Katia Kabanová

Leoš Janáček 
Katia Kabanová
Opéra en trois actes
du 21 au 30 octobre 2022

Direction musicale Tomáš Netopil
Mise en scène Tatjana Gürbaca
Scénographie Henrik Ahr
Costumes Barbara Drosihn
Lumières Stefan Bolliger
Dramaturgie Bettina Auer
Direction des chœurs Alan Woodbridge
   
Katia Kabanová Corinne Winters
Boris Grigorjevič Aleš Briscein
Marfa Ignatěvna (Kabanicha) Elena Zhidkova
Tichon Ivanyč Kabanov Magnus Vigilius
Savël Prokofjevič Dikój Tómas Tómasson
Váňa Kudrjaš Sam Furness
Varvara Ena Pongrac

Chœurs du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse Romande

En coproduction avec le Deutsche Oper am Rhein Düsseldorf Duisburg

Grand Théâtre de Genève

Vos critiques

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Revue de presse

A Genève, une magnifique Katia Kabanova

Paul-André Demierre – Crescendo-m,agazine.be – 31 octobre 2022

source: https://www.crescendo-magazine.be/a-geneve-une-magnifique-katia-kabanova/

 

Après avoir présenté Jenufa en mai dernier, le Grand-Théâtre de Genève poursuit son cycle Janacek en affichant Katia Kabanova qui fait appel à nouveau à la metteure en scène berlinoise Tatjana Gürbaca et à la soprano américaine Corinne Winters dans le rôle-titre. Et le résultat dépasse largement le niveau atteint par Jenufa.

Sous des lumières continuellement suggestives conçues par Stefan Bolliger, le décor sobre d’Henrik Ahr encadre le plateau de gigantesques baies vitrées donnant sur la Volga, étendue aquatique apparemment sereine. L’espace de jeu est un triangle de bois montant graduellement vers le fond de scène où se profile la demeure des Kabanov. Les protagonistes y sont des gens du commun, vêtus simplement par Barbara Drosihn qui ne recherche aucune couleur locale. Toutefois, ce milieu clos est étouffant, exacerbant les passions avec une rare véhémence. Tatjana Gürbaca s’attache au personnage de Katia qui parvient à se faire une carapace face à l’atroce vilenie de Kabanikha, sa belle-mère, et à la lâcheté de Tikhon, son époux. Avec la complicité de sa belle-sœur, Varvara, elle se libère peu à peu de ce joug oppressant, en osant se montrer en une nuisette immaculée afin d’attirer Boris Grigorjevic qui deviendra son amant. Saisissant, le dernier tableau où, dans la nuit noire, une pluie drue se déverse, figeant les quelques villageois sortis de l’église. Katia revoit une dernière fois Boris, se rend compte de sa faiblesse et s’avance, imperturbable, vers le fleuve qui engloutira sa pitoyable existence.

Il faut dire que Corinne Winters trouve en ce personnage le rôle de sa vie, car les moyens vocaux, qui ont émietté le grain crayeux de sa Jenufa, sont en totale symbiose avec la présence théâtrale qui confine à une véritable assomption. Le fossé qui la sépare de sa belle-mère se creuse à vue d’œil, tant la Kabanikha d’Elena Zhidkova est creuse par l’inconsistance d’un timbre qui n’a plus d’assise et qui tremblote autant que le piétinement parkinsonien que lui prête la mise en scène. Où sont donc passées les Rysanek, Randova, Gorr d’une autre époque, qui vous glaçaient d’effroi ? Bien plus convaincants s’avèrent les ténors Magnus Vigilius et Ales Briscein : le premier prête un timbre corsé au pleutre Tikhon en mettant en lumière son honnêteté face à l’insurmontable dilemme entre sa dévotion filiale et son amour réel pour sa femme, tandis que le second insuffle des élans de passion à un coloris cuivré qui lui confère un semblant d’aplomb. Une note de saine gaieté est apportée par le couple Varvara – Vana Kudrjas campé par Ena Pongrac et Sam Furness, car tous deux jouent de la clarté de l’aigu pour vivre sereinement leur amour. La basse Tomas Tomasson étant malade, c’est son collègue finlandais Sami Luttinen qui, connaissant la production, le remplace au pied levé en personnifiant un Dikoj haut en couleur, matamore ivrogne qui brûle les planches. Complètent adroitement la distribution Vladimir Kazako (Kuligin), Mi-Young Kim (Glasa) et Natalia Ruda (Feklousa).

A la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande et du Chœur du Grand-Théâtre de Genève, Tomáš Netopil  met constamment en valeur cette partition géniale par la précision du geste qui s’attache au détail de l’orchestration, tout en l’animant par un souffle dramatique constant sur les quelques 90 minutes d’un spectacle d’un seul tenant, donc sans entracte. Une indéniable réussite !

La boite à brisures

Guy Cherqui — Wanderersite.com - 2 novembre 2022

source: https://wanderersite.com/opera/la-boite-a-brisures/

 

Le Grand Théâtre de Genève continue avec Katia Kabanova son exploration des opéras de Janáček avec une méthode qui s’installe depuis la reprise des saisons normalisées post-covid, qu’on pourrait appeler la loi des séries : même chef, même metteur en scène et même interprète principale. En fixant ainsi au public des rendez-vous réguliers avec un univers, il fait à la fois connaître les œuvres moins labourées par le répertoire, notamment à Genève où cet opéra manque depuis une vingtaine d'années, et aussi des figures de la mise en scène comme Tatjana Gürbaca, moins dérangeante que d’autres, mais digne d’intérêt.  Les aspects musicaux très soignés achèvent de faire de cette soirée un indiscutable succès, qui devrait attirer le public genevois et stimuler chez lui un véritable intérêt.

 Jouer Leoš Janáček aujourd’hui
Que ce soit L’Affaire Makropoulos, Jenůfa ou Katia Kabanova, les opéras de Leoš Janáček les plus représentés aujourd’hui avec De la maison des morts ont en commun des sources littéraires qui leur donnent une vraie consistance, par la variété des sujets et la force des thématiques abordées. Dans un autre genre, La petite renarde rusée est le dernier titre qu’on voit assez fréquemment sur les scènes, mais des autres, on parle peu : qui a pu voir Osud ou Les Voyages de Monsieur Brouček ?  Et ce n’est pas en cette période post-covid où le public se fait plus rare et moins curieux que les salles d’opéra vont avoir le courage d’explorer des terres lyriques inconnues…

Janáček est récent dans le panthéon des compositeurs lyriques d’importance, une quarantaine d’années tout au plus, l’âge de la Rossini Renaissance ou du retour du répertoire baroque, l’âge aussi de ce que certains appellent de manière erronée l’ère des metteurs en scène.

Tout cela correspond à un moment où le public d’opéra s’est élargi, où l’on a construit de nouvelles salles, et où l’opéra est un peu sorti des ors et des stucs.  Il est clair aussi que Janáček convenait bien à des metteurs en scène novateurs. On pardonne plus une mise en scène dite « moderne » sur des œuvres inconnues que sur une Traviata ou une Tosca, labourées par l’élite de la médiocrité scénique, mais paradoxalement considérées comme inviolables.

Il reste qu’aujourd’hui encore on doit constater la pauvreté discographique des enregistrements de l’œuvre de Janáček (c’est un peu moins vrai en vidéo) en dépit de représentations le plus souvent d’une très grande qualité musicale, partout dans le monde lyrique.

On doit donc saluer le Grand Théâtre de Genève, qui installe Janáček dans le paysage genevois depuis 2020, en ayant programmé en peu d’années L’Affaire Makropoulos, Jenůfa et Katia Kabanova. Essayant par-là de faire l’éducation d’un public plutôt traditionnel et peu motivé par la curiosité (ça va hélas souvent ensemble). Avec le Covid, les choses se sont enkystées, à Genève comme ailleurs. Peu de salles font le plein en ce moment, et seulement en pointillé.

 La production genevoise
C’est pourquoi sans être absolument convaincante notamment scéniquement, il faut accueillir cette production de Katia Kabanova avec un certain bonheur. L’histoire de Katia Kabanova est apparemment simple : c’est celle d’une jeune fille pleine de rêves et dont le mariage produit souffrances et frustrations. Profitant d’une absence de son mari, elle se laisse aller à un amour « coupable » et à quelques jours d’oubli et de bonheur. Au retour du mari, sa culpabilité et sa solitude sont telles dans ce petit village perdu des bords de la Volga qu’elle se suicide.

La source littéraire c’est la pièce L’Orage d’Alexandre Ostrovski (1859) en cinq actes que le librettiste Vincenc Červinka réduit à trois. C’est une traduction scénique relativement concentrée (c’est d’ailleurs aussi vrai pour Jenůfa) ce qui en rend les détails un peu complexes et pas immédiatement limpides pour un public qui découvrirait l’œuvre … C’est d’ailleurs un caractère assez commun des livrets de Janáček : qui pourrait résumer les méandres juridico-historiques de L’Affaire Makropoulos ? Dans De la Maison des morts, c’est l’abondance des destins singuliers qui s’entrechoquent qui crée la complexité du tissu dramaturgique.

Le travail de Tatjana Gürbaca est déjà profilé par le décor (de Henrik Ahr) que le spectateur qui s’installe peut contempler à scène ouverte. Un espace géométrique qui s’ouvre sur trois grandes baies offrant une large vue sur la Volga. La Volga dont l’évocation ouvre l’œuvre, ce fleuve au bord duquel est censé se trouver le village (imaginaire) où l’histoire se déroule, comme dans la pièce d’Ostrovski. On sait d’ailleurs combien Janáček était fasciné par la littérature russe. Ce large panorama est presque une proue de navire qui naviguerait sur le fleuve, ce fleuve dans lequel se suicidera Katia, à la fois présence permanente et absence, puisque cette image n’apparaîtra plus dans le cours de l’action.

Il y a aussi dans cette vision d’une proue sur le fleuve quelque chose d’une métaphore de la vie qui va, d’un destin qui avance irrémédiablement et qu’on ne peut arrêter (n’oublions pas qu’un des opéras de Janáček a pour titre Osud qui signifie destinée) mais aussi une métaphore d’une collectivité centrée sur elle-même et qui n’est pas maîtresse de son futur, les expressions qui font du voyage en bateau ou en barque une métaphore de la vie sont d’ailleurs légion.

Au-delà de la métaphore et des images des rêves possibles, le spectateur a devant lui une boite de bois, cadre rigide et scène pentue sur laquelle les personnages vont évoluer. Une structure qui sera décor fixe, boite fermée et simultanément ouverte sur un extérieur qui n’est qu’image entraperçue avant la première note de musique.

Le contexte étouffant de cette histoire est déjà posé.

En effet, dès les premiers moments les « baies » s’obscurcissent. Elles resteront noires ou opaques pendant toute la représentation, isolant l’espace et en faisant le lieu unique et abstrait du drame.

Cet espace est d’ailleurs très maîtrisé, avec cette surface pentue où évoluent les personnages la plupart du temps, mais vers le fond apparaît quelquefois un second espace, modèle un peu réduit du premier selon le principe de la boite gigogne, qui abrite les rêves « de jeune fille » de Katia et notamment celui d’une relation de couple idéalisée et confortable avec Boris. Les côtés, le long des baies « aveuglées », laissent apparaître des « bandes » étroites réservées à des moments d’intimité des personnages principaux. L’espace est donc très géométriquement organisé selon les moments.

Ce cadre de scène rigide et souvent violemment éclairé (la question de l’électricité est importante dans cette mise en scène, symbole de progrès portées par le jeune instituteur Kudrjaš face aux idées un peu arriérées notamment sur « L’Orage » qui fait le titre de la pièce d’Ostrovski, source de l’opéra et qui intervient au début du troisième acte. L’orage qui sert les croyances et les craintes irrationnelles d’une population paysanne un peu abstraite (comme les costumes pas très caractérisés de Barbara Drosihn) face à l’électricité qui en 1921, année de la création, a déjà transformé les scènes des théâtres et les pratiques dramaturgiques.

À ce cadre au total assez contraint, malgré les légères modifications, correspond un hors cadre, pour l’essentiel le proscenium où Katia déposera cérémonieusement ses vêtements avant de partir vers la mort, le hors cadre symétrique étant fond de scène où elle disparaît.

Dans cet espace très réglé, presque didascalique, les personnages évoluent avec leur complexité comme les pièces d’un échiquier tragique.

Nous avons évoqué la complexité des livrets de Janáček, moins dans leur déroulement que dans les méandres qui aboutissent à la situation scénique.

Chaque personnage a son caractère, ses replis, son histoire, ses blocages.

Nous sommes donc dans un village isolé où Katia a été mariée à Tikhon. Ce mariage-là est une chute qui plonge dans la frustration la jeune-fille rêveuse, à la foi presque mystique et à la profonde soif de nature, comme une sorte d’Emma Bovary, c’est Tatjana Gürbaca qui le souligne dans le programme de salle. Le mariage ne lui apporte aucun épanouissement  d’autant que sa belle-mère, la Kabanicha, garde sur son fils un ascendant puissant et maltraite la jeune femme dont elle est jalouse.

Dès le lever de rideau et parallèlement, l’instituteur Kudrjaš reçoit l’aveu de l’amour du jeune Boris pour Katia, une femme mariée, tandis que la jeune Varvara reçoit celui de Katia, qui aime Boris en secret sans oser le voir pour des raisons morales.

Ainsi se construit un autre géométrie, celle des « couples », Varvara et Kudrjaš sont le couple qui vit pleinement sa relation, tandis que Boris et Katia n’osent se croiser. Varvara constitue pour Katia une sorte de pendant lumineux de sa vie sombre et grise.

Mais Boris lui-même n’est pas un être lumineux. Il est un déraciné, sorte de personnage assez tchékhovien venu de Moscou contraint de quitter la ville à la suite d’une histoire d’héritage, qui le fait dépendre totalement de son oncle Dikoj.

Quant à Dikoj, c’est le jour l’oncle tyrannique  de Boris et la nuit l’amant débridé de la Kabanicha, la belle-mère détestable de Katia.

Entre le couple jeune et assumé Varvara/Kudrjaš, celui vieux et nocturne Dikoj/Kabanicha, Katia erre au milieu entre rêve de Boris (mais comme on l’a vu, Boris est dans une situation transitoire, comme « de passage », et donc c’est pour Katia un rêve sans issue) et relation avec un mari  faible et fuyant, voire peut-être impuissant. Du moins c’est l’impression que laisse la mise en scène ici.

Au moment de partir pour Kazan, Tikhon est supplié par Katia de l’emmener, sans doute pour échapper à la présence de la belle-mère, mais sortir du village pour aller à Kazan, c’est aussi parcourir cette Volga initiale et rêvée, l’ailleurs de l’idéal. Et Gürbaca imagine une sorte de ballet érotique presque désespéré, où la jeune femme cherche en vain à « réveiller » le désir de son mari qui la refuse.

Au-delà de l’humiliation qui consiste à rester dans le village sous la coupe d’une belle-mère qui l’oblige à jurer obéissance et fidélité à Tikhon, cette scène finale du premier acte signe le moment où Katia va basculer. Cette demande d’accompagner Tikhon à Kazan est comme la dernière tentative de vivre un ailleurs avec son mari. Cette possibilité lui est refusée, elle donne un baiser sarcastique et provocateur à la Kabanicha. Elle prend en quelque sorte et paradoxalement sa liberté.

Mais les deux autres actes seront un lent glissement vers la fin, de désillusion en désillusion, elle vivra comme une sorte d’étrangère au sens du roman de Camus ainsi que l’analyse Tatjana Gürbaca.

Katia devient une Emma Bovary qui comprend vite la vanité de toute aventure extra-conjugale (la question du désir est très secondaire ici) et qui n’accepte pas la vie qui lui est offerte : la mort devient la seule issue.

