tout à fait.

 La Clémence selon Milo Rau est donc une histoire de cœur. Le chœur, justement, envoyé dans la salle en amateurs d’art avec portables, laisse le plateau à une foule cosmopolite de dix-huit Genevois dont Milo Rau narre chaque destin, au moyen de surtitres (qui n’intéressent absolument pas Andy Sommer, dépassé par l’ambition d’un spectacle qu’il filme trop souvent de loin comme de biais). Le II s’ouvre ainsi sur la parole d’un Arménien, descendant d’un survivant du génocide, qui dit avoir dû « rassurer » Milo Rau (inquiet pour son acteur quant à la violence déversée sur le plateau), en citant nommément les envahisseurs, en 2020, du pays qu’il a fui. Idem pour les chanteurs. L’on s’émeut d’apprendre que le père de Bernard Richter fut un politicien qui ne s’intéressait pas au pouvoir et ambitionnait d’aider les gens. Et l’on est troublé jusqu’au vertige lorsque Justin Hopkins confie : « Jouer devant un public élitiste sans en faire partie est parfois étrange. » Tout sauf hors-sujet.

Cette bouleversante Clémence de Titus, où Milo Rau aura fait feu de tout bois, se clôt sur les chants d’oiseaux d’un quotidien d’après l’apocalypse et sur deux questions, au choix angoissantes ou pleines d’espoir : « Je me demande qui racontera le monde ? Et pour qui ? » Dans l’expectative, on peut distinguer, tapie dans la pénombre du musée, une nouvelle vitrine. Y a été recueillie, en guise de salutaire rappel aux puissants, la mémoire symbolique de la maltraitance des peuples : le cœur arraché du prologue.

La Clemenza di Tito vue par Milo Rau à Genève : le "post-opéra"

Guy Cherqui — Wanderersite.com - 9 mars 2021

source: https://wanderersite.com/2021/03/la-clemenza-di-tito-vue-par-milo-rau-a-geneve-…

La première mise en scène d‘opéra de Milo Rau est à n’en pas douter un événement. Comment le metteur en scène sociologue, regardeur du monde contemporain et faisant de la scène non une métaphore, mais une part du réel ou du vrai pouvait-il se confronter à l’art suprême de l’artifice et de la distance qu’est l’opéra ?
Aviel Cahn est donc le premier (d’autres viendront très vite) à avoir convaincu Milo Rau de monter un opéra, et pas n’importe lequel, La Clemenza di Tito, dernier opéra de Mozart, un opera-seria avec ses rituels, et une histoire de pouvoir, de politique, d’amitié et d’amour sur fond d’Empire romain et d’un Empereur appelé peut-être improprement « les délices du genre humain ». Musicalement, il a confié l’orchestre à l’un des jeunes chefs les plus intéressants qu’on a déjà entendu dans l’opéra baroque (il est directeur musical de l’Ensemble Il Pomo d’Oro), mais aussi dans un Entführung aus dem Serail notable à l’Opéra de Zurich (voir notre article) entouré d’un ensemble de chanteurs d’une rare homogénéité et d’un niveau d’ensemble enviable. Il faut espérer que ce travail retrouvera très vite un public (c’est prévu) et regretter que nous n’ayons pour l’instant droit qu’à un streaming réducteur et partiel : pour une mise en scène d’une telle profusion, c’est presque criminel, c’est presque un contresens.

Le travail théâtral de Milo Rau consiste à inscrire le texte de théâtre dans un réel qui n’est pas une figuration, ni une stylisation, les personnages sont en même temps ceux qui les portent, avec leur histoire, leurs goûts, leur personnalité, leurs blessures. Milo Rau ne regarde pas l’histoire, mais les résultats de l’histoire. Il utilise évidemment pour cela beaucoup la vidéo, en direct ou en filmé. C’est pourquoi bien des spectateurs "avertis" voient dans cette manière de faire du théâtre un héritage de Frank Castorf, pionnier en la matière.
À notre avis, même si les techniques scéniques peuvent se rapprocher, même si les univers peuvent être empruntés à Castorf, le propos est autre. Castorf plonge dans l’histoire – qui le passionne- en faisant de l’œuvre un aboutissement scénarisé de cette histoire, il ne cesse d’expliquer ce à quoi l’œuvre répond, puis il l’illustre, y compris au-delà du texte même de l’œuvre ; Castorf n’hésite pas (comme Milo Rau ici d’ailleurs) à introduire (quand il en a le droit) d’autres textes que le simple livret ; il l’a fait dans Faust de Gounod par exemple et il le fait systématiquement dans son théâtre (voir son Bajazet de Racine). Le résultat scénique est toujours le produit de ces lectures plurielles.

Ce faisant, tout spectacle de Castorf porte aussi une esthétique où décor et costumes contribuent à une stylisation qui est en même temps distance : elle contraint le spectateur à « apprendre » pour « comprendre », au point que des années après on trouve des ramifications d’intuitions castorfiennes. Bien des années après le Ring de Bayreuth, il arrive d’avoir encore aujourd’hui des illuminations qui approfondissent les idées et éclairent encore mieux la mise en scène.
Il en va autrement de Milo Rau, qui plonge son regard dans les contextes du jour pour faire vivre l’histoire à des acteurs du vrai. Quand il fait « Oreste à Mossul », que bien des spectateurs français ont pu voir puisque la production a tourné en France, mais aussi à Lausanne au Théâtre de Vidy, il place directement des acteurs irakiens dans la tragédie antique, il les fait jouer, montrant qu’ils sont aussi en train de jouer leur propre histoire et leur propre tragédie et par conséquent que la tragédie grecque nous parle non pas « intellectuellement », mais dans la chair.
Quand il fait Everywoman, (Salzbourg, Berlin) il montre une comédienne malade en phase terminale dans un extraordinaire « jeu ultime ». I
l y a dans son théâtre un rapport direct au vrai qui crée l’empathie ou l’émotion immédiate, là où chez Castorf elle est constamment médiatisée et distanciée : Milo Rau ne fait pas de Castorf, même s’il le cite : il fait exactement l’inverse. Il utilise peut-être des « formes » castorfiennes mais au service d’une toute autre substance.

Quelle substance tirer de La Clemenza di Tito ? Présentée au GTG il y a une quinzaine d’années (2006) en production scénique (Prod. Kokkos avec Joyce Di Donato et Charles Workman direction Christian Zacharias) dans une belle réalisation musicale et très classique scéniquement, mais aussi encore récemment en version de concert triomphale (en août 2017) dirigée par un Teodor Currentzis survolté, de retour de Salzbourg où la production Sellars (que Wanderer a vue à Amsterdam) avait fait un énorme bruit.
La Clemenza di Tito souvent représentée puis plusieurs décennies peut être un absolu triomphe, même en version concertante. (Voir ci-dessous les deux comptes rendus) L’œuvre a d’ailleurs souvent bénéficié de mises en scène référentielles. Pour ma part je rappellerais la production de Ponnelle à Salzbourg (il y a un film…) puis des Herrmann, à la Monnaie, Salzbourg, puis Paris, qui est l’une des plus grandes réussites théâtrales des quarante dernières années, mais aussi une production moins connue, d’une stupéfiante beauté des frères Daniele et Cesare Lievi, à Francfort à la fin des années 1980.
Indiscutablement la production de Milo Rau se place dans les productions de référence de l’œuvre, par l’originalité et l’audace du propos, et peut-être par les difficultés qu’elle trahit.

Si Titus dans l’histoire a été considéré comme un empereur romain « idéal » (« Les délices du genre humain », disait-on) son court règne a quand même été marqué par la catastrophe de Pompéi et surtout par la destruction du temple de Jérusalem, et la première diaspora juive, ce qui n’est pas si délicieux. L’histoire d’amour avec Bérénice, dont l’opéra de Mozart est la suite, n’est pas forcément à son avantage (Racine reste ambigu dans sa Bérénice…), non plus que la manière dont, chez Mozart, il passe d’une « fiancée » à l’autre, de Servilia à Vitellia avec une vélocité qui laisse entrevoir d’abord le calcul politique.

La Clemenza di Tito, c’est un opéra de circonstance, commandé à Mozart pour l’intronisation de l’Empereur Léopold II comme roi de Bohème et créé à Prague le 6 septembre 1791, deux mois avant sa mort. Il faut donc célébrer le monarque, pourtant un exemple d’autocrate : c’est la loi du genre, et le choix de Titus est simplement dû à l’existence de plusieurs Clemenza di Tito (Caldara, Gluck) sur un livret de Metastase écrit un demi-siècle auparavant que Caterino Mazzolà va reprendre et adapter. Signalons enfin que l’opera seria est un genre qui tel quel, vit ses derniers feux avant les grands opéras rossiniens, qui basculeront vers autre chose.
Il s’agit de célébrer le bon monarque, mais aussi le monarque politique : la clémence n’est jamais un acte de simple humanité, c’est un acte d’affichage politique et Titus soigne son image. Du point de vue des individus, il est hors de doute que ni les amitiés ni les amours des uns et des autres ne sont viables dans les circonstances racontées par le livret. Au baisser de rideau, le roi est grand, mais seul, et tous les autres sont déchirés, détruits, coupables en leur for intérieur, même si pardonnés. C’est un carnage sentimental.
La question du pouvoir despotique est centrale au XVIIIe et même si les philosophes des Lumières rendent visite qui à Catherine II (Diderot) qui à Frédéric II de Prusse (Voltaire), ils ne font que servir la « communication » dirait-on aujourd’hui, des despotes. On a appelé cela d’ailleurs « Le despotisme éclairé » … Enfin, en 1791, l'alliance des monarchies se prépare à attaquer la France révolutionnaire. L'illuminisme se conjugue au passé.
Milo Rau n’ignore rien des circonstances et du rôle politique douteux des Lumières, ni du statut des monarchies européennes : il sait cette histoire pipée dès le départ, servant à afficher des qualités supposées à un monarque despotique. Il connaît aussi le Mozart admirateur des Lumières et franc maçon : il sait lire les déchirures du personnage et celles de ses personnages.
Alors sa mise en scène va jouer entre ces différentes questions et ces différents écueils, sans forcément toujours convaincre, mais toujours de grand style et avec une vraie inventivité, en essayant d’inscrire La Clemenza di Tito dans la violence et l’oppression des "petits" de notre monde.

