Parsifal

Richard Wagner
Parsifal
Festival scénique sacré en 3 actes
du 25 janvier au 5 février 2023

Direction musicale Jonathan Nott
Mise en scène Michael Thalheimer
Scénographie Henrik Ahr
Costumes Michaela Barth
Lumières Stefan Bolliger
Dramaturgie Bettina Auer
Direction des chœurs Alan Woodbridge
   
Parsifal Daniel Johansson
Amfortas Christopher Maltman
Gurnemanz Tareq Nazmi
Kundry Tanja Ariane Baumgartner
Klingsor Martin Gantner
Titurel William Meinert
Filles-Fleurs Julieth Lozano
  Tineke van Ingelgem
  Louise Foor
  Valeriia Savinskaia
  Ena Pongrac
  Ramya Roy
Chevaliers Louis Zaitoun
  William Meinert
Écuyers Julieth Lozano
  Ena Pongrac
  Omar Mancini
  José Pazos
Une voix Ena Pongrac

Chœurs du Grand Théâtre de Genève
Maîtrise du Conservatoire populaire de Genève
Orchestre de la Suisse Romande

Coproduction avec le Deutsche Oper am Rhein Düsseldorf Duisburg

Grand Théâtre de Genève

Vos critiques

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Revue de presse

A Genève, un Parsifal bien misérable

Paul-André Demierre – crescendo-magazine.be – 3 février 2023

source: https://www.crescendo-magazine.be/a-geneve-un-parsifal-bien-miserable/

 

Dans le programme du Parsifal donné actuellement au Grand-Théâtre de Genève, figure un article, Wagner ou la douleur du monde, dû au metteur en scène Michael Thalheimer qui note : « La première chose qui me vient à l’esprit à propos de Parsifal -et c’est positif- est que cette œuvre est impossible… J’essaie de me concentrer sur l’histoire, les protagonistes et le chœur. Je tente vraiment de raconter sur scène, bout à bout, cette histoire impossible. Cela me procure beaucoup de plaisir, ainsi qu’aux chanteurs ».

Et toi, pauvre spectateur, en as-tu autant, toi qui, dès les premières mesures d’orchestre, vois un homme en maillot de corps et en pantalon de jogging blanc, arpentant un chemin sans fin entre deux parois sur plateforme pivotante et croisant un malheureux hère qui trébuche avec ses béquilles pourries ? Alors que Jonathan Nott et l’Orchestre de la Suisse Romande étirent avec une louable précision un Prélude trop uniforme, l’on finit par comprendre que nous avons affaire à un Parsifal dans la force de l’âge, confié au timbre de ténor barytonnant de Daniel Johansson, côtoyant le Gurnemanz maculé de sang de la basse Tareq Nazmi dont il faut admirer autant l’intelligence de phrasé que la performance ‘sportive’ de plier en deux sa longue silhouette durant deux actes interminables. Vêtue par Michaela Barth d’un tailleur-pantalon noir et talons hauts, paraît la Kundry de Tanja Ariane Baumgartner, cherchant sa voix durant toute la première partie, reléguant aux oubliettes les râles de la sauvageonne pour se figer côté jardin et fumer sa pitoyable existence en volutes de cigarillo. Par quatre écuyers est amené Amfortas, lui aussi entaché de sang, incarné par Christopher Maltman qui, une fois passé le dialogue initial, laisse ses douloureuses imprécations se répandre avec une intensité expressive notoire. Sur des sonneries de cloches bien lointaines est développée une Verwandlungsmusik guère impressionnante tandis que le décor conçu par Henrik Ahr s’entrouvre pour laisser place à une niche où se juchera le prêtre-roi s’adressant à la confrérie de chevaliers qui ne réunit ici que des garçons-bouchers badigeonnant les murs d’hémoglobine. Néanmoins, leur choral « Zum letzten Liebesmahle » est magnifiquement négocié par les voix d’hommes du Chœur du Grand-Théâtre (préparées soigneusement par Alan Woodbridge) et constitue enfin le premier élément positif de ce premier acte. Tandis que résonnent les graves saisissants du Titurel de William Meinert, l’apparition du Graal est suggérée par une lumière blanche descendant des cintres sur les mystérieux « Selig in Liebe ! Seling’ im Glauben ! » égrénés par les jeunes de la Maîtrise du Conservatoire Populaire de Genève.