Dans cet espace assez singulier , Tatjana Gürbaca ménage de jolies scènes, notamment quand Katia «  rêve » avec Varvara et qu’elles essaient des robes au seuil de l’espace du fond de scène, à l’intérieur duquel prendrait place un rêve de confort et de paix avec Boris, une scène qu’on pourrait intituler  « à quoi rêvent les jeunes filles »  fort bien construite qui respire la fraîcheur. Et qui tranche avec la grisaille ambiante.

Le décor géométrique, l’éclairage glacial et cru de Stefan Bolliger, les baies obstruées désormais par des stores noirs, tout indique l’enfermement sans échappatoire.

Mais dans cet enfermement, il manque le village, il manque le regard des autres, il manque l’expression d’un isolement dans la petite collectivité rabougrie qui était centrale chez Kosky à Salzbourg (voir notre compte rendu) et qui ici ne semble pas intéresser Tatjana Gürbaca.

La scène de l’orage du début du troisième acte, très réussie visuellement avec son rideau d’eau, ses parapluies qui s’ouvrent, son petit groupe surpris qui cherche à s’abriter pourrait ouvrir sur la communauté villageoise, mais tourne court au point qu’on la verrait bien transplantée dans un orage rossinien, alors que la scène est à l’évidence prémonitoire.

La mise en scène préfère se concentrer sur les individus et sur les couples en un ballet chotégraphique qui aurait quelque chose d’un échiquier sans damier, où circulent des objets, comme le miroir, où chacun se mire et qui finit évidemment par se briser, autre signe prémonitoire , où chaque personnage semble une solitude enfermée en elle-même comme Tikhon qui ne cesse de toucher sa cravate rouge, de ce rouge semblable au drap que Kabanicha présente à Katia en  preuve d’adultère . D’ailleurs l’idée d’un Tikhon impuissant traverse l’esprit (on l’a évoqué plus haut) lorsque Katia se jette sur lui pour le convaincre de l’amener à Kazan, d’une Katia peut-être encore vierge qui connaît sa première véritable étreinte avec Boris.

Boris également, avec son air d’étudiant attardé, un peu gauche, dont on sent immédiatement le mal être et le malaise, ne peut visiblement être une réponse possible pour Katia.  La chair est triste, et n’est absolument pas un enjeu. On a d’ailleurs des difficultés à identifier la quête de Katia. On pense à la thèse du philosophe slovène Slavoj Žižek qui oppose jouissance masculine autocentrée, masturbatoire en quelque sorte, et la jouissance féminine qui serait plus ouverte, plus universelle.

Dans ce monde qui laisse Katia seule, un personnage est particulièrement emblématique, la belle-mère Kabanicha, jalouse de son autorité, possessive avec un fils qui se laisse conduire et guider, ce qui évidemment interdit à Katia de jouer le rôle d’épouse, le simple rôle normal d’une épouse. Ce n’est pas un personnage comparable à la Kostelnicka de Jenůfa, au rôle plus important. Ici c’est plus un profil, une figure qui doit par sa seule présence affirmer l’autorité, vêtue d’une robe rigide, et d’une fixité presque insupportable. La mise en scène n’arrive pas à en faire une figure vraiment marquante à l’instar de la terrible Kabanicha de Jane Henschel dans la mise en scène inoubliable de Christoph Marthaler. Or la Kabanicha n’est pas le centre du problème de Katia, mais un catalyseur, et ce rôle apparaît mal, c’est d’autant plus dommage que c’est Elena Zhidkova qui l’incarne, une chanteuse dont on connaît les dons d’actrice éminents.

De plus, nous l’avons vu, la Kabanicha espionne sa belle-fille la journée et la nuit, se livre à Dikoj, l’oncle de Boris. Le couple Katia/Boris trouve en face de lui une sorte de conspiration des vieux, qui en quelque sorte empêchent le couple de s’épanouir.

En effet, la chair reste triste avec Boris, Katia constate que même cela ne comble pas son désir d’ailleurs et la parenthèse du voyage de Tikhon se referme sur un troisième acte qui sera celui d’un aveu choisi, suicide social avant le suicide réel.

La signification de l’aveu public c’est acquérir enfin un statut de sujet. Mais la pantomime des autres, de tous les autres tandis qu’elle monologue avant de mourir montre que ce statut lui est obstinément refusé, les autres tels des sortes de mécaniques ou d’automates, tournant autour d’eux-mêmes dans le ballet de zombies et refusant à Katia l’écoute.

Ainsi le travail de Tatjana Gürbaca est-il très imagé, assez profond et réfléchi, sorte de mécanique épurée contre laquelle Katia se heurte et où elle se perd. Il y a un certain nombre de vrais moments, les scènes avec Varvara, la fraicheur face à la mélancolie, la scène du baiser à Kabanicha, sorte de défi qui est aussi réveil et décision, et l’impression domine d’une insatisfaction répétée, notamment avec Boris, qui il est vrai n’est pas un personnage intéressant.

Il manque peut-être à l’ensemble une direction d’acteurs un peu plus raffinée, un peu plus précise, et à force de vouloir montrer ce monde qui est coupé de Katia, l’émotion n’apparait pas toujours, malgré la prestation magnifique de Corinne Winters. Il reste que c’est un spectacle solide, qui fait honneur au Grand Théâtre et mérite d’être vu.

 Les aspects musicaux et vocaux
La qualité d’ensemble se vérifie de manière d’autant plus vraie que les aspects musicaux sont incontestables. Nous nous trouvons devant une réalisation musicale et vocale de haut niveau.

Tomáš Netopil  est dans son élément et son répertoire il veille très attentivement aux équilibres du plateau, alterne des moments de grande suavité et d’autres particulièrement dramatiques menés avec l’énergie et l’éclat voulu : l’éclat est déterminant dans certaines phrases de Janáček, et sa présence en fosse est une garantie pour un orchestre de la Suisse Romande peut-être encore un peu rêche, avec à certains moments un manque de soyeux et quelque rudesse aux cordes, même si les cuivres et les bois sont remarquables dans une œuvre où ils sont si très sollicités.

Ce qui rend surtout l’interprétation de Netopil vraiment remarquable , c’est le soin donné à l’expression des couleurs, qui confirme que chez Janáček, c’est un élément essentiel, notamment dans des œuvres concentrées qui doivent très vite dessiner un univers avec une palette la plus détaillée et la plus précise possible.  C’est pourquoi on trouve ici une véritable authenticité du dessein global, qui colle parfaitement en même temps par son essentialité au projet de la mise en scène.

Enfin le Grand Théâtre a eu la main particulièrement heureuse dans le choix d’un plateau vocal où tous sont justes, tous sont engagés et tous impeccables de style et de présence. Des petits rôles si importants à l’opéra pour la couleur d‘ensemble jusqu’aux rôles principaux, il n’y a aucune scorie. On saluera donc d’abord une distribution de dix chanteurs dont sept abordaient leur rôle pour la première fois. Citons d’abord pour mémoire Mi-Young Kim (Glaša), Natalia Ruda (Feklouša) et Vladimir Kazako (Kuligin) tous trois dans leurs brèves interventions notables par leur relief.

Une note toute particulière pour Ena  Pongrac, absolument remarquable et lumineuse dans le rôle de Varvara, sorte de figure antithétique de Katia qui l’entraine et l’ouvre à ce qui pourrait donner couleur à sa vie. La jeune chanteuse, membre du Jeune Ensemble (le Studio du GTG) prend là un envol remarqué. On va la suivre avec sympathie et curiosité.

Prise de rôle également pour Tómas Tómasson, basse bien connue et interprète toujours attentif (on se souvient de son Klingsor exceptionnel à Berlin dans la mise en scène de Parsifal par Tcherniakov), qui prête ici sa voix un peu rigide et brutale à Dikój, l’oncle de Boris, en une composition qui colle parfaitement au personnage.

L’excellent Sam Furness, interprète fréquent des opéras de Janáček, est un Kudrjaš certes juvénile, mais au ton quelquefois ironique et persifleur, non dépourvu d’autorité. Il donne à ce personnage qui pourrait quelquefois être un peu le pendant de la fraiche Varvara un poids qui correspond à son statut d’instituteur avec une voix claire, bien posée et un phrasé comme toujours impeccable.

Elena Zhidkova (dont nous rappelons ici la splendide Venus du Tannhäuser de Bayreuth où elle fut remarquable dans la mise en scène de Tobias Kratzer, remplaçant au pied levé la chanteuse prévue qui s’était blessée) semble ici un peu bridée par la mise en scène, on connaît son énergie vocale et scénique et elle n’a pas encore peut-être totalement pris la mesure du rôle qu’elle chante pour la première fois. Elle a déjà l’âpreté et la rudesse, il lui manque un peu la couleur du serpent.

Le ténor Magnus Vigilius était Tikhon, le faible époux de Katia, pour lui aussi une prise de rôle. Il a su donner une certaine complexité au rôle, à la fois indifférent, fantasque, glacial et en même temps tourmenté : une vraie peinture vocale des intermittences de la faiblesse.

Aleš Briscein est un magnifique Boris, à la voix affirmée, claire, à la projection notable, qui sait moduler les couleurs d’un chant toujours intelligent. La voix est puissante, mais jamais poussée, toujours subtile.  Il est le meilleur Boris possible aujourd’hui.

La meilleure Katia du moment, qui l’interprète partout et qui a triomphé avec ce rôle à Salzbourg, c’est Corinne Winters, déjà superbe Jenůfa à Genève il y a quelques mois, et dont la prestation stupéfie d’abord par le contraste entre un physique menu et une voix d’une puissance qui étonne et domine totalement le plateau. Mais la puissance n’est pas tout, il y aussi l’incroyable suavité d’une voix qui sait se faire lyrique et aussi sensuelle, une maîtrise de toute la palette des couleurs possibles et une présence scénique qui la rend bouleversante dès l’entrée en scène. Il y a en elle la fragilité, et en même temps cette force que cette fragilité même lui donne. Brûlante, glaciale, absente, elle montre par son chant toute la complexité du personnage et sa richesse en même temps. Désormais, elle ne chante plus Katia, elle l’est. Éblouissante.

Il y a donc bien peu de réserves devant la soirée offerte par le Grand Théâtre, une soirée qui rend honneur et force à l’œuvre de Janáček ici musicalement et vocalement merveilleusement servie. Certes on peut discuter un peu la mise en scène, mais Katia Kabanova est un ouvrage qui a toujours bénéficié de mises en scène de qualité, et celle-ci ne fait pas exception. Bien sûr le travail de Barrie Kosky cet été à Salzbourg qui disposait d’un espace scénique géant dont il a su faire surgir la magie, reste un spectacle fabuleux, mais on peut préférer pour cette œuvre une ambiance plus intime, moins transcendante en quelque sorte. Cette ambiance de clôture et de tristesse, le plus grand metteur en scène suisse d’aujourd’hui, Christoph Marthaler, avait su la créer, à Salzbourg entre autres il y a plus de deux décennies, dans la salle plus petite de l’alors « kleines Festspielhaus », aujourd’hui « Haus für Mozart ». Cette immense production (visible en vidéo chez Medici TV) reste pour moi la référence absolue, la vérité de Katia.

Ein Humanisticher Komponist

Peter Michael Peters – IOCO.de - 20 octobre 2022

source: https://ioco.de/2022/10/29/genf-grand-theatre-de-geneve-katja-kabanowa-leos-jan…

 

Es wäre schön, wenn wir wie Vögel
fliegen könnten. Weißt du,
manchmal träume ich, dass ich ein
Vogel bin. Es ist so verlockend,
wegzufliegen.
Ich werde es versuchen! 
(Katja, 1. Akt)

Besiege den Sturm
Eine der Gefahren dieser Zeit besteht darin, dass Kunstwerke, die nicht in den üblichen oder möglichen Fächern des „gut-angesehen“ untergebracht werden können, in sehr großer Gefahr geraten schnell vergessen zu werden. Katja Kabanowa kann sich keiner Skandale rühmen und passt in keine der traditionellen Schubladen! Das Werk hat viele Affinitäten zu Pelléas et Mélisande (1902) von Claude Debussy (1862-1918), aber mehr noch zu Boris Godunow (1874), nicht weil das Thema russisch ist, es ist nach dem bekannten Drama Der Sturm (1859) von Alexander Ostrowskis (1823-1886) geschrieben, für das Pyotr Iljitsch Tschaikowski (1840-1893) eine Ouvertüre komponierte. Nein, sondern weil Leos Janacek (1854-1928) wie Modest Petrowitsch Mussorgski (1839-1881) sich sehr für den Volksstil und die Rhythmen der Volkssprache interessiert hatte! Im Allgemeinen erstreckte sich sein Interesse besonders auf Naturgeräusche aus! Er fertigte in musikalischen Transkriptionen die Stimmen von Affen und Wahlrossen nach. Doch als die Oper geschrieben wurde, hatte sich das musikalische Europa längst von den großen nationalen Bewegungen abgewandt. Zwar erlangte Bela Bartok (1881-1945), mit dem auch Janacek viel gemeinsam hat, seinen Weltruhm zwischen den beiden Weltkriegen. Aber am meisten Aufsehen erregten Igor Strawinsky (1882-1971) der Exilant, Arnold Schönberg (1874-1951) der steife Doktrinär und ihre vielen Nachahmer. Und es waren die experimentellen Elemente, die Aufmerksamkeit in Bartoks Musik erregten, mehr als die nationalen und traditionellen Elemente. Die Geschichte kann diese Urteile durchaus auf den Kopf stellen! Wir haben sehr unter der kritischen Häresie gelitten, die darin besteht, von zeitgenössischer Musik eher mit Adjektiven als mit Namen zu sprechen. Einige der größten Komponisten der Vergangenheit wurden zu Lebzeiten Reaktionäre genannt!

Niemand würde es wagen, Janacek einen Reaktionär zu nennen, aber er war zweifellos eklektisch. Er hat in keinem System gearbeitet, keine Parolen geschwungen, keine Interessengruppen mobilisiert. Es war ein unpassender Beweis klanglicher Vitalität zu einer Zeit, als viele andere allen Grund zu der Annahme hatten, dass er für immer versiegt und vergessen war. Sein Mangel an technischer Voreingenommenheit irritiert die Anhänger der akademischen Tradition, ohne die verschiedenen modischen Doktrinen zufriedenzustellen. Er tut immer wieder Dinge, die auf dem Papier falsch Aussehen, aber beim Hören richtig klingen. Außer für ein voreingenommenes Ohr! Dazu fügt er als Handicap jeder Opernkomposition (z.B. Giuseppe Verdi /1813-1901) folgendes hinzu: Effekte zu begehen, die in der Probe verpuffen, sich aber auf der Bühne als brillant und überwältigend entpuppen. Obwohl er andere hochwertige Vokal- oder Instrumentalwerke geschrieben hat, können wir anhand seiner neun Opern beurteilen, ob Janacek in der Musikgeschichte besteht oder zerbricht. Und das allein  Jenufa (1904) und Katja Kabanowa ausreichen , um ihn zu den wenigen großen brillanten Opernkomponisten des 20. Jahrhunderts  zu zählen.

Tragische Freiheit

Der Vergleich zwischen Katja Kabanowa und dem fast zeitgenössischen Wozzeck (1925) von Alban Berg (1885-1935) ist sehr aufschlussreich. Beide sind sehr hochkonzentriert und haben einen äußerst tragischen Ton. Beide nähern sich an dramatische Theaterstücke des 19.Jahrhunderts auf eine Weise, die der modernen Wissenschaft der Psychologie viel zu verdanken hat. Beide Komponisten zeigen großes Mitgefühl für das Leiden ihrer Hauptfigur. Aber in ihrer Herangehensweise und in ihrer Technik liegen sie weit auseinander! Während Janacek mehrere traditionelle Elemente in einem empirischen und freien Stil verbindet, erzeugt Berg seine Spannungen hauptsächlich dadurch, dass er eine revolutionäre Sprache in eine strenge Logik einschließt. Janacek wirkt von seinem dramatischen Material nach außen, Berg nach innen durch seine musikalischen Prinzipien. Und während wir in Wozzeck zu viel von der heftigen Besessenheit August Strindbergs (1849-1912) vorfinden, sodass es Gefahr läuft, seine Wirkung auf den Zuschauer zu verfehlen und somit völlig unbemerkt bleibt. Jedoch Janacek behandelt sein Thema mit einer intensiven, aber ironischen Distanz, die deutlich an Anton Tschechhow (1860-1904) erinnert. Er hat ein viel breiteres Gefühls-Spektrum als Berg, der sich in seinen beiden Opern nur mit der schmutzigen Seite der menschlichen Natur befasste. Janaceks Charaktere sind bemerkenswert vielfältig und obwohl er auch verachtungswürdige ja sogar abstoßende Charakter darstellen kann, wie z.B. der Ehemann und die Schwiegermutter von Katja, klagt er sie nie auf den Punkt an: Um sie aller Glaubwürdigkeit zu berauben! Sie sind in derselben Vision gehalten, eingehüllt in denselben musikalischen Fluss, der den Rest des Werks durchflutet.

