Maria Stuarda

Gaetano Donizetti
Maria Stuarda
Tragédie lyrique en deux actes
du 17 au 29 décembre 2022

Direction musicale Andrea Sanguineti
Mise en scène Mariame Clément
Scénographie Julia Hansen
Costumes Mathieu Guilhaumon
Lumières Ulrik Gad
Dramaturgie Clara Pons
Direction des chœurs Alan Woodbridge
   
Maria Stuarda Stéphanie d’Oustrac
Elisabetta Elsa Dreisig
Roberto Edgardo Rocha
Talbot Nicola Ulivieri
Lord Cecil Simone Del Savio
Anna Kennedy Ena Pongrac

Chœurs du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse Romande

Coproduction avec l’Opéra Royal du Danemark, Copenhague

Grand Théâtre de Genève

Vos critiques

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Revue de presse

Maria Stuarda à Genève

Jules Cavalié – asopera.fr – 25 décembre 2022

source: https://www.asopera.fr/fr/productions/4408-maria-stuarda.html

 

L’année dernière, dans ce même théâtre, à l’issue de la représentation d’Anna Bolena, on avait été plutôt séduit par la production, en restant toutefois sur notre faim. Cette Maria Stuarda, fait hélas pencher la balance dans l’autre sens. Si le dispositif scénique de Julia Hansen conserve sa poésie avec ses éléments bleu céruléen et la végétation luxuriante qui envahit le dispositif scénique, la direction d’acteur est proche de l’inanité, et surtout la lecture de l’œuvre au prisme du regard d’Elizabeth sur Marie vide la reine d’Angleterre de sa substance. De son bureau à l’avant-scène à cour, Elizabeth est en proie à ses propres projections sur Marie : rivale politique, elle craint surtout la séductrice, et l’esprit libre de son alter ego écossaise vivant avec un naturel qu’elle lui envie. Le second tableau de l’acte I est représentatif : Marie Stuart y apparaît dans une robe fluide, sans manches, allongée dans la forêt, vivant une osmose bucolique avec la nature alors qu’Elizabeth surgit enserrée dans une armure. Dès lors, la reine d’Angleterre perd sa dimension de personnage pour devenir un point de vue sur l’autre reine, chassant ainsi toute tension dramatique : quelle confrontation puisqu’Elizabeth est dépourvue de personnalité ? Ainsi, à la fin, la reine ne s’entretient pas avec son conseiller Lord Cecil, mais celui-ci prend les traits de son père (on voit d’ailleurs plus là un Henry VIII sorti de Gilbert & Sullivan que le terrible souverain anglais), et la scène n’est qu’un souvenir d’enfance qui revient en mémoire d’Elizabeth. À force de vouloir ancrer l’action dans une durée qui va au-delà du temps de la pièce, Mariame Clément finit par dissoudre complètement le nœud dramatique, on assiste même aux ébats d’Elizabeth et de Leicester, ce qui fait de ce dernier un manipulateur raté, là où la pièce réclame un infatigable défenseur de la justice.

Malheureusement les égarements de la mise en scène ne sont que très partiellement rattrapés par les prestations vocales. À Elsa Dreisig revient la tâche d’assumer un rôle que la mise en scène extériorise complètement à sa propre histoire. Elle assure sa partie : la voix s’étoffe, la vocalisation se fait plus souple, l’italien plus précis, et surtout ce que le style n’obtient pas encore, l’incarnation le donne. Artiste sensible et intelligente elle parvient malgré tout à composer un personnage tenant compte du livret et de son contraire – c’est-à-dire la mise en scène.
Soulignons encore ici les qualités de tragédienne de Stéphanie d’Oustrac, sa capacité à occuper la scène, car les louanges doivent bien vite s’arrêter tant cette vocalité lui semble étrangère. Notre curiosité artistique ne se borne pas à « vérifier » une réalisation stylistique, mais encore faut-il donner une image – même radicalement perturbante – de la partition.
Edgardo Rocha est plus dans son élément, mais il manque de couleurs et de consistance pour ce personnage favorisé par le destin, qui choisit délibérément l’ombre. On sera mieux servi du côté des clefs de fa, par Nicola Ulivieri en Talbot, au timbre de bronze quoiqu’un peu en force, mais surtout pas le Cecil de Simone Del Savio. La voix bien charbonneuse et souple, il démontre un beau sens de la ligne jouant à la fois du texte et de la couleur. Saluons aussi la bonne prestation d’Ena Pongrac en Anna Kennedy.

            Stefano Montanari, qui dirigeait Anna Bolena, a dû déclarer forfait pour cette session, il est remplacé par Andrea Sanguineti, qui se contente d’accompagner sans mettre en valeur ni la poésie, ni l’architecture de la partition.

            Monter la trilogie Tudor, fleuron du répertoire belcantiste, est une intention louable, mais sur les bords du Léman le péché guidé par une bonne intention ne reçoit pas (complètement) le pardon…
 

Maria Stuarda - Grand Théâtre Genève

Irma Foletti – Anaclase.com - 24 décembre 2022

source: http://anaclase.com/chroniques/maria-stuarda-marie-stuart-0

 

Après avoir donné, la saison dernière, le premier volet Anna Bolena, le Grand Théâtre de Genève poursuit, en cette fin d’année, sa Trilogie Tudor de Donizetti. Comme annoncé avant le début de l’entreprise, le projet est confié à la même équipe artistique, bien qu’à l’exception notable, cette fois, du chef d’orchestre, Andrea Sanguineti remplaçant désormais Stefano Montanari, précédemment au pupitre.

Les tableaux successifs se déroulent à nouveau dans les décors élégants de Julia Hansen, toujours en charge également des costumes, principalement une vaste et noble salle aux tons bleutés. Mais c’est un espace très végétal qu’on amène au centre du plateau, avec pelouses, petits modelés et plusieurs arbres qui constituent une forêt, pour l’entrée en scène de l’héroïne. Certaines idées et images vues au premier épisode sont reprises, confirmant Elizabeth comme la figure centrale de la production du cycle. On y voit les deux personnages muets ajoutés de reine en petite fille et de sa version bien plus âgée.

 

La charge sexuelle est, une fois de plus, présente dans la mise en scène de Mariame Clément, plutôt décalée pendant le premier duo entre Elisabetta et Roberto, quand celui-ci, pendant qu’il lui décrit les charmes de Maria Stuarda, la déshabille, la caresse et qu’ils s’enlacent sur la table. Les deux remettent d’ailleurs le couvert au second acte, alors que l’amant demande à la reine d’épargner la vie de la souveraine écossaise, tout en lui caressant le sexe. D’autres petites touches d’originalité ou de modernité sont énigmatiques – pas, toutefois, la première image de Maria déjà la tête sur le billot, pendant l’Ouverture, déjà vue dans d’autres mises en scène. En revanche, on pourra chercher la signification du téléphone sur la table en avant-scène (Elizabeth II à sa table de travail ?) ou encore des deux cameramen qui filment l’action finale (des images d’archive pour l’Histoire ?).

Les costumes contribuent à la curiosité, d’abord Elisabetta en habits serrés et dorés, parfois cuirassés, plutôt éloignés de l’imagerie traditionnelle des reines Tudor, coiffure rousse plaquée en arrière évoquant, au choix, David Bowie ou Régine. Sa cousine au deuxième degré porte un manteau en tartan dont l’allure de plaid ne contribue guère à valoriser le statut royal, qu’elle troque pour une cape noire sur robe blanche dans le tableau de son exécution, faisant alors penser irrésistiblement à Iphigénie ou Norma.

Défendant le rôle-titre, Stéphanie d’Oustrac inquiète dans la cavatine d’entrée Oh, nube! Che lieve per l’aria ti aggiri : le chant est franc et plein, les moyens substantiels, mais l’intonation reste approximative et le style passablement éloigné du répertoire belcantiste. Ses apparitions ultérieures sont heureusement meilleures, l’actrice s’investissant dans le drame, notamment dans la confrontation avec Elisabetta en fin de premier acte (Figlia impura di Bolena…) puis sa montée vers l’échafaud où elle chante avec ses tripes. En Elisabetta Elsa Dreisig fait valoir sa voix ample de soprano, facile dans les aigus et homogène en qualité sur toute l’étendue de la tessiture, avec des graves bien exprimés. L’autorité du personnage passe bien et les variations des reprises d’arie sont bienvenues, tout comme celle de sa consœur. Beaucoup moins sollicitée dans le rôle d’Anna, la nourrice de l’Écossaise, la jeune Ena Pongrac déploie un instrument sain et séduisant, de couleur charmante.

Côté masculin, le ténor Edgardo Rocha (Roberto, comte de Leicester) apparaît en bonne forme et compense un volume modéré par l’élégance d’une ligne de chant soignée, les aigus concentrés faisant mouche. Les voix graves de la basse Nicola Ulivieri (Talbot) et du baryton Simone Del Savio (Lord Cecil) sont également bien en place, puissante projection pour le premier et noirceur du timbre pour le second, bien à propos. Préparé par Alan Woodbridge, le Chœur du Grand Théâtre de Genève apporte, quant à lui, ses contributions de qualité.

L’Orchestre de la Suisse Romande fait un sans-faute technique, mis à part un cor de temps à autre capricieux… L’ensemble est placé sous la baguette d’Andrea Sanguineti qui opte, par endroits, pour des tempi inhabituellement lents. Ceci est vrai dès un passage de l’Ouverture, ou encore dans la cabalette d’Elisabetta, solution de facilité pour la soliste mais qui dénature quelque peu le morceau. L’utilisation inhabituelle du pianoforte, déjà en place pour Anna Bolena et vraisemblablement voulu par le chef et violoniste Stefano Montanaro qui vient du monde baroque, a été reconduite pour le présent ouvrage. On entend donc parfois de petites notes, soit seules, soit en accompagnement d’un léguer tissu orchestral, procédé un peu anecdotique. C’est l’adjectif qui convient aussi à quelques choix de l’illustration visuelle, si l’on pense, par exemple, aux pas chorégraphiés par Mathieu Guilhaumon que doivent effectuer choristes et solistes en chantant – un pas en avant, un en arrière, sur le côté, etc., ou encore le ténor qui se hisse sur la pointe des pieds à chaque émission d’un aigu ; cela ne dure pas trop… heureusement !

 

Deux reines sans majesté

Claudio Poloni – ConcertoNet.com – 24 décembre 2022

source: http://www.concertonet.com/scripts/review.php?ID_review=15366

 

Aviel Cahn, directeur du Grand Théâtre de Genève, a eu l’idée de confier la « Trilogie Tudor » de Donizetti à la même équipe artistique. Le deuxième volet de ce triptyque, Maria Stuarda, est présenté pour les fêtes de fin d’année, après Anna Bolena en octobre 2021 et avant Roberto Devereux l’année prochaine.

On ne peut que saluer la décision de proposer des ouvrages somme toute assez rarement représentés et de créer des collaborations entre artistes sur le long terme. En revanche, faire appel à des chanteurs peu rompus au bel canto romantique est un choix hasardeux, qui se révèle finalement malencontreux. En effet, ce qu’on pressentait déjà dans Anna Bolena il y a un peu plus d’une année, se révèle encore davantage dans Maria Stuarda : Stéphanie d’Oustrac en Mary Stuart et Elsa Dreisig en Elizabeth Ire sont ici clairement à contre‑emploi. Ce n’est pas faire injure aux deux chanteuses que de lancer une telle affirmation, leurs qualités vocales étant par ailleurs largement connues et reconnues. Mais la première a une voix beaucoup trop lourde pour ce type de répertoire ainsi qu’un souffle trop court et elle est souvent fâchée avec la justesse, sans parler des vocalises approximatives, alors que l’émission et la projection de la seconde manquent d’envergure pour incarner totalement le personnage de la souveraine. Le grand duo enflammé qui termine la première partie, point d’orgue de l’opéra, marquant la confrontation entre les deux reines rivales qui se toisent, s’apostrophent et finissent par s’insulter, tombe à plat, faute de panache. Malgré tout, on admire l’émotion que réussit à transmettre Stéphanie d’Oustrac dans le rôle de la reine bafouée et on est séduit par la ligne de chant pure et claire d’Elsa Dreisig, une ligne de chant qui fait des merveilles dans d’autres répertoires.

En termes de bel canto, le seul qui parvient à tirer son épingle du jeu est Edgardo Rocha en comte de Leicester : phrasé impeccable, style irréprochable et vocalises éblouissantes, quand bien même les aigus sonnent parfois un peu serrés. Nicola Ulivieri et Simone Del Savio s’acquittent tous les deux de leur rôle respectif de Talbot et de Lord Cecil sans éclat particulier, mais sans démériter pour autant. Le chœur en revanche, superbement préparé par Alan Woodbridge, fait preuve une nouvelle fois d’une grande précision et d’une belle cohérence entre les registres. A la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, le jeune chef Andrea Sanguineti est particulièrement attentif aux chanteurs, redoublant d’efforts pour ne pas couvrir les deux interprètes principales, au détriment cependant de la tension dramatique.

L’intrigue se noue dans les beaux décors conçus par Julia Hansen, qui sont les mêmes que ceux d’Anna Bolena : des plateaux glissants font passer des appartements d’Elizabeth, qui donnent sur des arbres immenses au feuillage touffu, au parc dans lequel est retenue prisonnière Mary Stuart. La mise en scène très statique de Mariame Clément laisse souvent les chanteurs en plan sur le devant du plateau. Et surtout, on ne comprend pas bien la pertinence, à la fin de la représentation, de faire déambuler deux cameramen, une idée tellement galvaudée aujourd’hui. Un spectacle de fêtes plutôt décevant, malheureusement.

Une Maria Stuarda sans étincelles

Julia Le Brun – Diapason - 22 décembre 2022

source: https://www.diapasonmag.fr/critiques/a-geneve-une-maria-stuarda-sans-etincelles…

 

Cette nouvelle production s’inscrit dans le cadre d’une « Trilogie des Reines », conçue comme un tout, où les trois œuvres de Donizetti sont unies tant par leur distribution que par leur mise en scène.

En éclairant d’un jour nouveau la psychologie des personnages, Mariame Clément tente de donner un peu de corps à une intrigue assez légère, sans prétendre à la vérité historique. Elisabeth est ici une jeune reine tiraillée entre son désir d’affirmer son autorité, notamment par l’imitation de la figure paternelle (Henri VIII fait plusieurs apparitions), et la conscience de trahir son innocence enfantine, personnalisée par une petite fille déjà présente dans Anna Bolena.

Carapaçonnée d’or, portant pantalon et cheveux courts, son apparence très masculine contraste avec celle d’une Maria Stuarda présentée comme un idéal de féminité, à la fois sensuelle et maternelle dans sa robe rose et son tartan, accompagnée d’un petit enfant gambadant autour d’elle. Pour la touche d’authenticité, les costumes d’inspiration plus typiquement élisabéthaine sont réservés aux figurants et aux chœurs. Le décor de Julia Hansen combine quant à lui une élégante pièce close de style classique et un espace forestier, dont le coloris varie subtilement sous les belles lumières de Ulrik Gad.

Bien que visuellement séduisant, l’ensemble paraît un peu factice quand, çà et là, certains détails manifestent un second degré qui a tendance à oblitérer l’intensité dramatique de l’œuvre : cette gestuelle moderne mêlée à des danses Renaissance est, par exemple, plutôt malvenue. Surtout, on reste dubitatif devant ces cameramen qui filment la mort mise en abîme d’une Maria Stuarda présentée comme une sainte, au milieu de ses fidèles brandissant des banderoles.