Soyons clairs : le spectacle a une grande force, impose des images puissantes, laisse voir évidemment le tragique de l’histoire, et en ce sens, c’est un très grand travail théâtral, avec une disponibilité notable des chanteurs et des acteurs-figurants (qui jouent leur propre rôle en quelque sorte).  Mais dès qu’on lit le programme de salle, qui fait de cette Clemenza une « œuvre à programme » plus systématique et démonstrative sur le papier que scéniquement peut-être, on est singulièrement déçu.
Était-il si nécessaire de placer cette histoire dans une ère post-apocalyptique, avec une communauté d’artistes survivants guidés par un certain Tito et sa cour ? Cela justifie l’esthétique un peu trashy, la violence, mais est-ce que cela ajoute à l’histoire ? j’avoue garder mes doutes quant à cette pédagogie du détour qui n’éclaire pas et qui peut-être trouble et brouille les pistes.

 L’efficacité dramaturgique, c’est d’abord, cette bascule créée par Milo Rau entre première et deuxième partie, avec un début assez glacial qui est la fin « normale », celle d’un Titus « officiel » qu’on voit évoluer pendant tout le premier acte se prêtant à la « com », à l’image, à la caméra, notamment quand il visite les « pauvres » et qui sera reprise de manière bien plus lacérante à la fin, avec le Titus transformé, blessé, fragilisé après la tentative de meurtre de la fin du premier acte, (d’ailleurs magnifiquement mise en scène grâce au jeu entre vidéo en gros plan et vision théâtrale en direct).

 Ce qui fait l’intérêt et le caractère de ce travail, c’est d’abord ces deux Titus, l’un gentiment superficiel qui parle à tout le monde en souriant et en faisant semblant de s’intéresser aux individus, pour la caméra et les photos, et le Titus solitaire et détruit sui se traîne tout le second acte.

 Il y a là une véritable vision, presque monstrueuse, d’un être physiquement blessé, christique dans sa nudité initiale et dans cette Pietà où Publio le porte : le roi est nu bien évidemment, même si la répression est terrible, avec cette scène très réaliste de la pendaison conduite par un soldat, un figurant d’origine arménienne, dont la famille a dû fuir le génocide. Le massacré massacreur, le choix n’existe pas pour celui qui en exil.

Au-delà de cette représentation du pouvoir, Milo Rau interroge la nature de ce pouvoir, en montrant que tout pouvoir est le produit d’autre chose, d’une société, d’une classe, de modes et que dans cette société qui se noie, la question de l’art est centrale car l’art est aussi indice. En ce sens, il se place dans la perspective d’autres artistes qui bousculent l’ordre social, Beuys, Abramović,  dans une perspective performative qui n’est pas sans rappeler, y compris esthétiquement, le regretté Christoph Schlingensief qui dans son Parsifal bayreuthien en 2002, ouvrait son acte III par un « Friedhof der Künste » cimetière des arts, montrant ainsi la fin du monde, dans une esthétique assez voisine. Le décor d'Anton Lukas sur une tournette entre salle d'exposition (ou galerie) et l'espace sans caractère et sans identité des "pauvres", qui ressemblent aux migrants de Grande Sinthe ou de la "jungle" de Calais donne une certaine déographie du monde, que Sclingensief aussi dessinait sur une tournette… Lui aussi avait puisé dans Beuys certaines de ses visions ou de ses sources. Plus que Castorf, j’ai beaucoup pensé à Schlingensief (que Castorf avait accueilli à la Volksbühne de Berlin dans les années 1990). Dans ce cadre, les personnages habillés casual pour les uns (les pauvres) et vrai chic artistique pour d'autres (Vitellia, Servilia…)par Ottavia Castellotti dessinent aussi une géographie sociale et ont des rôles définis, il y a les comploteurs (Annio, Sesto, Servilia, Vitellia) physiquement assez semblables, par la taille, et tous chantés par des femmes, et face à eux deux hommes, plus grands, Publio chanteur couleur diversité (avec la charge que cela implique aujourd’hui) et le blond Titus : les théories du genre sont présentes, même si elles ne sont pas forcément utilisées de manière démonstrative…
Plus banale est l’idée que dans ce monde social post-apocalyptique, l’art était devenu objet de marché, inaccessible aux masses, qui en deviennent le sujet, puis l’objet participant elles aussi à l'art "brut" (toutes les œuvres seront affichées à la fin, sans doute aussi "bankables" ) mais toujours accessible au monde bourgeois et noble  (celui qui assiste aux opéras) dont Vitellia est une représentante.  L’art implique l’exploitation des masses utilisées comme illustration, comme modèle et comme matière.

 En témoigne le tableau Il Quarto Stato (1901) de Giuseppe Pellizza da Volpedo qui illustre un monde ouvrier en marche vers la révolution. qui est presque une des didascalies de l'opéra.
Le concept n’est pas neuf non plus, Castorf l’a utilisé à la fin de son Ring, montrant les filles du Rhin vidant Wall Street de ses tableaux, c’est à dire de ses valeurs où l’art a perdu toute valeur artistique.
Mais c’est aussi cette vision utopique d’un art qui recommence à partir des ruines de l’ancien, performance dans la performance.
Deux discours ouvrent la première, et la seconde partie intrusion de l’authentique du vrai dans cette histoire « précontrainte ». Dans la première, un homme parle, qui fut ouvrier au Grand Théâtre, puis figurant et qui devient un corps offert au sacrifice artistique (voire aussi religieux, comme un sacrifice humain) puisque deux femmes congolaises lui arrachent son cœur pour en faire un usage performatif (c’est Vitellia qui le récupère) (on pense alors au corps performance de Marina Abramović). On les retrouvera au chevet de Titus blessé, comme des prêtresses qui puisent dans les secrets des médecines primitives.  Au début de la deuxième partie, c’est un arménien, descendant de victimes du génocide, qui est installé à Genève et pense aussi au très récent conflit du Haut Karabakh. Une victime des massacres qui va ensuite participer à la répression consécutive à la tentative de meurtre de Titus et pendre deux révoltés.
Si le début apparaît glacial et formel, tout en distance et en « image », la fin apparaît beaucoup plus « consensuelle », avec tous les personnages autour de Titus, venus peu à peu s’asseoir autour de lui dans une sorte de vision sereine et reconquise d’un pouvoir cette fois d’une autre nature où l’art est « en train de se faire » dans une communauté qui se retrouve.

On part d’un Tito qui est en même temps « produit », costume gris, cheveux réunis Man Bun samouraï , propre sur lui avec un tee short de Thomas Sankara (une sorte de Che Guevara africain) et dans le vent des circuits artistiques très « in , puis en vagabond, survivant et retrouvant un pouvoir né de l’émotion commune et non plus de la puissance du marché (Kunst ist Macht : l’art est pouvoir est projeté en permanence le fond de scène dans un monde qui est un grand marché), un Titus « off » en quelque sorte.

Milo Rau ouvre le spectacle par un prologue qui en dit beaucoup sur le propos : d’abord, la retransmission commence par les dernières minutes avant le début, quand tout le monde se met en place : nous sommes hors opéra, mais déjà dans la représentation où les personnages (figurants, Publio, Tito) semblent se mettre en jambe tandis que Tito compose un tableau que Vitellia en passant commente froidement (« qui manca qualcosa » ici il manque quelque chose), Tito artiste et Vitellia critique (ou galeriste) dans ce décor de galerie d’art. Les personnages se profilent avant même que la première note ne s'entende.
Puis au moment où va commencer la représentation on entend des chants d’oiseaux, bruits de nature qui font taire le brouhaha de la représentation qui se met en place, performance dans la performance encore une fois dans le décor de la Haus der Kunst de Munich et en arrière-plan une « Liberté guidant le peuple », tableau vivant exposé en version "povera".

Enfin la musique commence qui est la musique de la dernière scène de l’opéra, et s’affiche alors un texte explicatif sur le mur du fond, il y a une volonté très didactique, très didascalique du metteur en scène qui tient à illustrer et expliquer son propos ou montrer dans l’œuvre une démonstration de ce qu’il avance. Milo Rau use en quelque sorte d’un meta-langage, oserait-on dire qu’il fait du méta-opéra… Mais le méta-opéra est-il soluble dans l’opéra ?
Dans cette scène première-finale, Titus surjoue la générosité derrière un micro (qu’il jette violemment quand il apprend les trahisons diverses) et pour l’image de cour qu’il veut proposer et qui se ferme sur la parole « oubli » (il n’y a pourtant pas d’oubli dans la Clémence, la politique est mémoire…) .
Alors commence l’opéra avec la longue ouverture que nous connaissons tous. Le prologue était donc un sas qui nous introduisait à la fois dans l’artifice de l’opéra, dans le réel des individus personnages, mais aussi dans le système de surtitrage-commentaire qui est peut-être une sorte de limite de l’exercice : est-ce une volonté de clarté, ou un artifice de spectacle, montrant le jeu permanent entre artifice et réalité entre présentation et représentation, entre les ombres de la caverne et le monde ?

 Le spectacle se fermera par les mêmes chants d’oiseaux, mais Titus n’y surjoue plus, il est devenu empathique, écouté par tous assis, qui, comme dans le premier tableau, finissant par reconstituer tous ensemble une version un peu cheap de « La Liberté guidant le peuple » de Delacroix mais cette fois ‑ci avec les protagonistes dans le tableau vivant, qu’un photographe vient immortaliser : au tout début c’était Sesto qui photographiait les pauvres. l’image est donc toujours présente (rien n’aurait donc changé ?) pendant que défile un texte qui interroge notre humanité notre terre, notre rôle ou notre impuissance : « Après tout, peut-être que la Clémence de Titus est une histoire de dépassement du pouvoir, peut-être sommes nous les derniers vestiges d’une époque révolue, nos conflits, une ritournelle d’erreurs, notre histoire, un musée de l’échec, notre sensibilité, une mise en scène de la nature, bientôt la lave coulera là où se trouvent nos maisons, les forêts recouvriront tout, le chant des oiseaux résonnera parmi les ruines de nos cités. », histoire de fin du monde, de fin de l’art, de fin de l’opéra.