Eines von Janaceks größten Talenten ist sein Gespür für den Ort, für die physische und spirituelle Umgebung, in der sich die Charaktere entwickeln. Dies verdankt er sicherlich zum Teil seiner bäuerlichen Herkunft und dem sehr starken Gemeinschaftsgefühl, das er aus dem Kontakt mit seiner heimischen Umgebung schöpfte. Gleichzeitig zeugt sie von einem außergewöhnlichen Verständnis für individuelle Motivationen: Insbesondere bei Frauen. Seine Porträts von Jenufa und Katja, zwei sehr komplexe Charaktere sind außergewöhnlich in ihrer Subtilität und Vitalität. Katja ist eine leidenschaftliche Heldin, deren Gewissen sie nur daran hindert, mit ihrer erstickenden Umgebung zu brechen, ist wohl einzigartig in der Geschichte der Operntradition. Wilfrid Howard Mellers (1914-2008) schrieb, dass Janaceks reife Werke sich von seiner einzigartigen und überwältigenden Menschlichkeit und dem ungenierten Sinn für Sünden, nähren. Gewiss, sein Menschenbild ist universell! Sowohl seine Konzeption als auch sein Stil sind frei von jedem „Lokalkolorit“, ebenso wie von jedem schmutzig-realistischen Verismus. Obwohl seine Früchte im Boden gewachsen sind, behalten sie nicht den Geruch und Geschmack eines Bauernhofes. Janacek ist nämlich ein Musiker mit solider praktischer Erfahrung und Kenner  vieler Stilrichtungen und Epochen!

Die Frauen zu emanzipieren heißt die Menschheit zu emanzipieren!

Darin unterscheidet er sich von Mussorgski, der zuweilen in größerer Gefahr als er war, seinem Geschmack für sprachliche Wendungen die Oberhand über die lyrische Kraft der Musik zu lassen. Es ist dieses Lyrische in der Musiksprache, das Janacek die Gunst eines großen Publikums gewinnen wird, vorausgesetzt das es nicht versucht in seiner Musik die weiten Melodienlinien von Richard Strauss (1864-1949) und Giacomo Puccini (1858-1924) zu finden. Die Musik und die Handlung entwickeln sich so schnell und so ökonomisch, dass es notwendig ist die Phrasen, in denen plötzlich die Stimmen und noch mehr das Orchester abheben: Im Handumdrehen zu erwischen bevor sie entkommen! Die extreme Flexibilität des Stils verbietet feste Konstruktionen und die wiederkehrenden Themen dienen, obwohl geschickt eingesetzt, nicht dazu eine Verbindung zur Musik herzustellen: Im Gegensatz zu dem was bei Richard Wagner (1813-1883) geschieht. Die Behandlung des Dialogs, der abgehackt und atemlos wirken kann, bis sich das Ohr daran gewöhnt hat. Das relative Fehlen von Übergängen und vor allem Janaceks Vorliebe für unerwartete Modulationen in benachbarten Tonarten, die eher für relative technisch Merkmale zu sehen sind und auf den ersten Blick die Musik aufzulösen haben. Auch die rhythmische Komplexität mit einer Vorliebe für zusammengesetzte Takte und deren häufiger Wechsel sowie die Tendenz, die Betonung des ersten Taktschlags zu vermeiden, überzeugen auf dem Papier nicht immer. Aber diese Zweifel werden durch die gleichen Qualitäten ausgeräumt, die die offensichtlichen Einwände gegen Pelléas et Mélisande wegfegten. Janaceks Sensibilität für die feinsten Nuancen des Dramas, die schimmernde und vielfarbige Schönheit der Orchestrierung, die integral und nicht verflacht ist. Der so persönliche Einsatz von Harmonien tragen dazu bei, einen Eindruck von Einheit und unwiderstehlicher Dringlichkeit zu erzeugen. Die Chromatik von Janacek ist teilweise dank ihres modalen Farbtons immer beweglich und unterscheidet sich rigoros von der Chromatik der deutschen romantischen Tradition, von Louis Spohr (1784-1859) bis zum jungen Schönberg, das dort dazu neigt die Bewegung zu immobilisieren. In den Händen von jemanden, der kein Genie ist, riskiert ein solcher Stil offensichtlich, alles zu zerstören. Sogar Janacek produziert gelegentliche einige Inkonsistenzen: Die komischen Szenen z.B. zwischen Kabanicha und dem Säufer Dikoy im 2. Akt, wo die dramatische Absicht zum Vorschein kommt, jedoch stimmt sie nicht ganz mit dem Übrigen überein. Aber die Partitur ist so reich an Erfindungen, an psychologischen Intuitionen, an sinnlichen und betörenden Schönheiten, dass sie viele schreckliche Kinder unserer Zeit zu vulgären Schreckgespenstern eines Kinderzimmers macht.

Ein zeitloses Familiendrama

Zu Beginn dominiert nur die Wolga die Szene in Katja Kabanowa, inszeniert von der deutsch-türkischen Regisseurin Tatjana Gürbaca. Der Fluss fließt sanft hinter den großen Fenstern, die in die tiefe Ferne blicken. Die Kulisse, entworfen von dem deutschen Bühnenbildner Henrik Ahr, mit Holzpaneelen ähnelt einer großen Kiste oder der Halle eines modernen Gebäudes. Bald wird die Rampe gewissermaßen ein Ort der ausweglosen Gefangenschaft und suggeriert aber auch Hoffnungs- und Perspektivlosigkeit. Die Wolga wird immer unsichtbarer, bis sie während der fast zweistündigen Aufführung verschwindet: Die großen Fenster lassen dabei überhaupt nichts mehr von der wunderschönen Landschaft  sehen!

Gürbaca zeigt eine Familie, deren immer gleiche Handlungen zwanghaft und repetitiv werden, wie ein endloses Band. Es ist möglich, dass vorher vielleicht über die Liebe gesprochen wurde, sowohl die ihres Mannes Tichon als auch die der Schwiegermutter Kabanicha. Aber dieses Gefühl ist zu einer fesselnden Floskel verkommen und passt nicht mehr in dieses Universum. Es wäre zu einfach, die alten sozialen Konventionen des Ortes dafür verantwortlich zu machen, was diese Produktion suggeriert. Katja gibt ihrer verhassten und bösartigen Schwiegermutter einen feurigen Kuss auf den Mund. Der Vorfall verwirrt sie und ist eine Provokation auf mehreren Ebenen. Doch wahre Leidenschaft ist in diesem Familienmodell nicht vorgesehen.

Die in Russland angesiedelte Geschichte vom Ehebruch in einer kleinbürgerlichen Gesellschaft droht schnell zu einem Folklore-Stück des 19. Jahrhunderts abzurutschen. Vor allem, weil Janaceks musikalische Dramaturgie sehr präzise im Detail ist und der Regie es oft nicht sehr leicht macht wird. Gürbaca findet jedoch geschickt einen Weg, gerade genug um über diese dunklen gesellschaftlichen Verhältnissen zu erzählen, damit die Geschichte sehr glaubwürdig wird und gleichzeitig den Konflikt meisterhaft an das Licht bringt. Das Stück ist auch in diesem Familien-Kriegs-Zustand unbedenklich bedrohend und äußerst brutal, somit also keine romantische Visionen. Ganz im Gegenteil! Was in diesem Bühnenraum dargestellt wird, ist  ein trauriges und bedrückendes zeitloses Familiendrama und ist auch  an keinen bestimmten Ort ansässig.

Die Regisseurin hat äußerst interessant mit viel Intensivität und Können einzelne Charaktere heraus modelliert. Aber trotzdem vermissten wir das unterschwellige Feuer und die Gefühlausbrüche im Bösen wie im Guten, die so völlig natürlich in der Musik von Janacek fließen wie das Wasser er Wolga. Dieser Guckkasten erinnerte uns an die Kindheit: Das Kasperle-Theater mit Teufel und Gendarm, an Böse und Gut, an Schwarz und Weiß… Dieser rechteckige geschlossene Kasten versperrte alle Gefühle und auch teilweise wirkte es auch so: Rechteckig, gerade, liniert und zirkuliert wie auf einem Reisbrett in einem Architektenbüro und  versperrte jeden emotionellen Blickwinkel. Wirklich schade für diesen negativen Eindruck, denn sonst war in dieser Produktion alles perfekte Perfektion! Fast zu perfekt!

Erster Gastdirigent der Tschechischen Philharmonie, der Tscheche Tomas Netopil, offenbart von den ersten Takten der Oper an seine tiefe Verbundenheit mit der Musik von Janacek, indem er die symphonische Seite der Partitur hervorhebt und ihr gleichzeitig eine bemerkenswerte und detaillierte stilistische Einheit verleiht. Der majestätische und unveränderliche Lauf der Wolga entfaltet sich unter seiner Anleitung und gibt dem menschlichen Drama seine volle Bedeutung. Das Orchestre de la Suisse Romande geht vorbehaltlos auf alle seine Wünsche ein, ebenso wie der von dem englischen Chorleiter Alan Woodbridge geleitete Chor, der seinerseits nur im 3. Akt anwesend ist.

Für die Titelrolle der Katja wurde die amerikanische Sopranistin Corinne Winters engagiert. Letztere investierte in diesen zerbrechlichen Charakter eine in ständigen Suche nach Glück und Freiheit mit einem fast ursprünglichen Instinkt, der sich auf der Bühne entwickelt wie ein zerbrechlicher Vogel, der im Käfig gehalten wird, sowohl leicht und fast auch üppig in ihren Bewegungen, aber auch als ob sie von allem Unglück der Welt erdrückt werden würde. Diese Rolle hat sie bereits auf den großen Opernbühnen der Welt gesungen. Und doch scheint so, dass sie sich hier wie zum ersten Mal mit der Rolle auseinanderzusetzen würde und zeigt ein seltenes und vor allem instinktives dramatisches Engagement, das in den Dienst einer kraftvollen und homogenen Stimme mit einem leicht dunklen Timbre von betörendem Farbenspiel gestellt wird. Sie singt mit Natürlichkeit und entwaffnender Aufrichtigkeit, in einer fühlenden Inkarnation, als wäre die Rolle für sie geschrieben worden.

Abgesehen von Winters würdigte der Saal alle Interpreten, die für diese Produktion zusammengekommen sind. Die junge kroatische Mezzo-Sopranistin Ena Pongrac, Mitglied des Jungen Ensembles der Genfer Oper, liefert eine bezaubernde Darbietung mit einer geschmeidigen, warmen und klaren Stimme ab, während sie sich der Figur der Warvara mit der ganzen Frische ihrer Jugend und einer gerechten Sensibilität nähert. Ihr Geliebter Vana, verkörpert von dem jungen englischen Tenor Sam Furness, ist auf dem  gleichen hohen Niveau, seine Stimme ist klar und voller Nuancen und stimmt gut mit der seiner Partnerin überein: Um die einzige üppige lyrische Seite in der Partitur zu interpretieren!

Der  tschechische Tenor Ales Briscein porträtiert Boris, den auf der Flucht stehenden Liebhaber von Katja mit dem nötigen Lyrismus und diesem so notwendigen slawischen Timbre, aber er muss auch schauspielerisch das nötige Talent zeigen für diese ein wenig zu rückgratlose und schlappe Charakter-Rolle, denn er nimmt ohne Aufzumucken die vielen unsinnigen Befehle seines wetternden Onkels Tichoi folgsam dahin. Dieser wird von dem isländischen Bass Tomas Tomasson mit Kraft und Elan interpretiert, der nicht zögert seine üblichen Mittel zu forcieren und seinen Bass zu verstärken und zu verdunkeln, um noch schrecklicher zu wirken. Mit einem brutalen Wort charakterisierte Kabanicha am besten, eine kastrierende und unterdrückerische Frau, die immer die Taten und Gesten ihres Sohnes Tichon  beobachtet und ihn verprügelt. Diese exklusive Liebe hat hier den Beigeschmack von Leiden, als sie ihm im 2. Akt einen Kuss abzuringen versucht, der nichts Mütterliches an sich hat. Eine düstere  und morbide Figur, die russische Mezzo-Sopranistin Elena Zhidkova verleiht dem Charakter von Kabanicha eine schmale und angespannte Silhouette in einem sehr unattraktiven Kleid von brauner Farbe. Ihre Stimme, ein wenig von den vielen vergangenen Jahren gezeichnet, schlüpft kompromisslos in die musikalischen Zwischenräume, die Janacek diesem Charakter freiwillig zugestanden hat. Vom Gesanglichen ist ihre Rolle viel ärmer als die der im Charakter nahestehenden Kostelnicka in Jenufa. Der dänische Tenor Magnus Vigilius nutzt das Trostlose und Ausweglose seiner Gestalt für eine außergewöhnliche starke Interpretation der Figur des Tichon, der so viel und oft von seiner Mutter erbarmungslos geschlagen wird. Aber er liebt auch aufrichtig  seine Frau Katja!  Er gebraucht alle Ressourcen seiner wunderschönen lyrischen Stimme für die Zwecke seiner komplexen Komposition. Der solide russische Bariton Vladimir Kazakov verschafft dem Charakter des Kuligin, der auf der Flucht ist, eine gewisse Erleichterung, während die ukrainische Mezzo-Sopranistin Natalia Ruda, die wirklich aus ihrer Heimat fliehen musste und im Grand Théâtre de Genève eine vorrübergehende Heimat gefunden hat, desgleichen auch die südkoreanische  Mezzo-Sopranistin MI-Young Kim, die beide eine kleine Rolle mit einem gewissen Talent interpretierten: Fekluscha und Glascha.

Katia, dans le plus simple appareil

Pierre Brévignon – PremièreLoge.com - 29 octobre 2022

source: https://www.premiereloge-opera.com/article/compte-rendu/production/2022/10/29/k…

 

À Genève, un Janáček dépouillé et vibrant servi par une soprano en état de grâce

À une époque où pousser les portes d’une salle d’opéra peut se révéler tellement anxiogène que certaines directions se sentent obligées de mettre en garde leur public (comme pour la Salomé kitscho-tarantinesque de Lydia Steier qui repeint en ce moment les murs de Bastille au foutre et à l’hémoglobine), le Grand Théâtre de Genève a osé l’impensable : une production qui prend le contre-pied de la surenchère scénique, oublie les écrans vidéos, les machines à coudre, les piercings de tétons et les carcasses de bidoche pour se mettre humblement au service de la musique et du drame. Posture audacieuse, voire radicale, d’autant plus remarquable qu’elle s’applique à un opéra où le sexe, la mort, la frustration et l’amour dansent une macabre sarabande – autant de prétextes qui auraient pu justifier l’une de ces mises en scène à l’expressionnisme caricatural dont l’opéra du XXe siècle (et des siècles précédents) fait si souvent les frais…

Et pourtant : pour dépeindre les tourments spirituels et sensuels qui mèneront au suicide la jeune Katia Kabanová, mal mariée au bourru Tikhon, malmenée par sa rude marâtre la Kabanicha et mal aimée par le fade Boris, la metteuse en scène berlinoise Tatjana Gürbaca a choisi de recourir à un décor minimaliste. Une sorte de boîte en bois clair, évidée sur ses trois côtés  pour dessiner autant de cadres qu’animent et caressent des lumières pastel ou nocturnes, espace physique autant que mental dans lequel viennent s’inscrire des chanteuses et chanteurs dirigés avec une sensibilité et une intelligence rafraîchissantes.