Pas de feu d’artifice
Mais ce qui fait avant tout le succès d’un tel ouvrage, c’est la présence de belcantistes capables de se glisser dans la peau des deux reines rivales, grâce à leur jeu scénique et surtout l’intensité d’un chant vigoureux et virtuose. Or, ce soir, nous étions malheureusement loin du feu d’artifice attendu.

Si Elsa Dreisig est certes une artiste de talent, très appliquée, sa prestation s’avère prudente, quand Elisabeth réclamerait un chant autrement plus flamboyant. Il manque à son timbre juvénile, clair voire perçant, la profondeur nécessaire pour incarner ce personnage de souveraine puissante et impitoyable. L’aspect physique va de pair, car elle apparaît avant tout comme une jeune femme fragile et amoureuse, aux allures de garçon manqué.

Pas d’étincelles non plus du côté de Stéphanie d’Oustrac qui ne semble pas à sa place en Maria Stuarda. Certes, notre mezzo a la voix ronde et chaleureuse (bien qu’un peu engorgée), donne le change par une sensibilité qui lui permet de camper une héroïne assez touchante (surtout à l’acte III), fait preuve d’une certaine autorité dans la confrontation de la fin du II (un des seuls grands moments de la soirée). Mais le déficit de précision, tant dans la prononciation que dans les vocalises est patent, les aigus souvent trop durs, la justesse aléatoire : nous sommes loin des standards du bel canto.

Perfection des chœurs
Edgardo Rocha (Leicester) se doit de prouver qu’il est un grand séducteur, et s’y attèle aussi bien que possible (par des gestes parfois à la limite de l’obscénité) ; il reste cependant pénalisé par le manque de charme et de générosité d’un timbre trop pincé. Deux belles clefs de fa italiennes, Nicola Ulivieri, et Simone Del Savio, campent avec bonheur les conseillers des deux reines. On apprécie aussi beaucoup le chaleureux mezzo d’Ena Pongac (Anna), tout comme les chœurs du Grand Théâtre, parfaits de précision et d’homogénéité.

Si çà et là se distinguent quelques beaux solos de vents ainsi que les accents d’un pianoforte, l’Orchestre de la Suisse Romande reste trop absent, par manque de couleurs et d’ampleur sonore. Vie, relief et énergie font défaut sous la baguette d’Andrea Sanguineti, ce qui ne contribue guère à donner du souffle à un spectacle finalement assez terne.

 

Politik mit Sex, Stolz und Schmerz

Roland H. Dippel – Neue Musikzeitung – 22 décembre 2022

source: https://www.nmz.de/online/politik-mit-sex-stolz-und-schmerz-donizettis-maria-st…

 

Teil zwei von Gaetano Donizettis Tudor-Trilogie mit den unabhängig voneinander entstandenen Opern „Anna Bolena“ (Mailand 1830), „Maria Stuarda“ (Neapel 1834/Mailand 1835) und „Roberto Devereux“ (Neapel 1837) am Grand Théâtre de Genève. Stéphanie d'Oustrac brilliert als „Maria Stuarda“ mit kalkulierter Exaltation. Elsa Dreisig verkörpert in allen drei Produktionen Königin Elizabeth I. von England. Mariame Clément inszeniert mit einem dezidiert fraulichen Blick und sucht nach Stringenz zwischen den drei Opern. Andrea Sanguineti dirigiert weniger dramatisch als bei „Lucrezia Borgia“ in Essen.

In „Maria Stuarda“ steht Königin Elizabeth I. von England als Frau im physischen und politischen Zenit. Immer wieder erscheinen Doubles von ihr als Kind und Matrone, wie sich ihr Bild mit roten Haaren und Krinolinenkleid im kollektiven Bewusstsein eingenistet hat. Wichtig zu wissen: Die Regisseurin Mariame Clément interessiert sich besonders für die Knickmomente in Donizettis Opern, wo es für Frauen zwischen Privatheit und Politik bedenklich knirscht. Zweitrangig ist für Clément der Liebeskonflikt, den Giuseppe Bardari in seinem Libretto mit strikten Vereinfachungen aus Friedrich Schillers Trauerspiel „Maria Stuart“ gebaut hatte. Für die Zensurbehörden bot diese Adaption noch immer so viel Inhaltsdynamit, dass die Uraufführung als „Buondelmonte“ in Neapel 1834 und die Originalfassung erst 1835 an der Mailänder Scala erfolgte. Das dramatische Grundmuster von „Maria Stuarda“ blieb in der italienischen Oper bis Cileas „Adriana Lecouvreur“ (1902) gültig: Eine Frau tot, die Rivalin überlebt mit schweren psychischen Blessuren, der Mann dazwischen kommt relativ ungeschoren davon.

Auch der Ausstatterin Julia Hansen ist historisch-realistische Stringenz gleichgültig, was zu dekorativen, nicht immer sinnfälligen Bildern führt. Den Chor (Leitung: Alan Woodbridge) steckt sie in dunkle Renaissance-Hoftracht. Dieser kann sich erst in seiner großen Klageszene vor Marias letztem großen Auftritt aus einer dekorativen wie sängerischen Hölzernheit befreien. Hinter einem schlichten Raumquader befindet sich zu Elisabettas Fest in Westminster ein Laubwald-Panorama. Die Bäume werden später auf Fotheringhay Castle zum Symbol für die emotionale Balance und souveräne Fraulichkeit der dort inhaftierten Schotten-Königin Maria Stuarda. Hier hat sie wenigstens noch ihren kleinen Sohn Jacob zur Seite. Wie früher beim Regie-Patriarchat bleibt es aus Cléments Frauenperspektive also dabei, dass Elisabettas Rivalin Todesängste zwar intensiv durchleben muss, aber mit ihrem Gefühls- und Hormonhaushaut wesentlich besser dran ist als Elisabetta selbst. Letztere ist keine Machtfrau und dabei voll traumatisiert vom Kindheitsschock, dass der eigene Vater ihre Mutter enthaupten ließ. Am Ende tut es kaum etwas zur Sache, dass ein Kamerateam im kühnen Zeitsprung Marias Enthauptung aufzeichnet und deren Anhänger Empörungstransparente hochreißen. Das ist ein Wehrversuch, um das aus heutiger Perspektive zwiespältige Frauenbild des 19. Jahrhunderts erträglich zu halten.

Was bei Mariame Clément konzeptionell so klar wirkt, erscheint auf der Bühne im szenischen Weichzeichner. So wird Maria am Ende Beweisstücke ihrer Vergangenheit in Versöhnung mit dem Schicksal vernichten, während die im Reitdress auftretende Elisabetta merkbare Schwierigkeiten mit ihren erotischen Bedürftigkeiten hat. Vor der männlichen Sprache des Begehrens ihres zwischen beiden Königinnen pendelnden Liebhabers Roberto Leicester kapituliert Elisabetta trotz politischen Bewusstseins. Der hat also seine Hände öfter mal in ihrer Hose. Noch mehr Deutlichkeit bringt da nur die Sprache der Musik, zumal die zwei Bassbariton-Ratgeber für Maria und Elisabetta – Nicola Ulivieri (als der wichtigere Talbot) und Simone Del Savio  (Lord Cecil) – mit vokaler Homogenität und mit diplomatischer Austauschbarkeit durch die Szene schreiten.

Andrea Sanguineti hatte fast zeitgleich mit dieser „Maria Stuarda“ im Aalto-Theater Essen eine bezwingende „Lucrezia Borgia“ dirigiert. Mit dem Orchestre de la Suisse Romande agiert er weicher und verhaltener, weniger geschärft. Wie im mittleren 19. Jahrhundert noch üblich, gibt es im Orchester ein Klavier, obwohl die Zeit der Rezitative mit Tasteninstrument 1834 fast vorbei war. Dieses Klavier greift motivisch Prägnantes auf und stützt, was zu Donizettis Zeiten wegen knapper Probenzeiten äußerst sinnvoll war, die Sängerstimmen. Das klingt in einer Oper mit Orchesterrezitativen ungewohnt, aber auch apart und exotisch.

Sanguineti rollt seinen beiden Protagonistinnen den roten Teppich aus. Das Trio Elsa Dreisig, Stéphanie d'Òustrac und Edgardo Rocha war schon in anderer dramatischer Konstellation bei der Genfer „Anna Bolena“ am Zug. Wunderschön singt Rocha und bleibt interpretatorisch etwas unterbelichtet, weil Clément seine Partie als Mann und Stratege für ein Weichei hält. Vor Marias Hinrichtung greift der als emotionaler Panzerknacker eher unsystematische Leicester zum kleinen Fläschchen – Gift oder Medizin?

Schon durch Donizetti kompositorisch maßgeschneidert, wird die Konfrontation der Frauen zum Hauptanliegen und Höhepunkt des Abends – hier in der selteneren Konstellation mit hohem Sopran für Elisabetta, um die durchgängige Besetzung mit Elsa Dreisig in allen drei Teilen der Genfer Tudor-Trilogie zu gewährleisten, und einem Mezzosopran für Maria. Eine intensive Ergänzung bieten Elsa Dreisig mit hellem wie klarem, in der Höhe leicht kühler Stimme und ihre Partnerin. Die repräsentativen Szenen gelingen Dreisig im Gleichklang von Verbindlichkeit und Stärke. Doch Elisabettas Gefühle sind bei Dreisig so schwer zugänglich wie der Safe eines Schweizer Bankhauses. Trotz sängerischer Souveränität fehlt immer eine Nuance, wenn es um Sex, Stolz und Schmerz geht – oder um Kicks ins Anrührende und artistische Chuzpe für sängerische Drahtseilakte. Diese erlebt man dagegen von Stéphanie d'Oustrac im faszinierenden Mix aus Kalkül und Sophistication. Generell sind Koloratur-Feuerwerke aus Selbstzweck hier verpönt. Insofern ist alles bis zum Verzierungslauf von tiefer Mezzolage in magische Höhen, mit dem d'Oustrac ihre Partie finalisiert, Belcanto vom feinsten. D'Oustrac entfesselt ein frenetisches Farbspiel mit einem am vokalen Reißbrett entworfenen Präzisionsbarometer. Fast manieriert ist das und risikobereit. Denn d'Oustracs Überreiztheit geht bis an zerstörerische Grenzen, wo sie in letzter Sekunde kurz vor der lustvollen Selbstüberforderung die Bremse zieht. Weil das an den Signalstellen der ersten Arie, der Auseinandersetzung mit Elisabetta, des Gebets und im Finale so elektrisierend ist, fällt alles andere stark ab. Denn d'Oustrac ist die einzige, welche das kühle Konstrukt dieser Produktion ins angemessene Künsterinnentum wuchtet. Trotzdem kann auch sie nichts daran ändern, dass es in den von Clément weit geöffneten Königinnenherzen weder glaubhaft abgründige noch richtig finstere Gegenden gibt.

Le Grand-Théâtre poursuit sa Trilogie Tudor avec Maria Stuarda

Emmanuel Andrieu – Opera Online.com – 21 décembre 2022

source: https://www.opera-online.com/fr/columns/manu34000/le-grand-theatre-de-geneve-po…

 

Un an après Anna Bolena, le Grand-Théâtre de Genève poursuit la Trilogie Tudor de Gaetano Donizetti avec Maria Stuarda, en reprenant l’essentiel de l’équipe artistique : Mariame Clément à la mise en scène, Stéphanie d’Oustrac, Elsa Dreisig et Edgardo Rocha dans le fatal trio amoureux… mais sans le chef Stefano Montanari, remplacé à la dernière minute par son confrère et compatriote Andrea Sanguinetti.

Pour faire le pont entre les deux ouvrages, la metteure en scène française donne à voir, pendant l’ouverture, la scène de décapitation d’Anne Boleyn, la mère d’Elisabeth 1ère, tandis que cette dernière assite, enfant, à la scène, la vivant comme un trauma indélébile. Deux autres « évocations » émailleront la soirée, l’apparition furtive de la « Reine vierge » sur le plateau telle que l’histoire l’a retenue (iconographiquement), et Lord Cecil grimé en Henry VIII au moment où il exhorte Elizabeth à faire condamner à mort sa cousine et rivale. La scénographie de la fidèle Julia Hansen (qui signe également les élégants costumes élisabéthains) est la même que celle du premier volet, à savoir les parois lambrissées d’un palais souvent envahi par une forêt luxuriante, aux couleurs tour à tour printanières ou automnales. Et comme dans Anna Bolena, de curieux éléments contemporains surgissent au sein de cette scénographie « d’époque », tel ce téléphone posé sur le bureau de la Reine, mais surtout l'apparition de deux caméramen pendant la scène finale, qui viennent immortaliser la scène du supplice de Mary Stuart, comme si elle mettait elle-même en scène son martyre, communicante avant l’heure, pour mieux triompher – aux yeux de la postérité – de l’impitoyable souveraine d’Angleterre.

Le cheveux ras et roux, et portant une cuirasse d’acier doré, Elsa Dreisig revêt les habits du bourreau après avoir incarné la victime (Anne Boleyn) l’an passé. C’est cependant une Elizabeth souvent en proie au doute et plutôt fragile qu’elle incarne physiquement, tandis que la voix reste tranchante et inflexible. Avec son timbre ferme et conquérant, elle n’a aucun mal à dominer les débats, jouant intelligemment de son rang et de son pouvoir.

Dans le rôle-titre, Stéphanie d’Oustrac livre bizarrement (comme l’an dernier !) une prestation d’abord en demi-teinte, puis prend de l’assurance jusqu’à une scène finale qui suscite l’enthousiasme. Sa Maria Stuarda, tout en émotion et intériorité, est portée par une séduisante ligne de chant, une maîtrise louable du chant orné, et une insolente projection de l’aigu, qui font particulièrement merveille dans ses déchirants adieux « Ah, se un giorno da queste ritorte ».

De son côté, le ténor uruguayen Edgardo Rocha offre un Leicester suave et viril à la fois, avec une voix capable de séduction, mais aussi d’une belle projection quand la partition l’exige. Une mention devra être faite pour les deux excellents conseillers antagonistes : la basse italienne Nicola Ulivieri incarne un Talbot plein d’affection envers Maria, tandis que Simone Del Savio campe un intraitable Lord Cecil, heureux de pouvoir hâter la condamnation à mort de la reine déchue.

Il serait enfin injuste d’oublier la direction musicale d’Andrea Sanguinetti, discrète mais jamais superficielle, capable d’insister sur un instrument soliste, de prendre le temps de s’attarder ou de réussir une approche subtile, ce qui est peu fréquent dans ce répertoire.

Une gageure pas vraiment tenue

Charles Sigel – ForumOpera.com - 21 décembre 2022

source: https://www.forumopera.com/donizetti-maria-stuarda-geneve-une-gageure-pas-vraim…

 

Anna Bolena la saison dernière, cette saison-ci Maria Stuarda, la saison prochaine Roberto Devereux, le Grand Théâtre de Genève a décidé d’offir la trilogie Tudor de Donizetti en trois ans, ambitieux projet servi par la même équipe artistique, Mariame Clément et Julia Hansen pour les mises en scène et scénographie, Elsa Dreisig et Stéphanie d’Oustrac pour les rôles féminins principaux et Edgardo Rocha pour les rôles de ténor.