Au deuxième acte, les choses ne s’arrangent guère avec un Klingsor portant manteau violet, campé par un Martin Gantner prosaïque, gesticulant comme un Mime égaré de Siegfried, totalement dépourvu de la grandeur malfaisante d’un sorcier. Que sont donc ces six filles-fleurs, repoussantes comme des poufiasses avec leurs faux-culs plastifiés, faisant causette avec leurs consoeurs du sixième étage, en nuisettes à fleurs, qui se sont débarrassées pour un moment de l’encombrant Luchini ? Comment imaginer qu’une Kundry, arborant un rouge pétant de midinette, puisse exercer une quelconque séduction sur ce grand bêta de Parsifal que tant de mains ont tenté de palper ? Même si son timbre de mezzo a retrouvé une part de son coloris, sa dangereuse emprise ne peut qu’être vouée à l’échec, tandis que sa victime darde avec éclat les aigus de « Amfortas ! – Die Wunde ! ». Et c’est à coup de pistolet qu’il faudra dissiper le pseudo-sortilège.

Au troisième acte qui se déroule quarante années plus tard, Gurnemanz n’est plus qu’un spectre chancelant, tentant encore de se redresser sur ses béquilles afin de s’approcher d’une Kundry en ciré blanc murmurant : »Dienen… dienen ». S’emparant d’un pot de peinture rouge ‘sang’ (cela va sans dire !), elle inscrit sur la paroi du fond les mots « Durch Mitleid wissend » qu’elle efface d’un coup de coude pour les remplacer par « Der reine Tor » puis « Parsifal », mobilisant stupidement l’attention du spectateur, alors que poind en fond de scène le protagoniste miséreux qui a passé aux puces pour se procurer de noires guenilles et un masque de clown triste. Fascinée par l’Enchantement du Vendredi-Saint, la baguette de Jonathan Nott se libère brusquement de ces incongruités pour se laisser gagner par cette expression du sublime si longtemps mise sous cloche. Et Parsifal, devenu prêtre-roi, se retrouvera dans le noir, tentant de saisir une réalité qui lui échappe… comme à nous d’ailleurs, fatigués et profondément déçus d’être passés à côté d’un chef-d’œuvre dont l’on s’est entêté à minimiser la fascinante grandeur…

Sang, souffrance et déshérence

Claudio Poloni – ConcertoNet.com – 2 février 2023

source: http://www.concertonet.com/scripts/review.php?ID_review=15426

 

Un monde sombre, lugubre et complètement dévasté. Ses habitant errent hagards, fatigués, dans des vêtements couverts de sang. Le metteur en scène Michael Thalheimer – très connu dans le milieu du théâtre allemand – a choisi de proposer une lecture radicale de Parsifal au Grand Théâtre de Genève. La Terre a subi une catastrophe ou un cataclysme dont elle peine à se relever, mais s’en relèvera‑t‑elle jamais ? Les chevaliers du Graal sont totalement impuissants dans leur costume ensanglanté, la plupart d’entre eux agonisent. Gurnemanz, constamment recroquevillé, qui peine à se tenir debout sur ses deux béquilles, n’arrive pratiquement plus à se déplacer. Amfortas se tord de douleur tant sa blessure le fait souffrir. Pendant le Prélude, Parsifal, vêtu de blanc, s’extrait avec peine de deux grandes parois et s’avance très lentement sur le plateau, image forte symbolisant sa naissance et son arrivée dans ce monde en déshérence, ou tout n’est que désespoir et noirceur. Ayant accepté sa mission, il parvient au château de Klingsor et se retrouve face‑à‑face avec Kundry, qui tient un pistolet dans la main. Cette dernière finit par lui tendre l’arme, qui le blesse à la poitrine et lui fait ainsi ressentir dans sa propre chair les souffrances d’Amfortas. Kundry tuera ensuite Klingsor, ce qui permettra à Parsifal de s’enfuir avec la lance. Il revient à Montsalvat, dans le même état que les autres : visage bandé, lèvres rouges de sang, un peu comme le Joker de Joaquin Phoenix, et vêtements maculés. Parsifal prend les rênes de la confrérie du Graal mais demeure totalement impuissant et désemparé, ne sachant que faire pour sauver ses camarades et le reste du monde. On l’aura compris, les deux axes principaux de la production de Michael Thalheimer sont la culpabilité première qui accompagne l’être humain dès sa venue au monde ainsi que la responsabilité de chacun lorsqu’une crise éclate, qu’il s’agisse d’une guerre, d’une pandémie ou d’une inondation suite au réchauffement climatique : que faire, à part se retirer du monde ? Le constat est implacable, sans espoir. Bref, une production choc et violente, où l’hémoglobine a tendance à (trop) couler à flots, certes, mais un spectacle fort et cohérent, d’une simplicité et d’une sobriété poignantes, sur un plateau complètement nu, sans aucun accessoire, à part d’immenses parois qui écrasent les personnages.