Pour délicat qu’il soit, le travail d’équilibriste de Gürbaca et de son équipe artistique ne s’enlise jamais dans la mièvrerie. La violence intrinsèque de l’œuvre s’exprime d’autant mieux par contraste, à travers le chant et la gestuelle heurtée des personnages rustres du drame – la belle-mère incarnée par Elena Zhidkova, figée dans sa tenue amidonnée, aussi rigide que les préceptes par lesquels elle entend régir la vie de son fils et de sa bru; l’oncle Dikoj, auquel Tómas Tómasson confère une brutalité aussi animale qu’éthylique; et l’inquiétant Tikhon de Magnus Vigilius, poisseux de couardise. Les autres personnages du récit sont de braves villageois se débattant avec leurs désirs et leurs regrets, tentant de vivre sous le joug de lois morales, religieuses ou sociales dont ils s’accommodent plus ou moins bien. C’est là tout le dilemme de Katia, créature élémentaire d’une ferveur religieuse naïve mais d’une irrépressible vitalité sensuelle, qui s’épanche autant dans la contemplation de la nature que dans l’espoir d’éprouver un jour l’amour pour un autre homme que son terne mari. La soprano américaine Corinne Winters, rompue à l’esthétique janacekienne (elle était Jenůfa à  Genève la saison dernière et a incarné Katia Kabanová pour la première fois cet été à Salzbourg) trouve pour donner vie à cette Bovary de la Volga des accents d’une candeur presque enfantine, impression renforcée par sa silhouette gracile – et comme dissonante, à mesure que s’épaissit le drame. Face à elle, la mezzo croate Ena Pongrac incarne avec un naturel mutin sa confidente Varvara. Double lumineux de Katia, elle est celle par qui « l’orage » métaphorique se déclenchera puisque c’est elle qui jette son amie dans les bras de Boris. Aleš Briscein campe cet amant falot avec une belle ambiguïté, comme s’il était lui-même écrasé par la force du sentiment qui l’habite et incapable de s’en saisir, ses déclarations d’amour sonnant comme des plainte angoissées. La grande scène nocturne de l’Acte II, baignée d’une ineffable tendresse, illustre cette double vision de l’amour : joueur et complice entre Varvara et l’instituteur Kudrjaš, auquel Sam Furness prête un bel aplomb vocal ; vibrant mais hésitant entre Katia et Boris, relégués en fond de scène dans une sorte de cadre oscillant, balançoire instable où se frôlent les deux amants aux timides étreintes.

Lorsque, à l’orée du dernier acte, un orage bien réel éclate, c’est comme à son diapason que Katia surgit parmi la foule des villageois et, rongée de culpabilité, annonce à la foule son adultère avec Boris. Le chœur  – étonnamment discret, pour un opéra de Janáček – se mue alors en foule haineuse, crachant son mépris sur l’infortunée. Un étrange ballet s’ensuit, magnifique inspiration de Tatjana Gürbaca : quelques jours après son aveu, devenue femme adultère battue par son mari, Katia retrouve Boris pour d’ultimes adieux – lui va être envoyé en Sibérie par son oncle, elle a déjà pris la décision de mettre fin à ses jours. Tandis que les deux amants, occupant cette fois l’avant-scène, échangent leurs dernières paroles et que Katia répète, comme un triste refrain, « je voulais te dire quelque chose », les personnages du drame apparaissent derrière eux et, chacun dans son coin, effectuent une série d’actions énigmatiques, répétées en boucle dans une logique de rêve : la Kabanicha se regarde dans un miroir tendu par sa domestique, Dikoj manque s’étouffer en mangeant une pomme, Tikhon refait à l’infini son nœud de cravate pendant que Varvara cire ses chaussures, une petite fille lance en l’air son ballon rouge… Il y a, dans ce manège temporel tragi-comique, quelque chose de l’inquiétante étrangeté du Tango de Zbigniew Rybczyński (court-métrage polonais de 1981). Comme si ne restait de la vie terrestre, si ingrate à Katia, qu’un simulacre absurde, dont la délivreront bientôt les flots glacés de la Volga…

On sait depuis Ernest Ansermet, grand défenseur de la musique de Bohuslav Martinů, qu’un peu de sang tchèque coule dans les veines de l’Orchestre de la Suisse romande. Ses musiciens sont à l’unisson de la réussite scénique et vocale de cette soirée, emmenés par un Tomáš Netopil qui sait les faire chanter dans son arbre généalogique (et dont la dernière incursion janáčekienne remontait à deux ans avec L’Affaire Makropoulos, déjà sur cette même scène).

Grâces soient rendues à cette production, qui prouve qu’une mise en scène d’opéra peut se passer d’être (faussement) disruptive et (puérilement) épate-bourgeois. Il suffit, parfois, de faire entendre l’œuvre dans son plus simple appareil.

Janáček’s Kát’a Kabanová reinvented in Geneva

Antoine Lévy-Leboyer – Seen and Heard International - 25 octobre 2022

source: https://seenandheard-international.com/2022/10/janaceks-kata-kabanova-reinvente…

 

This is the third production of a Janáček Opera presented by the Geneva Grand Théâtre since the arrival of intendant Aviel Kahn. The first one was the brilliant and dramatic production of The Makropoulos Affair two years ago, followed last year by Jenůfa, staged by a team including the same orchestra, conductor, director and lead soprano.

Unlike at Zurich Opera house, the stage in Geneva is very wide, which can be a strain on the singers. Director Tatjana Gürbaca and set designer Henrik Ahr solved this issue by building a wooden setting which served dramatic objectives, like the drowning Katia disappearing from the back of the stage, but also musical ones: singers could soar above the orchestra.

Janáček’s works are great material for strong Personenregie, and this was the case here. Gürbaca’s production did not highlight Katia’s oppression and sorrow, but right from the start chose to present her as almost ‘autistic’, unable to connect with the other characters.

During the love scene, Katia and Boris sang with passion but were physically distant, reminding us of Bayreuth’s production of Tristan und Isolde by the late Heiner Müller where both singers in the second act sang unbelievably intense music, but at either end of the stage. Katia’s public confession in the last act was met with indifference from the characters on stage, each robotically repeating the same movement.

As with many reinterpretations, this worked very well in some moments and less so in others. The big loss was the caricature of Kabanicha, who was no longer the menacing presence she could be, as well as a voluntary lack of poetry from the young couple, Váňa (Sam Furness) and Varvara (Ena Pongrac), which usually provides a contrast to Katia both with her husband and her lover. But all scenes with Katia worked well and this was the ‘price to we had to pay’.

The casting was very strong overall. Corinne Winters, who sang the part in Salzburg this summer in a very different production by the Barrie Kosky/Jakub Hrůša team confirmed her great talent. The voice is powerful and secure. She has expression and intensity on stage. She is the modern Katia of our generation and a singer that one wishes to hear explore many roles.

By her side, Aleš Briscein displayed genuine vocal intensity as Boris. Elena Zhidkova (Kabanicha) was hampered by the production concept, which reduced the impact of her part. Tómas Tómasson (Dikój), who has often sung in Geneva, was quality casting. Geneva often finds and nurtures young singers in residence, from whence came the Varvara sung joyfully by Pongrac, whereas Ukrainian mezzo Natalia Ruda (Feklousa) may have only a few lines to sing but impressed and should be a name to follow.

As is often the case with premieres, the orchestra took time to find its mark. Usually, ensembles can be somewhat loud but the opposite happened here, they started out a little too softly. The timpani that provides a leitmotif throughout the work was inaudible … As the evening went on, balance improved and the Swiss Romande was a strong contributor in the last act. But these are issues usually resolved with further performances.

Readers in Brno will have the opportunity to hear these musicians on November 13th at the Janáček Brno Festival. They and Geneva residents should not hesitate to go and discover what is definitely a strong production.

A Genève, une Katia Kabanova minimaliste mais poignante

Emmanuel Andrieu – Opera-Online.com - 23 octobre 2022

source: https://www.opera-online.com/fr/columns/manu34000/a-geneve-une-katia-kabanova-m…

 

Après le succès qu’a obtenu, l’an passé au Grand-Théâtre de Genève, la Jenufa mise en scène par l’allemande Tatjana Gürbaca et incarnée par l’américaine Corinne Winters, Aviel Cahn a de nouveau invité les deux artistes dans le second titre le plus célèbre de Leos Janacek, Katia Kabanova. La metteure en scène, toujours aidée du fidèle Henrik Ahr pour la scénographie, reprend la même idée que l’an dernier (et déjà pour son Werther à l’OnR) d’une grande boîte en bois clair, cette fois à pente inclinée et dotée de deux ouvertures sur les côtés qui servent de portes d’entrée ou de sortie aux protagonistes, et où ont lieu des actions en dehors de notre champ visuel. D’une sobriété et d’un minimalisme totales, sans le moindre élément de décor supplémentaire, c’est donc sur la direction d’acteurs, toujours aussi remarquable, que repose tout le travail de Tatjana Gürbaca. Nul moyen de s’évader ici – ou alors par le rêve, toxique pour ces âmes racornies malgré elles, dont l’horizon est désespérément bouché. Point de Volga, si ce n’est par les fugaces images vidéo du fleuve vu sous un ciel menaçant pendant l’Ouverture. Sur le plateau nu, les caractères se détachent avec une rare netteté, et les âmes sont mises à nue. Toutes les amours sont passionnées, les gestes démonstratifs, les élans incontrôlés, participant de la lecture sans concession, d’une violence sociale insoutenable, voulue par Tatjana Gürbaca.

Dans le rôle-titre, Corinne Winters confirme à quel point les héroïnes de Janacek conviennent à sa voix, et trouvent en elle l’une de leurs meilleures interprètes, tant sur le plan vocal que dramatique. Avec un chant aussi nuancé que somptueusement éclatant, doublé d’un engagement total, elle campe une héroïne d’abord soumise et résignée, comme perdue dans un ailleurs, mais qui se révèle bientôt assoiffée de sensualité ou extatique. Absolument bouleversante, en somme.

Le ténor danois Magnus Vigilius incarne un Tichon particulièrement timoré et hébété, manipulé par une mère castratrice qui trouve en Elena Zhidkova une interprète de choix. Implacable et monstrueuse, pleine de tics et presque robotisée, sa Kabanicha impressionne autant qu’elle fait froid dans le dos, conférant un formidable impact à ce personnage abject. De son côté, le ténor tchèque Ales Briscein est un Boris éclatant, à la voix pleine et virile, moins veule que dépassé par les événements. La basse islandaise Tomas Tomasson offre à Dikoï son incontestable présence scénique, et un timbre d’une noirceur qui sied à la brute épaisse tel qu’il apparaît ici. La mezzo croate Ena Pongrac campe une Varvara de grande classe, et son duo avec le Koudriach de Sam Furness est idéal, le timbre et l’élégance du phrasé du ténor britannique étant particulièrement séduisants.

Enfin, côté fosse, la direction du chef tchèque Tomas Netopil subjugue par l’incroyable diversité de ses contrastes et de ses couleurs, magnifiée par un Orchestre de la Suisse Romande des grands soirs. Après le murmure des premières mesures, un subtil crescendo instaure d’emblée une atmosphère intense, sa lecture souvent incisive, âpre et nerveuse, se faisant par moments sensuelle ou d’une extrême douceur.

Un spectacle fort et un coup de poing réussi !

Katia Kabanova au Grand Théâtre de Genève

Bertrand Bolognesi - Anaclase.com - 23 octobre 2022

source: http://www.anaclase.com/chroniques/k%C3%A1%C5%A5a-kabanov%C3%A1-katia-kabanova-7

 

Après y avoir mis en scène Jenůfa au printemps dernier, Tatjana Gürbaca retrouve le Grand Théâtre de Genève avec cette nouvelle production d’un autre opéra de Janáček, Káťa Kabanová, créé à Brno en 1921. Avec la complicité d’Henrik Ahr pour la scénographie, elle a placé les protagonistes du drame d’Ostrovski, L’orage, dans une construction aux murs ornés de reflets ondins et inclinés vers une large fenêtre donnant sur la rivière, une réplique de ce décor, qui à lui seul incarne l’aspect claustrophobique de la vie de village au XIXe siècle, venant parfois surenchérir l’effet en fond de plateau. Pour cultiver l’avantage d’une lisibilité direct de l’enfermement de tous, ce dispositif s’avère toutefois limiter cruellement l’espace de jeu. L’idée est parfaitement défendable, puisqu’aucun des personnages n’est vraiment libre et que le peu de liberté qui tente de s’affirmer dans l’intrigue s’exprime dans la clandestinité, mais sa réalisation limite grandement la portée de l’œuvre à une seule de ses dimensions.

Aux costumes contemporains, Barbara Drosihn fait répondre des détails directement évocateurs de la ruralité du dramatis personae, à l’exclusion de l’instituteur que savoir et culture placent ailleurs, bien qu’il exerce là. Crue, la lumière de Stefan Bolliger ne fait pas de cadeau à la rudesse qui conduit l’héroïne au suicide. Katia est volontiers montrée comme inadaptée au monde des Kabanov, et cette inadaptation se traduit souvent par des attitudes pouvant laisser envisager une faiblesse allant au delà de la détresse psychologique – comme on le dirait dans un autre cadre, elle possède un terrain que la situation fera nettement empirer. La restriction de la scène invitant à limiter le mouvement, le tableau final s’ouvre sur une image arrêtée, saisissant chacun dans la nuit. Tous ont une marotte dont ils répètent à l’infini le geste – Tikhon noue sa cravate, Varvara lui cire les souliers, la Kabanikha vérifie coiffure et maquillage dans un miroir portatif, Kudrjáš fait des ronds de fumée, Kuligin lit activement le Petit livre rouge, Dikoï choisit et croque une pomme, et ainsi de suite, éternellement, tandis qu’il pleut à l’arrière. Cela porte-t-il l’ouvrage ? Par ce spectacle, Tatjana Gürbaca ne nous en a guère convaincu.

Une distribution efficace est ici réunie. On y apprécie la caresse idéale du mezzo-soprano Mi-Young Kim en Glaša [lire notre chronique de Médée] et l’évidente vaillance de Vladmir Kazako en Kuligin. Annoncé mal disposé par un refroidissement soudain, le baryton-basse Tómas Tómasson ne démérite pas, point n’était besoin de mander au public son indulgence : peut-être d’un caractère plus massif qu’elle l’aurait été sans ce contretemps, la prestation puissante de l’artiste islandais en Dikoï demeure indéniablement d’une grande tenue. Avec un timbre subtilement coloré et un chant toujours délicatement ciselé, le ténor Sam Furness campe un Kudrjáš charismatique. On retrouve la wagnérienne Elena Zhidkova dans le rôle la mère terrible, Marfa à la présence aussi chétive physiquement que psychologiquement écrasante et l’on découvre le mezzo chatoyant d’Ena Pongrac, Varvara au chant souple et doux, jeune femme fort drôle pour ses mimiques narquoises, plus ou moins exaspéré lorsqu’elle est en présence de la Kabanikha. Le ténor danois Magnus Vigilius livre un Tikhon de bon aloi, quand l’excellent Aleš Briscein magnifie la partie de Boris par une ardeur vocale et une plénitude extraordinaires. Jenůfa ici-même, Corinne Winters se voit une nouvelle fois confier le rôle-titre qu’elle incarnait si superbement au dernier Salzburger Festispiele dans la production passionnante de Barrie Kosky. Avec un chant des plus sonores, elle ne parvient cependant pas au même degré de musicalité que celui atteint alors, sans doute en raison d’un investissement de bonne volonté dans l’option assez monolithique de la mise en scène.