 Avec ses deux fins, celle du début, froide et un peu distante, et celle de la fin plutôt empathique, on a peut-être une sorte de parcours cyclique, où l’histoire n’est que « ritournelle d’erreurs », littéralement retour des erreurs, et où même ce qu’on croit être un espoir n’est plus qu’illusion. Et en même temps on lit une tentative presque aporétique de mêler le réel et le figuré dans tout le spectacle : toute la dernière partie de l’acte II (mais aussi l'air de Vitellia du premier acte) est émaillée de projections des des bios des artistes et des figurants, taches de vrai qui accompagnent la mise en place de la scène finale. Tentative de chercher derrière les yeux les vrais rêves des vrais artistes, de chercher à diluer le théâtre et en faire un moment hic et nunc qui va au-delà de la représentation ?  Le texte final que nous évoquions raconte un monde couvert de lave (allusion à Titus et Pompei ?) où la vie est couverte et remplacée par une nature renaissante ou un monde différemment exploité. Après tout le monde pompéien, cette vie recouverte par les laves est aujourd’hui « site touristique », exploité pour le monde de consommateurs que nous sommes. Nous exploitons comme curiosités esthétiques jusqu’aux cadavres des morts sous l’éruption… Tout cela constitue des pistes, des chemins possibles pour le spectateur qui le portent loin de l’opéra, loin de son formalisme et qui peut-être sont un début de sa destruction.
Tout cela est un peu vertigineux et, je dois dire, touffus, complexe et qui s’adapte peu à la reprise en streaming, qui, même signé Andy Sommer, ne peut rendre compte réellement d’un spectacle d’une telle complexité, aux ramifications si multiples et aussi aux contradictions non résolues.
Il est clair qu’il y a quelque chose de crépusculaire dans ce travail, qui a l’ambition d’émouvoir et de créer une empathie entre scène et salle.
Avec une salle vide, c’est un peu plus difficile. Mais le public du Grand Théâtre viendrait-il pour voir la célébration de notre fin ou le dernier opéra, ou pour simplement consommer une Clemenza de plus, avant la suivante ? C’est toute la question que pose le travail de Milo Rau :  s’instrumentalise-t-il lui-même ?

Devant un spectacle aussi puissant et qui interroge tant le spectateur, mais aussi le rôle de l’art et celui de la musique en l’espèce, on ne cessera de regretter de devoir donner un compte rendu de vision télévisuelle d’un spectacle qui devait être vu en salle : le streaming notamment pour le commentateur, est une trahison, même si les reprises vidéo sont signées Andy Sommer, spécialiste du genre.

Cette production impressionnante et déconcertante tient aussi la route eu niveau musical, surtout à mon avis grâce à la présence au pupitre de Maxim Emelyanychev, ce jeune chef que nous avions tant apprécié à Zurich dans Die Entführung aus dem Serail, là encore objet d’une mise en scène très forte de David Hermann.
Spécialisé dans le XVIIIe, Emelyanychev ici travaille visiblement en cohérence avec la complexité de la vision scénique ; sa direction a l’énergie qu’il faut, elle a aussi quelquefois le lyrisme, elle a toujours une tension qui jamais ne se relâche, et donc c’est presque une énergie du désespoir qu’elle montre, avec de très belles variations de couleur où l’OSR est ici tout sauf routinier, mais vivant, mais varié, et la direction fait entendre un orchestre limpide, des pupitres qui respirent, aussi bien les cordes que les bois. C’est l’une des meilleurs prestations mozartiennes entendues dans cette fosse, et la production méritait un tel cadre musical, un tel accompagnement voire une telle nouveauté.
Le chœur (en salle) également est particulièrement bien mis en relief, dirigé par Alan Woodbridge, il assure une présence forte, mais – autant que le streaming le permette, jamais intempestif et toujours contrôlé, dans un opéra où la couleur ne sera jamais celle du triomphe.
La distribution est particulièrement bien choisie parce qu’elle n’a pas de fautes de goût ou de fautes d’équilibre. Ce qui frappe d’abord, c’est l’homogénéité, qui ne masque pas de faiblesse, mais au contraire est riche d’espoirs.
Le Publio de Justin Hopkins est noble, avec une belle présence dans son air tardi s’avvede d’un tradimento où l’on entend un beau timbre de basse, intériorisé et émouvant qui fait regretter de pas l’entendre plus pour un rôle qui reste marginal bien qu’il soit presque sans cesse en scène. Mais son appartenance au "Jeune ensemble du Grand Théâtre" nous promet d'autres apparitions.
Très belle Cecilia Molinari dans le rôle d’Annio : on a déjà entendu ailleurs cette belle voix de mezzo, une des jeunes chanteuses les plus intéressantes en Italie aujourd’hui, au chant précis, contrôlé, avec une couleur fraiche et jeune, et une grande finesse.

Face à elle, très poétique et fraîche aussi la jeune Marie Lys, « locale de l’étape » puisqu’elle appartient au « Jeune ensemble du Grand Théâtre », qui est vraiment convaincante parce qu’elle porte en elle une fragilité et une vraie délicatesse, qui la rend particulièrement touchante. Le rôle de Servilia n’est pas toujours facile, mais elle en fait un personnage à la fois jeune et résolu, où elle sait rendre et l’amoureuse, et l’audacieuse qui ose affronter le souverain, douce et forte à la fois..
Dans cet ensemble, les parties principales émergent sans jamais écraser, à commencer par le Sesto tout à fait incarné d’Anna Goryachova (qui fut Cenerentola sur cette scène), elle a l’énergie, mais en même temps la couleur mélancolique voire crépusculaire qui convient au personnage qui à la fin aura tout perdu. Belles agilités, voix vraiment bien projetée et dominée, elle est un Sesto presque adolescent d’une très grande fraicheur, qui diffuse vraiment l’émotion. Son Parto est presque pris comme un chant du cygne (et merveilleusement accompagné à l’orchestre) et en même temps le chant désespéré de l'ado passionné.

Vitellia, glaciale et distanciée, est aussi une magnifique surprise, on n’attendait pas Serena Farnocchia dans ce rôle calculateur mais aussi passionné qui ne se découvre qu’à la fin empathique avec Sesto, son air du II (remarquablement accompagné au cor de basset) Non più di fiori vaghe catene est l’un des plus sensibles et des plus contrôlés et précis qu’il m’ait été donné d’entendre. Une redécouverte d’une artiste qui va compter pour sûr.
Enfin, Bernard Richter, dans un Titus un peu particulier ; on l’a connu dans Don Ottavio, dans des rôles plus légers, mais on a toujours aimé sa précision, sa manière de colorer la voix, l’absence totale d’histrionisme et la justesse de son chant si contrôlé et si élégant.
La partie, on le sait, est redoutable, elle demande un peu d‘héroïsme, du lyrisme, des agilités et une vraie présence, que tous les Titus n’ont pas. N’oublions jamais que sous Titus sommeille vocalement un Lohengrin. Richter vu la dernière fois dans un bel Idomeneo à la Scala est ici un Titus très juste, à la fois dans l’affichage affecté du souverain et dans la fragilité du souverain atteint. La voix est quelquefois aux limites, notamment dans quelques agilités pas toujours impeccablement justes, à l'aigu, sur le fil du rasoir en quelque sorte, mais il faut surtout saluer la performance d’acteur et de chanteur, une véritable incarnation là encore : la manière de varier la couleur, et de se prêter, de s’offrir, de se dédier à la mise en scène : avec son maquillage de l’acte II, il réussit vraiment à imposer le personnage et un vrai style. Son Titus s’en sort avec les honneurs et lui aussi réussit à diffuser d’abord de la distance et de la froideur, puis une véritable intériorité et une grande sensibilité ; très beau personnage, très belle personnalité et très belle incarnation. c'est toujours un plaisir de voir s'épanouir un chanteur qu'on suit et qu'on apprécie depuis longtemps.

Voilà au total une entreprise audacieuse, un peu contradictoire quand même dans le style art dans l’art où la performance mime la fin d’un art, la fin du public, la fin de la cité, au cœur-même de la cité et dans un théâtre  bien loin de raconter l’histoire empathique de la migration et de la pauvret et qui n’a rien d’une institution culturelle implantée aux confins de la ville, chez "ceux qui ne sont rien".
Est-ce un art consommable, une fake-émotion, ou une vraie performance hic et nunc. Les personnages sont en place, ils se donnent dans leur vérité, figurants si importants et chanteurs, qui se sont livrés un peu au-delà de leur rôle. C’est incontestablement un spectacle qui devrait faire date, une sorte de pierre miliaire dans un style  – c’est très contradictoire- à la fois déjà vu et innovant. Le défi, ce sera de proposer dans d’autres opéras d’autres visions. Le défi c’est aussi de savoir si nous ne sommes pas au seuil du Post-opéra. Et donc spectateurs de la fin de notre art bien-aimé.

 

NB : il est profondément regrettable que ce spectacle (et d’autres particulièrement dignes d’intérêt du Grand Théâtre de Genève qui vient d'être distingué "Opéra de l'année" par le mensuel Opernwelt) soit aussi chichement disponible et partageable. La complexité du spectacle demande une vision attentive sinon plusieurs. À l’instar d’autres institutions, il ne serait peut-être pas de mauvaise politique de proposer à terme une présence permanente de telles productions sur GTG Digital, même moyennant une somme modique en abonnement.

La Clémence de Titus

Alfred Caron – AsOpera.fr – 22 février 2021

source: https://www.asopera.fr/fr/productions/3995-la-clemence-de-titus.html

 

Considéré comme un des livrets les plus aboutis du XVIIIe siècle, La Clémence de Titus a été mis en musique de nombreuses fois depuis l’opéra de Caldara en 1734. Mozart fut, semble-t-il, le dernier compositeur à s'y « attaquer », à l'occasion des fêtes du couronnement de l'Empereur Leopold comme Roi de Bohême en 1791, du reste non sans l'avoir fait remettre au goût du jour par Caterino Mazzolà, c'est-à-dire y avoir fait introduire des ensembles (quatuors, trios et duos) rompant ainsi la traditionnelle alternance de récitatifs et d'arias da capo qui caractérisait le genre de l'opéra séria.

 Dans ce livret tant vanté qui exalte les vertus monarchiques à travers la figure de l’Empereur romain, Milo Rau, le metteur en scène de la nouvelle production genevoise, a voulu voir l'expression de la réaction face au mouvement révolutionnaire venu de France, qui commençait à secouer les bases de l'absolutisme et, plus largement, une exaltation du pouvoir, cachant la violence sur laquelle il s'appuie sous des dehors bienveillants. Dans sa vision la générosité et la magnanimité de l'Empereur sont donc une hypocrisie, et son Titus un homme politique cultivant son image face aux caméras. Pour lui, l'art et les artistes sont complices de l'exploitation des masses et de leur souffrance et, pour plus de clarté, il a placé en exergue de sa production la devise « Kunst ist Macht » (L'art est pouvoir).