C’est Elsa Dreisig, soprano, qui chantait le rôle d’Anna Bolena dans la production 2021, tandis que  Stéphanie d’Oustrac, mezzo-soprano, chantait celui de Giovanna Seymour. La répartition entre soprano 1 et soprano 2 était celle voulue par Donizetti. Avant de revenir à cette tradition pour Roberto Devereux, les deux chanteuses ont choisi cette fois-ci d’inverser la proposition : c’est Elsa Dreisig qui chante le rôle d’Elisabetta, prévu pour un soprano 2, tandis que celui d’Anna Bolena, où s’illustrèrent les Beverly Sills, Edita Gruberova, Joan Sutherland ou Montserrat Caballé, toutes sopranos aux voix aériennes, est chanté dans cette production par le vrai mezzo qu’est Stéphanie d’Oustrac. C’est un défi, évidemment.

Commençons par le positif : visuellement c’est une très belle production. Il y a de la poésie dans cette scénographie, conçue comme une manière d’installation forestière. Par un système de plateaux glissants, on évolue des appartements d’Elisabetta, ouverts sur de vastes perspectives de frondaisons, qui selon les moments passeront d’ambiances froides à d’autres rougeoyantes et automnales, au parc du château de Fotheringay, séjour où Maria Stuarda demeure recluse, et alors un petit bois apparaît sur scène, bucolique et frais. C’est là qu’on verra surgir les chasseurs accompagnant la Reine d’Angleterre venue visiter celle de France et d’Ecosse. Un grand cadre de scène bleu (le même que pour Anna Bolena) enferme l’action et la met à distance en la théâtralisant.

C’est Julia Hansen qui a dessiné ces espaces, que magnifient les éclairages délicats d’Ulrik Gad. L’esprit est le même que celui d’Anna Bolena. L’alter ego de Mariame Clément est aussi l’autrice des costumes des chœurs, résolument Tudor, privilégiant un noir élégant, tous de grande allure.

Les deux Reines sont un peu moins gâtées : Elisabetta, vue comme résolument masculine, ou cherchant à s’affirmer (elle succède à Henry VIII), est dotée d’abord d’une sorte de redingote dorée dont les pans font penser aux élytres d’un insecte, puis d’une chasuble ajustée, sur des pantalons genre treillis, à quoi sera bientôt ajoutée une cuirasse. Sa coiffure, une manière de casque de cheveux blonds d’executive woman, achève de la durcir, selon le principe que « la femme est un homme de pouvoir comme les autres », comme le dit le programme de salle.

L’Elisabeth 1ère de l‘imagerie traditionnelle apparaît sous l’aspect de deux figurantes, d’abord en petite jeune fille, puis telle que l’iconographie de la « reine vierge » l’a fixée à jamais, vaste front, visage plâtré, robe à vertugadin.

Quant à Maria Stuarda, vue d’abord dans une robe quasi de pauvresse, puis enveloppée dans un plaid évidemment écossais, elle ira à la mort dans une liliale longue chemise de condamnée ou de sainte, d’ailleurs très belle.

Le chœur, comme toujours à Genève, est absolument merveilleux, précis, rond, équilibré, ample, magistralement mis en place par Alan Woodbridge. De surcroît, il est demandé aux membres du Chœur du Grand Théâtre de danser au cours des premières scènes une noble chorégraphie de danses de cour (parfois bizarrement entrecoupées de mouvements chaloupés pour bal du samedi soir…). Ils s'en acquittent honorablement.

Quant à la mise en scène proprement dite, elle est d'un sage classicisme, un peu statique même, soignant de belles images et attentive à une sobre direction d'acteurs. Tout cela est élégant, modéré, vaguement languide.

Revenons-en à ce parti pris d’inverser la répartition vocale. Il est très compréhensible que la gageure en ait été tentée. Pour voir ce que ça donnerait... Ce qui est curieux, c’est d’avoir persévéré.

On peut imaginer que Donizetti, voulant souligner quelle femme de pouvoir est Elisabetta, cruelle et cynique, avait choisi à dessein pour elle une voix plus lourde, plus ample, on allait écrire plus mâle… Et en somme c’est bien ainsi que la metteuse en scène la dessine.

Tandis que la douloureuse Maria Stuarda, recluse puis condamnée, chante éperdument sa douleur, dans les hauteurs de la tessiture de soprano, comme toutes les malheureuses victimes d’à peu près tous les opéras de la création.

Double caractérisation vocale qui est en somme l’esprit même du bel canto.

Stéphanie d’Oustrac, dont le parcours s’est d’abord épanoui dans le baroque, aborde déjà depuis quelque temps d’autres répertoires, de Charlotte à Concepción, en passant par Rosina et Béatrice, sans oublier sa Carmen, maintes fois reprise. Giovanna Seymour avait été sa première approche du répertoire belcantiste, qui avait presque convaincu l'un de nos amis.

Elle prête à Maria Stuarda des accents émouvants, une sincérité dans l’expression et une noblesse en scène, une fierté douloureuse qui touchent au cœur. Mais ce qu’on entend n’a pas grand chose à voir avec le rôle tel qu’il est écrit musicalement. On s’étonne parfois de sons très étranges, notamment au début de seconde partie, comme si la chanteuse était obligée de prendre une octave plus bas des notes qu’elle ne peut atteindre dans le haut, et qui du coup deviennent trop basses. Des sons de gorge, une intonation souvent indécise, des vocalises pour le moins raides… L’auditeur est mal à l’aise lui aussi.

Dans le rôle d’Elisabetta, Elsa Dreisig qui est un vrai soprano est certes moins en difficulté. La tessiture de la reine d’Angleterre descend jusqu’au do, ce qui est parfaitement dans ses cordes, mais on a parfois le sentiment que la chanteuse s’épuise à rester constamment dans le bas de sa voix. On ne peut lui dénier une conduite vocale soignée, un legato attentif et une belle tenue. En revanche son personnage ne sort guère d’une froideur qui garde tout sous contrôle et l’italianitá n’est à l’évidence pas dans ses gènes.

Remarquons qu’elle semble vocalement plus libre dès qu’elle est en duo avec Eduardo Rocha et que leur deux voix se marient très heureusement. Les galipettes que la mise en scène leur demande sur le petit bureau royal (équipé d’un téléphone blanc, allez savoir pourquoi) de même que les caresses très appuyées que le ténor prodigue à la reine d’une main plongeant profond dans ses knickerbockers sont un peu gênantes, mais pas pour le chant.

Le rôle de Leicester est un peu ingrat : il est le jouet des deux reines qui le manipulent et l’utilisent et il n’a jamais d’air en solo, il est toujours en duo avec l’une ou l’autre ou inséré dans les ensembles. Il n’empêche que cela suffit à Eduardo Rocha pour faire remarquer la clarté, la projection  d’une voix de ténor très lumineuse et une belle musicalité, en plus d’un élan juvénile. Les  voix graves ont peu de place pour briller, néanmoins Nicola Ulivieri (Talbot) et Simone Del Savio (Lord Cecil) s’acquittent honorablement de leur tâche. On remarque notamment la belle entrée de Simone Del Savio dans le trio du troisième acte.

Il y a deux grands moments dans la partition. Le premier, c’est le duel des deux reines à la fin du premier acte, – et c’est avec une puissance dramatique foudroyante que d’Oustrac, dont les talents de comédienne, et son goût pour cela, sont évidents, lancera son terrible « Figlia impura di Bolena » à Elisabetta, insulte qui la conduira au billot sans coup férir. Le second, c’est le final du II, avec notamment la prière de Maria Stuarda, grand pièce à variations, où la voix, en principe légère, de la reine condamnée doit voltiger au dessus du chœur (on en sera frustré) et l’ultime air « Ah ! se un giorno da questa ritorte » où, quel que soit l’engagement affectif de Stéphanie d’Oustrac, manquera une part de fragilité et de spiritualité.

La direction d’Andrea Sanguineti à la tête de l'Orchestre de la Suisse Romande est particulièrement soucieuse d’aider les deux chanteuses. La discrétion est une qualité et on ne peut manquer de remarquer les mille précautions qu’il prend pour ne jamais les couvrir. La rançon de cette discrétion est un manque certain d’élan, de poigne, de dynamique et de dramatisme. Le début du premier acte est terriblement languissant, et d’ailleurs dès l’ouverture les choses avaient mal démarré : pourquoi montrer en une image figée la scène de la décapitation, puis refermer le rideau, puis étirer une interminable transition à l’orchestre le temps de réajuster la scène.

Si le chef est en principe le premier maître à bord, tout de suite s'insinue le pressentiment que les deux metteuses en scène ont pris la barre et ne la rendront pas...

La guerre des deux reines

David Verdier – Altamusica.com – 21 décembre 2022

source: http://www.altamusica.com/concerts/document.php?action=MoreDocument&DocRef=7048…

 

Une soirée belcantiste au Grand Théâtre de Genève avec cette Maria Stuarda de Gaetano Donizetti, second volet de la trilogie élisabéthaine du compositeur italien sagement mise en scène par Mariame Clément. Dominée par l’Elisabetta d’Elsa Dreisig, la soirée souffre de la direction en demi-teinte d'Andrea Sanguineti.

Cette Maria Stuarda genevoise reprend la tradition désormais établie de confier le rôle-titre à une mezzo et celui d'Elisabetta à une soprano. Deuxième volet du triptyque que consacra Donizetti à la figure tutélaire d'Elisabeth d'Angleterre, cet opéra est également le second que confie le Grand Théâtre au duo d'Oustrac-Dreisig. La mise en scène de Mariame Clément reprend les codes déjà présents l'an dernier dans le décor de Julia Hansen pour Anna Bolena, la mère d'Elisabetta qui finit décapitée.

Cette scène muette est jouée durant l'ouverture, avec deux figurantes en Elisabeth enfant et âgée, double témoin de cette exécution. Cette image renvoie au passé d'Elisabetta mais également au destin prémonitoire de Maria. Le château de Fotheringhay où est enfermée Maria est montré dans un emboîtement de pièces dont les éclairages soulignent un jeu de perspectives et de caractères psychologiques.

La lutte de ces deux femmes fortes laisse de côté les rôles masculins, à commencer par Roberto Leicester écartelé entre les deux reines et les rôles secondaires de Talbot et Lord Cecil, l'un employé comme négociateur, l'autre exigeant la condamnation de Maria. Le costume d'Elisabetta convertit le mythe de la reine vierge en personnage androgyne qui n'hésite pas à mettre à mort sa cousine par pure jalousie.

Le statut de la victime immolée est souligné par le symbole du cerf, trophée de la chasse qui sert de prétexte à la lutte à mort des deux reines. Si la lecture scénographique ne souffre pas de difficulté particulière, l'interprétation sera plus contrastée ; à commencer par un rôle-titre dont la tessiture ne rend pas totalement justice aux qualités de Stéphanie d'Oustrac.

La mezzo française est régulièrement mise en difficulté par des agilités qui la sollicitent en dehors de l'ambitus naturel dans lequel se déploie sa voix. La grande ligne de la prière du III est particulièrement périlleuse, la contraignant à des respirations peu commodes qui font vaciller l'architecture.

Elsa Dreisig campe une Elisabetta vengeresse qui remporte le duel en faisant de ses aigus des armes vocales et l'expression d'une domination cruelle. Elle partage avec Edgardo Rocha (Roberto) des qualités de phrasé remarquables mais avec une présence qui manque au ténor italien, dont la projection en demi-teinte restreint Ah, rimiro il bel sembiante à une expressivité aux couleurs assez pâles.

Nicola Ulivieri exprime en Talbot un phrasé et un timbre remarquables, tandis que Simone del Savio donne à Lord Cecil le relief et la vigueur d'un personnage ambigu, que la mise en scène rapproche d'Henri VIII, le père d'Elisabetta. Soulignons pour finir la belle autorité d'Ena Pongrac en Anna Kennedy dont la présence et le jeu laissent augurer le meilleur dans les années à venir.

Andrea Sanguineti laisse une impression mitigée à la tête de l'Orchestre de Suisse Romande. Sa direction anodine et très littérale ne permet pas de faire décoller le drame vers les sommets pyrotechniques et l'urgence qu'il réclame, y compris dans les interventions du chœur. Entre imprécisions et mollesse, on navigue à vue avec un sentiment global de banalité et l'impression d'une austérité générale qui ne sied pas à Donizetti.

Rivalité entre reines

Cécile Dalla Torre – Les Courrier – Décembre 2022

source: https://lecourrier.ch/2022/12/20/rivalite-entre-reines/

 

Deuxième volet de la trilogie des Tudors mise en scène par Mariame Clément, Maria Stuarda déploie au Grand Théâtre de Genève de captivants jeux de pouvoir au féminin.

On avait laissé Anne Boleyn (Elsa Dreising) sur l’autel du sacrifice, victime de la machination de son mari le roi Henry VIII amoureux d’une servante (Stéphanie d’Oustrac). Celui-ci était finalement parvenu à faire décapiter sa femme reine d’Angleterre pour adultère, sous le regard de son enfant Elisabeth.

Après Anna Bolena en 2021, Mariame Clément met en scène Maria Stuarda, le deuxième volet de la trilogie des Tudors présentée au Grand Théâtre de Genève au fil de trois saisons. L’œuvre offre une très belle lecture du pouvoir au féminin, détenu par deux régentes: Elisabeth possède le trône d’Angleterre convoité par la reine d’Ecosse, sa cousine Marie Stuart.
On retrouve ici le même décor sobre et raffiné d’Anna Bolena, conçu par la scénographe allemande Julia Hansen, qui donne une large place à la nature dans des tableaux très graphiques et picturaux.

Vengeance et jalousie
Tragédie lyrique en deux actes, Maria Stuarda tient en deux heures de représentation captivantes. Même si la baguette du jeune chef Andrea Sanguineti a peut-être un peu perdu de la légèreté du baroqueux Stefano Montanari dans Anna Bolena, qui devait initialement assurer aussi la direction de ce deuxième volet – Gaetano Donizetti signe la partition musicale de l’œuvre, créée en 1835 à la Scala de Milan.

On y suit la trajectoire d’Elisabeth, fille d’Anna Boleyn, devenue adulte et incarnée par Elsa Dreising. Deux personnages en costume d’époque représentent la reine enfant et son alter ego vieillissante, parfois toutes les trois en présence. Une manière d’évoquer habilement l’héritage et la transmission d’une lignée de femmes.

Mariame Clément s’attache à montrer la psyché d’une souveraine passant pour un tyran, dont les décisions sont toutefois davantage motivées par la jalousie et la vengeance personnelle que par l’ambition du pouvoir. La première partie démarre timidement dans la sphère du pouvoir d’Elisabeth, en pantalon et bientôt en cuirasse dorée, prête à épouser le roi de France. Avant que le rôle-titre n’apparaisse quatre scènes plus tard, parangon de la féminité.
Loin de la courtisanerie des palais, Marie Stuart a été exilée en pleine nature par Elisabeth pour lui faire purger une peine pour comploterie. Cette dernière devra prononcer la sentence ou la clémence de celle qui se dit condamnée aux sanglots.
L’entrée en scène de Marie Stuart, évoluant dans une ¬nature verdoyante, possède en quelque sorte un effet apaisant; Stéphanie d’Oustrac déploie ses attributs vocaux autant qu’une présence scénique au jeu théâtral particulièrement convaincant.