Le public plutôt maigre de cette matinée au Grand Théâtre n’a vraisemblablement pas regretté de s’être déplacé malgré l’incertitude du temps – et l’orage qui s’abat sur le lac peu après la fin du spectacle, tellement d’à-propos avec la pièce russe inspiratrice de l’opéra –, tant la lecture de Tomáš Netopil, à la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, révèle l’adéquate sensibilité. Dès les premières mesures, la profondeur saisissante des accords, que le compositeur semble avoir prévus comme des accords de fin plus que de commencement, envahit l’écoute et dispose à accueillir le drame. Un flamboiement contrasté s’enchaîne, dans un tissage secret, intime, qui évite tout surlignage emphatique. Ainsi l’expressivité de cette Káťa Kabanová est-elle minutieusement sertie dans une prégnante discrétion, fort émouvante. Saluons les artistes du Chœur maison et Alan Woodbridge à leur pupitre pour les quelques interventions hors champs.

Katia Kabanova dans une maquette à échelle humaine au Grand Théâtre de Genève

Romain Daroles – Bachtrack.com - 24 octobre 2022

source: https://bachtrack.com/fr_FR/critique-katia-kabanova-gurbaca-netopil-winters-pon…

 

Dès l’entrée dans la salle du Grand Théâtre de Genève, on se retrouve face à une grande boîte de bois clair dont les ouvertures, au fond, à cour et à jardin, offrent en triptyque la photo des rives d’une Volga contemporaine, par mauvais temps. L’allégorie politique – inspirée de L'Orage d’Ostrovski et sensiblement atténuée en son temps par Janáček – semble posée, pour ensuite dès les premières mesures de l'opéra être habilement mise de côté, comme une épée de Damoclès au-dessus de l’œuvre entière. Puis le projet de la metteuse en scène maquettiste, Tatjana Gürbaca, prend forme. Dans cette boîte, les corps apparaissent et sont posés avec la froideur et l’immuabilité de pantins sociaux figés dans leurs normes et leurs faux-semblants. Le mari, la belle-mère, l’amant, l’amie, les villageois, tous concourent au suicide final de Katia Kabanova. Parfois, la boîte se répète en une autre boîte en fond de scène, réduite par la perspective. On comprend dès le deuxième acte qu’il s’agit là-bas des espoirs (Katia y rêve son amant) et ici de la réalité (la stratège Varvara y expose l’évasion de Katia grâce à la clé du jardin). Puis cette perspective s’inverse : dans son grand duo avec son amant au deuxième acte, Katia franchit le front de scène, Boris la suit, le cadre (social) cède, un temps seulement.

Il en va de même avec les costumes de Barbara Drosihn. D’un côté, la tradition sombre et usée pour l’ensemble des personnages (monde rural d’Europe de l’Est au milieu du XXe siècle) et, de l’autre, en deuxièmes costumes, les robes colorées presque « pop » de Katia et Varvara lorsqu’elles se préparent pour la rencontre avec leurs amants respectifs. Riche idée que de jouer l’échange entre Varvara et Katia au premier acte autour d’une séance d’essayage. Dans ce décor de pantins, pour les deux chanteuses en parfaite osmose vocale, ces costumes essayés sont autant d’autres vies rêvées. Un des villageois récupèrera le costume traditionnel de Katia sur le front de scène, laissée par l’héroïne juste avant de sauter dans la Volga, victorieuse, dans sa robe colorée : mue sociale accomplie. À l’acte III, les pantins composent cette fois un quotidien rural qui rappelle le célèbre Passage du Commerce Saint-André de Balthus, où chacun, dans de petites actions répétées jusqu’à l’absurde, semble aveugle au drame sourd qui se joue devant eux. On notera aussi les habiles lumières de Stefan Bolliger qui sait mettre en forme cette maquette dans ce jeu de poupées russes et d’apparences.

Si la mise en scène fait le pari judicieux et enthousiaste d’un jeu psychologique pur, on reste cependant sur sa faim. C'est bien timide et globalement très – trop – littéral, ce jeu méritant souvent des enjeux plus développés. Ainsi du troisième acte : l’aveu de Katia devant l’ensemble de la famille et du village où elle s’empare d’un miroir pour le tourner au visage de chacun... Conclusion cousue de fil blanc pour illustrer le rapport infernal et complexe aux autres et à leurs conventions. C’est aussi Elena Zhidkova (Kabanicha) qui campe une belle-mère tout à fait insuffisante, presque insignifiante, non pas vocalement mais scéniquement. On comprend alors que la metteuse en scène n'a pas réussi à développer le contrepoint dramatique joué par ce personnage face aux jeunes Katia et Varvara.

Dans ces deux rôles, en revanche, Ena Pongrac (Varvara) et Corinne Winters (Katia) jouent à fond la carte psychologique. À la voix agile et affutée, Pongrac campe une parfaite petite renarde rusée et Winters, de son timbre ambré mais non moins puissant, est rodée à son personnage de louve sauvage assoiffée de liberté. Noter aussi la vaillance et l’adéquation de Tómas Tómasson (annoncé souffrant au début de la représentation) en Dikój. Quant à l’insuffisance du Kudrjaš de Sam Furness, au timbre un peu vert, travaillant l’émission plus que la mélodie (choix dommageable chez Janáček), elle est accentuée par l’autre ténor de la soirée, le Boris au contraire musical et toujours dans la ligne de chant d’Aleš Briscein, composant un amant digne et non moins transi d'amour : on retient la merveilleuse suspension théâtrale et musicale, parfaitement habitée, qui précède son long duo avec Katia au deuxième acte.

Dans la fosse, Tomáš Netopil et l’Orchestre de la Suisse Romande hissent l’œuvre à hauteur humaine dans une interprétation qui par endroits relève aussi de la miniature. Au troisième acte, lors des retrouvailles puis de la séparation entre Katia et son amant Boris, l’orchestre est presque translucide, diaphane, œuvrant ici comme ailleurs pour le chant et par clarté des pupitres, au plus près des inflexions mélodiques de la langue tchèque. Si Netopil semble bien connaître son Janáček, on déplorera par endroits (notamment au final) le manque d'un certain souffle de vie dans l’orchestre qui justifierait de pousser une femme, par soif de liberté, à la mort.

La Prisonnière

David Verdier – AltaMucia.com – 21 octobre 2022

source: http://www.altamusica.com/concerts/document.php?action=MoreDocument&DocRef=7021…

 

Un an après une belle Jenůfa, Tatjana Gürbaca revient à Janáček et au Grand-Théâtre de Genève avec Katiá Kabanová. Sa mise en scène démontre, avec une rigoureuse économie de moyens, une galerie d'effets remarquables et puissants qui donnent au drame intime une dimension universelle, soutenu par un plateau et une fosse remarquables.

La scénographie inscrit l'action dans un décor de bois brut délimité par un vaste cadre de scène qui se prolonge par un curieux effet de perspective. Sur la première partie en pente raide se joue l'essentiel de la pièce. Deux entrées s'ouvrent sur les côtés, où se trouvent les scènes intimes placées en hors-champ muet. Cette épure rehausse paradoxalement la profondeur du drame de Kátia Kabanová, qu'on aime comparer à celui de Madame Bovary. Mais l'adultère et la naïveté romantique du personnage de Flaubert croise ici la dimension existentialiste de L'Étranger d'Albert Camus – autre référence citée par Tatjana Gürbaca.

Hormis les costumes, l'étroitesse et la mesquinerie de la société villageoise ne sont pas rendues ici avec un réalisme oppressif. Il faut accepter ce symbolisme qui fait du fleuve où elle ira se suicider un élément supplémentaire projeté sur ce décor mental. Les personnages sont éclairés par une lumière crue qui les découpe comme les pièces d'un échiquier dont la mise en scène s'attache toujours à privilégier la géométrie des caractères, à travers la disposition et les gestes.

Durant l'ultime monologue de Kátia, les personnages répètent en boucle des gestes d'automates, interrompus par un miroir qui se brise et préfigure le suicide. La chair et la sensualité ne sont pas ici au centre des enjeux, avec une dramaturgie qui leur préfère la rigueur du dispositif psychologique qui conduira Kátia à mettre fin à ses jours.

Corinne Winters donne au personnage une authenticité qui expose une fragilité native, prête à éclater, et dont la relation adultère est moins le résultat d'un coup de foudre que d'une issue inéluctable qui finit par la broyer corps et âme. Vocalement, l’Américaine domine son rôle de la tête et des épaules, avec une sincérité d'accent et de ligne qui s'appuie sur un timbre et une projection au lyrisme brûlant.

Son duo d'amour avec le Boris d'Aleš Briscein marque un des sommets de la soirée. Le timbre solaire du ténor joint naturellement son ampleur et sa brillance à celui de Kátia, avec une liberté remarquable dans la façon de rendre palpable la respiration commune du couple. Sam Furness est un Kudrjaš moqueur et très fin dans ses aigus tandis qu’Ena Pongrac signe une Varvara de tout premier plan. Elena Zhidkova offre à Kabanicha les contours âpres de son mezzo, en symétrie avec la rugosité du Dikoï de Tómas Tómasson. Magnus Vigilius campe un Tikhon contrasté et tourmenté.

L'Orchestre de la Suisse Romande trouve en Tomáš Netopil une direction musicale capable de sublimer la suavité du discours qui donne à entendre chez Janáček le merveilleux coloriste et la désespérance des destins. La souplesse de la ligne libère une palette expressive de premier ordre, avec une petite harmonie narquoise et des cuivres puissants et volumineux. Heureux public genevois !

À Genève, superbe Kát’a Kabanová de Corinne Winters

Jacques Schmitt – ResMusica.com – 24 octobre 2022

source: https://www.resmusica.com/2022/10/24/a-geneve-superbe-kata-kabanova-de-corinne-…

 

Cette nouvelle production de Kát’a Kabanová de Leoš Janáček au Grand Théâtre de Genève a tout pour plaire : superbement servie par une lumineuse Corinne Winters, un Orchestre de la Suisse Romande transporté par Tomáš Netopil et une mise en scène d’une rare intelligence de Tatjana Gürbaca.

Quand, ayant fait ses adieux à l’amour, à son amour, Kát’a Kabanová (Corinne Winters) s’éloigne vers le fond de scène, trouant un rideau noir, pour disparaître en se jetant dans la Volga, le rideau ne tombe pas tout de suite. Il reste encore quelques minutes de musique et de chant avant que la scène ne s’assombrisse lentement vers le noir total et déjà, on en vient à regretter de ne plus voir ni entendre l’héroïne de la soirée. De quelle héroïne parle-t-on ? Est-ce cette Kát’a Kabanová si malheureuse et si coupable de son péché qu’elle marche avec détermination vers son suicide ? Est-ce l’artiste qui émeut le public dans son interprétation d’une beauté et d’une sensibilité débordantes ? On ne peut trancher. Avec Corinne Winters, son art du chant s’insère avec tant de conviction dans le personnage qu’en surgit la quintessence, pour l’habiter pleinement à la lumière d’une mise en scène expressionniste.

Deux mois à peine après avoir incarné ce même rôle sous la direction de Barrie Kovsky à Salzbourg, après Rome en janvier, Corinne Winters foule les planches du Grand Théâtre de Genève armée de ses expériences scéniques récentes et de sa profonde intimité avec cette œuvre. Ce qu’elle démontre ici, dépasse toutes les espérances. Avec cette Kát’a Kabanová, la soprano américaine s’inscrit comme une référence du rôle. Pas besoin d’effets de manche, pas besoin d’occupation de l’espace, de gestes démesurés, de visage éploré, son chant, sa voix, sa profondeur, son authenticité de ton, tout en elle concourt à la vérité des tourments de son personnage. Une symbiose encore plus charnelle que celle qu’elle avait démontré dans la Jenůfa offerte au public genevois en mai dernier. Comme de cette bouleversante fin, on se souviendra encore longtemps de son duo d’amour avec l’admirable Aleš Briscein (Boris Grigorjevič), lui aussi tout entier livré à son chant et à son rôle.

Si Barrie Kovsky avait meublé sa scène d’une centaine de personnages tournant le dos à Kát’a Kabanová pour stigmatiser son indifférence aux tourments de la jeune femme, la metteure en scène Tatjana Gürbaca n’use que de la dizaine de personnages du livret pour exprimer les mêmes sentiments. En entrant dans la salle du Grand Théâtre, le spectateur découvre le décor (Henrik Ahr) déjà en place. Une grande chambre avec de larges fenêtres ouvertes sur une nature austère et plate, la vue de la Volga se nimbe petit à petit d’un brouillard annihilant le paysage pour bientôt laisser place à l’univers confiné d’une pièce où l’enfermement des personnages dans leur vie routinière va dicter leurs actions monotones sans cesse répétées. En favorisant des scènes soudainement figées, avec des protagonistes fixant l’espace avec des yeux vides, Tatjana Gürbaca illustre de manière saisissante leur claustration et leurs univers restreints. Alors l’attention du spectateur peut se focaliser sur l’action scénique sans que le récit soit parasité. Bientôt ces scènes figées se mutent en saynètes répétées à l’envi, montrant la routine désolante de chacun, insensible au désarroi des deux amants. Alors que dans moult productions, ces procédés n’apportent que du déjà-vu inutile et ne sont prétexte qu’à meubler des vides scéniques, ceux de Tatjana Gürbaca racontent ce que les mots du livret ne disent pas. Et c’est pourtant là, dans ces non-dits, que réside toute l’émotion, tout le tragique de cet opéra. Sans jamais s’appesantir dans son propos scénique, Tatjana Gürbaca raconte par touches subtiles l’âme de chacun. Ainsi si Kát’a Kabanová se défait rageusement de sa robe pour se retrouver en combinaison, qu’elle enlève ses bottes, c’est pour se débarrasser des carcans qui l’enserrent.

Tous les personnages gravitant autour de Kát’a Kabanová sont parfaitement caricaturés dans leur misère vitale. Même si la mezzo-soprano Elena Zhidkova (Kabanikha) n’a pas forcément le physique souvent robuste généralement recherché pour incarner la belle-mère de Kát’a Kabanová, femme acariâtre, parfaitement dirigée avec son allure maladive, se déplaçant à petits pas incertains, dont l’empressement viscéral autour de son fils exaspère la bru qui ne peut vivre son mariage, elle est parfaite, théâtralement comme vocalement. Peut-être qu’un peu plus de retenue dans la projection de Tómas Tómasson (Savël Prokofjevič Dikoj) serait bienvenue, parce que si le personnage est odieux à souhait sa voix, puissante, frise la saturation et nuit à l’équilibre entre la fosse et le plateau. La faute peut-être au décor, cette pièce dont la forme en pavillon projette la voix plus violemment que si son plafond avait été ouvert laissant les harmoniques des voix s’échapper dans les cintres. Une remarque qui s’applique aussi à quelques autres protagonistes, comme Magnus Vigilius (Tichon Ivanyč Kabanov) et Sam Furness (Váňa Kudrjáš). La jeune mezzo-soprano Ena Pongrac (Varvara), nouvelle recrue du Jeune Ensemble du Grand Théâtre de Genève s’acquitte fort bien de son rôle quand bien même la formidable présence de Corinne Winters tend à écraser quelque peu sa prestation.

Dans la fosse, devant un Orchestre de la Suisse Romande en grande forme, le chef Tomáš Netopil fait merveille. Spécialiste de Janáček (il avait déjà dirigé «L’Affaire Makropoulos» à Genève en 2018 et brillé dans une «Jenůfa» à Amsterdam en 2018, il porte cet opéra avec une complicité remarquable. Non seulement entre la fosse et le plateau mais dans une intelligence théâtrale combinée avec la mise en scène, comme par exemple lorsqu’il impose un long silence avant le duo d’amour de Kát’a et de Boris, créant ainsi un instant dramatique qui, comme cette grande mise en scène, élève l’œuvre dans un déferlement émotionnel qui, malgré la dureté du propos de l’intrigue mène le spectateur vers le rêve éveillé de l’opéra. Le public l’a bien compris réservant à cette production une chaleureuse ovation.