 Cette approche serait assez banale si sa mise en scène ne bousculait profondément la dramaturgie de l'œuvre en convoquant sur le plateau ce peuple absent de l'opéra, et en reléguant à l'orchestre le chœur dont il fait pour l'occasion le public de ce spectacle donné à huis clos. Il installe donc sur scène un ensemble de figurants choisis dans la population cosmopolite de la ville de Genève où se pressent réfugiés, blessés de la vie et marginaux de tous horizons, et en fait tout à la fois les témoins et les acteurs de second plan d'une action qui dépasse les intrigues courtisanes que raconte l'opéra. Son décor à deux faces offre l'image d'un palais et son revers, un campement de SDF jonché de détritus où figure une statue brisée de Mozart. S'il prend la peine de nous raconter l'histoire, c'est avec un regard d'une terrible crudité, et il la double d'épisodes qui en sont en quelque sorte l'envers, telle l’impitoyable répression qui suit la tentative de meurtre de Titus, jouée à vue sur le plateau. Toutefois, après la « résurrection » de Titus au cours d'une cérémonie magique conduite par deux figurantes africaines, le metteur en scène abandonne tout à fait ses personnages à leur problématique individuelle et se contente de les laisser chanter tour à tour leurs airs en se transmettant comme un relais symbolique, ce cœur qui a été arraché à un des figurants au prologue. Il préfère nous raconter en parallèle l'histoire personnelle de ces « figurants » comme il l'avait fait de celle des interprètes dans les premières scènes. Le final conforme au livret, déjà vu en guise de prologue, marque un « retour à la normale » tandis que sur l'écran en fond de scène, où l'action a été en permanence commentée et prolongée, défile un ensemble de réflexions d'un terrible pessimisme sur la fin de notre civilisation.

 Cette mise en scène, d'une incroyable densité, n'exclut pas une approche musicale de haut niveau et doit beaucoup à une distribution totalement impliquée où se distingue singulièrement le magnifique Sesto de la mezzo-soprano Anna Goryachova, belcantiste hors pair, vibrante de passion et d'engagement. À Vitellia, Serena Farnocchia offre sa voix de soprano dramatique mordante avec un rien d'acidité dans l'extrême aigu qui contribue à la caractérisation de son personnage vindicatif. Cecilia Molinari donne à Annio une subtile musicalité et la Servilia de Marie Lys touche par le naturel et la grâce de son chant. La basse profonde et stylée de Justin Hopkins complète ce plateau remarquable. La haute-contre de Bernard Richter n'est peut-être pas la voix idéale pour le rôle de Titus mais il assume avec beaucoup d'autorité son personnage, malgré un aigu un peu droit qui laisse entendre parfois quelques problèmes d'intonation. Dirigeant l'orchestre de la Suisse romande depuis le pianoforte, le jeune chef russe Maxim Emelyanychev donne une lecture de la partition où se sent l'influence du courant baroque dans des phrasés très vivants parcourus d'appoggiatures et de variations qui répondent à celles des solistes, unifiant le discours orchestral et les récitatifs par l'omniprésence du pianoforte, malgré les nombreuses ruptures qu'impose le rythme théâtral. À coup sûr, cette étonnante production, la première mise en scène lyrique de Milo Rau, spécialiste du théâtre documentaire, ne sera pas du goût de tout le monde et on se demande comment elle eût été reçue par le public genevois si elle avait été présentée dans des conditions normales, tant sa dimension politique et la radicalité de sa vision peuvent paraître dérangeantes pour un spectateur qui n'attendrait de l'opéra qu'un plaisir esthétique purement hédoniste.

Pas de clémence pour Mozart

Sylvie Bonier – Le Temps – 21 février 2021

source: https://www.letemps.ch/culture/clemence-mozart

Au Grand Théâtre de Genève, la mise en scène de Milo Rau dénonce avec force la cécité politique. Au détriment de la partition de «La Clémence de Titus», formidablement mise en lumière par le jeune chef Maxim Emelyanychev et l’OSR

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L’apogée du Mozart politique

Rocco Zacheo – Tribiune de Genève - 22 février 2021

source: https://www.tdg.ch/milo-rau-signe-lapogee-du-mozart-politique-753293515355

Avec « La Clémence de Titus » le metteur en scène Milo Rau greffe un prisme engagé au livret de la pièce. Une approche profondément novatrice et déroutante.

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Anklage mit Mozart – „La Clemenza di Tito“ als politische Attacke an der Oper Genf

Wolf-Dieter Peter - Neuen Musikzeitung – 21 février 2021

source: https://www.nmz.de/online/anklage-mit-mozart-la-clemenza-di-tito-als-politische…

Als Opernstadt hat bislang noch Zürich die Nase vorn. Doch unter Intendant Aviel Cahn will die Oper Genf künftig neben der Fülle von Weltorganisationen wie UNO, ILO, CERN, IKRK, WHO, IAO, IOM, ISO, IEC, ITU, WIPO, WMO, WOSM und WTO eine Rolle spielen. Dass einerseits hier 1920 der Völkerbund begann, andererseits heute das hinterfragenswerte internationale Bankengeschäft mit einem dubiosen „Freeport“ agiert, mag bei Cahns Engagement von Milo Rau an die Oper hereingespielt haben.

„Wenn für die Herrschaft… ein strenges Herz vonnöten ist, nehmt mir entweder die Herrschaft ab oder gebt mir ein anderes Herz. Wenn ich die Treue meiner Reiche nicht durch Liebe gewinnen kann, liegt mir nichts an der Treue, die eine Frucht der Angst ist“ – das singt 1791 ein absolut Mächtiger, der in der Liebe Unglück hat, den der engste Freund verrät, der dessen tödlichem Anschlag und dem Putsch in der Hauptstadt gerade noch lebendig entkommt – einer, der dennoch keine Todesurteile fällt, vielmehr allen verzeiht, weil er weiß, dass eben nur „geliebte“ Herrschaft künftig ergeben angenommen wird. Gegen alle Staatsräson siegen da Lebensweisheit und Humanität. Diese Arie im Schlussteil von Mozarts „La Clemenza di Tito“ entwirft eine faszinierende Utopie – speziell von 1982 an, der einer Wiederentdeckung des bis dahin minder geschätzten Werkes gleichkommenden Traum-Realisierung durch Karl-Ernst und Ursel Herrmann im Brüssel Gérard Mortiers (Übernahme 1992 zu den Salzburger Festspielen). Eine bis heute und gerade in unseren Tagen herausfordernde Utopie, weswegen schon in Brüssel der Tito-Sänger gleichsam aus dem Bühnenbild heraustrat, vor dem sich schließenden Vorhang an einem Rednerpult stand – und eine „Grundsatzrede“ an uns Demokraten hielt.

 Mozarts „Tito“ ist also ein Werk mit einem hochpolitisch strahlenden Kern. Das mag für einen politisch ebenfalls hoch engagierten Regisseur wie Milo Rau die Brücke gewesen sein, über die er sich zu seiner ersten Opernregie locken ließ. Mit seinen bisherigen „freien“ und seit 2018 am belgischen Theater NTGent realisierten Werken greift Rau gezielt, herausfordernd bis provokativ ins reale Leben: von der Ceausescu-Hinrichtung über die Dutroux-Entsetzlichkeiten zum Ruanda-Völkermord, einem Kongo-Tribunal bis hin zum Film „Das neue Evangelium“, in dem ein farbiger Jesus für die Armen, Entrechteten und „Illegalen“ auf süditalienischen Gemüsefeldern eintritt. Zunehmend arbeitet Rau dabei mit Betroffenen, Zeitzeugen und gezielt auch Flüchtlingen zusammen.

 Genau das ist für Rau auch Grundkonzept seiner „Tito“-Inszenierung. Von seinem Bühnenbildner Anton Lukas hat er hinter einem vorderen Spielstreifen in der Bühnenmitte eine kleine Drehbühne bauen lassen. Sie zeigt aus Raus Sicht die zwei Seiten unserer Welt: einen edlen, hellen Raum, der sich am Ende als Saal einer Vernissage mit gutbetuchten Kunstfreunden entpuppt. Auf der Kehrseite die düstere Realität eines „unserer“ Flüchtlingslager, also Notbehausungen aus Sperrgut, umherliegender Müll, eine brennende Öltonne, Schilder mit Protestparolen, ein Junge im Rollstuhl, fast durchweg Farbige – über allem ein (zu kleiner) Videoschirm. Und hier beginnt das Kernproblem der Aufführung. Mit Zustimmung des jungen Dirigenten Maxim Emelyanychev hat Rau Mozarts Werk drastisch zusammengestrichen: eigentlich wären da die gegen die siegreiche „Weisheit“ und „Milde“ wie ein Feuersturm wütenden erotisch-eifersüchtig-rachelüsternen Verwicklungen um Freund Sextus, die ambitioniert verführerische, emotional furiose Vitellia, das junge Liebespaar Annius-Servilia und der gesetzesfixierte Staatsrat Publio – ein Gutteil der Arien und ein Großteil der Rezitative waren ersetzt durch gesprochene oder auf dem Bildschirm eingeblendete biographische Erzählungen dieser „Wirtschaftsflüchtlinge“ oder Bedrohten, Gejagten und Gewaltopfer. Gleich am Anfang wird einem Theaterhandwerker das Herz herausgeschnitten und durch die zweieinhalbstündige Aufführung weitergereicht, bis es Tito zu seiner Arie in Händen hält. Davor war er - durch das Attentat tödlich verletzt – zu zwei Schamaninnen in ein notdürftiges Zelt gebracht und gerettet worden – zwar zeigt uns ein Video-Einspieler seine Waschversuche, aber er bleibt ein Rotlehm-verkrustetes Gesicht. Im Verlauf wurde auch die Erhängung zweier Dissidenten relativ bildgetreu vorgeführt, ohne dass die Parteiungen wirklich klar waren. Durchweg liefen Video-Kameraleute zur Live-Projektion durch die Szene und ihre eigenen Bilder. Dann hatte Rau seine 18 neuen Mitspieler auch einmal Géricaults „Floß der Verdammten“ nachstellen lassen, dann den halbtoten Tito als Davids „Tod des Marat“ arrangiert. Genau das stellte sich auch als Haupteindruck ein: die Spieler waren „arrangiert“ - in einem neuen Anklagestück angesichts unserer Welt – wie es der Science-fiction-Film „Elysium“ eindringlich vorstellt.