Touche contemporaine
Le livret a été écrit par Giuseppe Bardari, d’après la pièce de Friedrich Schiller. Sans le moderniser totalement, Mariame Clément lui donne une touche contemporaine, glissant quelques mouvements de danse actuels dans les scènes de bal, ou faisant intervenir des cameramen sur scène. Elle met aussi l’accent sur une reine à l’écoute de son désir, lui donnant des airs de bombe sexuelle lorsqu’elle projette sur son bureau – où trône un téléphone à cadran – son amant Roberto (Edgardo Rocha, ténor), le Comte de Leicester, avant de le chevaucher sauvagement.

On peut bien sûr voir les oeuvres indépendamment les unes des autres, mais les clins d’œil de la metteuse en scène gagnent à être suivis d’un volet à l’autre, notamment pour suivre ce personnage d’Elisabeth qui traverse la trilogie à différents âges. En tout cas pour ces deux premiers opus, portés tous deux par les voix puissantes de la soprano Elsa Dreising et de la mezzo soprano Stéphanie d’Oustrac.

D’emblée, Mariame Clément nous rappelle ici que les dés sont joués: Maria Stuarda s’ouvre par le tableau final de la guillotine d’Anna Bolena. Tableau qui fait office de transition dans cette saga royale, et prologue funèbre annonciateur du drame à venir: le sacrifice de Marie Stuart. Convoité par les deux femmes, le Comte de Leicester se servira de son charme pour sauver en vain celle qu’il aime, une héroïne dont le sacrifice – on n’en verra cette fois rien sur scène –, ressemble à une transfiguration. Sous l’œil de deux caméras, la scène finale avant la mort pourrait aussi se lire comme la starification d’une icône, définitivement passée à la postérité.

Une pitoyable Stuarda

Paul-André Demierre – Crescendo Magazine.be – 20 décembre 2022

source: https://www.crescendo-magazine.be/a-geneve-une-pitoyable-stuarda/

 

En octobre 2021, le Grand-Théâtre de Genève entreprenait de présenter la trilogie des reines d’Angleterre dite ‘Trilogie Tudor’ réunissant trois des grands ouvrages dramatiques de Donizetti, Anna Bolena, Maria Stuarda et Roberto Devereux. Nous était annoncé que Mariame Clément en assurerait la mise en scène, Julia Hansen, les décors et costumes et qu’Elsa Dreisig et Stéphanie d’Oustrac se partageraient les rôles des antagonistes.

A l’instar d’Anna Bolena, le rideau se lève sur les Dames de Cour vêtues de noir et les hommes en chasseurs entourant le billot sur lequel Mary Stuart sera décapitée. De larges baies vitrées donnent sur une rangée d’arbres verdoyants, alors que paraît Elizabeth I en amazone arborant une cuirasse et des jambières héritées d’une certaine Jeanne d’Arc à Rouen. Le dialogue dramatique qu’elle établit avec les Lords Cecil et Talbot à propos du sort de la reine d’Ecosse se fait sur des mouvements de danse totalement incongrus qui s’amplifieront avec la venue de son favori, Leicester. Comment croire que la reine vierge subit ses avances, avant de le jeter sur la table dans l’espoir de copuler avec lui ? Puis la mise en scène, réduite à sa plus simple expression, se contente de suivre docilement la trame jusqu’à la scène finale où une caméra TV filme les banderoles de protestation que brandit le peuple écossais avant l’exécution. 

Comme dans le volet précédent, le bât blesse au niveau de la musique guère aidée par la direction brouillonne du jeune Andrea Sanguineti qui ne peut éviter les décalages dans des tempi qui se veulent dynamiques. L’Orchestre de la Suisse Romande fait du mieux qu’il peut pour le suivre, tandis que le Chœur du Grand-Théâtre (comme toujours remarquablement préparé par Alan Woodbridge) ne se laisse pas décontenancer et réussit même à susciter l’émotion dans le tableau final.

Le plateau vocal m’amène à quelques considérations esthétiques. L’an dernier, Elsa Dreisig avait incarné Anna Bolena, Stéphanie d’Oustrac, Giovanna Seymour. Ici, la seconde de ces dames est propulsée au premier plan en personnifiant Maria Stuarda, alors que l’autre s’empare d’Elisabetta.

Si au moins le jeu en avait valu la chandelle ! Mais toutes deux ne comprennent strictement rien au belcanto romantique qui suppose une ligne de chant parfaite et un coloris de velours que seules certaines voix possèdent naturellement telles les Caballé, Sutherland, Sills d’une autre époque et, plus près de nous, une Mariella Devia. Avec ses rôles baroques, ses travestis, ses Carmen, l’émission de cette Stuarda est bien trop lourde pour un tel emploi, ce qui la contraint à transposer vers un grave trop sourd une tessiture qui met à mal ses moyens, sans parler d’une coloratura approximative qu’elle savonne continuellement sans pouvoir l’arrimer à la justesse. Malgré une indéniable présence théâtrale au dernier acte, de telles carences ne peuvent être masquées, ce que l’on dira aussi de la sommaire Elisabetta d’Elsa Dreisig au timbre acide qui n’exhibe que la méchanceté de la souveraine, sans pouvoir lui insuffler une certaine humanité.

Face à ces deux protagonistes à contre-emploi, le Leicester d’Edgardo Rocha produit une sonorité qui peut paraître serrée ; mais son adéquation aux normes belcantistes est évidence, ce qui le place en tête de distribution. Le Lord Cecil de Simone Savio montre une certaine autorité dans le declamato que récupère partiellement le Talbot retenu de Nicola Ulivieri. Et Ena Pongrac n’a aucune peine à exprimer la fidélité d’Anna, la suivante, à sa maîtresse.

En conclusion, un bien triste bilan dont le public des abonnés n’a cure en cette période de fêtes.

 

Maria Stuarda à Genève ou l’avènement d’une icône.

Paul Fourier – Toute la Culture.Com – 20 décembre 2022

source: https://toutelaculture.com/spectacles/opera/maria-stuarda-a-geneve-ou-lavenemen…

 

Dans le cadre de sa trilogie des Reines, le grand Théâtre de Genève propose l’opéra consacré au destin tragique de la Reine d’Écosse. Stéphanie d’Oustrac y fait une prise de rôle remarquable ; elle est très bien accompagnée par Elsa Dreisig et Edgardo Rocha.

De Marie Stuart, Stefan Zweig écrivit « Peu de femmes, dans l’histoire, ont provoqué une éclosion aussi abondante de drames, de romans, de biographies et fait naître autant de discussions. Pendant plus de trois siècles, elle n’a cessé d’attirer les poètes, d’occuper les savants, et aujourd’hui encore sa personnalité s’impose avec force à notre examen. Car tout ce qui est confus désire la clarté, tout ce qui est obscur réclame la lumière. »

La Grande Histoire avant le livret…
Il faut l’avouer, Marie Stuart eut un destin hors normes. Couronnée reine d’Écosse, en 1543, à l’âge d’un an, à la suite de la mort de son père Jacques V, elle rejoint vite la Cour de France sous l’égide des puissants Duc et Cardinal de Guise, pour y être élevée avec « les enfants de France », les Princes et Princesses de sang royal. Elle se familiarise alors avec cinq langues et de nombreux arts et est, dit-on, fort belle.
Mariée en 1558 au Dauphin à la santé précaire, c’est au décès du roi Henri II qu’elle doit de monter l’année suivante sur le trône de France, trône sur lequel elle ne restera qu’un an, 4 mois et 25 jours, en raison, cette fois, de la mort… de son mari.
Si l’on est déjà grisé par ces débuts doublement royaux, la suite ne sera guère plus apaisée.
De retour en Écosse, elle épouse Henri, Lord Darnley. Le mari est certes homosexuel et très « proche » du secrétaire privé de la Reine, mais il lui donne un enfant, Jacques, né en 1566. À ce stade, précisons, par ailleurs, que Marie a une ascendance Tudor puisqu’elle est la petite fille de Marguerite Tudor, sœur aînée d’Henri VIII, lui-même père (et assassin de la mère, Anne Boleyn) de la Reine Elizabeth 1re d’Angleterre. Les prétentions qu’elle affiche envers le trône d’Angleterre (mais aussi le fait d’avoir assassiné son mari et d’avoir beaucoup comploté) lui vaudront, par la suite, la haine d’Élisabeth qui la fera exécuter en 1587.
Fin de l’histoire ? Pas encore… puisqu’à la mort de la Reine d’Angleterre en 1603, cette dernière n’a pas d’héritiers et la couronne revient alors à … Jacques, fils de Marie qui obtient là, en quelque sorte, une forme de revanche posthume.
Par lui, la dynastie Tudor s’éteint définitivement et commence alors celle des Stuart…

Certes, l’on aurait pu s’affranchir de ce long développement historique, car, après tout, les livrets d’opéra sont rarement fidèles à l’exact déroulé des faits. C’est absolument vrai pour celui réalisé par Giuseppe Bardari pour Donizetti puisque, notamment, la scène de rencontre entre les deux reines de la fin de l’acte II n’a jamais eu lieu. Pour autant, bien des allusions existent dans les propos imaginés pour les deux femmes, des allusions qui renvoient à ce que furent leurs réelles situations respectives.
C’est évidemment le cas pour la scène la plus célèbre de l’opéra, lorsque Marie traite Élisabeth de « Fille impure d’Anne Boleyn », de « femme indigne et lascive » et enfin, pour couronner le tout (si l’on peut dire) de… « vile bâtarde ! ». La première rappelle alors à la seconde que, bien qu’étant sa prisonnière, elle est d’une ascendance plus pure et non souillée que la fille de la deuxième épouse d’Henri VIII (qui fut accusée adultère, d’inceste et de haute trahison).
Notons que cette scène – une des plus hystériques de l’histoire de l’opéra – fut épinglée par la censure, lors de la reprise milanaise de 1835 et alors que la Malibran refusait de se plier aux injonctions, l’œuvre fut purement et simplement interdite au bout de six représentations.

Maria Stuarda, icône, voire star…
Le destin romanesque de Marie a amené Mariame Clément, la metteuse en scène, à figurer comment elle est parvenue, comme le soulignait Zweig, à s’imposer aussi durablement dans la mémoire collective.
Paradoxalement, le livret de l’opéra laisse tout le début de l’opéra à Élisabeth et ne fait apparaître Marie qu’au bout d’une trentaine de minutes. Ce faisant, Donizetti et Bardari ont probablement décidé d’offrir à cette dernière une véritable entrée de Diva à qui échoit, de surcroît, une noblesse des sentiments qui ne caractérise pas sa rivale.
Clément va ainsi traiter le livret comme la montée en puissance d’une icône (une Marilyn Monroe ou… une Princesse Diana) vers qui elle va jusqu’à braquer les caméras, traduisant ainsi, dans notre société actuelle surchargée de communication immédiate, la postérité dans laquelle est passée Marie, selon d’autres vecteurs.
Si globalement, la scénographie – avec une omniprésence de la nature dans laquelle Marie est en harmonie – et les élégants costumes de Julia Hansen sont fort beaux, la lisibilité globale du spectacle s’avère cependant confuse lorsque la metteuse en scène défie le temps et fait apparaître aussi bien la jeune Élisabeth, le défunt Henri VIII dans la peau de de Cecil que le jeune Jacques. En mélangeant époques et points de vue différents, en nous projetant autant dans le XVIe siècle que dans le XXIe et, enfin, en surlignant, parfois à l’excès, certaines idées (dont les assauts répétés de Leicester sur la reine d’Angleterre), Mariame Clément rend, à certains moments, sa mise en scène trop omniprésente. Cela reste néanmoins un grand et beau spectacle, d’autant que la direction d’acteurs est admirable et qu’elle s’appuie sur des artistes de la jeune génération totalement rompus à l’exercice.

Deux reines et deux jeunes femmes qui se font face
Elsa Dreisig, qui a fort à faire avec le personnage que lui a concocté Mariame Clément, y évolue, pourtant, comme un poisson dans l’eau.
À l’opposé de l’imagerie empesée et poudrée habituelle d’Élisabeth (rappelée par quelques clins d’œil montrant ce qu’elle va devenir), la soprano se retrouve dans la peau d’une jeune femme dynamique, en pantalon, qui ne rechigne pas à avoir des étreintes torrides avec Leicester. Dreisig réussit à traduire, avec une vérité incroyable, les affres d’une femme de pouvoir confrontée à la montée en puissance « médiatique » de sa rivale.

Vocalement, l’on sera plus réservé par cette prise de rôle. Certes, si d’autres sopranos ont incarné Élisabeth (dernièrement Elsa van den Heever ou Carmen Giannattasio), la ligne de chant est élégante et les duos avec Leicester la trouvent parfaitement à son aise. Elle s’avère, cependant, souvent limitée tant vers l’aigu que vers le grave (qu’elle sait pourtant bien utiliser lors des récitatifs) et peine, par moments, à traduire, autant par le chant que par le jeu, le comportement erratique de la reine d’Angleterre.

En face, selon une inversion qui est parfois pratiquée, c’est donc une mezzo-soprano qui endosse le rôle de Maria.
Stéphanie d’Oustrac s’y révèle absolument exceptionnelle ! Sa voix, homogène sur toute la tessiture, s’appuie sur ses graves magnifiques pour déployer un chant voluptueux, impérieux, qui sait aussi se teinter, à l’occasion, de tendresse ou de fragilité.
Son air d’ouverture (« O nube che lieve… Nelle pace del mesto riposo ») et le duo qui suit, avec Leicester reflètent ainsi parfaitement le volontarisme de cette reine bien décidée à ne pas se laisser déborder par le destin, irrévocable.
En fin d’acte, son « Vil bastarda », dans cette scène qui semble résumer, à elle seule, la puissance de feu outrancière du bel canto, une scène ardue comme une montagne que l’on aurait à gravir soudainement en raison de l’impact qu’elle doit produire, est d’un mordant redoutable et laisse les spectateurs cloués à leur fauteuil, alors qu’elle ose arborer un sourire plein de défi.
Dans les récitatifs qui ouvrent l’acte suivant, elle use (et parfois, abuse) de ses graves, accentuant ainsi, le rôle de tragédienne qu’on lui a assigné dans cette mise en scène.
Son « quando di luce rosea » est somptueux et si sa prière lui impose, il est vrai, une délicate maîtrise de souffle, la scène finale, par son autorité et une forme de puissante sobriété, consacre définitivement Stéphanie d’Oustrac comme une Maria Stuarda d’exception.

En Leicester, et en dépit des assauts sexuels dont il gratifie Élisabeth (Mariame Clément considère purement et simplement le personnage comme un gigolo), Edgardo Rocha (qui comme les deux sopranos fait ici sa prise de rôle) fait preuve d’une belle noblesse de chant et accompagne magnifiquement les deux reines dans leurs duos respectifs. L’on regrette seulement, que, comme souvent, il se révèle assez avare en aigus en final d’air.

La basse Nicola Ulivieri, en Talbot, comme son pendant néfaste, le baryton Simone Del Savio en Cecil, sont totalement irréprochables, tant ils réussissent à incarner l’un et l’autre les confidents de Maria et d’Élisabeth. Quant à Ena Pongrac, elle assure de sa voix robuste le rôle d’Anna, la nourrice de Maria.

Surtout sollicité dans les scènes finales, le chœur du Grand Théâtre de Genève est d’une belle précision, en particulier dans le magnifique passage écrit par Donizetti lorsqu’il énonce que « la mort barbare d’une reine restera toujours pour l’Angleterre une infamie et une honte » et rappelle cette tâche qui sera à jamais attachée au destin posthume d’Élisabeth.