 

Katia noie ses rêves dans le lit de la Volga

Claudio Poloni – ConcertoNet.com – 23 octobre 2022

source: https://www.concertonet.com/scripts/review.php?ID_review=15292

 

Après L’Affaire Makropoulos en octobre 2020, dont seulement deux représentations avaient pu avoir lieu en raison de la pandémie, puis une superbe production de Jenůfa en mai dernier, le Grand Théâtre de Genève poursuit son cycle Janácek avec le même bonheur, en présentant cette fois Kátia Kabanová. Comme pour Jenůfa, Tatjana Gürbaca tape dans le mille : la metteur en scène allemande signe une production sobre, prenante et émouvante à la fois. Lorsque les spectateurs entrent dans la salle, avant même que s’égrènent les premières notes, des écrans projettent des images d’un fleuve – la Volga en l’occurrence – qui coule lentement et majestueusement. Un fleuve qui symbolise les rêves et les aspirations de Kátia Kabanová, sorte de Madame Bovary slave du début du siècle passé, comme le dit elle-même Tatjana Gürbaca. Un fleuve aussi dans lequel se jettera l’héroïne pour avoir trompé son mari et enfreint les règles de la société. Deux structures rectangulaires en bois – qui ne sont pas sans rappeler le décor de Jenůfa – l’une, à l’avant-scène, beaucoup plus grande que l’autre, figurent le monde étriqué duquel Kátia Kabanová veut s’échapper. Lorsque Tikhon, son mari, part en voyage, des rideaux noirs viennent cacher les fenêtres, rendant l’atmosphère encore plus oppressante et claustrophobique. Cet univers est peuplé de personnages tout à fait banals et ordinaires, habillés sans aucun goût, arborant des poses figées, comme des marionnettes. Le couple de jeunes amants que forment Varvara et Kudrjas, naturels et désinvoltes, sont les seuls qui ont réussi à être un tant soit peu libres dans cette société raide et indifférente aux sentiments, sclérosée par le qu’en dira-t-on et les convenances. Une production d’une austérité délibérée, hautement symbolique, sans rien de pittoresque, mais captivante de bout en bout et particulièrement prenante, avec une direction d’acteurs ciselée en orfèvre.

A la tête d’un Orchestre de la Suisse romande des grands soirs, Tomás Netopil (déjà aux commandes musicales de L’Affaire Makropoulos) a su rendre avec une belle énergie les frémissements de la partition, ses effusions lyriques, mais aussi ses aspérités et ses côtés sombres et oppressants, en toute fluidité et avec de grandes respirations. Superbe Jenůfa sur ces mêmes planches en début d’année, Corinne Winters renouvelle en Kátia Kabanová son exploit de Salzbourg cet été, unanimement salué par la critique : sa silhouette frêle et son naturel désarmant traduisent à merveille toute la fragilité et la détresse de l’héroïne, mais aussi sa détermination et sa volonté de vivre la vie dont elle a envie, bref une présence scénique lumineuse et envoûtante. Son chant est ardent et expressif, avec des aigus rayonnants et un timbre extrêmement bien projeté. Même si elle parle davantage qu’elle ne chante, Elena Zhidkova est une belle mère autoritaire et menaçante, drapée dans un conformisme tyrannique, qui prend un malin plaisir à ridiculiser son propre fils. Un fils, Tikhon, qui est l’incarnation de la soumission et de la faiblesse absolues, incarné par la voix grave et sonore de Magnus Vigilius, parfaitement à l’opposé du timbre clair et lyrique d’Ales Briscein en Boris, le rival. Tómas Tómasson compose un Dikój tout aussi ridicule qu’inquiétant, qui va jusqu’à essayer d’obtenir les faveurs de la Kabanikha, l’épouvantable belle mère. Ena Pongrac est en quelque sorte la révélation de la soirée, Varvara délicieuse et sensuelle, à la forte présence scénique et au timbre frais et souple. Sam Furness est, pour sa part, un Kudrjas décontracté et drôle, aux accents lumineux. Comme Jenůfa, cette Kátia Kabanová restera dans les annales du Grand Théâtre de Genève.

“Katia Kabanova” à Genève

Jean Brachman – SwissDay.fr – 23 octobre 2022

source: https://swiss.dayfr.com/local/305765.html

 

Qu’est-ce que l’opéra a du roman : en seulement quatre-vingt-dix minutes, il peut parler de désirs d’amour, d’adultère, d’extase et de suicide, alors que les romans pertinents de Léon Tolstoï ou de Gustave Flaubert nécessitent de nombreuses heures de lecture.
Cependant, la base de l’opéra «Katia Kabanova» n’est pas un roman, mais la pièce «The Storm» d’Alexander Ostrowski, que le compositeur Leoš Janáček lui-même a adaptée au livret. Qui saurait mieux ce qui se passe chez les femmes que la féministe morave, qui était une aversion dans la vraie vie ? Dans tous les cas, la réalisatrice Tatjana Gürbaca partage non seulement la vision de Janáček sur son âme, mais pousse également sa concentration dramaturgie plus loin.
Le travail de chambre éclairant qui en a émergé peut maintenant être vécu à l’Opéra de Genève, dans une mise en perspective centrale abstraite mise en scène par Henrik Ahr, qui peut être localisée avec la conception d’éclairage de Stefan Bollinger. Et dans la direction des personnages, l’accent est également mis sur le bouillonnant volcan émotionnel Katia, que la fille Corinne Winters a assumée à Genève après ses débuts à Salzbourg dans ce rôle : une adaptation vocale et d’acteur dont Janáček a dû rêver. .
Dès qu’elle monte sur scène, son charisme domine tout autour d’elle, y compris le public. Gürbaca ne se soucie pas de la critique sociale d’Ostrowski, que Janáček lui-même avait réduite par rapport à l’équipe.

Caractères exagérés
La redoutable belle-mère de Katia, Kabanicha, et le marchand et despote Dikój sont grotesquement exagérés : Elena Zhidkova en injection de poison mort, Tómas Tómasson, un homme géant, en couvée grossière. Encore moins le réalisateur tombe-t-il dans le mode victime à la mode, selon lequel les autres et surtout les hommes sont toujours coupables. Le mari de Katia, Tikhon, et son amant, Boris, chanté par le ténor tchèque Ales Briscein, sont des personnages faibles, Tikhon, le fils d’une mère, Boris, un opportuniste, mais ils ne sont pas accusés.
Il sympathise plutôt lorsque Tichon, chanté par le ténor danois Magnus Vigilius, qui a connu Janáček, se met à hurler dès que Katia rend public son adultère, et finalement, mentalement dérangé, se fige dans la compulsion de nouer sa nouvelle cravate. Soit dit en passant, il est le seul à porter une cravate sous son costume trois pièces, en plus d’une corde de bourreau. Sinon, sous les costumes décontractés de la jeune génération d’hommes, il y a un T-shirt démonstratif (costume : Barbara Drosihn).

La clé de la connaissance
Le fonctionnement exact du metteur en scène peut être vu dans la scène clé littérale du deuxième acte, lorsqu’un accessoire discret devient un symbole : une clé déclenche l’expérience émotionnelle existentielle de la connaissance de Katia. Il vient de déplorer le désordre qui l’habite lorsqu’il attrape la clé du jardin et la laisse pendre longuement à un doigt, comme s’il était le maître de la vie et de la mort.
Elle se décide encore pour la vie, pour une rencontre avec Boris. Il a reçu la clé de Warwara, la fille adoptive de la maison Kabanicha, avec qui il entretient un lien fraternel, comme déjà mis en scène dans le premier acte : Katia Warwara décrit sa vie avant le mariage, le bonheur de sa jeunesse, avec une tendresse rêveuse, enthousiaste . et des phrases explosives, brouillant peu à peu les frontières entre illusion, conte de fées et mémoire, jusqu’à ce que Katia se retrouve piégée dans le présent et perçoive une scission en elle-même.
À partir de ce moment, Warwara devient le véritable cerveau de la pièce avec la mezzo-soprano Ena Pongrac, rapide, magnifiquement exprimée et comme une elfe, en espérant que Katia trouvera bientôt la liberté dans sa danse comme elle l’a fait.

Des scènes d’amour passionnantes.
Gürbaca renforce encore le rôle de Varvara lorsqu’il la laisse déménager seule à Moscou, sans son amant Kudryash, comme prévu dans la pièce. Ce ne serait pas nécessaire, car Kudrjasch est le seul personnage masculin positif de l’opéra, d’autant plus que l’adorable Sam Furness.
Les scènes d’amour des deux couples Katia et Boris, Varvara et Kudrjasch sont magnifiquement représentées sur les surfaces de jeu simultanées de la scène, qui s’élève à l’arrière.
Tendres et profondément dévoués l’un à l’autre, les amoureux se prélassent dans leur bonheur jusqu’à ce que même la pièce commence à se balancer comme un berceau. Et encore une fois on s’émerveille de la musique, qui fait une longue pause générale car Boris ne sait pas quoi dire à Katia lorsqu’il la rencontre pour la première fois. Mais alors il n’y a pas de frein, la musique éclate dans les notes les plus aiguës du ténor, tremble en trémolo, brille et se transfigure.

 

«Katia Kabanova» entre perversité et pureté au Grand Théâtre

Sylvie Bonnier – Le Temps.com - 24 octobre 2022

source: https://www.letemps.ch/culture/katia-kabanova-entre-perversite-purete-grand-the…

 

L’opéra du compositeur tchèque Leos Janacek est magnifiquement servi à Genève, tant sur le plan musical que vocal et scénique

«Je vous remercie.» Les mots conclusifs proférés par la terrible Khabanikha claquent comme une libération à la fin de la Katia Kabanova genevoise. Ils suggèrent le soulagement d’une mère abusive, à la mort de sa bru, plus que la reconnaissance face à la compassion des villageois. C’est que la metteuse en scène Tatjana Gürbaca a outrepassé la formule de convenance. Elle n’a pas hésité à creuser auparavant la perversité de la génitrice, jusqu’aux limites de l’inceste. Le baiser sur la bouche que la vieille femme amorce, évité de justesse par son fils Boris, et son émoi après ce geste révélateur éclairent l’opéra de Janacek de façon abrupte.

La rage du désespoir
Ce ne sont pas seulement la méchanceté d’une femme fruste et les traditions étriquées d’une société ignorante et confite dans la religiosité qui sont pointées du doigt avant de pousser Katerina au suicide. Ce sont les dérives générées sur un terrain miné qui sont dénoncées. En contrepoint, lorsque la belle-mère haineuse pousse son fils à partir en laissant Katia désarmée devant l’abandon dangereux de son mari, celle-ci se rue sur sa bourrelle et l’embrasse (ou la mord?) sur la bouche, avec la rage du désespoir.
C’est donc à une histoire de femmes, de sexualité, de honte et d’abus de pouvoir que convoque l’Allemande, qui était aussi à la direction scénique de Jenufa la saison passée, dans le cadre d’un diptyque Janacek réalisé par une équipe commune.

Une forme d’aboutissement
Le deuxième ouvrage, tiré de L’Orage d’Alexandre Ostrovski, touche cette fois à une forme d’aboutissement tant l’épure des décors d’Henrik Ahr et les lumières de Stefan Bolliger relèvent magnifiquement ce qui se joue entre les êtres.
Si on retrouve une boîte fermée aux perspectives oppressantes, l’escalier monumental a disparu. La «prison» de Katia Kabanova ouvre ici sur des univers divers. D’abord, la Volga en automne, pendant l’ouverture, est filmée en plan fixe à travers de grandes fenêtres. Elle raconte l’omniprésence du fleuve qui charrie les peines, et annonce la mort en marche. Quelques tissus occultants noirs enferment et libèrent l’action. En se levant sur des arrière-pièces claires et lumineuses où les villageois apparaissent en contre-jour ou en pleine lumière, sous la pluie orageuse ou dans la nudité du dispositif, en mouvement ou immobilisés, ils illustrent et renforcent le drame.

Sortie d’un film de psychopathe
Simplicité et esthétique enchâssent le travail tout en finesse de la réalisatrice, qui gratte jusqu’à l’os chaque geste, chaque attitude, chaque expression de chaque personnage. L’incarnation la plus saisissante revient à Elena Zhidkova, Kabanikha momifiée aux gestes mécaniques et au comportement privé d’émotion, qu’on dirait sortie d’un film de psychopathe. La pente extrême du sol, qui confère une notion de danger glissant à l’ensemble, ajoute à sa démarche fantomatique.
Autour d’elle, qui aimante et oriente la tragédie, la gent masculine dépeinte par Tatjana Gürbaca a piètre allure. Boris sans envergure (Ales Briscein, lyrique au timbre argenté très projetant), Tikhon soumis et colérique (Magnus Vigilius, dont la vaillance vocale est écrasée sous le joug maternel), Dikoj brutal, épais et libidineux (Tomas Tomasson, à la voix grave dense malgré une indisposition), Kurdrjas superficiel (Sam Furness, aux belles couleurs boisées) et Kuligin désinvolte (Vladimir Kazakov, au baryton clair): on est loin de la virilité triomphante ou ravageuse.

Corinne Winters brûle le plateau
Les femmes tiennent la barre, avec des voix charpentées et colorées. La mezzo juvénile et énergique Ena Pongrac livre une Varvara de caractère aux côtés de la soprano américaine Corinne Winters, pétrie jusqu’à l’âme de fragilité et d’intensité émotionnelle, sur une voix à la fois charnelle, puissante et lumineuse. Sa Katia brûle le plateau avec une forme bouleversante d’ingénuité dans son offrande à l’amour et à la mort. Natalia Ruda (Feklousa) et Mi-Young Kim (Glasa) équilibrent avec justesse la distribution féminine particulièrement mise en valeur par Janacek.
Qui mieux que le chef Tomas Netopil pour traduire les nuances, spécificités ou délicatesses orchestrales et vocales du compositeur? A entendre cette Katia Kabanova opulente, détaillée, vibrante, inquiétante et incandescente, on imagine difficilement meilleur ambassadeur. Question de nationalité et de langue, évidemment. Mais aussi de sensibilité, d’imaginaire et de nature d’un sang commun, qui coule, comme la Volga, d’un flux irrésistible. L’OSR suit cette direction organique sans résister, révélant des pupitres engagés et une fluidité de discours d’une remarquable cohésion.

A Genève, une Katia Kabanova de Janacek tout en sobriété

Emmanuel Dupuy – Diapason.com - 24 octobre 2022

source: https://www.diapasonmag.fr/critiques/a-geneve-une-katia-kabanova-de-janacek-tou…

 

Le beau spectacle de Tatjana Gürbaca concentre le regard sur l'essence du drame. Comme à Salzbourg l'été dernier, Corinne Winters triomphe dans le rôle-titre, au sein d'un plateau sans maillon faible, sur lequel veille Tomas Netopil.

Même metteuse en scène (Tatjana Gürbaca), même protagoniste (Corinne Winters) : à Genève, cette nouvelle Katia Kabanova s’inscrit dans le droit fil d’une remarquable Jenufa acclamée la saison dernière. Encore une fois, le décor de Henrik Ahr, tout de bois blanc et en vertigineuse lignes de fuite, joue la carte de l’épure, pour mieux concentrer le regard sur les corps et leurs émois. Sur la Volga, aussi, dont des vidéos montrent le flux inexorable avant que l’opéra ne commence.

Des lumières variant comme celles du jour, quelques stores qui s’ouvrent et se ferment, un vrai rideau de pluie quand se lève la tempête : cela suffit à assurer de discrets changements d’atmosphère qui ne troublent guère la continuité du drame, donné sans entracte. La force du spectacle repose tout entière sur un théâtre de chair et d’affects, où chaque regard fait sens, où chaque petit geste accroît la puissance des portraits psychologiques. Aucun effet facile, aucune esbroufe : c’est simplement juste, c’est simplement beau.