 Raus Botschaft gipfelte im Vernissage-Ende mit dem Tod aller singenden Solisten vor einem Podest. Sie hatten noch das Schlusssextett singen dürfen, aber davor wurde auf dem Bildschirm eine kleine Geschichtsstunde von der Französischen Revolution bis zu Restauration projiziert. Zu den dystopischen Schlussbemerkungen und Fragen Milo Raus – etwa: wer wohl unsere fatale Geschichte erzählen wird - arrangierten sich die Unterdrückten dieser Erde um einen halbnackten Anführer zu Delacroixs „Die Freiheit führt das Volk“ – und einzig Vogelgezwitscher klang durch das finale Dunkel.

 Ach ja, musiziert und gesungen wurde auch. Dirigent Emelyanychev führte das Orchestre de la Suisse Romande zu straffem, klar konturiertem Klang, doch Mozart wirkte degradiert zur guten Begleitmusik der szenischen Fülle. Die Solisten um den Tito-Tenor Bernhard Richter klangen alle sehr gut. Doch ihre von Mozart singulär gestaltete „Tour de Force“ durch wirklich alle Gefühlslagen war in diesem Opus reduziert auf kleine vokale Statusmeldungen. Sangesfreunde dürfen sich da nicht erinnern an die eben unvergesslichen musikdramatischen Vulkanausbrüche zwischen einer Julia Varady (Vitellia) und Brigitte Fassbaender (Sesto) – ab 1971 in einer allzu erlesen klassizistischen Inszenierung von Jean-Pierre Ponnelle.

 Dahinter bleibt die Erregungskurve von Milo Raus Bearbeitung enttäuschend weit zurück. Wenn man – wie der Rezensent – nahezu alle Aspekte seiner dystopischen Weltsicht teilt, bleibt die Fundamentalkritik: das ist nicht Thema in Mozarts „Clemenza die Tito“. Da ließen sich mehrfach weit besser kritische Protestsongs einspielen und eben ein neues Stück kreieren. Und Rau selbst sollte selbstkritisch sehen, dass Personenregie einen unverzichtbaren Wert in der Neuinterpretation von Klassikern bildet – ein Anspruch, dem er nicht gerecht geworden ist. So bleibt eine Vermutung: Intendant Cahn und Rau wollen mit dem Klassiker locken – und dann dem Publikum der Finanzmetropole Genf eine Art Moralpredigt servieren. Intention ehrenwert – aber Mozart missbraucht.

Kunst ist Macht

Peter Krause – Concerti.de - 20 février 2021

source: https://www.concerti.de/oper/grand-theatre-de-geneve-la-clemenza-di-tito-19-2-2…

Der enorm angesagte Schweizer Film- und Schauspielregisseur Milo Rauch debütiert mit Mozart in der Oper und wagt eine dialektisch deutlich angeschärfte, verstörende Sicht jenseits plumper Provokation.

Die Bühne des ehwürdigen Grand Théâtre de Genève ist so vollgemüllt wie mutmaßlich noch nie zuvor. Eine Wohnwagensiedlung, in der sich Flüchtlinge niedergelassen haben, ziert die eine Hälfte der Drehbühne mit möglichst viel buntem Elend. Auf der anderen Seite hat Anton Lukas ein Haus der Kunst gebaut, einen Hort der wohlsortierten Bürgerlichkeit, in dem die offizielle Personnage von Mozarts „La Clemenza di Tito“ residiert. Zwei gesellschaftliche Welten also präsentiert Milo Rau bei seinem Debüt in den für ihn fremden Gefilden der Oper, zwei Welten, die im wahren Leben sonst gern eher strikt nebeneinander her existieren – selbst im feinen, teuren, blitzsauberen Genf mit seinen vor goldenen Uhren nur so blitzenden Einkaufsmeilen, seiner Vorzeigeidylle entlang des Sees, seinem Traumblick aufs Gebirge. Auch hier leben Geflüchtete, auch hier gibt es eine Unterschicht in grautristen Plattenbauten. Auch diese auf den ersten Blick so schöne heile Welt – sie ist gespalten.

Auch mal den Finger in die Wunden dieser Welt legen

Intendant Aviel Cahn, der gleich nach seiner Antrittssaison (in der er pandemiebedingt gar nicht alle Premierenpläne in die Tat umsetzen konnte) das Opernwelt-Votum „Opernhaus des Jahres“ einfahren konnte, er will nicht die kulinarischen Erwartungen an eine der Schönheit geweihte repräsentative Kunstform bedienen, wie es hier in der französischsprachigen Schweiz sehr wohl üblich war. Er will auch mal den Finger in die Wunden dieser Welt legen, Widersprüche wahrnehmbar machen – und dennoch „Hoffnung wagen“, also dem Theater seine Aufgabe als moralischer Anstalt sehr wohl abfordern. Dem Intendanten wie seinem Debütanten am Regiepult geht es dabei nicht um plumpe Provokation oder wohlfeile Kapitalismuskritik. Da wird nicht mal eben der Dekonstruktionshammer geschwungen, um den Abonennten ihre Weltsicht zu vermiesen.

Die virulente Problematik des Stücks

Was jetzt auf der Bühne für Mozarts letzte Oper als sehr viel Trash daherkommt, hat nicht nur Methode, ist nicht nur Inszenierungs-System, ist nicht nur Zeitgeist-Projektion aufs hehre Werk, in der ein aufgeklärter Aristokrat seinen Mördern großmütig vergibt. Es reflektiert vielmehr die bei Mozart selbst längst virulente, wenngleich nicht ausgesprochene Problematik des Stücks. Denn Mozart schrieb ja seine Lobpreisung edler Tugenden der herrschenden Klasse im Angesichte der Französischen Revolution, die gerade alle alten Gewissheiten hinweggefegt hatte.

Milo Rau schärft nun die Werk-Brüche, wenn er sichtbar macht, wie geschickt Tito sich selbst inszeniert, die neuen Toleranzideale seiner Zeit flink aufgreift und sich zu nutze macht, indem er bürgerliche Freiheiten gewährt und dazu die Entlastungsfunktion der Kunst gezielt einsetzt. Rau erzählt da dann auch von der Geburt der bürgerlichen Kunst durch die Aneignung der revolutionären Werte. „Kunst ist Macht“ ist da im Hintergrund zu lesen. Joseph Beuys und Kaiser Tito scheinen verwandt. Und Vitellia sieht verdächtig nach Marina Abramovic aus, deren Welt und Kunst verschränkende performativen Aktionen hier nachgestellt werden.

Fiktion und Realität durchmischen sich

Der Regisseur geht dann freilich den entscheidenden Schritt weiter, weil er als studierter Soziologe immer auch die Analyse und Kritik des eigenen Kunst-Tuns mitliefert, das seinen echten revolutionären Impetus längst eingebüßt hat. Die eigenen Kunstbehauptungen werden eben tagtäglich konterkariert durch die realen Katastrophen der gesellschaftlichen Realität. Also stellt er letztere mit auf die Bühne. Freilich nicht – wie so oft im zeitgenössischen Theater – als dekorative Zutat des „Als ob“, sondern mit echten Menschen mit Migrationshintergrund wie mit Behinderung, also mit Laiendarstellern, die von ihrem Schicksal dokumentarisch berichten und zudem ihre Musik in den Mozartkosmos integrieren. Fiktion und Realität durchmischen sich.

Extrem und brutal – und dennoch nah an Mozart

Dies hat auch Auswirkungen auf Mozarts Musik. Milo Rau erweist sich trotz Eingriffen in die Rezitative als respektvoll gegenüber den Arien und Duetten, die in erstaunlicher szenischer Ruhe und Intimität ihre Wirkung entfalten können: Die Schönheit der Koloraturen wird dabei indes gleichzeitig welthaltig, gleichsam wirklich. Opern-Künstlichkeit und Realität gehen eine sinnliche wie intellektuelle Melange ein. Wovon die formidablen Sänger profitieren – zumal die mit wunderbar reichen Mezzofarben und Affekten prunkende Anna Goryachova als Sesto und die mit furiosem Sopran-Aplomp fesselnde Serena Farnocchia als Vitellia. Bernard Richter gestaltet als Tito dramatisch flammende Rezitative, mit den agilen Tenorvertracktheiten der Arien muss der Schweizer auch mal kämpfen, was der Glaubwürdigkeit seiner Figur indes nur zu Gute kommt. Maxim Emelyanychev gibt am Pult des Orchestre de la Suisse Romande eine Art Currentzis-Wiedergänger. Deutlich, unsentimental, flott und hart klingt sein Mozart.

Die szenischen wie musikalischen Mittel mögen mitunter extrem und brutal sein, auch irritierend und verstörend. Doch in ihrer Dialektik sind sie dennoch nah an Mozart, dem Geist der Aufklärung und der schillernden Magie der Musik.

Verlogene Toleranzattitüde

Verena Großkreutz – NachtKritik.de – 23 février 2021

source: https://nachtkritik.de/index.php?option=com_content&view=article&id=19196%3Agra…

La Clemenza di Tito – Grand Théâtre de Genève – In seiner ersten Opernregie will Milo Rau Kunst und Realität aufeinandertreffen lassen

Das Herz macht sich gut. Wie eingefroren steht es da. Gegossen in Glas. Ausgestellt als Kunst. Das Herz bleibt als griffiges Bild omnipräsent in Milo Raus Genfer Inszenierung von "La Clemenza di Tito", Mozarts letzter Oper, einer Seria, komponiert 1791, in Zeiten der Französischen Revolution, für die Prager Kaiserkrönung Leopolds II. Das Herz, das gleich zu Beginn einem kräftigen Mann aus dem Körper gerissen wurde, geht im Verlauf des Abends auf der Bühne von Hand zu Hand. Eine blutige Metapher für alles Leid dieser Welt, das durch die Kunst in bare Münze verwandelt wird.