Andrea Sanguineti, le chef, a décidé d’user d’une lecture très personnelle, revenant notamment à la version de la création, lorsqu’il élude l’ouverture, incluant, de-ci de-là, des mesures de pianoforte pour les liaisons entre les scènes, et n’hésitant pas, par ailleurs, à opter dans cette partition plusieurs fois retravaillée, pour ce qui lui paraît le mieux convenir à sa distribution.
C’est donc une démarche d’efficacité qui semble le guider dans sa direction et ses choix sont d’un impact incontestable.

Au final, Mariame Clément a fait le choix d’un spectacle hors des sentiers battus, celui d’une relecture dissonante pour ce chef-d’œuvre absolu du bel canto. Pour ce faire, elle a pu s’appuyer sur des interprètes d’une jeunesse prête à affronter la modernité de ces femmes qui, quoique reines, se sont installées dans un rapport de force herculéen qui les a fait entrer, l’une comme l’autre, dans une postérité fascinante.

Si l’on rajoute à cela qu’en traduisant toute la passion exacerbée qu’exigeait ce choc des titan(e)s, Donizetti a composé la plus belle des musiques, il ne reste plus qu’à s’incliner – sans en perdre la tête – devant cette si belle reine d’Écosse qu’incarnait ce soir la magnifique Stéphanie d’Oustrac.

Retour contrasté de Maria Stuarda à Genève

Guy Cherqui —wanderersite.com - 20 décembre 2022

source: https://wanderersite.com/opera/retour-contraste-de-maria-stuarda-a-geneve/

 

Beaucoup de Donizetti en cette période sur le site du Wanderer, après les redécouvertes du Festival Donizetti de Bergamo, Genève poursuit son cycle Tudor qui contribue à faire connaître au public de Genève un répertoire pas si souvent représenté mais essentiel pour ses qualités musicales et notre compréhension des évolutions de l’art lyrique au XIXe.
Ainsi, le deuxième titre du cycle, après Anna Bolena, c’est Maria Stuarda qui a été proposé au Grand Théâtre de Genève en ce 17 décembre, devant une salle très bien remplie et qui a visiblement bien accueilli la production de Mariame Clément, chargée de proposer une vision globale des trois opéras Tudor puisque la saison prochaine, c’est Roberto Devereux qui clôturera le cycle.
Malgré la cohérence de la vision, cette production montre que l’idée de « trilogie » se tient scéniquement, voire musicalement mais que vocalement les exigences sont différentes. Il faut cependant être reconnaissant à  Aviel Cahn, Directeur Général du Grand Théâtre, d’avoir imposé  sur trois saisons des œuvres relativement rares  d’un répertoire difficile avec la même équipe de mise en scène, le même chef (même si cette année Stefano Montanari a dû hélas renoncer) et la même distribution féminine.  C’est une sorte de défi.

Si Anna Bolena l’an dernier était chanté par Elsa Dreisig pour le rôle-titre, et par Stéphanie d’Oustrac pour Giovanna Seymour, cette dernière chante Maria Stuarda tandis qu’Elisabetta est Elsa Dreisig, contrairement à une tradition qui confie au soprano le rôle de Maria et au mezzo celui d’Elisabetta comme par exemple dans le fameux enregistrement de Leyla Gencer (Maria) face à Shirley Verrett (Elisabetta). Mais on sait bien que les définitions vocales se sont affinées de plus en plus depuis l’époque de Donizetti et on peut admettre la proposition d’Aviel Cahn de confier aux deux chanteuses françaises les trois titres en se distribuant les rôles selon les besoins et les possibilités vocales. Ici les qualités de tragédienne bien connues de Stéphanie d’Oustrac conviennent à Maria tandis que le cran, l’énergie, la vigueur et la jeunesse d’Elsa Dreisig conviennent à l’Elisabetta que veut représenter la mise en scène.

Il ne faut pas trop aller regarder la réalité historique parce que si Mariame Clément veut voir en l’Elisabetta de Maria Stuarda une souveraine encore jeune qui assoit son pouvoir, la véritable Elisabeth 1ère a laissé Marie Stuart 18 ans en prison avant de la faire condamner, et encore, avec des hésitations jusqu’au dernier moment, et que cette reine soi-disant jeune avait régné 29 ans avant de faire exécuter sa cousine (elle monte sur le trône en 1558), une jeunesse qui a duré un certain temps…

Mais la vérité historique n’est pas ici l’objet du débat : l’objet du débat a été posé par Schiller dans sa tragédie en cinq actes, Maria Stuart (1800), l’une des pièces les plus fortes du dramaturge allemand. C’est notamment lui qui créé la scène de la rencontre entre les deux reines qui dans la réalité n’a jamais eu lieu.

Donizetti et son très jeune librettiste Giuseppe Bardari reprennent les grandes lignes de la pièce de Schiller en supprimant le personnage de Mortimer, mais gardant notamment Leicester (Robert Dudley), qui chez Donizetti devient l’enjeu d’une lutte entre deux femmes amoureuses, aussi instable et veule chez Schiller que dans l’opéra..

L’opéra est réduit à trois actes (deux dans la représentation genevoise) a une structure qui ménage des effets d’attente puisque Maria Stuarda n’apparaît que dans la deuxième partie de l’acte premier (à l’acte II dans la version en trois actes) et que chaque acte se déroule soit à Westminster, soit au château de Fotheringay où est enfermée Maria en un équilibre assez bien calibré.

La grande scène entre les deux reines se déroulant dans la dernière partie du premier (ou du deuxième) acte et d’une certaine manière signant le destin de la rien d’Ecosse, le second (ou troisième) acte (la deuxième partie à Genève) est plus nettement consacré à Maria et à ses derniers moments : il y a donc deux couleurs très nettement différentes entre le premier et le second acte. Un premier acte « actif » et un deuxième acte « méditatif » pour chacune des deux femmes…

Toute l’œuvre est construite dramaturgiquement entre les deux femmes qui doivent être représentées en fort contraste avec un rôle de ténor, Leicester écartelé entre les deux reines. Les deux autres personnages Talbot (basse), au rôle ambigu de go between et William Cecil conformément à l’histoire, le conseiller d’Elisabetta qui a toujours demandé la condamnation de Maria.
Mais dans cette œuvre comme dans bien des œuvres du Bel canto tragique, les hommes n’ont pas vraiment le beau rôle.

Il faut lire la mise en scène de Mariame Clément à l’aune de l’idée de trilogie dont le fil rouge est Elisabeth 1ère.

C’est sans doute Rossini avec son Elisabetta Regina d’Inghilterra qui fait de la reine un personnage d’opéra que Donizetti va représenter trois fois, dans Elisabetta al Castello di Kenilworth, Maria Stuarda, Roberto Devereux. C’est par la vertu de la trilogie genevoise qu’Elisabetta apparaît dans Anna Bolena (sa mère, décapitée quand elle avait trois ans).
Disons qu’à la faveur de la vogue shakespearienne du XIXe, l’âge élisabéthain gagne les scènes d’opéra.

Ainsi la structure du décor de Julia Hansen, découverte la saison dernière avec Anna Bolena se retrouve dans Maria Stuarda et Mariame Clément conçoit son projet comme un scénario en trois volets où Elisabeth se met à considérer sa vie. On la voit petite fille dans Anna Bolena, sorte de fantôme qui traverse le drame terrible vécu par sa mère, ici, le regard de la reine se porte sur cet épisode qui l’oppose à Maria Stuarda. Un bureau extérieur au dispositif scénique montre comment Elisabetta est à la fois dans l’histoire et en dehors, la scène devenant en quelque sorte à la fois réelle et mentale, grâce aux changements fréquents, à l’intervention d’une nature presque idéale, et aux éclairages très réussis de Ulrik Gad. Au-delà de la mise en scène, il est clair que le spectacle dans sa fluidité se laisse très agréablement voir.

En se concentrant au premier chef sur Elisabetta, Mariame Clément cherche à donner un peu de nerf et de peps à une dramaturgie à l’action relativement faible. Elle travaille à une Elisabetta non traditionnelle, laissant à la reine âgée qui se souvient de la mort de Maria (première image) la grande robe corsetée cylindrique dans laquelle elle est souvent représentée, tandis que le personnage dans l’opéra va évoluer essentiellement dans un costume masculin avec une allure juvénile (ce qui on l’a vu n’est pas la vérité historique).

Un des éléments du drame de Schiller est justement l’isolement d’Elisabeth dans un monde exclusivement masculin, et Mariame Clément reprend cette idée en prêtant à Elisabeth ce choix vestimentaire, qui illustre un « pouvoir masculin » qu’elle épouse, sans doute aussi particulièrement marquée par son père. Comme elle le déclare dans le programme de salle « La femme est un homme de pouvoir comme les autres ».

En même temps l’usage de ce costume lui permet de de marquer la différence avec Marie Stuart, qui quant à elle, est présentée dans la scène où elle apparaît pour la première fois, en robe rose, allongée dans la nature sous les arbres, comme hors de tout pouvoir, vivant et respirant son identité féminine. D’autant qu’elle porte son fils (le futur successeur d’Elisabeth, dans l’histoire) en drapeau, elle est femme et elle est mère, tout ce qu’Elisabetta n’est pas.

Mais le portrait d’Elisabetta va un peu plus loin, elle en fait une femme de désir (elle dont tout le programme iconographique consistait à glorifier la femme libérée des désirs, la vierge au service de son peuple). Elle montre en Elisabetta un corps traversé de désirs impérieux, d’où la scène avec Leicester qui a fait frémir quelques spectateurs et critiques à cause de gestes plus que lestes et plutôt précis (cela choque dans Donizetti, mais Mariame Clément aurait-elle autant choqué avec le même geste dans une œuvre plus récente comme Lady Macbeth de Mzensk ou même Lulu… Tout est une question de contexte et d’horizon d’attente. Après tout Elisabeth avait sans doute le droit d’avoir des désirs impérieux : elle ne fut « la femme sans hommes » que dans l’image d’Épinal. Ici elle est une Elisabetta à la sauce Christine de Suède, et pourquoi pas ?

Le traitement de Marie Stuart est donc forcément plus éthéré.
D’abord dans l’imagerie habituelle on lla pense entre les quatre murs d’une forteresse, elle est ici au milieu d’une nature trop jolie pour être vraie (sans doute une projection jalouse d’Elisabetta), en harmonie avec les éléments naturels, l’herbe et les arbres, éléments qu’on retrouve dans l’univers d’Elisabetta en tapisserie, une nature encore moins « naturelle » représentée à deux dimensions, et son personnage vêtu en homme montre une volonté de s’afficher dans en contradiction avec son genre d’origine, nécessité politique qu’on sanctionne par une photo, à diffuser dans le bon peuple. Elisabetta entre les murs de Westminster et dans son costume d’homme en apparaîtrait presque plus contrainte que Marie Stuart.

Mais Mariame Clément laisse percer sous cette image de Marie Stuart non un personnage directement perceptible au premier degré, mais travaillé par le souci de construire son image pour la postérité, comme le dit son motto, brandi par la foule de ses suivants au moment de sa mort : «  En ma fin est mon commencement »’ (qui vient aussi de Guillaume de Machaut) qui pourrait signifier ici que la mort de la reine d’Ecosse est en réalité la naissance de sa légende, de Schiller à Stefan Zweig. Il s’agit donc de construire la légende, d’une reine pure et naturelle, d’une mère aimante, et surtout inoffensive, une sainte, une nouvelle Vierge Marie en quelque sorte dont elle porte le prénom.
Mariame Clément s’interesse à la question de l’image pour la postérité, parce qu’elle est la cause de la composition de l’opéra et de sa fortune.
On raconte ainsi une histoire et une méta-histoire, allant jusqu’à caricaturer l’opposition entre les deux femmes.
C’est particulièrement sensible dans le deuxième acte, comme on l’a dit plus méditatif, où d’un côté Elisabetta se renferme dans son insécurité et ses doutes, et de l’autre, Maria sachant que tout est perdu pour ce monde, construit l’image qui devra être celle de sa postérité, du monde d’après. Qui manœuvre qui ?
Elisabetta médite au début du deuxième acte et doute devant la décision à prendre. Dans l’opéra, c’est William Cecil qui intervient. William Cecil, le conseiller, le premier cercle de confiance d’une reine isolée, qui conduisit la politique anglaise et finit par convaincre la reine de condamner Marie Stuart. Mariame Clément choisit dans sa grande scène avec Elisabetta de lui donner les traits du fantôme d’Henry VIII, comme si Elisabetta à travers Cecil, le plus fidèle des proches, entendait son père en transparence. En même temps elle donnait dans son intimité un signe de faiblesse et d’insécurité.  L’apparition d’Henry WII, entre fantôme et statue du commandeur avec cette légère distance ironique (le costume est ridicule), n'est pas forcément si claire d’ailleurs, même si l’idée peut se défendre dans une mise en scène qui veut montrer des lignes  de force et souligner des signes plutôt que des détails de l’histoire ou des petits faits vrais.

À l’inverse, toute la partie finale dédiée à Marie Stuart est une mise en scène dans la mise en scène, comme un tableau pour la postérité, avec une Marie qui meurt comme une sainte au centre d’un dispositif où ses fidèles (osons le sens religieux) la regardent s’abstraire et se préparer à l’ascension céleste. Robe blanche, bras écartés comme attendant les signes d’en haut, tout est mis en place et discrètement Talbot (au rôle pas si clair) fait venir des cameramen qui filment la scène, non pour les « actualités » mais pour l’immortalité, comme un peintre David devant le sacre de Napoléon.

Mariame Clément joue de ces anachronismes parce qui l’intéresse ce sont les mécanismes du livret et ce qu’il nous dit d’une situation, comme la photo dans la première scène.. Ily aurait eu sans doute d’autres moyens de rendre l’idée, mais l’anachronisme est signe théâtral, tout comme une voiture sur scène ou tout autre objet qui semble en décalage, et surtout c’est un topos dans la mise en scène d’aujourd’hui  quand elle défend un propos et qu’elle ne reste pas simplement illustrative.

La mise en scène réserve un sort moins attentif aux hommes, au moins les rôles de Cecil réduit aux utilités puisque dans sa plus grande scène il apparaît sous les traits d’Henry VIII, et de Talbot, dont nous avons dit qu’il est ici un go between  plutôt gentil essayant d’arranger les choses dans un monde où elles ne s’arrangent jamais.

Roberto Leicester est des trois hommes qui comptent celui qui est le plus dessiné par la mise en scène, en personnage un peu balloté… déjà son histoire en dit long, il était amoureux de Marie Stuart, et il est maintenant le favori d’Elisabetta, qui dans cette mise en scène l’a quasiment dans la peau, presque réduit à un statut d’objet sexuel. Pas très à l’aise le bonhomme, pris entre ses désirs, ses souvenirs, ses contradictions, sa veulerie et sa carrière… Alors Mariame Clément le fait boire plus que de raison, il a toujours dans sa poche une petite bouteille de remontant dont il use abondamment. Elle en fait un personnage sans colonne vertébrale, le « gigolo » (le mot est de Mariame Clément) de la reine qui voudrait quand même remonter dans sa propre estime, alors il entreprend de vouloir sauver l’autre reine (on ne s’y fierait pas…).