Jusqu’à la folie
Et le plateau est au diapason, dominé, comme à Salzbourg l’été dernier, par la formidable Katia de Corinne Winters. Avec à la fois une fêlure callassienne dans le timbre et une rondeur sur toute l’étendue de la tessiture, la voix se projette aisément et, surtout, se plie aux mouvements d’une âme déchirée jusqu’à la folie. L’incarnation atteint un sidérant degré de vérité, souligné encore par une forme d’accablement qui semble briser ce fragile physique de jeune fille.

Les trois ténors sont parfaits et parfaitement différenciés : avec un séduisant lyrisme et des allures intellos chez Sam Furness (Koudriach), de l’éclat et du venin chez Ales Briscein (Boris), une veulerie racée chez Magnus Vigilius (Tikhon). Varvara tout en charmes et agilité d’Ena Pongrac, idéalement juvénile, Dikoï à l’imposante brutalité de Tomas Tomasson. Et Kabanikha droite comme un i d’Elena Zhidkova, pas toujours irréprochable pour l’intonation, mais si glaçante par le timbre et l’allure que sa présence dominatrice tyrannise toute la représentation.

Energie obstinée
Si l’Orchestre de la Suisse romande montre une couleur d’ensemble parfois rêche, chaque pupitre relève avec une énergie obstinée le défi d’une redoutable écriture. Alternant lignes courbes et angles aigus, la lecture à la fois unitaire et tendue de Tomas Netopil donne l’impression d’entendre une vaste et palpitante symphonie du destin.

Katia Kabanova épurée et orageuse au Grand Théâtre de Genève

Par José Pons – Olyrix.com – 23 octobre 2022

source: https://www.olyrix.com/articles/production/6230/katia-kabanova-leos-janacek-gra…

 

Après avoir présenté en 2020 L'Affaire Makropoulos puis Jenufa la saison dernière, le Grand Théâtre de Genève poursuit son exploration de l’univers lyrique de Leos Janacek avec sa tragédie brûlante, Katia Kabanova :

Pour porter à la scène cet ouvrage majeur du compositeur, d'après L’Orage du dramaturge russe Alexandre Ostrovski, Aviel Cahn, directeur de la maison genevoise, a fait appel non sans raison(s) à la même équipe artistique que pour Jenufa en 2022 avec à la mise en scène Tatjana Gürbaca et pour le rôle-titre la soprano irradiante Corinne Winters. Cette dernière investit ce personnage fragile en quête permanente de bonheur et de liberté avec un instinct presque primordial, évoluant en scène tel un frêle oiseau tenu en cage, à la fois légère et presque voluptueuse dans ses déplacements, mais aussi comme écrasée par tous les malheurs du monde. Corinne Winters a déjà interprété sur de grandes scènes lyriques Katia Kabanova, dont encore cet été au vaste Manège des Rochers du Festival de Salzbourg dans une mise en scène de Barrie Kosky et sous la baguette de Jakub Hrůša (nommé cette semaine au podium londonien), spectacle qui fut le clou de l’édition 2022. Pour autant, la soprano américaine semble ici comme aborder le rôle pour la première fois, montrant un engagement dramatique rare et surtout instinctif mis au service d’une voix puissante et homogène, au timbre un rien sombre paré de couleurs envoutantes. Elle chante avec naturel et une désarmante sincérité, dans une incarnation de premier plan, comme si le rôle avait été écrit pour elle. Corinne Winters sera de nouveau présente dans ce rôle de Katia sur la scène de l’Opéra national de Lyon en avril et mai 2023 au sein d’une nouvelle production de l’ouvrage portée par un duo féminin, Elena Schwarz à la direction d’orchestre et Barbara Wysocka à la mise en scène. 

À Genève, Tatjana Gürbaca a conçu avec ses équipes -Henrik Ahr pour la scénographie, Barbara Drosihn pour des costumes à demi contemporains, Stefan Bolliger aux lumières- un spectacle placé sous le signe de l’épure se déroulant au sein d’une sorte de boîte de bois évolutive violemment éclairée. Celle-ci ouvre comme des espaces clos successifs en fond de scène où Katia peut se réfugier avec son amant Boris. Ce monde, claustrophobe et étroit, baigné par l’éternelle Volga où Katia au comble du malheur viendra se jeter, ne laisse que peu d’alternative et aucun avenir. Seuls les jeunes amoureux Varvara et Váňa parviendront à s’enfuir pour Moscou et à concrétiser leur rêve de lendemains plus enchanteurs. 

La mise en scène vise à la précision, à l’objectivité, mettant parfaitement en relief tous les personnages en présence. Après l’épisode de l’orage et du paratonnerre qui voit s’opposer l’ancienne génération archaïque et la nouvelle plus ouverte aux nouveautés, puis l’annonce par Katia de son adultère, le troisième acte semble comme enfermer les personnages dans un présent répétitif et pétri de conventions morales, proche de l’asile. Ces derniers se transforment en marionnettes sans âme, la terrible Kabanikha déambulant en scène d’un pas pesant tout en se mirant parée de ses bijoux dans un miroir porté par sa servante ou son pleutre de fils Tikhon engoncé dans son costume ne cessant de faire et défaire sa cravate. Ce huis-clos dévastateur, malgré la présence d’une lumière toujours vibrante, marque avec force le spectateur.

En dehors de Corinne Winters, la salle salue tous les interprètes réunis pour cette production de Katia Kabanova. La jeune mezzo croate Ena Pongrac, membre du Jeune Ensemble de l’Opéra de Genève, livre une prestation enchanteresse d’une voix souple, chaude et limpide, tout en abordant le personnage de Varvara avec toute la fraîcheur de la jeunesse et une juste sensibilité. Son amoureux Vana incarné par le ténor anglais Sam Furness se hisse à ce même niveau, sa voix claire et toute en nuances, s’accordant bien à celle de sa partenaire pour incarner les seules pages un rien voluptueuses de la partition.

Le ténor Ales Briscein campe Boris, le fugitif amant de Katia, avec tout le lyrisme requis et ce timbre slave qui donne tout son caractère à ce personnage lui aussi un peu veule, aux ordres de son tonitruant oncle Dikoj. Celui-ci est interprété avec force et vigueur par le baryton Tómas Tómasson, qui n’hésite pas à forcer ses moyens habituels et amplifier son grave pour paraître plus terrible. Ce dernier mot caractérise au mieux Kabanikha, femme castratrice et oppressante, toujours à surveiller les faits et gestes de son fils Tikhon et à le rudoyer. Cet amour exclusif sent ici le souffre lorsqu’elle tente de lui arracher au deuxième acte un baiser qui n’a rien de maternel. Figure crépusculaire et morbide, Elena Zhidkova confère au personnage de Kabanikha une silhouette étriquée et comme crispée dans une robe bien peu attrayante de couleur marron. Sa voix de mezzo, un peu marquée par le temps, se glisse sans concession dans les interstices que Janacek a volontairement concédés à ce personnage moins développé au plan strictement vocal que celui assez proche de Kostelnicka dans Jenufa. Magnus Vigilius revêt les oripeaux de Tikhon, assommé par sa mère, mais aussi sincèrement amoureux de son épouse Katia. Le ténor danois donne une lecture à la fois bouleversante et pleine d’abnégation de cet homme sans réel caractère, presque incapable de se révolter, utilisant toutes les ressources de sa voix de ténor lyrique aux fins de sa composition. Le solide baryton russe Vladimir Kazako donne un relief certain au personnage fugitif de Kuligin, tandis que Natalia Ruda, mezzo ukrainienne qui a dû fuir son pays et est accueillie en résidence au Grand Théâtre de Genève, et Mi-Young Kim se chargent avec un talent certain des petits rôles de Feklousa et Glasa.
Chef invité principal de l'Orchestre Philharmonique Tchèque, Tomas Netopil révèle dès les premières mesures de l’opéra ses affinités profondes avec la musique de Janáček, mettant en valeur le côté symphoniste de la partition tout en lui conférant une unité stylistique remarquable et fouillée. Le cours majestueux et immuable de la Volga se déploie sous sa direction, donnant tout son sens au drame humain. L’Orchestre de la Suisse Romande répond sans réserve à toutes ses sollicitations, ainsi que le Chœur (dirigé par Alan Woodbridge), pour sa part simplement présent au troisième acte de l’ouvrage. Ce spectacle remarqué, particulièrement abouti reçoit un accueil enthousiaste du public, saluant avec une ferveur toute particulière Corinne Winters et Ena Pongrac.
Cette production sera par ailleurs présentée dans le cadre du huitième Festival Janáček de Brno qui se déroulera en novembre prochain, conjointement avec une autre approche de l’ouvrage, venant elle du Théâtre National de Prague dans une mise en scène signée Calixto Bieito et sous la direction musicale de Jaroslav Kyzlink. Assurément, une passionnante confrontation en vue.

Parler naturellement le Janácek

Charles Sigel - ForumOpera.com - 23 octobre 2022

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Dire d’abord la splendeur de l’orchestre et de la direction musicale de Tomáš Netopil : dès les premiers frémissements des cordes graves du Prélude, auxquels répondent les coups de boutoir des timbales et les appels fatidiques des trombones, avant que ne survienne le grand thème aux cordes, qui à la fois sera celui de la Volga et de Katia, cette lecture fouillée, chambriste, attentive aux timbres, souple, respirante, convainc et l’on pressent que ce sera un Orchestre de la Suisse Romande des grands jours…
Partition palpitante, pointilliste, que soulèvent de grandes vagues effusives qui retombent vite, comme les espoirs, les illusions de Katia.

Une Bovary russe
Deuxième émerveillement, pourquoi ne pas le dire tout de suite : Corinne Winters. On l’avait beaucoup aimée en Jenůfa, elle est une Katia à la fois fragile, frémissante, farouche, aspirant désespérément à la liberté et à l’amour, une Bovary russe, écrasée par le poids des convenances et de la fatalité. Mince silhouette en chemise de jour et bottes fatiguées, elle habite le plateau de sa présence désemparée.
Que dire de la voix ? Elle semble parler naturellement le Janáček. Affaire de couleurs vocales évidemment, avec quelque chose de nativement mélancolique dans le timbre. L’accablement des jours, les désirs d’évasion, la peur du péché, les bouffées d’insolence, le désir exaltant puis réprimé, tout cela passe par la grâce d’une projection, d’une incandescence, d’une puissance étonnantes venant d’une silhouette si frêle. Et puis, surtout, ce naturel, cette évidence…
Aucun pittoresque dans la mise en scène de Tatjana Gürbaca, qui se resserre sur le drame de Katia, sa passion absurde pour le pâle Boris, le poids des relations familiales et sociales. Nous n’avions été que modérément convaincu par la scénographie de sa Jenůfa genevoise et nous avons le souvenir d’un énorme escalier de bois qui encombrait la scène et gênait les mouvements.
Ici, tout s’inscrit dans une boîte claire, qui pourrait suggérer une terrasse sur la Volga. Et d’ailleurs avant le lever de rideau (virtuel) on voit en projection au fond et sur les côtés l’immense fleuve aux flots calmes. Qu’ensuite on ne verra plus, seul l’orchestre le suggèrera.

Focale sur les voix et sur les âmes
Cette boîte lumineuse, très éclairée, outre qu’elle a la vertu acoustique de resserrer la focale sur les voix, s’ouvrira par le fond pour révéler un prolongement en perspective, qui pourra figurer une chambre où Katia et Boris réfugieront leurs amours clandestines.
Ce décor (de Henrik Ahr) est d’abord un espace mental, le lieu d’enfermement des consciences, et la scène finale en fera une manière de cour de prison, ou plutôt d’asile.
Les acteurs-chanteurs se déplacent sur un plan très incliné, qui les met en danger, en tout cas en inconfort (et au salut le chef d’orchestre, moins habitué qu’eux, partira en glissade et manquera de peu s’envoler dans la fosse…)

Couples en miroir
Parmi les thèmes récurrents de la mise en scène, celui du miroir, d’ailleurs suggéré par le livret. Au couple central Katia-Boris, répond le couple Varvara-Kudrjaš : Varvara est l’amie, la confidente, la complice, l’alter ego frivole et flirteuse, Kudrjaš est l’instituteur du village, esprit positif et « moderne », reflet du compositeur peut-être. Ena Pongrac et Sam Furness, elle mezzo au timbre juvénile, lui ténor lyrique lumineux incarnent avec clarté ce couple à la sensualité décontractée (ils sont bien les seuls dans ce contexte). C’est Kudrjaš qui, après l’orage du troisième acte, se lancera dans un étonnant éloge du paratonnerre, auquel l’obtus Dikój répondra que les orages sont une punition divine.

A gros traits
Dikój et la Kabanikha, la belle-mère, composent l’autre couple-miroir. Dont la mise en scène accentue caricaturalement le grotesque. C’est d’ailleurs assez farce de voir Tómas Tómasson, qui fut sur cette scène le Wotan d’une mémorable Tétralogie, noircir sa voix à plaisir et dessiner une silhouette d’abruti passablement inquiétant, un peu lubrique quand il n’est pas tyran domestique.
La scène nocturne où, ivre, il entreprend de lutiner la vieille (ce qui, dirons-nous, tord un peu le bras du livret, mais admettons…) est un grand moment grimaçant et de pas très bon goût.

Une belle mère hallucinée
Le rôle de l’oppressante belle-mère, Marfa Kabanova, est moins développé que celui de la Kostelnička dans Jenůfa et Janáček ne lui propose guère qu’une panoplie de phrases anguleuses, d’expansion assez courte. Elena Zhidkova supplée à cette peut-être frustration par une composition saisissante, comme hallucinée, silhouette étriquée d’un conformisme grinçant, tyrannisant son fils débile, en petite robe de confection (costumes vintage de Barbara Drosihn).
Il y a un parti pris d’excès dans la lecture de Tatjana Gürbaca. Le fils soumis, Tikhon, est parfaitement ridicule, grand échalas en complet trois-pièces marronasse, totalement sous le joug de sa mère. Faut-il que la pauvre Katia soit en mal d’affection pour lui faire de telles démonstrations d’affection (et pour tout dire rampe sur lui) au moment de son départ. D’où la pique de la belle-mère : « Impudente ? Est-ce ton amant que tu quittes ? » Magnus Vigilius dessine avec abnégation la silhouette que lui propose la mise en scène.

Les sincères
On l’a compris, Tatjana Gürbaca pour mieux mettre en évidence l’authenticité, l’honnêteté ou l’humaine faiblesse des Katia-Varvara-Boris-Kudrjaš surligne sans complexe les ridicules, la sottise, la mesquinerie des Kabanikha-Dikój-Tikhon. C’est un parti pris : les marionnettes d’un côté, les sincères de l’autre. Parti pris qui ne tient que par la grâce, la vérité, de la composition de Corinne Winters.
Rien n’est plus charmant que de voir Varvara et Katia jouer à la mariée, comme des enfants attardées, se parant d’amples jupons de plumetis froufroutant, vaporeuses entorses à la grisaille de leur quotidien. Rêver sa vie, pour échapper au piège du mariage et  se souvenir de l’enfance : « Maman m’habillait comme une poupée... J’aimais passionnément me rendre à l’église…. »
Celle sincérité, cette vérité, on les entend dans la voix de Corinne Winters, dans les lignes musicales que dessine Katia. Elle est d’ailleurs la seule à qui le compositeur réserve de longues interventions et d’amples phrases lyriques que soutiennent les cordes, comme des respirations dans la marqueterie de mots et de micro-évènements orchestraux de cette partition. Et le chef respire avec elle.