 Wohnwagenslums als Kunst-Inspiration

Milo Rau hat ja Recht. Der Kunstmarkt gehorcht den Gesetzen des Kapitalismus. Über die Preise von Bildern entscheidet der Marktwert des Künstlers. Und klar, das gilt auch für die Bühne: Was verändert denn der Blick auf das dargestellte Elend dieser Welt? Die Eliten, für die diese Kunst gemacht wird, schauen es an und wieder weg, verdrängen es, spenden bestenfalls. Das tut Titus auch, Mozarts freundlicher, milder Herrscher. Zumindest bei Rau, dem Politischen, der in Genf jetzt erstmals eine Oper inszenierte. Sein Titus spendet großzügig für die Leidtragenden eines Vulkanausbruchs. Aber wer Titus wirklich ist, bleibt im Folgenden recht nebulös.

In Mozarts Oper geht es ja seria-typisch um Rache, Liebesdurcheinander und Intrigen am römischen Hof, was in einem Anschlag kulminiert, der den Herrscher Titus beinahe zu Fall bringt. Aber Titus, der Gütige, der Aufgeklärte, der Reflektierte, verzeiht und begnadigt am Ende die Attentäter*innen. Eine schöne, naive Utopie.

 Die Toleranz-Lüge

Oder eine "Verarschung", so Milo Rau wörtlich, weil der Toleranz-Diskurs der Elite nur darauf ziele, die Gleichheit in der Gesellschaft zu verhindern. Alles Lüge also. Ein durchaus interessanter Ansatz. Er wolle in seiner Inszenierung „die Geburt der bürgerlichen Kunst durch die Aneignung der revolutionären Werte“ darstellen, so Rau. Zwar wird "La Clemenza", abgesehen von wenigen Kürzungen und Umstellungen, hier recht original gespielt, aber über den Seria-Plot legt sich Raus inszenatorische Überschreibung: Der in Beziehungsangelegenheiten recht wankelmütige Titus, die rachsüchtige Vitellia, der ihr hörige Sesto, seine Schwester Servilia und deren Geliebter Annio werden zu Künstler*innen, die sich ihre Inspirationen in einer ärmlichen Wohnwagensiedlung holen, sich dort auch bewundern und filmen lassen. "Kunst ist Macht" prangt es den ganzen Abend von der Videoleinwand.

 Gefühle in Rosa statt realer Revolte

Was diese Ebene nicht hergeben würde, ergibt sich aus dem gesungenen Text. Durch Vitellias Intrige entfacht sich ein Aufstand, der blutig niedergeschlagen wird. Szenen, die dann wiederum als Kunstwerk eingefangen im Museum landen: ein revolutionärer Aufmarsch, Gehenkte, ein erschossener Knabe – ob als hyperrealistische Skulptur oder als Gemälde. Durch die bildliche Aneignung der Revolte werde die reale Revolte verhindert, so Rau.

Aber ist Tito Herrscher oder ein Künstler? Jedenfalls ist er guten Willens. Andererseits aber versteht er die Welt nicht. Einmal pinselt er seine Gefühle in Rosa-Tönen auf eine Stoffplane. Die Elite ist eben vor allem mit sich selbst beschäftigt. Nach dem Brandanschlag auf ihn sucht er Heilung bei Schamaninnen. Mozarts Musik wird durchkreuzt von ihren Gesängen, zweimal auch von kongolesischer Musik.

Das Bühnenbild wechselt zwischen zwei Räumen: einer Kunsthalle, in der sich das kunstaffine Hipsterpublikum in Gestalt des Chores tummelt, außerdem einem Wohnwagenslum, in dem Ausgegrenzte und Arme leben, gespielt von 18 Statist*innen, die man in der Genfer Bevölkerung gecastet hat. Die meisten von ihnen sind im realen Leben Geflüchtete. Ihnen wird immer wieder Raum gegeben, ihre Geschichten zu erzählen. Selbst die großen Arien der Hauptfiguren – per se retardierende Momente – werden mit Videos und Subtexten unterfüttert. Rau möchte Kunst und Realität aufeinandertreffen lassen. Mit allen Mitteln. Was die Oper inhaltlich überlädt, schwer verständlich und auch zäh macht. Die Beziehungsverwicklungen geraten beinahe zur Nebensache. Und das trotz großem emotionalem Einsatz der Solist*innen , sowohl stimmlich als auch spielerisch – ob Serena Farnocchia als Vitellia, Anna Goryachova als Sesto, Cecilia Molinari als Annio oder Bernard Richter als Tito.

Milo Raus erster Opernzugriff bleibt in vielem zu statisch, vor allem was das Bewegungspotential des Chores und der vielen Statist*innen angeht. Wie ein Kontrapunkt dazu wirken die flotten, flüssigen Tempi, die der russische Dirigent Maxim Emelyanychev vom Orchestre de la Suisse Romande einfordert, das auf barocken Instrumenten spielt.
Und was tun mit dem Ende und der verlogenen Toleranzattitüde des Herrschenden? Rau deutet es um in ein Endzeitszenarium. Während langsam die Lichter ausgehen im "Museum des Scheiterns", liest man auf der Leinwand vom Aussterben der Menschheit, von der Macht der Natur, und man hört die Vöglein zwitschern. Ein recht banales Ende.

Missbrauch einer zweifelhaften Gnade

Achim Dombrowski – OperaOnline.com – 19 février 2021

source: https://www.opera-online.com/de/columns/dombrowski/missbrauch-einer-zweifelhaft…

 

Wieder eine in Corona-Zeiten gerettete Produktion, zumindest per LiveStream. Mozarts La Clemenza di Tito, mit dem sich die Theaterpraxis seit der Uraufführung 1791 so schwer tut. Das Werk in der späten Schaffensphase des Komponisten bedeutet einen rätselhaften Rückschritt in die Welt der Opera Seria, die in historisierender Manier überwiegend Arie an Arie reiht und in ganzen Seccorezitativ-Fluten versinkt, die nicht einmal Mozart selbst komponiert hat. Eine königliche Huldigungsoper, die nicht einmal den Auftraggebern so recht gefiel und die nach der Erstürmung des Gipfels der Ensemblekunst in den da Ponte Opern Figaro, Don Giovanni und Cosi fan tutte eigentümlich starr wirkt. Immer wieder hat man die Musik zu retten versucht und sinnstiftende Umsetzungen angestrebt.    

Mit diesem Werk ausgerechnet kündigte mit großer Öffentlichkeitswirksamkeit das Grand Théâtre de Genève die erste Opernproduktion des vieldiskutierten Schweizer Theatermannes Milo Rau an. Die Erwartungen waren hoch. Die Ko-Produktion mit dem Theater an der Wien soll nach jetzigem Planungsstand im Mai in Wien gezeigt werden.  

Rau gehört heute zu den umstrittensten Theatermachern Europas. Er hat 2007 das International Institute of Poltical Murder gegründet, das multimediale Bearbeitungen historischer oder gesellschaftspolitischer Konflikte produziert und verwertet. Dazu gehören nicht zuletzt auch Raus eigene Inszenierungen etwa zum Tod Ceaucescus, ein Stück zum Völkermord in Ruanda, oder eine von Kindern gespielte Arbeit über den Kinderschänder Dutroux aus Begien. Rau ist Intendant des NT Gent und arbeitet auch an anderen europäischen Brennpunkten der herausfordernden Schauspielkunst, wie den Kammerspielen München.     

In der Vorberichterstattung wurde betont, dass Rau mit Geflüchteten und Behinderten, die in der Region Genf leben, arbeiten werde. 

Das allerdings hat es schon gegeben: Peter Sellars hat bei den Salzburger Festspielen 2017 (2018 dann beim Ko-Produzenten, der Oper in Amsterdam) mit dem Dirigenten  Teodor Currentzis diese Problematik bei ihrer Umsetzung von La Clemenza di Tito aufgegriffen und in einem Scheitern der kulturellen Begegnung zweier Welten verarbeitet.  

In der Hamburger Produktion von Verdis Nabucco (2019) arbeitete Kirill Serebrennikow mit Geflüchteten aus Syrien. Ihr Spiel, ihr Gesang und ihre eigene Musik wurden dabei erfolgreich integriert. Als zynischer Kontrast wurde der Umgang der Organisation der Vereinten Nationen mit ihrem Schicksal gezeigt. Serebrennikow war zur Zeit der Erarbeitung der Inszenierung selbst Opfer von Willkür und musste seine Beiträge aus Moskau im Hausarrest per long-distance Arbeit mit seinem Team in Hamburg koordinieren.   

Sellars und Serebrennikow war es wichtig, ganz erhebliche zeitliche und inhaltliche Neudeutungen der äußeren Handlung der Werke vorzunehmen, immer aber zugleich den Kern des Inhalts mit den Konflikten erkennbar zu machen. Der Zuschauer konnte die Zuspitzung der Konflikte klar nachvollziehen. 

Ganz anders Milo Rau. Er will Chaos im Theater zulassen und fühlt sich wesentlich weniger an die Strukturen der Oper oder geschlossene inhaltlich-dramaturgische Konzepte gebunden. Er arbeitet mit einem Höchstmaß an formalen Freiheiten, komplett unorthodoxem Umgang mit Texten, Hinzufügung von Materialien und Personen, die im Werk nicht vorkommen etc. Die Vorgehensweise erinnert am ehesten noch an Castorfs Geschäftsmodell.

Künstlerische Initialzündung seiner Umsetzung ist die Empörung und Wut über die Heuchelei der Eliten, die für ihn nicht nur in einer königlichen Huldigungsoper zwei Jahre nach der französischen Revolution zum Ausdruck kommt. Diese Verhaltensweise sieht er auch heute bei den herrschenden Eliten. Das Elend der Massen wird mit der Beihilfe von Künstlern verklärt und durch scheinbare Zuwendung der Herrschenden den Benachteiligten gegenüber verbrämt. Damit schlägt sich die Kunst auf die Seite der Starken und verhindert eine Revolte gegen die Verhältnisse und die Umsetzung von Gleichheit.   

Der erster Teil spielt in der Szenerie eines Museum, konkret des Hauses der Kunst in München. Hier schwadroniert Titus noch gönnerhaft und ungebrochen und legt selbst Hand an die Kreation von Gemälden. 

Der zweite Teil spielt auf einem Wohnwagenpark der Outlaws und Gestrandeten am Rande der Stadt, wo eine bunte Gesellschaft zusammenfindet, wie  Schamaninnen, allerlei Soldaten aus der Garde von Titus etc. Die Sänger und Sängerinnen treten zum Teil in Kostüm und Maske bekannter zeitgenössischen  Künstlerpersönlichkeiten auf: Vitellia als die Performance-Künstlerin Marina Abramović, Sesto als der Maler Neo Rauch und Titus selbst als der nach einem Flugzeugabsturz geläuterte und äußerlich noch stark verwundete Joseph Beuys.  