On voit ici que le librettiste a repris là quelque chose du rôle de Mortimer dans la tragédie de Schiller, mais Mortimer est un vrai héros romantique, qui se suicide pour l’amour de Marie, Leicester est un pauvre type, y compris chez Schiller.

Il y a dans ce travail des idées qui auraient peut-être pu être mieux réalisées avec un travail sur les mouvements et les personnages moins caricatural et moins simpliste, moins rapide peut-être dans ce recours à des solutions un peu éculées (caméras, téléphone sur le bureau), il y a incontestablement une ambiance un peu irréelle de roman du XIXe, médiatisée par un regard contemporain. L’idée du bureau extérieur pouvait être le fil rouge d’une Elisabetta qui aurait alors été le Pimen (le moine chroniqueur de Boris Godunov) de sa propre vie, et le jeu de miroir aurait alors été peut-être plus rigoureux.  On aurait une sorte de remake de Confessions ou d’Allée de la Reine comme Françoise Chandernagor a fait pour Madame de Maintenon dans son roman L'Allée du Roi ou tout ce qu’on aurait vu était médiatisé par le souvenir d’Elisabetta et sa volonté de réarranger l’histoire à son profit. Sans doute le travail propose-t-il quelque chose de ce projet, mais jamais jusqu’à son terme  Alors les idées semblent tomber à plat, et on se laisse porter par les couleurs et l’ambiance,  comme si la mise en scène n’osait pas s’affirmer en tant que telle et rester en deçà, dans un entre-deux entre une sorte de tradition un peu poussiéreuse et un évident regard moderne. L’idée que Maria Stuarda mette en scène sa propre fin pour la postérité n’est pas mauvaise, elle aurait gagné en puissance si cette idée était vue comme un fantasme ou un cauchemar d’Elisabetta du type « elle est plus grande morte que vivante » .

C’est dommage, parce que dans l’ensemble, il y a dans cette production plus de profondeur que dans celle d’Anna Bolena la saison dernière, mais aussi de singulières platitudes, comme cette chorégraphie de bal de cour, pas très bien faite et trop longue, où les personnages échangent entre deux pas de deux ou de trois (chorégraphie Mathieu Guilhaumon) ou comme un chœur désespérément disposé en oratorio (c’est bien pour le chef, mais pas trop pour le théâtre), certes pour fixer une image ou un souvenir, mais un peu passe-partout, et je passe (ou plutôt je ne passe pas) sur l’éternelle bestiole pendue par les piattes qui est signe de la chasse dans les opéras depuis les siècles des siècles.

Si les bonnes idées de la production n’arrivent pas à être vraiment mises en valeur dans leur réalisation, au moins il y a quelques idées.

Il n’y en a pas ou peu dans la direction musicale d’Andrea Sanguineti, à mon avis l'élément le plus faible de l’ensemble de la soirée.

On a vécu pendant des années avec des chefs valeureux mais qui souvent accompagnaient les voix, en faisant de l’orchestre un écrin suffisamment confortable pour que les choses fonctionnent. Mais le chef à quelques exceptions près n’était pas l’enjeu de ce type de soirée dans la mesure où il y a quelques dizaines d’années, quelques divas se partageaient les grandes scènes et les disques créaient les légendes. Je pense à Callas bien sûr, mais aussi Caballé, Sutherland, Horne, Sills, et plus récemment Baltsa, Anderson (qui fut Norma à Genève, lecteurs genevois, vous en souvient-il ?), Di Donato (qui fut  Elisabetta à Genève en 2005, lecteurs genevois, vous en souvient-il ?) Gasdia ou la grande Devia voire Netrebko et Garança. Il y a des chefs qui ont honorablement écumé les fosses, sachant paerfaitement faire le job d’accompagner ces voix-là..

Aujourd’hui, la tendance au HIP (historical informed performance) venue du baroque a permis de redécouvrir ce répertoire avec des instruments d’époque et surtout un diapason plus bas que le diapason d’aujourd’hui, permettant aux chanteurs d’aborder ce répertoire avec plus de sécurité et sans danger de tendre la voix à l’extrême. Ainsi une Bartoli put-elle chanter Norma dans la magnifique production Caurier/Leiser avec en fosse Giovanni Antonini. C’est une approche gloable, qui n’est plus focalisée sur la Diva, mais sur un ensemble de données qui rendent le spectacle global et non un concerto pour gosier d’or et continuo.

C’est je crois l’idée qu’avait Aviel Cahn en appelant pour les trois opéras de la trilogie Stefano Montanari qui vient du baroque et l’un des meilleurs chefs lyriques italiens aujourd’hui.

Hélas, celui-ci a dû renoncer et c’est Andrea Sanguineti, futur GMD à Essen en Allemagne, et l’un des jeunes chefs italiens dont on commence à parler qui le remplace, sans avoir sur ce répertoire la maîtrise et les idées nécessaires et donc pas le style qu’on pourrait attendre.

Il en résulte une lecture plate, sans nerfs, techniquement pas toujours au point avec des décalages nombreux, une maîtrise des ensembles approximative, et une interprétation qui au mieux ne tient aucun compte des lectures récentes de ce répertoire. il en résulte des étrangetés sonores, un manque de fusion des instruments, et à l’inverse des moments où les instruments solistes (les bois par exemple) semblent se promener en apesanteur sans qu’on arrive à déterminer une vraie ligne. Là où l’on attendrait vivacité et surtout un peu de chair, nous ne trouvons que fadeur et qu’indifférence, avec pour corollaire une absence totale de couleur alors qu’il faut un échange de couleurs entre le plateau et la fosse, surtout dans ce répertoire ou chacun doit s’écouter, peut-être encore plus que dans des répertoires qu’on croit plus exigeants comme Wagner ou Verdi.
Il en résulte un sentiment de vide, de creux, et un ensemble musical sans aucun intérêt qui soutient d’ailleurs mal les voix quand elles sont en difficulté.

On a déjà l’an dernier souligné la gageure qui consistait à distribuer la trilogie Tudor à la même équipe vocale, et on touche cette année de manière encore plus sensible le problème, car les deux rôles féminins sont d’une très grande exigence vocale et stylistique, où chacun est particulièrement exposé.

Le chant exige une maîtrise technique dans tous les répertoires, mais les voix dans le répertoire italien et notamment dans le répertoire belcantiste sont particulièrement exposées, bien plus que chez Wagner par exemple où la fusion voix orchestre permet même à des voix moyennes de passer.

Ce n’est pas le cas dans le répertoire italien, et c’est suicidaire dans le bel canto. Le Bel canto exige un style qui s’est rodé au baroque, à Mozart, à Cherubini, à Rossini dont il est le point d’aboutissement. Ce répertoire exige une précision vocale peu commune, qui vient par exemple pour les concertati (les ensembles de fin d’acte par exemple), de Rossini, on entend aussi dans Maria Stuarda particulièrement ce que Verdi puisera pour ses premiers opéras Il y a chez Donizetti une manière d'orchestrer qui vient de Rossini mais aussi de Cherubini et qui va donner naissance à une nouvelle importance du son orchestral dans les décennies suivantes. C’est aussi une manière d’entendre les rythmes, la palpitation, la respiration. le chœur du Grand Théâtre, dirigé par Alan Woodbridge, répond avec sa qualité habituelle aux sollicitations, d’autant que la mise en scène ne lui demande pas grand-chose.

Dans l’équipe vocale réunie, pour la majorité une prise de rôle (à l’exception du Talbot de Nicola Ulivieri) on constate une grande homogénéité et une bonne qualité d’ensemble.

On relèvera donc une fois de plus Ena Pongrac membre du « jeune ensemble » et déjà remarquée par sa flatteuse interprétation de Varvara dans Katja Kabanova, qui chante ici avec une belle présence la nourrice Anna Kennedy.

Le Cecil de Simone del Savio n’est pas valorisé par la mise en scène, nous l’avons déjà remarqué, mais son intervention au deuxième acte dans le costume d’Henry VIII est puissante, avec un beau phrasé et un volume flatteur .

Il en va de même pour Nicola Ulivieri dans Talbot, la basse depuis plus de deux décennies dans la carrière, a toujours ce timbre chaud, la projection satisfaisante, la voix bien contrôlée pour une prestation maîtrisée et  un peu mise à l’ombre par une mise en scène qui s’interesse essentiellement au ténor, parmi les rôles masculins.

C’est une prise de rôle pour Edgardo Rocha, dont nous connaissons les interprétations rossiniennes, le timbre clair, la belle diction, le phrasé bien contrôlé et la précision. Comme dans Rossini, la mécanique vocale est au point, sans faute technique, mais l’interprétation manque de couleur, d’expressivité et reste un peu monocorde. Alors que la mise en scène lui permet des moments où le personnage apparait troublé ou déséquilibré, la voix reste imperturbablement la même, avec un joli timbre mais sans véritable incarnation. Et du coup, il apparaît indifférent. C’est dommage, parce que le rôle est riche et pourrait permettre un véritable travail d’approfondissement . Il reste à la surface, élégant mais sans chair.

Avec Elsa Dreisig, nous sommes à un tout autre niveau. Autant j’avais émis des doutes sur sa Bolena de 2021, autant elle montre ici une présence scénique et une conviction exemplaires . Je continue à penser que du point de vue strictement stylistique nous n’y sommes pas, notamment dans sa manière de darder des aigus au demeurant puissants et triomphants, mais la diction est plus maîtrisée, le phrasé mieux contrôlé et surtout le personnage voulu par la mise en scène vraiment incarné avec une vraie présence indispensable dans le rôle et dans ce répertoire. Comme je n’ai pas toujours été convaincu par ses dernières prestations, je peux affirmer ici qu’elle est sur le plateau de loin la plus engagée, qui embrasse la mise en scène avec gourmandise : c’est une personnalité forte, audacieuse et qui ne triche pas, et ici cela sert vraiment.

Du style, Stéphanie d’Oustrac en déborde, elle qui est rompue aux opéras baroques mais à l’inverse de sa Seymour en 2021, elle n’arrive pas à convaincre en Maria Stuarda, pour des raisons plus techniques  qu’interprétatives d’ailleurs. Son sommet ? le duo avec Elisabetta où elle lui lance « vile bastarda » avec une morgue et une énergie noire absolument convaincantes (un moment qui faisait exploser les publics d’enthousiasme et de tension dans les années 1960): ici nous sommes au bord du frisson.

Mais le rôle a hélas d’autres exigences. D’Oustrac sait ce que tragédie veut dire, elle sait être une vraie personnalité incontestable en scène. Mais le rôle est terrible et elle n’y arrive pas, notamment dans tout le deuxième acte (mais pas seulement). Elle n’arrive pas à tenir certains aigus, souvent problématiques par tenue de souffle et surtout problèmes de justesse, et dans la très longue scène finale et cette merveilleuse prière qui exige tant de contrôle et de variations sur la couleur vocale, elle est visiblement à la peine, ne tenant jamais la longueur de souffle, avec des aigus difficiles, et les conséquences sur l’intonation, le phrasé et la diction. Son jeu n’est pas en cause, mais la voix est trop grave pour une Stuarda, sans entrer dans la discussion stérile de savoir si elle aurait mieux réussi en Elisabetta (mais alors Dreisig eût elle été une vraie Stuarda ? ) .

Le rôle repose sur deux pieds, d’une part la scène avec Elisabetta du premier acte, où en une seconde, elle est vraiment convaincante, et la scène finale, dont elle n'arrive pas à se sortir, qui du même coup devient un peu ennuyeuse et longue, car la mise en scène très statique finit par mettre en relief l’absence de conviction vocale. Nous y laissons des regrets parce que nous aimons beaucoup cette artiste qui a relevé le défi de chanter avec ses moyens un rôle qui en exige d’autres.

Que dire ? Nous gardons toujours nos doutes sur les prérequis de l’entreprise et les choix vocaux, mais malgré les problèmes irrésolus, le chef peu convaincant, et une mise en scène à idées peut-être quelquefois mal traduites visuellement, la production ne gâche pas le plaisir d’entendre une des plus belles œuvres de Donizetti, pas si fréquente sur les scènes : laissez-vous aller à ce plaisir-là, modestement, sans placer trop haut vos rêves et vos exigences. Et vous ne passerez pas un mauvais moment.

 

Le belcanto oublié de Maria Stuarda

Jacques Schmitt – ResMusica.com – 20 décembre 2022

source: https://www.resmusica.com/2022/12/20/a-geneve-le-belcanto-oublie-de-maria-stuar…

 

Après Anna Bolena l’an dernier, et avant Roberto Devereux au programme de l’an prochain, le Grand Théâtre de Genève offre son deuxième volet de la trilogie de Gaetano Donizetti autour des Tudor avec une Maria Stuarda aux effets contrastés.

Dans son excellent ouvrage « L’opéra – Mode d’emploi », Alain Perroux, notre ex-collègue journaliste aujourd’hui brillant directeur de l’Opéra national du Rhin décrit le belcanto comme « une esthétique qui prône un chant somptueux et imaginatif autour duquel tout le reste s’ordonne. » Or, à quoi est-on confronté dans cette production genevoise de Maria Stuarda de Gaetano Donizetti ? Principalement à une carence de ce qui fait le fondement du belcanto : la qualité du chant. Pour l’une des deux principales protagonistes, par inadaptation vocale à ce genre de chant et, pour l’autre, par manque de technique, voir d’élan artistique pour remplir les critères de l’opéra belcantiste. Pour pallier ces carences musicales, on se repose sur la mise en scène (Mariame Clément), sur des décors (Julia Hansen) seyants de sous-bois feuillus, éclairés de belle manière (Ulrik Gad), sur des costumes recherchés pour qu’avec du coloré, du clinquant, du scandaleux, du vulgaire parfois, on goûte au plaisir des yeux dans l’espoir d’occulter celui des oreilles.

En mars 2005, le Grand Théâtre de Genève offrait ce même opéra dans une mise en scène d’Alain Garichot. Si on avait alors gaussé la platitude, voir la laideur, des décors, le metteur en scène français avait compris que le chant, le beau chant, était le seul méritant et que son apport à la réussite de ce spectacle ne pouvait être que dans la conduction psychologique des protagonistes, dans la direction d’acteurs. Il est vrai qu’avec Joyce Di Donato en Elisabetta et Gabriele Fontana dans le rôle-titre, la place était à l’évidence au belcanto.

Dans Maria Stuarda, comme dans Anna Bolena, Gaetano Donizetti et son librettiste ne se préoccupent guère de la vérité historique. L’important reste de concocter une belle musique, de beaux airs sous couvert d’un drame de la jalousie amoureuse. Si dans la réalité, Marie Stuart a comploté contre Elizabeth pour lui ravir sa couronne, ce qui lui vaudra d’être emprisonnée puis décapitée, le librettiste de Donizetti a corsé l’affaire en faisant de Roberto, Comte de Leicester, l’amant de la renégate en même temps que l’amour passionnel de la reine. Les deux femmes vont se confronter, s’insulter, se déchirer pour la possession de cet homme dans des envolées vocales propres à soulever un public avide de sensationnalisme vocal.