A la tête de l’Orchestre de la Suisse romande, dont il est le directeur musical et artistique, Jonathan Nott commence par livrer un Prélude au tempo passablement étiré, mettant à nu chaque pupitre et faisant entendre chaque détail orchestral. Le chef accélère un peu le mouvement par la suite, mais toujours dans le même souci de clarté et de transparence. Précision, fluidité, douceur et sobriété sont aussi les maîtres mots de sa lecture. L’orchestre, dans une forme splendide, lui répond comme un seul homme. Tout au plus pourrait‑on souhaiter une interprétation un peu moins uniforme et plus dynamique et nerveuse, surtout dans le dernier acte. Comme toujours, le Chœur du Grand Théâtre de Genève est confondant d’homogénéité et d’engagement. En Kundry, la soprano allemande Tanja Ariane Baumgartner, à l’émission puissante et sonore, séduit tout autant par ses graves corsés que par ses aigus percutants ainsi que par sa forte présence scénique, quand bien même il lui faut du temps pour chauffer sa voix. Tous les autres interprètes de la distribution, qu’il s’agisse des personnages principaux ou des personnages secondaires, chantent leur rôle pour la première fois, une gageure ! Le jeune baryton Tareq Nazmi incarne un splendide Gurnemanz, au phrasé impeccable et à l’émission racée, bouleversant d’émotion à chaque fois qu’il essaie de se déplacer à l’aide de ses béquilles. Christopher Maltman est, lui aussi, confondant d’intensité en Amfortas souffrant le martyre, même si la projection n’est pas toujours homogène et équilibrée. William Meinert impressionne en Titurel par ses graves caverneux. Annoncé souffrant, Martin Gantner pêche par un défaut de noirceur et de méchanceté en Klingsor, en raison de sa voix un peu trop claire pour le rôle. Malgré un timbre un peu terne qui trahit une certaine fatigue au dernier acte, Daniel Johansson convainc par ses élans sincères et saisissants en Parsifal héros malgré lui. Une production qui fera date, à n’en pas douter.

Parsifal à Genève, du sang sur le Graal

Marie Hélène Miauton – Le Temps – 3 février 2023

 

Le Grand Théâtre de Genève donne Parsifal, le festival scénique sacré de Richard Wagner. L’œuvre ne laisse pas indifférent. Plus de quatre heures d’une musique sublime, des voix d’une incroyable exigence, une thématique religieuse, des clés de compréhension multiples : les wagnériens, dont je suis, vénèrent cet opéra grandiose et bouleversant. Mais, comme dans tous les domaines, on peut aimer ou détester, et l’exprimer. Alors, qu’il me soit aussi permis de vous confier mon opinion sur la mise en scène inepte offerte par l’Allemand Michael Thalheimer à des spectateurs perplexes, choqués, indignés. A dire vrai, ma réaction ne doit pas être originale, car les critiques spécialisées sont dans l’ensemble très mitigées, pour ne pas dire exécrables. C’est justice !

Bref résumé. Au premier acte, les chanteurs sont affublés de tenues sanguinolentes. Tous infirmes, ils déambulent avec des béquilles, pliés en deux, et mettent un temps infini pour traverser la scène. Au moment de célébrer le saint Graal, ils barbouillent le décor de sang, il en coule partout, ils en jettent sur les parois. Une vision d’abattoir ! Quant au héros, Parsifal, il apparaît en sous-vêtements, camisole et caleçon long. Ridicule ! Tout cela se trouve en parfaite contradiction avec les paroles chantées, avec le sens de l’œuvre et avec la trame de l’histoire. Au deuxième acte, la mise en scène n’apporte rien, mais on la tolère parce qu’elle est moins outrancière. Au troisième acte, Kundry s’emploie à gribouiller le mur de sang et, dérision ultime, Parsifal est grimé en clown. Cette irruption lamentable du Joker dans l’univers wagnérien ne relève que de la lubie.