All das erschließt sich allerdings erst bei intensivem Studium begleitender Materialien und in keiner Weise bei Betrachtung der überwiegend in dunklen Tönen gehaltenen, kryptischen Videoübertragung. Die Szenerie wird häufig durch eine live-Kamerabegleitung bei gleichzeitiger Übertragung auf eine weiter oben im Raum installierte Leinwand - wie so oft bei Castorf - begleitet.  

Die Qualität der Liveübertragung  war schlecht. Es gab Bildstillstand, kompletten Ausfall, Klirren beim Gesang der Stimmen etc. Zwar konnte man exquisiten Mozartgesang erahnen, aber eine Würdigung der Leistungen im Einzelnen ist nachgerade unmöglich. Der Titus von Bernard Richter schien im Laufe des Abends zunehmend ausdrucksstärker zu singen, die Vitellia von Serena Farnocchia und der Sesto von Anna Goryachova verstanden wohl erfolgreich gegen ihren konzeptionell fremdartigen Außenauftritt anzusingen.  Auch der Annio von Cecilia Molinari, Servilia der Marie Lys und Publio von Justin Hopkins klangen überzeugend, soweit sie zu vernehmen waren.  

Der Chor des Theater Genf unter der Leitung von Alan Woodbridge sowie das Orchestre de la Suisse Romande unter dem 33-jähigen Maxim Emelyanychev konnten mit teilweise ungewöhnlichen Temporückungen und insgesamt durchsichtiger Klangstruktur überzeugen. 

Am Ende blieb offen, ob die Oper den intendierten Inhalten nicht eigentlich im Wege steht; oder umgekehrt, diese Inhalte nicht ebenso der Oper im Wege stehen. Für die Oper jedenfalls war am Ende nichts gewonnen. 

Und was ist für die Kunst erreicht? Das Ergebnis eröffnet einen zynischen Blick darauf, dass die Schöpfer selbst mit dem Kunstprojekt vom Elend anderer Menschen profitieren, indem sie selbst das menschliche Leid in Kunst sublimieren, um diese möglichst teuer an europäische Opernhäuser – z.B. in Genf und Wien - zu verkaufen. Genau wie es in der Konzeption den Eliten zum Vorwurf gemacht wird. Immerhin – die Chuzpe muss man auch erst einmal haben. 

In der Pause wurden Videoeinspielungen eingeblendet, u.a. auch mit Lobpreisungen für den Regisseur aus der eingeschworenen Gefolgschaft der europäischen Theaterszene.

Auf dem Bildschirm konnte man auch die Anzahl der jeweils zugeschalteten Zuschauer sehen. Diese verminderte von anfangs rd. 1.200 im ersten Teil  auf unter 800 im zweiten Teil – war das alles?

Die Aufzeichnung kann kostenlos auf der Webseite des Grand Théâtre de Genève angeschaut werden. 

Milo Raus Operndebüt als Stream: Kunstgeschwätz zwecks Machterhalt

Reinhard J. Brembeck – Süddeutsche Zeitunge - 21 février 2021

source: https://www.sueddeutsche.de/kultur/oper-mozart-milo-rau-1.5213030

Von wegen milder Herrscher! Der Polittheater-Regisseur Milo Rau gibt mit Mozarts "La Clemenza di Tito" in Genf sein Operndebüt und blickt erwartungsgemäß düster auf den Stoff. Dabei vergisst er, auf die Musik zu hören.

 

Die Bühne des Genfer Opernhauses zeigt ein Flüchtlingslager, in dem die Gestrandeten, Ausgestoßenen und Verachteten zusammengepfercht sind. Sie haben nichts zu tun, und sie haben nichts zu sagen. Wie überall auf der Welt werden sie drangsaliert, geschlagen, gefoltert, ermordet. Umzingelt von Billigzelten und Billigstühlen warten sie auf eine bessere Zukunft. Auch ein Aufstand bringt nichts, er wird brutal niedergeschlagen. Die Hoffnungslosigkeit hat diesen Opernabend gnadenlos im Griff. Genährt wird von der Regie nur die Hoffnung, dass dereinst der Mensch völlig von der Erdoberfläche verschwunden sein wird und mit ihm all seine Niedertracht. Auch seine Kunst wäre dann dahin, auch Wolfgang A. Mozarts letzte Oper "La Clemenza di Tito", die sich geradezu verzweifelt damit abmüht, das musikalische Idealbild eines humanistisch mitleidigen Diktators zu malen.

Der schlanke, hochgewachsene Bernard Richter gibt diesen Tito voller Elan im karierten Anzug, mit Che-Guevara-T-Shirt. Er singt ihn ungeschützt, mit vollem Risiko, nah an der Überforderung seines hellen, klaren Tenors. Dieser Tito dilettiert als Maler, und ein Pamphlet dekretiert in brüchigen Lettern: "Kunst ist Macht." Erstmals hat der Polit-Regisseur Milo Rau eine Oper inszeniert, er untersucht bei Mozart, was es mit der "Milde" des Tito im Operntitel auf sich haben könnte. Sein Fazit ist erwartbar negativ. Rau rechnet die Unzufriedenheit hoch, die im Libretto das Volk gegen diesen angeblich so milden römischen Kaiser hegt und die sich in einem Volksaufstand auf dem römischen Kapitol, dem politisch-religiösen Zentrum, entlädt.

 Tito geriert sich als Künstler, während er die Geflüchteten niederknüppeln lässt

Dann aber inszeniert Rau faszinierenderweise etwas als verstörende Realität, das im Libretto nur verschämt und als Irrtum berichtet wird. Während der Chor, im Zuschauerraum als Claqueurtruppe agierend und mit Seuchenmasken singend, den Sturm auf das Kapitol und den Brand des selbigen kommentiert, während der Dirigent Maxim Emelyanychev das klangschön elegant und flexibel spielende Orchestre de la Suisse Romande in dieser Szene verzweifelt toben und berserkern lässt, wird Tito von seinem besten Freund Sesto in einer Umarmung hinterrücks erstochen. Sesto mordet bei Milo Rau - und anders als bei Mozart -, weil er das Elend der Gestrandeten nicht mehr erträgt. Auch weil er es nicht mehr erträgt, dass sein Freund Tito, der empathielos von Frau zu Frau wechselt, sich in einem zynischen Doppelspiel als Künstler geriert, während er seine Security-Leute die Geflüchteten niederknüppeln lässt.

Die überwältigende Anna Goryachova singspielt den Sesto als eine längst aus dieser Geschichte gefallene Gestalt, als Schatten eines Menschen, dessen Frustration unendlich alt ist und noch viel tiefer geht. Dieser Sesto ist zutiefst davon getroffen, dass das humanistische und kunstbegeisterte Reden seines innig geliebten Tito nichts als Geschwätz ist. Goryachova legt all diese Enttäuschungen in ihren tiefen, dunklen, schier den Weltenraum umfassenden Mezzosopran, der fern aller Veräußerlichung selbst in den virtuosesten Tonkaskaden nur von Schmerz kündet, von Verzweiflung, Lebensflucht.

Die kalt berechnende Vitellia versucht, von einem gebrochenen Heiratsversprechen Titos enttäuscht, Sesto bei ihren Machtspielen einzuspannen, sie lockt mit kargem Sex und spärlich ausgeschütteter Güte. Serena Farnocchia macht das alles fabelhaft, spielt eine technokratische Karrierefrau ohne Gefühle. Aber genügt das für die beiden riesigen Arien, die Mozart dieser Frau komponiert hat, in der auch ausgiebig von verletzten Gefühlen die Tonrede ist, von einer geschredderten Seele? Farnocchia wahrt auch hier allzu sehr die Contenance.

Milo Rau misstraut der bürgerlichen Kunst und deren Inbegriff, der Oper

Vielleicht aber, und dieser Eindruck lässt sich den ganzen, dreistündigen Abend lang nicht ausblenden, ist Milo Rau einfach zu sehr am Text und seinen eigenen globalen Anti-Diskursen interessiert und zu wenig an der Musik, die doch viel mehr und anderes zu erzählen hat als das, was im Libretto steht. Der politisch agierende Theatermacher Rau misstraut der bürgerlichen Kunst. Oper und klassische Musik aber sind in ihrer ichbezogenen, affirmativen Abstraktion der Inbegriff bürgerlicher Kunst. Es ist verblüffend, dass Rau sich überhaupt auf diese Kunstform einlässt. Doch dieser Widerspruch ist zumindest teilweise produktiv, da Rau den Herrschafts- und Kunstdiskurs in dieser Oper wider die herrschende Meinung radikal als einen Scheindiskurs entlarvt. Kunst ist, das vor allem bleibt verstörend nach diesem Abend haften, ein Mittel der Mächtigen, um einen Großteil der Menschheit von Macht und politischer Teilhabe auszuschließen, sie ist ein wohlfeil zu habendes Opium für das Volk.

Oper und Klassik aber sind auch noch etwas anderes, für das Milo Rau kein Gespür hat, vielleicht will er es auch nicht (wahr)haben. Ganz im Gegensatz zu Anna Goryachova, die - keinem ihrer Mitsänger gelingt an diesem Abend vergleichbar Grandioses - bei allem Kunstaufwand "nur" einen Menschen am Abgrund zeichnet. Ja, das ist altes, überkommenes Identifikationstheater, das ist Oper, wie sie besser nicht gesungen und gespielt werden kann. Dagegen nimmt sich Milo Raus Sozial- und Herrschaftsdiskurs plump und schlicht aus. Der unverbunden nebeneinander gestellte Kontrast völlig unterschiedlicher Ästhetiken aber enthüllt in seiner Janusköpfigkeit zwei entscheidende Seiten des Opernbetriebs. Die Empfindsamkeit des nachaufklärerischen Ichs steht gegen eine Gesellschaft von Rechtlosen, denen noch kein Komponist eine ähnliche Kunstanstrengung gewidmet hat wie dem Aristokraten Sesto. Der Aufstand der Massen, vor einhundert Jahren von Ortega y Gasset elitär skeptisch heraufbeschworen, hat in Genf endlich auch die Oper erreicht. Um zu überleben, wird sie sich wohl wandeln müssen. Auch wenn Milo Rau mehr als skeptisch ist, was die Zukunft der Kunst wie der Menschheit angeht.