C’est malheureusement là où le bât blesse. Ainsi, voit-on une Stéphanie d´Oustrac (Maria Stuarda) ayant bien du mal à soutenir son rôle. Avec une voix engorgée, sans couleurs, souvent en délicatesse avec le diapason, en manque d’agilité dans les vocalises, sans parler d’une diction défaillante, la mezzo soprano française est à la peine dans tous les registres. Dans une moindre mesure, la soprano Elsa Dreisig (Elisabetta) pâtit de faiblesse similaires. Quand bien même la projection vocale et la diction apparaissent à la hauteur de l’enjeu vocal de l’œuvre donizettienne, sa jolie voix ne suffit pas à porter le message belcantiste. Des notes sont courtes, des vocalises sans grandes envolées, manquant de volume – à chacune de ses interventions, le chef d’orchestre force l’Orchestre de la Suisse Romande à baisser considérablement son volume sonore pour ne pas couvrir la soprano –  on sent chez la soprano un désir de bien faire alors qu’on attend d’une chanteuse engagée dans ce genre d’opéra qu’elle se sublime artistiquement au-delà de la simple exécution d’un air.

Parmi les autres rôles, le ténor Eduardo Rocha (Roberto, Comte de Leicester), en rocker, s’efforce avec une voix aux aigus serrés, de paraître à la hauteur de son emploi. De leur côté, la basse Nicola Ulivieri (Giorgio Talbot, Comte de Shrewsbury) et le baryton Simone del Savio (Lord Guglielmo Cecil) s’acquittent honnêtement de leur rôle avec, un beau moment de grâce vocale de ce dernier dans le duo d’entrée du troisième acte où la cohésion musicale entre le baryton, la soprano Elsa Dreisig et l’orchestre est parfaite. A noter la bonne prestation de la mezzo-soprano Ena Pongrac (Anna Kennedy).

Dans la fosse, l’Orchestre de la Suisse Romande est aux ordres du chef génois Andrea Sanguinetti attentif, comme nous l’avons vu plus haut, à ne jamais couvrir la voix des chanteuses. Ces parfois brusques variations de volume sonore de l’orchestre prétéritent la continuité musicale de l’œuvre et partant le dramatique de la composition de Donizetti. Fidèle à lui-même le Chœur du Grand Théâtre de Genève est parfaitement en place tant scéniquement que vocalement.

Une «Maria Stuarda» à petite couronne

Rocco Zacheo – Tribune de Genève – 18 décembre 2022

source: https://www.tdg.ch/au-grand-theatre-une-maria-stuarda-a-petite-couronne-5042090…

 

Plongé dans des tableaux léchés et séduisants, le deuxième épisode de la trilogie des Tudor de Donizetti peine à convaincre sur le front musical. 

Êtes-vous attirés par la gloire et les affres des têtes couronnées du Royaume-Uni, d’hier et d’aujourd’hui? De Netflix, avec son imparable série «The Crown» à Shakespeare et ses tragédies, en passant par les récits de Harry et Meghan et par d’autres innombrables canaux, il y aurait là de quoi remplir l’existence du commun des mortels. Sur le front lyrique, la matière est tout aussi dense et le Grand Théâtre le rappelle ces jours-ci, en proposant aux mélomanes la deuxième étape de ce voyage au cœur des Tudor conçu par Gaetano Donizetti sous forme de trilogie. Nous voici alors au plus près de la tragédie de «Maria Stuarda», l’Écossaise qui convoitait la couronne de sa cousine Elisabeth Ire et dont le complot pour assassiner la rivale lui a valu l’emprisonnement et l’échafaud. 

Du sombre au lumineux
La maison genevoise s'est emparée arec ambition de la fresque en question en plaçant à l'affiche un épisode par saison et en confiant la réalisation à une équipe et à une distribution vocale uniques. Arrivé à la deuxième étape, après celle d' «Anna Bolena » l'année passée, on se dit tout d’abord que les continuités, les fils rouges scéniques qui traversent cette aventure, auraient sans doute gagné en force si on avait décidé de représenter le tout en rapide succession, dans une sorte de court festival, de «Ring» beicantiste ramassé.

Où sont-elles ces continuités? Dans la scénographie et les décors de Julia Hansen, en premier lieu, qui reposent sur de grandes structures boisées et coulissantes, d'un bleu cobalt, ouvrant avec leurs mouvements des profondeurs de champs sans cesse renouvelées. S'ajoute un univers en grande partie boisé, nimbé par une lumière (Ulrik Gad) saisissante, allant du sombre et oppressant au lumineux et doré. La beauté plastique des tableaux qui en découlent, habités par un peuple de la cour à l'austérité opprimante, marque d'un bout à l'autre cette production.

D'autres éléments, bien moins convaincants, s'affichent dans la mise en scène. Ils tiennent parfois du détail mais relèvent cependant de l'incongru, tel ce vieux téléphone à fil posé sur un bureau, en totale rupture avec le contexte du XIXe siècle dans lequel baigne le spectacle. Ou encore ces pas de danse du chœur, mal ajustés et parfaitement décoratifs. Plus embêtant, on a été passablement interloqué par d'autres scènes dont le sens et l'utilité semblaient ténus voire inexistants: une séance de palpations chamelles assez poussées, vulgaires même, entre Elisabetta et son amant Roberto, compte de Leicester. Ou encore l'apparition de deux cameramen - figures archi-rebattues sur les scènes du monde entier - venus filmer les derniers instants de Maria Stuarda, sans que cela ait donné lieu par ailleurs à des images projetées quelque part sur la scène.

On se dit alors qu'avec ces trouvailles un peu courtes, la metteuse en scène Mariame Clément a sans doute voulu ajouter du sel et du poivre à une œuvre qui, comme «Anna Bolena», est quasi dépourvue d'action, tant les destins des protagonistes semblent d'entrée de jeu scellés. Et il est vrai, que le fatum inéluctable, les longueurs du livret et les conflits tenaces entre les deux têtes couronnées constituent une gageure quasi insurmontable pour celles et ceux qui décident de s'y frotter.

Alors, à quoi s'agripper dans ces cas? Aux voix, bien sûr, véritables couronnes au royaume du bel canto «donizettien». Au Grand Théâtre, hélas, ce trait essentiel de l'ouvrage n'a pas été convaincant, loin de là. Dans le rôle-titre, la mezzo Stéphanie d'Oustrac a affiché comme toujours une forte présence scénique. Sa confrontation avec la rivale a été d'une rare intensité, culminant avec le terrible «Figlia impura di Bolena vile bastarda» (fille impure de Bolena [...] vile bâtarde). Mais sur le front de la voix, la Française aux graves généreux a été trop souvent en délicatesse dans les vocalises, a manqué de subtilité et de souplesse, donnant un registre étroit à son personnage. S'ajoute à cela sa diction problématique, loin d'un italien intelligible.

Dreisig sort du lot
À ses côtés, la voix claire, techniquement irréprochable et à l'intonation précise - des suraigus fiers et flamboyants - d'Elsa Dreisig, tout en étant peu en accord avec les canons belcantistes, sort clairement du lot parmi la distribution. Ailleurs, parmi les rôles secondaires, Nicola Ulivieri a été à la hauteur en Giorgio Talbot, tout comme Ena Pongrac en Anna Kennedy et Simone Del Savio en Guglielmo Cecil. Edgardo Rocha, lui, a affiché un aigu tonitruant mais serré. Pour le reste, il n'a pas l'ampleur de registre requise ni le timbre pour faire de lui un Roberto convaincant.

Les meilleures notes, au final, ne viennent que par le Chœur du Grand Théâtre, au meilleur de sa forme, précis et puissant comme rarement. Tandis que dans la fosse, Andrea Sanguineti et ses camarades de l'Orchestre de la Suisse romande ont parcouru la pièce sans déshonneur et sans gloire non plus: on attendait d'autres intensités et des couleurs plus vives sur ce terrain, ce ne fut jamais le cas.

Maria Stuarda selon Mariame Clément - Reines de cœur

Vincent Borel – ConcertClassic.com- 19 décembre 2022

source: https://www.concertclassic.com/article/maria-stuarda-de-donizetti-selon-mariame…

 

Fascinée par le destin de la Reine Vierge, Mariame Clément poursuit à Genève, après l’Anna Bolena de la saison passée, l’exploration de la trilogie Tudor. Sa Maria Stuarda débute par la réminiscence de la décapitation d’Ann Boleyn, mère d’Elisabeth, un souvenir traumatique auquel assiste la reine enfant. Une seconde figurante jouera la reine au masque de céruse. La cour anglicane, austère, reçoit la touche Renaissance de rigueur dans les seyants costumes de Julia Hansen. Mariame Clément teinte également sa vision de touches de modernité. À l’avant-scène, un téléphone est disposé sur le bureau, réminiscence de la série The Crown. Deux cameramen filment le supplice d’une reine d’Ecosse qui maîtrise sa communication et achève sa vie en martyre, immaculée, de la politique. L’ensemble se joue dans un décor sombre, imposant, où la forêt est omniprésente, tantôt printanière, tantôt automnale sous les éclairages très réussis de Ulrik Gald. On pense plus d’une fois aux réalisations de la plasticienne suisse Heidi Bucher.

Durant le duo d’Elisabetta avec Lord Cecil (« La perfida insultarmi »), où lui sont rappelés ses devoirs, le conseiller retors endosse les habits d’Henri VIII, ogre sensuel comme sa fille tenant Leicester sous son emprise et réclamant (trop) souvent la main du favori dans sa culotte. Elsa Dreisig, vêtue comme une Diane armée, porte le cheveu court et roux. La voix est fine, argentée, sûre de son élocution comme de sa virtuosité, imposant une reine jalouse et profondément humaine dès son « Ah ! quando all’ara scorgemi ».

C’est pour elle une prise de rôle, comme pour tous les chanteurs à l’exception de Nicola Ulivieri. On attendait évidemment la Maria Stuarda de Stéphanie d’Oustrac. Ses talents de tragédienne, l’ardeur et l’intelligence de sa composition font oublier les petites approximations de l’entrée en scène. Mais chanter allongée n’est peut-être pas très confort. Ses capacités et sa présence fulgurante culminent au final du premier acte. Reste que le bel canto lui pose des problèmes de souffle. La célèbre prière précédant son supplice, avec sa note infiniment tenue, où Caballé et Gencer ont laissé des souvenirs inoubliables, tout comme Joyce Di Donato récemment, laisse dubitatif. La portée est courte et les micro-respirations aventureuses. La faute sans doute à la direction très effilochée d’Andrea Sanguineti. Remplaçant in extremis Stefano Montanari, le chef italien se place dans une optique historiquement informée (avec pianoforte) mais sans grande attention à la précision et aux dynamiques. En Leicester, ici faible et alcoolique, l’Uruguayen Edgardo Rocha confirme son ténor léger et ardent, bien posé, sans imprécisions, et qui gagnerait à déployer plus de mordant.
Dans leurs rôles d’attachés de presse courtisans, les conseillers Cecil et Talbot sont visuellement interchangeables, de sorte que l’on retient surtout la basse ronde de Nicola Ulivieri, il est vrai plus présent en scène que Simone del Savio. La très jolie surprise est l’Anna de la Croate Ena Pongrac à qui les premiers rôles belcantistes devraient vite échoir. Quant aux chœurs du Grand Théâtre et aux pupitres de l’OSR, ils brillent toujours par leur professionnalisme et leur musicalité.
 

Une «Maria Stuarda» très picturale

Julian Sykes - Le Temps - 19 décembre 2022

source: https://www.letemps.ch/culture/une-maria-stuarda-tres-picturale-geneve

 

La metteuse en scène française Mariame Clément signe au Grand Théâtre un spectacle aux tableaux plaisants éclairant le drame intime à l’œuvre chez Donizetti. La distribution vocale est inégale, et la direction d’orchestre un peu trop sage

Distribuer le bel canto du premier romantisme relève aujourd’hui de la gageure, tellement il manque de voix idoines pour servir ce répertoire. Il faut à la fois du coffre vocal et une prodigieuse agilité pour réaliser les colorature aériennes et ornements, deux qualités qui ne sont pas facilement conciliables. Disons-le d’emblée: ni Elsa Dreisig (Elisabetta) ni Stéphanie d’Oustrac (Maria Stuarda) n’ont la typologie de voix attendue, mais c’est la première qui s’en tire le mieux par la tenue vocale et la constante justesse au fil des airs.

Deuxième volet de la trilogie des Tudor, Maria Stuarda est un magnifique ouvrage qui voit sur scène la confrontation de deux reines rivales également cousines: Elisabeth I, reine d’Angleterre, et Marie Stuart, reine d’Ecosse. L’enjeu de l’opéra est résumé dans la première image du spectacle que signe Mariame Clément, dans un dispositif scénique comparable à celui d’Anna Bolena, premier volet de la trilogie donné en novembre 2021. Tout en livrant le fond politique de l’histoire, Mariame Clément se concentre sur les tiraillements amoureux et les arrière-plans psychanalytiques – avec la présence d’Elisabeth en jeune fille et un petit garçon qui serait le fruit d’une liaison illégitime entre Maria Stuarda et Leicester – ou un autre amant.
Sitôt le Prélude entonné par l’orchestre dans la fosse, le rideau s’ouvre un court moment pour nous montrer un tableau du plus bel effet. Sa composition rappelle les grands maîtres de la peinture flamande et allemande. On y voit Maria Stuarda, agenouillée et soumise, s’apprêtant à recevoir un coup de hache sur la tête. Dans un splendide jeu d’ombres et de lumière, la composition de l’image suggère la décapitation à l’œuvre avec, côté cour, Elisabeth, l’air grave, prise de remords, engoncée dans un costume ouvragé de l’ère élisabéthaine.

Eclairages ingénieux
Mariame Clément a l’œil pour ces scènes rehaussant le caractère conflictuel de la relation d’Elisabetta à Maria Stuarda. Son spectacle se déroule à la manière d’une série de tableaux évoluant entre sphère privée et sphère publique. On y voit le protocole très codifié de la cour d’Angleterre, contrastant avec les émois houleux chahutant les personnages. On y voit aussi le jeu des influences, personnifié par ce bellâtre de Leicester tiraillé entre son désir de plaire à la reine Elisabeth et celui de sauver Maria Stuarda dont il plaide la cause auprès de celle-ci. L’empressement de Leicester à sauver Marie Stuart produit l’effet inverse: en proie à une jalousie croissante, stimulée par le vil lord Cecil, Elisabetta en vient à signer le décret de la décapitation.
Les éclairages ingénieux jouent un rôle crucial dans cette mise en scène aux décors très plaisants. Ils rythment les tableaux – au gré des humeurs des personnages – et leur confèrent une coloration émotionnelle. On pourra être rebuté par la «vulgarité» des rapports entre Leicester et Elisabetta, mais c’est bien vu de montrer les liens de domination-soumission entre la reine et son comte adoré. Au début, Elisabetta est clairement sous l’emprise de Leicester, mais les rapports vont s’inverser. La scène au 3e acte, hélas, manque de doigté.

Une femme libre et sensuelle
Si la direction d’acteur éclaire bien les déchirements intérieurs des personnages, on regrette l’idée de portraiturer Marie Stuart en icône sacrificielle à la fin de l’opéra – cela coïncidant avec l’irruption inopinée de deux cameramen sur le plateau! Avouons que le procédé est hypercliché et casse la dramaturgie scénique ancrée dans le XVIe siècle. Mariame Clément est plus habile à suggérer le portrait d’une Marie Stuart en femme libre et sensuelle, communiant avec la nature, en dépit de son emprisonnement.