Le metteur en scène s’explique, il s’est voulu minimaliste. Que ne l’est-il ! Le minimalisme consiste à limiter les moyens pour un résultat épuré. C’est ce que Wieland Wagner, avec une parfaite réussite, avait inauguré en 1973 (déjà !) au Festival de Bayreuth. L’ampleur de cet opéra qui exige une écoute religieuse se prête particulièrement bien à la sobriété visuelle. C’est le contraire qui nous est imposé à Genève. La volonté délibérée d’attirer l’attention du spectateur sur la mise en scène plutôt que sur la musique contrarie l’ensemble du propos artistique.

Pourtant, nombre de spectacles « revisités » ont été des succès. Passé un premier instant où il est déstabilisé, le public oublie ce qu’il a toujours vu, gagne un nouveau regard et accepte ce que le metteur en scène lui soumet. Pour cela, faut-il que celui-ci ait voulu servir l’œuvre et non la pervertir comme l’a fait Michael Thalheimer à Genève. Lui qui prétend « cerner le cœur de l’ouvrage » a décidé d’y plaquer une critique de notre modernité, et nous rebat les oreilles de vieilles antiennes sur le monde qui ne tourne pas rond… à cause du capitalisme et de l’argent, évidemment !

Décidément, notre société contemporaine, déjà si avare de beauté parce qu’elle préfère l’utile, semble chérir le laid comme le cochon sa fange. Quelle aisance, quel plaisir, quelle facilité dans la laideur, alors que le beau se dérobe souvent, même à l’effort le plus persévérant, à la recherche la plus passionnée. Dans une société vivante, le laid existe, mais il est désigné comme tel et consensuellement rejeté. Dans une société décadente, au contraire, il est fédérateur. Faute de trouver en elle les germes du beau, elle s’emploie à détruire le caractère universel des chefs-d’œuvre par la dérision.

Heureusement, à l’opéra, le spectateur peut fermer les yeux et se laisser pénétrer par une musique transcendante qui va chercher en lui une part cachée de divin. Il lui sera alors loisible d’apprécier la qualité de l’Orchestre de la Suisse romande placé sous la direction précise et inspirée de son chef, Jonathan Nott. Il lui sera possible de reconnaître la beauté des voix, celle de Gurnemanz (Tareq Nazmi) à son sommet. Et, face à l’immortel génie de Wagner, il jettera aux oubliettes de l’histoire la vacuité prétentieuse d’un metteur en scène à la mode.

Parsifal de Wagner à Genève : le sang et le chant

Emmanuel Dupuy – Diapason - 30 janvier 2023

source: https://www.diapasonmag.fr/critiques/parsifal-de-wagner-a-geneve-le-sang-et-le-…

 

Mise en scène par Michael Thalheimer, cette nouvelle production est l’occasion de plusieurs prises de rôle marquantes, à commencer par celle de Daniel Johansson dans le rôle-titre. Jonathan Nott exalte les sortilèges de la partition, à la tête d’un Orchestre de la Suisse romande distillant à l’envi ses effluves debussystes

Pour ce nouveau Parsifal genevois, Michael Thalheimer choisit à bon escient la voie de l’épure. Le beau décor imaginé par Henrik Ahr se résume en effet à quelques gros blocs de marbre (blanc à Montsalvat, noir pour l’antre de Klingsor, qui est donc le négatif du premier), dont les déplacements structurent des espaces changeants, rehaussés par quelques savants jeux d’ombres et de lumières et un art du mouvement tout aussi accompli. Celui-ci se distingue par ses symétries visuelles, son équilibre architectural, en particulier à l’acte II, enserré entre de hauts remparts, avec le chœur des Filles-fleurs en surplomb.

Dans ce cadre au dépouillement très étudié, le metteur en scène accumule cependant les symboles dont le sens échappe parfois. Ainsi, la blessure d’Amfortas a contaminé toute la communauté du Graal, les chevaliers comme les murs étant eux-mêmes maculés de sang – ce qui donne lieu, au I, à quelques visions passablement gores. Pourquoi, au II, les Filles-fleurs sont-elles atteintes de difformités physiques que laissent deviner leurs robes moulantes ? Pourquoi Kundry menace-t-elle Parsifal avec un revolver avant de finalement occire Klingsor ? Pourquoi Parsifal revient-il à Montsalvat affublé d’un maquillage de clown, dont il se débarbouille sur les ultimes mesures, seul au milieu de la scène, comme abandonné par l’humanité ? Passablement amphigourique, le livret de l’ultime opéra de Wagner pose certes de multiples questions – pas sûr que ce spectacle visuellement très séduisant y apporte toutes les réponses…