Milo Raus „Clemenza di Tito“ : Nimm dies, Spießer!

Jan Brachmann – Frankfurter Allgemeine - 22 février 2021

source: https://www.faz.net/aktuell/feuilleton/buehne-und-konzert/operndebuet-mit-mozar…

Herzloser Durchblicker: Milo Rau debütiert in Genf als Opernregisseur mit Mozarts „Clemenza di Tito“. Sein Theater ist das Ausagieren eines performativen Selbstwiderspruchs.

 Der Schweizer Soziologe und Krisengebietsreporter Milo Rau macht seit knapp zwei Jahrzehnten auch Theater, weil ihm – dem Analysten unserer aktuellen Ökonomie der Aufmerksamkeit – nicht entgangen ist, dass die Kunst immer noch höhere Renditen abwirft als die Publizistik. Nun hat er am Grand Théâtre in Genf mit Wolfgang Amadé Mozarts letztem Bühnenwerk „La clemenza di Tito“ erstmals eine Oper inszeniert, was das Genre insofern ehrt, als sich Rau damit noch einmal einen Hinguckerzuwachs und einen Empörungsprofit verspricht. Denn mit der vielbeschworenen Relevanz von Kunst verhält es sich doch im Grunde so: Sie wächst nicht durch Aktualisierung und Politisierung, vielmehr ist sie schon da und lässt sich zur Verstärkung von Agitation und Selbstdarstellung nutzen.

 Gleich in einer der ersten Szenen lässt Rau den Statisten Dominique Dupraz, Bürger von Genf, durch ein Flüchtlingslager auf der Bühne spazieren, das von lauter echten Genfer Bürgern mit ganz echtem Migrationshintergrund bevölkert wird, die dem wohlbeleibten Westeuropäer im Handumdrehen das Herz aus der warmen Brust schneiden.

Ein Flüchtlingslager ist kein Streichelzoo, Geflüchtete sind keine Gutmenschen, sagt uns diese Szene. Und in der Pause des Livestreams, der noch bis zum 28. Februar auf www.gtg.ch zu sehen ist, gibt uns Milo Rau Fußnoten mit auf den Weg zum Verständnis seiner Herangehensweise: Bürgerliche Kunst seit dem neunzehnten Jahrhundert habe immer wieder eine soziale Unterschichtsglorifikation betrieben, um dieser Schicht die tatsächliche Teilhabe an der politischen Macht zu verweigern. „Würden wir den Armen wirklich helfen, würden wir unsere Position verlieren“, ruft er den Sängern während der Probe zu, „die Armen wollen keine Revolution, sie wollen Herren werden.“

 Milo Rau schlägt sich auf die Pharisäer-Brust

Folglich ist die Bühne, die Anton Lukas für diese „Großmut des Titus“ gebaut hat, zweigeteilt: vorn das Museum, in dem der linksliberale Künstler Titus, der sich medienwirksam für die Flüchtlingshilfe engagiert, seine Kunstwerke über Revolution und Fortschritt ausstellt; hinten das Flüchtlingslager, in dem gemordet, geraubt und gebrandschatzt wird und das den übrigen Künstlern als Inspiration dient, darunter Vitellia, gesungen von Serena Farnocchia, von Ottavia Castellotti listenreich als Marina Abramović kostümiert.

Das Libretto um die Großmut des römischen Kaisers Titus, der sich für die Opfer eines Vesuvausbruchs einsetzt und am Ende seinem Attentäter Sextus die Todesstrafe erlässt, macht Rau zur Parabel auf den Erhalt westlicher Machtverhältnisse durch die zynischen Engagementsspektakel „fortschrittlicher“ Kunst.

Natürlich verfängt er sich in dieser Kritik selbst. Sein Theater ist das Ausagieren eines performativen Selbstwiderspruchs. Indem er inszenatorisch den Stinkefinger ausfährt und sagt: „Nimm dies, linksliberaler Spießer!“, steckt er schon in der Falle. Wo die Kunst-Elite, die er angreift, sich auf die Pharisäer-Brust schlägt und sagt: „Gott sei Dank bin ich nicht wie diese konservativen Spießer, die in der Kunst immer nur eine Gegenwelt zum Alltag suchen“, da schlägt sich Milo Rau auf die Pharisäer-Brust und sagt: „Gott sei Dank bin ich nicht wie diese linksliberalen Spießer, die glauben, durch ihr politisches Kunstengagement einen Ablass von der sündhaften Gewalttätigkeit der westlichen Welt erwirkt zu haben.“

 Die Musik läuft nebenher

Die Musik ist dabei Nebensache. Wenn die großartige, innig glühende Anna Gorjatschowa als Sextus oder der fast visionär predigende Bernard Richter als Titus singen, wird die Bühne geflutet mit Videos und Kommentaren zur Biographie der Darsteller. Der Dirigent und Pianist Maxim Jemeljanytschew, der sich glücklich von seinem einstigen Chef Teodor Currentzis bei MusicAeterna abgenabelt hat, muss die Degradierung der Musik zur Zweitrangigkeit kompensieren, indem er die Begleitung der Secco-Rezitative zu freien Fantasien aufbauscht und das Klangbild des Orchestre de la Suisse Romande dauerhaft aufrauht. Aus Mozarts Formen, seinem Über-Dur, das jeden erotischen Taumel wie in „Così fan tutte“ vermissen lässt und schon im Klang auf eine eigentlich herzlose Großmut, eine Milde ohne Liebe hindeutet, wird szenisch nichts gemacht, weil der Regisseur kein Interesse mehr für die Arbeit an der Kunst hegt und sie verkürzt zum Plakat „Kunst ist Macht“. Eine Macht freilich, an der auch er klebt.

Bei Christoph Marthaler in Zürich war die Musik vergangene Woche in Glucks „Orphée et Euridice“ noch letzter Trost in einem Theater, in dem man sich über nichts Lebenswertes mehr verständigen kann. Bei Milo Rau und seinem Genfer „Titus“ ist die Musik für den diskursiven und szenischen Prozess absolut irrelevant geworden. Sie läuft beziehungslos neben der Demonstration eigenen Aufgeklärt-Seins her. Ästhetisch bedeutungslos, behält sie aber ihre ökonomische Relevanz: Sie liefert das soziale Traditionskapital, um dieser Aktion überhaupt noch Aufmerksamkeit zu sichern.

Festwochen-Oper "Clemenza di Tito" erlebte in Genf Premiere

Kleine Zeitung – 20 février 2021

source: https://amp.kleinezeitung.at/5940203

Bei den Wiener Festwochen soll die erste Opernregie von Theatermacher Milo Rau - wenn möglich - Ende Mai im Theater an der Wien zu sehen sein. Gestern, Freitag, Abend feierte die Koproduktion "La Clemenza di Tito" bereits an der Oper Genf als Livestream Premiere. Mozart als drastische Gegenwartsliteratur, die "Gnade" des Titus als selbstverliebte moralische Heuchelei eines Bobos, die Bühne ein Tribunal künstlerischer Eitelkeit: Milo Rau rückt dem Werk gründlich zu Leibe.

"Kunst ist Macht" heißt es auf der Leinwand, die inmitten einer zerstreuten Workshop-Atmosphäre auch immer wieder kleine Filme zeigt oder die Bilder jener Kameras übernimmt, die lässig auf der Bühne herumgetragen werden. Schlaglichter auf die Figuren, die Promis einer künstlerischen Elite, die sich in ihrer Blase von Weltoffenheit und Toleranz moralisch in Überlegenheit wähnen, sich auch gerne mal in der Wohnwagensiedlung blicken lassen, wo die Flüchtlinge hausen, die großkotzig weinen, wenn sie Zeugen brutaler Gewalt werden, die zuhören, wenn Statisten der Inszenierung nach der Pause ihre eigene Fluchtgeschichte erzählen. Um dann zur künstlerischen Verklärung zu schreiten. Letztlich ist die Szene eben doch nur ein Atelier. Man könnte auch sagen: Theater.

Der Mordversuch von Sextus an Titus, das Ringen des nur knapp dem Tod entronnenen Kaisers um Milde gegenüber seinen aufrührerischen Untertanen ist als von Mozart geadelter musikalischer Durchbruch einer aufgeklärten Regentschaft lesbar, als heller Schein der Toleranz in dunklen Zeiten. Musik, die Menschen auf Augenhöhe bringt als Menschen, geplagt, aber guten Willens. Rau macht mit dem Stoff mehr als nur ihn in die Gegenwart zu transponieren. Er stellt im Konzept der Gnade vor allem das Heuchlerische zur Schau, indem es Hierarchien zementiert, statt sie zu mildern. Dabei verlässt er die Pfade des Librettos mitunter völlig, unterlegt via Untertitelung einen eigenen Text, erzählt darin die persönlichen Geschichten der Darsteller, der Statisten, textet historische Zusammenhänge, lässt Krieg, Vertreibung, Völkermord herein als lautlosen Teppich unter den Arien.

Dabei kann einen mitunter das Gefühl beschleichen, dass sich der Schweizer Theaterautor, Regisseur und Filmemacher mit der Musik eher auf einen Modus Vivendi geeinigt hat, als ihre Deutungshoheit zu erforschen. Mit dem jungen russischen Dirigenten Maxim Emelyanychev entsteht ein schlanker, vielfach nüchterner Klang, der die Hinterhofatmosphäre der Bühne als Würze in sich aufzunehmen weiß. Bernard Richter gibt den Tito als feschen Künstlerfürst im Hipster-Look und legt gesanglich über den Verlauf des Abends deutlich an Farbe und Tiefenschärfe zu. Anna Goryachova als Sesto und Serena Farnocchia als Vitellia versprechen für eine - Daumen gedrückt - Live-Premiere in Wien packende Arienmomente, die sich per Video nur ungenügend Raum verschaffen können.

Mozart, der Staatskünstler: Milo Rau inszeniert seine erste Oper

Christian Wildhagen – Neue Zürcher Zeitung - 24 février 2021

source: https://www.nzz.ch/feuilleton/mozart-der-staatskuenstler-milo-rau-inszeniert-in…

Das Enfant terrible unter den Schweizer Theaterregisseuren liest in Genf die Krönungsoper «La clemenza di Tito» gründlich gegen den Strich.

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