Elsa Dreisig – à la voix de soprano claire – domine la distribution par la conduite de la ligne vocale et l’assurance de ses aigus jamais criés. Stéphanie d’Oustrac traverse l’opéra avec plus de difficultés: elle est à son meilleur dans le registre médium, un peu gênée aux entournures pour produire des vocalises, le tissu vocal parfois carrément déteint dans les aigus. La mezzo française s’appuie sur les grandes scènes comme son ultime confession avant la mise à mort pour donner toute sa dimension à Marie Stuart.
Fougueux, très animé sur scène, Edgardo Rocha (Leicester) n’a pas le timbre le plus noble qui soit et a tendance à serrer pousser les aigus. Simone Del Savio est un Cecil à l’aplomb sûr et la basse Nicola Ulivieri signe un très bon Talbot. Le chef Andrea Sanguineti joue globalement la prudence dans la fosse, sans doute par crainte de couvrir les voix. Les chœurs du Grand Théâtre sont excellents, et contribuent à la beauté musicale de la scène finale.

Marie Stuart, Reine d’Écosse et du “story-telling”

CJM – Olyrix.com – 18 décembre 2022

source: https://www.olyrix.com/articles/production/6391/maria-stuarda-opera-donizetti-g…

 

Ce deuxième épisode de la trilogie Tudor de Donizetti mise en scène par Mariame Clément au Grand Théâtre de Genève permet de retrouver Stéphanie d’Oustrac et Elsa Dreisig en reines rivales.

Dans sa lecture, Mariame Clément fait de Maria Stuarda un affrontement politique entre deux femmes de pouvoir et deux formes de communication. D’un côté il y a Elisabetta, jeune femme qui incarne l’autorité sans être encore cette figure intouchable de la “Reine Vierge” qu’elle deviendra par la suite (et qui apparaît brièvement sur scène). Elle porte une sorte d’armure, comme un héritage d’une politique médiévale, animant sans beaucoup de joie une cour à l’allure austère et rigoureuse. Elle doit aussi porter le poids de son histoire familiale (l’objet d’Anna Bolena), qui vient la hanter dès la première scène de l’opéra mais aussi lorsque Cecil lui conseille de supprimer Maria à l’acte II, prenant alors les traits d’Henri VIII parlant à sa fille.

De l’autre côté, Maria apparaît comme la reine de la communication : figure habillée de rose et présentée comme “féminine”, entourée par la nature à laquelle elle s’intègre, associée à la pureté de cet enfant qu’elle prend dans ses bras, la reine déchue transforme sa propre détresse politique en récit séduisant. 

Ainsi donc, si Elisabetta signe l’arrêt de mort (davantage par frustration devant ce succès politique de sa rivale que par dépit amoureux), c’est Maria qui gagne la victoire de la mémoire : dictant ses dernières paroles à Anna, ayant un mot pour chacun, elle écrit elle-même sa propre légende devant les caméras qui filment son ultime prière, sublime créature habillée de blanc, réussissant à transformer l’arrivée maladroite de Roberto en moment touchant. 

Une communication si habile est-elle un mensonge ? Dans la vision de Mariame Clément, c’est surtout l’arme politique de deux femmes très isolées dont la survie est en jeu. Car d’amitié ou d’amour, il n’est pas vraiment question dans cette vision : Talbot et Cecil sont comme deux faces d’une même pièce, conseillers médiatiques chaussés de lunettes, davantage soucieux de voir gagner leur parti dans l’opinion que du bonheur de leur reine. La scène où Maria confesse ses tourments (seul moment où elle ne joue plus) devient cruelle puisqu’elle se passe devant des courtisans et que Talbot semble uniquement soucieux que ceux-ci n’entendent pas les paroles compromettantes de leur souveraine.

Dans tout cela, Roberto manipulé par deux femmes plus habiles que lui, est tour à tour le jouet charnel d’Elisabetta puis le pion de Maria qui l’apprivoise avec quelques belles paroles avant de le remplacer par un enfant (plus photogénique) dans la scène finale.

Cette Maria metteuse en scène de sa propre histoire (ce qui n’exclut pas sa sincérité), cette vision noire, rendue parfaitement lisible par la scénographie et les costumes de Julia Hansen, donne à penser mais laisse une impression de sécheresse. La direction d’acteur semble elle aussi plus soucieuse d’établir la cohérence et la lisibilité du parti-pris dramaturgique que de développer les personnages ou d’imaginer des gestes par lesquels l’émotion puisse arriver.

 

Côté voix, c’est Elsa Dreisig qui ouvre le bal en Elisabetta. La voix est claire, le timbre a des éclats argentés mais garde de la chair, le chant est séduisant avec un registre grave qui sonne libre et des aigus sûrs (même si les grands aigus fortissimo attaqués par en dessous deviennent un peu larges). La chanteuse essaye des nuances bienvenues composant une reine presque fragile, l’instrument étant sonore mais de nature plus soyeuse qu’autoritaire. La différence de tessiture et de génération entre les deux chanteuses raconte alors une histoire : celle de la jalousie d’Elisabetta envers cette aînée plus expérimentée et habile qu’elle.

Sa rivale justement, c’est Stéphanie d’Oustrac. Si la présence est admirée de l’assistance, le soin des mots exemplaire, la musicalité sûre (qui lui permet d’oser des rubatos –souplesses rythmiques– pleinement dans le style), les limites se font entendre dès l’air d’entrée : malgré le charme que peut avoir ce timbre cuivré dans le médium, le son est souvent dur, les aigus deviennent métalliques, le souffle parfois récalcitrant. Il manque à ce chant une souplesse et un legato plus italien pour dessiner les phrases du bel canto. Le deuxième acte la trouve plus à son aise, la chanteuse retrouvant l’accès à son registre grave et livrant même une belle scène de confession, touchante et juste, avec un regard mémorable dans le miroir.

C’est à Edgardo Rocha qu’échoit la tâche d’incarner ce Roberto cabotin et un peu veule. Le ténor fait valoir un timbre séduisant et brillant, proche du nez sans être nasal, une technique qui ne force pas l’instrument, des aigus sûrs et un haut medium libre. Néanmoins la projection vocale manque d’impact et de tranchant pour l’acoustique plutôt flatteuse de ce Grand Théâtre. La suite des représentations permettra sans doute au ténor de mieux trouver ses marques.

Devenus presque des jumeaux, Cecil et Talbot ont des qualités comparables. Le premier, incarné par Simone del Savio, fait entendre une voix de baryton, sombre et dense, d’abord un peu couverte mais qui s’ouvre au fil de la représentation, dessinant un personnage habile et retors. De son côté Nicola Ulivieri possède un timbre noble qui s’appuie sur des graves suffisamment sonores et une technique solide, incarnant un Talbot très crédible en chargé de communication qui réussit à faire de Maria la légende qu’elle doit être.

Enfin, dans ses quelques interventions en Anna, Ena Pongrac fait entendre une voix chaleureuse et claire de mezzo-soprano, dessinant elle aussi un personnage plus habile que touché par le destin de sa maîtresse.

Andrea Sanguineti dirige ce répertoire avec la souplesse et l’intensité dramatique qu’il réclame, s’adaptant à ses chanteurs malgré quelques petits décalages en début de soirée. Il tire de riches couleurs de l’Orchestre de la Suisse Romande (où résonne un piano forte) ainsi que du Chœur du Grand Théâtre, en bonne forme quoiqu’un peu prudent ce soir.

Le public applaudit chaleureusement une production intelligente et des chanteurs investis.

Historische Gegenwärtigkeit

Peter Krause – Concerti.de - 18. Dezember 2022

source: https://www.concerti.de/oper/opern-kritiken/grand-theatre-de-geneve-maria-stuar…

 

Dieser Genfer Belcanto ist keine Schlacht um exponierte Töne, sondern der berührende Showdown zweier großer Frauen der Geschichte. Die Tudor-Trilogie des Regie-Duos Mariame Clément und Julia Hansen wie der Sängerinnen Elsa Dreisig und Stéphanie d’Oustrac wird in Teil 2 zu einem szenischen wie musikalischen Triumph.

Teil zwei der Tudor-Trilogie am Grand Théâtre de Genève: Donizettis Maria Stuarda.

Wer Belcanto-Opern in Szene setzt, sollte das eigene Regie-Ego klug relativieren. Jedenfalls sie oder er diese Ego nicht für bedeutsamer halten als die Sängerinnen und Sänger, die auf der Bühne die Ideale des Schöngesangs in die Tat umzusetzen haben, wenn sie ewig lange Tongirlanden spinnen und auf dem eigenen Atem ausbreiten oder wenn sie aberwitzige Koloraturfeuerwerke entzünden. Christof Loy wusste das, als er mit Edita Gruberova die Königinnen-Tragödien Donizettis an der Bayerischen Staatsoper deutete, die legendäre Sopranistin dabei einerseits nicht beim Singen störte, sie andererseits aber zu grandiosen Figurenportraits inspirierte.

Mariame Clément weiß glücklicherweise auch, was Belcanto ist und was er für ihre Rolle als Regisseurin bedeutet. Am Grand Théâtre de Genève setzte sie nun nach „Anna Bolena“ vor gut einem Jahr ihren Zyklus der Tudor-Dramen fort: Jetzt dürfen sich in „Maria Stuarda“ die englische und die schottische Königin angiften und um denselben Mann keilen. Der Ausgang des Zickenkrieges ist bekannt: Maria Stuart zieht den Kürzeren, sie wurde, offiziell wegen Hochverrats, hingerichtet. Elisabeth kann fortan ungestört das später eigens nach ihr benannte Zeitalter prägen, in dem Musik, bildende Kunst und nicht zuletzt Literatur (es war ja schließlich auch die Epoche William Shakespeares) zu ungeahnter Blüte gelangten.

Vom Segen des zyklischen Arbeitens
Spannend an der Neuinszenierung von „Maria Stuarda“ ist nun mindestens zweierlei. Erstens die Besetzung der Hauptpartien, die von „Anna Bolena“ bis „Roberto Devereux“ im kommenden Jahr dieselben Sängerinnen vorsieht: die Französinnen Elsa Dreisig und Stéphanie d’Oustrac, die sich das für sie weitgehend neue dramatische Belcanto-Repertoire Schritt für Schritt erobern. Zweitens das Regieteam, das ebenso für die gesamte Trilogie am Start ist und einige wiederkehrende und variierte Inszenierungsansätze mit allerhand Rückblenden und Vorausblicken zwischen den Werken verfolgt. Das Zwischenfazit nach Teil 2 lautet: Die Lernkurve für eigentlich alle Verantwortlichen ist steil. Der Abend gerät beglückend. Waren die beiden Sängerinnen in „Anna Bolena“ noch auf der Suche nach ihrem Belcanto-Verständnis, fremdelten gewissermaßen noch, wissen sie nun sehr genau, wie sie in „Maria Stuarda“ den Ausgleich aus schönem Gesang und wahrhaftigem Theater herstellen wollen.

Elsa Dreisig schien nach ihrem sommerlichen Debüt als Salome von Richard Strauss in Aix-en-Provence schon ganz in jugendlich-dramatische Soprangefilde entschwinden zu wollen. Nun macht sie klar: Der Zauber ihre Stimme liegt im Lyrischen, aus dessen Farbpalette sie die Elisabeth nun in großer Natürlichkeit aufbaut. Nichts ist da forciert oder gewollt, alles ist gekonnt, empfunden und psychologisch durchformt. Stéphanie d’Oustrac geht die Nebenbuhlerin der Elisabeth als titelgebende Prima Donna nun mit deutlich klarerer Tongebung und einer klugen Abmischung aus Kopf- und Bruststimme an, woraus sie die berührende Dramatik jenes Mitleid erregenden Opfers des englischen Machtstrebens aufregend deutlich macht. Ein Belcanto-Stilist vom Feinsten ist wie im Vorjahr der Latin Lover-Tenor Edgardo Rocha, der als Roberto zwischen den Damen steht und ja auch zwischen ihnen vermitteln soll, was nur nicht so wirklich klappt, da er ja mit beiden intim zu sein scheint.

Sänger- und Regietheater gehen zusammen
Als Sängertheater also funktioniert der Abend schon einmal hervorragend, auch da Andrea Sanguineti, der die Serie von Vorstellungen für Stefano Montanari übernahm, seine Sänger wie auf Händen trug. Weniger knackig artikulierend als in 2021 bei „Anna Bolena“ spielt das Orchestre de la Suisse Romande nun seinen Donizetti. Sanguineti geht ihn geschmeidiger, fließender, samtiger an als Montanari. Doch die Inszenierung will dann durchaus mehr, als die Sänger in berückende Roben zu stecken und in hübschen Tableaus zu arrangieren.

Überaus subtil setzen Mariame Clément in ihrer Regie und Julia Hansen als Ausstatterin Zeichen, die vom ästhetisch ansprechenden Historisieren ausgehen, dann aber doch über diesen Umweg verblüffend in der Gegenwart landen. Erneut ließ sich Julia Hansen in der Konzeption der Kostüme von Renaissance-Gemälden inspirieren, die uns von den royalen Persönlichkeiten wie von ihrem Hofstaat ja ein ziemlich authentisches Bild vermitteln. Die fein gewirkten Stoffe der Kleider sind erneut ein Hingucker. Für die Chorregie greift Mariame Clément die den Gemälden abgeschauten Gesten und Blicke auf. Die großen Szenen bedienen eindeutig das historisch überlieferte Ambiente.

Die Königin von England und die Königin der Herzen
Dazu spiegeln die Bühnenbilder in sprechender Metaphorik Park- und Waldeslandschaften, in denen Teile der Handlung spielen. Das frische Grün der Bäume welkt im Laufe des Abends zu Herbst-Braun – und Elisabeth wird vom verträumt verliebten, sich und ihre Erotik entdeckenden Mädchen zur Königin, will heißen: zur Machtpolitikerin, die Persönliches und Privates entschieden hintanstellt und sich für die Politik und deren Pflichten, ja die Staatsraison entscheiden. Um diesen Prozess des Alterns als einen psychologischen darzustellen, also die Geschichte der Verwandlung einer Monarchin, finden Regisseurin und Ausstatterin, die seit Jahren ein erfolgreiches und immer wieder höchst originelles Duo bilden, wunderbar zusammen. Dabei meint man zunächst, die Sängerdarstellerin Elsa Dreisig würde als Elisabeth ihrer Königinnenkonkurrentin den Rang ablaufen, so aufregend ist es, dieser Reifung beizuwohnen, in der die Sopranistin von den dezidiert zarten Tönen des Anfangs zu vokaler Dominanz findet.

Doch die Siegerin, die das Todesurteil über Maria unterschreibt, wirkt am Ende dennoch als Besiegte, geht Maria doch als moralische Königin der Herzen in den Tod: Sie verzeiht der Nebenbuhlerin, die ob so viel Herz nun wie versteinert an ihrem Schreibtisch (mit Telefon!) sitzt. Nur den absoluten vokalen Triumph gönnt die Aufführung Maria nicht. Hießen große Rollenvorgängerin Edita Gruberova oder Montserrat Caballé, waren also Soprane, ist die Entscheidung für eine Besetzung mit einem Mezzo eine Rückkehr zur legendären Malibran. Der Triumph im Tod wird nun nicht mit einem Spitzenton gekrönt, sondern in der Mittellage fast abgeklärt besungen. Dieser Genfer Belcanto ist dementsprechend keine Schlacht um exponierte Töne, sondern der weitaus tiefergehende Showdown zweier großer Frauen der Geschichte.