Duo transgressif
La question du mariage est continûment en arrière-plan de cet opéra (comme de Jenůfa d’ailleurs). Celui de Janáček n’avait jamais été idyllique. L’étonnant est qu’il écrit ce drame absolu de l’incompréhension, de l’incommunicabilité, du désespoir matrimonial, alors qu’il vit une idylle tardive et vraisemblablement platonique, en tout cas exaltée, avec une jeune femme plus jeune lui de trente-huit ans (il en a soixante-sept).
Alors qu’il est pour la première fois de sa vie parfaitement heureux, il donne cette partition tragique. Pourrait-on dire que Katia, c’est lui, de même que Mme Bovary c’est Flaubert, comme on sait ? En tout cas, les tourments et les palpitations de l’amour, c’est par elle qu’il les fait chanter.
Boris est un bonhomme assez plat, nostalgique de lointaines racines nobles qu’il aurait, rêvant d’aller vivre à Moscou tel un personnage de Tchekhov, mais dépendant économiquement de son oncle Dikój… Il est tombé amoureux d’une apparition lumineuse qu’il a vue à l’église, une femme mariée… C’est dire que la hantise de transgresser la loi divine et tout ce qui pèse sur cette petite communauté mesquine et étouffée préside dès le début à cette liaison.
Le duo d’amour Katia-Boris est l’un des grands moments de cet opéra. Un immense, un interminable silence le précède, comme si Tomáš Netopil voulait en marquer la solennité ! C’est là qu’on pourra admirer la clarté du timbre, le lyrisme très clair d’Aleš Briscein. Combien de circonvolutions avant qu’il ose lancer son éclatant « Je vous aime plus que tout au monde », et qu’elle lui réponde dans une phrase qui montera jusqu’au si bémol « Ta volonté me gouverne ». Alors une longue mélodie du cor s’alliant aux violons puis aux cordes graves enveloppera d’harmonies suaves ce baiser.
C’est l’un de ces moments où l’on a le sentiment, notamment parce que l’OSR sous la baguette de Tomáš Netopil semble parler naturellement le Janáček, d’une symphonie avec voix obligées.
Et par un singulier effet de mise en scène on verra Katia et Boris sortir du cadre (de scène) comme pour suggérer qu’ils se libèrent des conventions sociales. A l’extrême fin de l’opéra, Katia en sortira une seconde fois, mais ce sera pour plonger dans la Volga.

Seule vivante
On le sait, cet opéra est démarqué d’une pièce d’Ostrovski, L’Orage. C’est à la faveur d’un orage (et l’eau tombant des cintres sur les parapluies et sur le sol ajoutera un singulier effet de réel) que Katia avouera son crime, sa transgression. Dès lors, il n’y aura d’autre issue pour elle que la mort.
Très saisissante la dernière scène. Déchirante, même.
Elle se déroule (en principe) au bord de la Volga, qui coule indifférente aux malheurs des hommes et des femmes. Katia est seule, d’abord. Elle se morfond, ressassant son péché, elle attend que le Bon Dieu vienne lui donner la mort, mais il ne vient pas. C’est Boris qui survient pour lui faire ses adieux, son oncle l’envoie en Sibérie pour affaires. « Ne te tourmente pas pour moi », lui dit-elle. « Il s’agit bien de moi ! Je suis libre comme l’air », répond-il stupidement. Ou cruellement.
Pendant toute cette scène, alors qu’on entend une fois de plus des oiseaux chanter à l’orchestre, oiseaux qui sont à l’image des rêves d’envol et de bonheur qui furent les siens, Katia ne sera pas seule.
Outre le décidément lamentable Boris, on voit en arrière-plan, tournant en rond, tous les autres personnages répéter mécaniquement le même geste : Dikój sort un objet de sa poche, le contemple, l’y remet, fait quelques pas, va croquer dans une pomme, et revient s’asseoir avant de recommencer ; Tikhon refait inlassablement son nœud de cravate (rouge) ; la Kabanikha, hébétée, hallucinée, robotique, va se regarder dans le miroir que lui tend Glacha la servante, revient, y retourne ; Kouliguine montre un livre à Kudrjaš… L’image qui vient à l’esprit (peut-être fausse), c’est celle de la cour d’un asile où tourneraient quelques monomaniaques.

Autre idée : qu’abandonnée par son amant incertain, Katia serait la seule vivante parmi ces morts. Vivante parce qu’elle a connu l’amour vrai.
C'est réconciliée avec la nature qu'elle mourra : « Tout est tellement silencieux, tout est tellement beau… mais il faut mourir… » Au loin, on entendra un chœur à bouches fermées.
C’est la Volga qui soupire, précise Janáček.
Exceptionnel spectacle, l’un de ceux, assez rares, où tout est en cohérence, l’œuvre, la distribution, la mise en scène, l’esprit de la direction musicale.
Et la justesse de l’émotion.

«Katia Kabanova», sobre et puissante au Grand Théâtre

Rocco Zacheo - Tribune de Genève – 1 novembre 2022

source: https://www.tdg.ch/katia-kabanova-sobre-et-puissante-au-grand-theatre-223440268…

 

Plongé dans une épure scénique saisissante, le drame de Janacek conquiert les esprits avec une direction de jeu soignée et une distribution de très haut vol.  

Simplicité apparente
Et c’est aussi par cette histoire morave que le compositeur tchèque fait son retour au Grand Théâtre, en quasi-habitué. Il revient ces jours-ci – après son bouleversant «Jenufa», monté en mai dernier – avec un ouvrage traversé par une trame noire et étouffante, calqué sur la célèbre pièce «L’orage» d’Alexandre Ostrovski. À une saison d’intervalle, une sorte de diptyque du malheur se dessine dès lors, à travers un choix de programmation judicieux, renforcé dans sa cohérence par la présence d’une seule et unique signature, celle de la metteuse en scène allemande Tatjana Gürbaca et de son équipe. 
Aujourd’hui, comme en mai, on est conquis par la lecture que livre la Berlinoise, dont l’approche à la simplicité apparente recèle des atouts qui se dévoilent sans coup d’éclat, en toute discrétion. Que nous dit donc cette «Katia Kabanova»? Que ses intrigues parviennent à garder toute leur puissance dans un espace aux traits spartiates. Que sa trame ne perd pas une once de son énergie dans un décor à l’épure radicale, où la déclivité du plateau et les lignes de fuite que dessinent les parois latérales en bois clair offrent un paysage graphique épuré. L’élégance qui s’en dégage offre beaucoup de place à l’imagination du spectateur, confronté à la quasi-immobilité des scénographies (Henrik Ahr), dont les volumes sont tout juste bousculés par des alcôves s’ouvrant par intermittence dans les profondeurs du plateau. 
Placé dans cette nudité, le drame de l’héroïne de Janacek peut alors se déployer par la force du jeu, par l’incarnation des personnages. Et en cela, la direction précise et fine de Tatjana Gürbaca éclaire dans tous ses traits et ses recoins le dilemme que vit Katia. Un choix se présente à elle, qui la pousse à se déterminer entre la fidélité à un mari terne et absent et la tentation de l’adultère avec Boris, figure à la force brute. Son basculement dans le péché lui vaudra la condamnation des villageois. L’épaisse chape morale et religieuse montre alors toute son emprise. Écrasée par le remords, incapable de retrouver la vie d’antan aux côtés d’un concubin fade et d’une belle-mère haineuse, notre héroïne décide alors d’en finir. «Les oiseaux viendront se poser sur ma tombe», se console-t-elle avant de se jeter dans la Volga, dans une dernière scène dévastatrice. 
La production genevoise ne laisse que peu d’espace à la sensualité des êtres, aux tempêtes amoureuses que traversent Katia et Boris. L’accent est placé ailleurs, sur ce combat intérieur qui ronge l’héroïne. Sur ce menu peuple aussi, qui assiste dans une sidération quasi démente aux aveux d’adultère et qui se fige dans la foulée en répétant sans cesse des mouvements d’automates, qui en nouant et dénouant sa cravate, qui en se livrant à des soliloques d’un air totalement déconnecté, qui en reproduisant à l’infini une crise cardiaque. 

Authenticité troublante
L’engagement de la distribution donne à ce parti pris une force de frappe certaine. S’ajoutent encore les qualités vocales du plateau, de haut vol et sans aucun point faible. Dans le rôle-titre, Corinne Winters se distingue particulièrement ici, comme ce fut le cas dans «Jenufa», en parfaite tragédienne. La voix généreuse au timbre capiteux campe un personnage troublant d’authenticité. À ses côtés, on relève la performance accomplie, à l’élan juvénile contagieux, d’Ena Pongrac, dans la peau d’une Varvara lumineuse et précise. Leurs amoureux respectifs, Magnus Virgilius (Tichon), Ales Briscein (Boris) et Sam Fourness (Vana) ont livré, avec Elena Zhidkova (Kabanikha) – étonnamment peu caractérisée dans son aigreur –, des prestations tout aussi convaincantes. Un mot enfin pour Tomas Tomasson, dont le timbre boisé et la présence scénique brute conquièrent les pavillons et les yeux à chacun de ses passages au Grand Théâtre. 
Dans la fosse, la géniale inventivité de l’écriture de Janacek a trouvé en Tomas Netopil un chef connaisseur – il dirige le festival dédié au compositeur à Brno. Sous sa direction, l’Orchestre de la Suisse romande a conféré des accents prononcés à la pièce, avec ses archets et ses bois sombres et soyeux, et sa lecture maîtrisée et empreinte de grâce. Voilà qui fait de cette «Katia Kabanova» un spectacle à ne pas manquer. 

Diese Frau ist nicht bloß ein Opfer!

Lotte Thaler – Frankfurter Allgemaine.com - 24 octobre 2022

source: https://www.faz.net/aktuell/feuilleton/buehne-und-konzert/oper-katia-kabanova-i…

 

Leoš Janáčeks Oper „Katia Kabanova“ erlebt in Genf eine rundum überzeugende Aktualisierung durch die Regie von Tatjana Gürbaca.

Das hat die Oper dem Roman voraus: In nur neunzig Minuten kann sie von Liebessehnsucht, Ehebruch, Ekstase und Freitod erzählen, während die einschlägigen Romane von Leo Tolstoi oder Gustave Flaubert dafür viele Stunden Lesezeit in Anspruch nehmen.
Die Vorlage für die Oper „Katia Kabanova“ ist jedoch kein Roman, sondern das Schauspiel „Das Gewitter“ von Alexander Ostrowski, das der Komponist Leoš Janáček selbst ins Libretto umarbeitete. Wer wüsste besser Bescheid, was in Frauen vorgeht, als der mährische Feminist, der im wirklichen Leben ein Unsympath war? Die Regisseurin Tatjana Gürbaca teilt jedenfalls nicht nur Janáčeks Seeleneinsicht, sondern treibt auch seine Dramaturgie der Konzentration weiter.
Welches erhellende Kammerspiel daraus hervorgegangen ist, lässt sich derzeit am Opernhaus in Genf erleben, auf einer abstrakten, zentralperspektivischen Bühneneinrichtung von Henrik Ahr, die durch die Lichtgestaltung von Stefan Bollinger jeweils lokalisierbar wird. Und zentral ist die Perspektive auch in der Personenregie auf den brodelnden Gefühlsvulkan Katia gerichtet, den die mädchenhafte Corinne Winters nach ihrem Salzburger Debüt in dieser Rolle in Genf übernommen hat: eine stimmliche und darstellerische Anverwandlung, von der Janáček geträumt haben dürfte.
Kaum ist sie auf der Bühne, beherrscht sie mit ihrer Ausstrahlung alles um sich herum, inklusive Publikum. Mit Ostrowskis Gesellschaftskritik hält sich Gürbaca nicht auf, die hatte schon Janáček selbst gegenüber der Vorlage reduziert.

Überspitzte Charaktere
Katias gefürchtete Schwiegermutter Kabanicha und der Kaufmann und Despot Dikój werden grotesk überzeichnet: Elena Zhidkova als welk gewordene Giftspritze, Tómas Tómasson, eine Hüne von Mann, als ungehobelter Prolet. Noch weniger verfällt die Regisseurin in den modischen Opfermodus, wonach immer die anderen und vor allen die Männer schuld sind. Katias Ehemann Tichon und ihr Geliebter Boris, gesungen vom tschechischen Vorzeigetenor Ales Briscein, sind beide schwache Charaktere, Tichon ein Müttersöhnchen, Boris ein Opportunist, aber angeklagt werden sie nicht.
Eher bemitleidet, wenn Tichon, gesungen von dem dänischen, Janáček-erfahrenen Tenor Magnus Vigilius, in einen Schreikrampf verfällt, sobald Katia ihren Ehebruch öffentlich macht, und schließlich, psychisch gestört, im Wiederholungszwang, seine Krawatte zu binden, erstarrt. Er ist übrigens der Einzige, der unter seinem Dreiteiler Krawatte trägt, eigentlich mehr Henkersstrick. Sonst steckt unter den saloppen Anzügen der jüngeren Männergeneration ein demonstratives T-Shirt (Kostüme: Barbara Drosihn).

Der Schlüssel zur Erkenntnis
Wie genau die Regisseurin arbeitet, zeigt sich in der buchstäblichen Schlüsselszene im zweiten Akt, wenn ein unscheinbares Requisit zum Symbol wird: Ein Schlüssel löst Katias existenzielles emotionales Erkenntniserlebnis aus. Gerade hat sie das Desaster in ihrem Innern beklagt, da greift sie nach dem Gartenschlüssel und lässt ihn lange an einem Finger auspendeln, als wäre er Herrscher über Leben und Tod.
Noch entscheidet sie sich für das Leben, für ein Treffen mit Boris. Erhalten hat sie den Schlüssel von Warwara, der Pflegetochter im Hause Kabanicha, mit der sie schwesterlich verbunden ist, wie schon im ersten Akt ausinszeniert: In vollkommener Übereinstimmung mit der auch harmonisch ausufernden Musik aus dem Orchestergraben beschreibt Katia Warwara ihr Leben vor der Ehe, das Glück ihrer Jugend, in zärtlich verträumten, schwärmerischen und explosiven Phrasen, wobei sich allmählich die Grenzen zwischen Trugbild, Märchen und Erinnerung verwischen, bis Katia von der Gegenwart eingeholt wird und eine Spaltung in sich wahrnimmt.
Ab diesem Moment wird Warwara mit der elfenhaft flinken, stimmschönen Mezzosopranistin Ena Pongrac zur eigentlichen Drahtzieherin des Stücks, in der Hoffnung, Katia würde bald ebenso tanzend in die Freiheit finden wie sie selbst.

Begeisternde Liebesszenen
Gürbaca wertet die Rolle der Warwara sogar noch weiter auf, wenn sie sie allein nach Moskau ziehen lässt, ohne ihren Geliebten Kudrjasch, wie im Stück vorgesehen. Nötig wäre dies nicht, denn Kudrjasch ist zumal in der Verkörperung durch den liebenswürdigen Sam Furness die einzige positive Männerfigur der Oper.
Grandios dargestellt werden die Liebesszenen der beiden Paare Katia und Boris, Warwara und Kudrjasch auf den simultanen Spielflächen der weit nach hinten ansteigenden Bühne.
Zärtlich und einander innig zugetan genießen die Liebenden ihr Glück, bis sogar der Raum selbst wie eine Wiege zu schaukeln beginnt. Und wieder staunt man über die Musik, die eine lange Generalpause macht, weil Boris bei seiner ersten Begegnung mit Katia nicht weiß, was er ihr sagen soll. Aber dann gibt es kein Halten mehr, die Musik stürmt in die höchsten Töne des Tenors, zittert im Tremolo, glüht und verklärt.
Der Fachmann für das tschechische Repertoire, Tomaš Netopíl, leitet den Chor des Genfer Opernhauses und das Orchestre de la Suisse Romande mit Noblesse und großer Rücksicht auf die Sänger, die sich nie überanstrengen müssen und dem Melos der Sprache ganz natürlich folgen.
Und eine letzte Stufe psychologischer Einsicht erreicht Gürbaca im Finale, wenn Katia einen Prozess durchmacht, an dessen Ende sie für sich den Freitod wählt – als einziges Mittel, mit sich selbst wieder in Frieden zu geraten, und verbunden mit der visionären Hoffnung, wieder pantheistisch zur Natur zurückzufinden, aus der sie gekommen ist. Da hört man die Vögel flattern, während am vordersten Bühnenrand Jacke und Stiefel zurückbleiben. Unergründlich fließt die Wolga weiter.