Plateau sans maillon faible
Pour les voix, en revanche, nous sommes comblés : plateau sans maillon faible, chœur et ensemble de Filles-fleurs compris, tous excellents. Au sommet, le Parsifal de Daniel Johansson, bien aidé par un physique de viking (il est suédois), mais aussi par un timbre solaire, juvénile, pas barytonnant pour un sou, préservant à chaque instant la souplesse de ses phrasés, trouvant les ressources héroïques nécessaires à un « Amfortas! Die Wunde! » plein de tourments et de larmes – bravo !

Autre prise de rôle à marquer d’une pierre blanche : Tareq Nazmi endosse la bure de Gurnemanz, souverain dans la déclamation, sculptant chaque mot sans pour autant compromettre le flux d’un cantabile intarissable, ni la beauté d’un grain sombre et prenant. Premier Amfortas aussi pour Christopher Maltman, et encore une victoire : même si la voix a tendance à bouger dans les longues phrases, le baryton sonde la douleur du personnage avec des trésors de délicatesse et un ton de vérité pathétique.

Plus maman que putain
Plus mezzo que soprano, plus maman que putain, la Kundry de Tanja Ariane Baumgartner pâtit un peu de cette nature dans son numéro de séduction, au II ; mais l’artiste puise ensuite au fond d’elle-même des accents déchirés et déchirants, pour raconter l’origine de sa malédiction (« Je L’ai vu – Lui – Lui – et j’ai ri ») ou darder d’éclatantes imprécations vengeresses. Malgré quelque graves un peu faibles, Martin Gantner crache quant à lui le venin de Klingsor avec la morgue hautaine qui va bien.

Lumière ! Dès les premières mesures du Prélude, Jonathan Nott donne les clés de sa lecture : légèreté de la trame, fluidité du discours, transparence des textures, tension des lignes et de la dynamique. Trois actes durant, dans les méandres d’une architecture fermement tenue, on succombe à ces envoûtants sortilèges. Il est vrai que l’Orchestre de la Suisse romande, si peu germanique par la couleur et les textures, se plie à merveille à ces partis pris assumés, qui militent davantage pour les allégements debussystes que pour un mysticisme indigeste – ce dont on ne se plaindra pas !

PARSIFAL: Eine neue christliche Legende ?

Peter Michael Peters – ioco.de – 2 février 2023

source: https://ioco.de/2023/02/02/genf-grand-theatre-de-geneve-parsifal-richard-wagner…

 

PARSIFAL – 25. Januar 2023 – Grand Théâtre de Genève

Parsifal wandelt zwischen Dunkelheit und blutigen Wänden…

Die Opern von Wagner und insbesondere Parsifal sind wohl in allen möglichen Inszenierungen denkbar. Um nur einige zu nennen, die wir im Laufe der letzten zwanzig Jahren gesehen haben: Da sieht man Gurnemanz als einen allgewaltigen Bankdirektor mit seinen Aktionären vor einem riesigen offenen Geldschrank mit Massen von überflutenden Geldscheinen. Oder auch die ganze geheime Gralsgemeinschaft mit dem steckbrieflich gesuchten Amfortas lebt versteckt und zurückgezogen im tiefen südamerikanischen Urwald und handelt mit giftigen Drogen. Warum auch nicht! Kundry erwacht unter einer Bank im Central-Parc in New York mitten im eiskalten Winter. Eine besondere schöne Erinnerung: Kundry als übersinnliche Verführerin mit nur feiner durchsichtiger schwarzer Wäsche bekleidet und zeigt sie ihre vollen runden Brüste, usw.…! Man kann Parsifal mit allen ermöglichen Soßen genießen! Doch gibt es jedoch nicht immer die Garantie für einen guten Geschmack. Ohne eine tiefschürfenden Inszenierung, einer erleuchtenden neuen Vision und einer tiefgreifenden Botschaft wird das Ganze uninteressant und fade, langweilig und besonders gefährlich.

Vor vielen Jahren hat uns einer der vielen fanatischen Jünger des Meisters im Walhalla von Bayreuth gesagt: Wir müssen uns unbedingt eine schon mythische Produktion von Parsifal im Staatstheater Mannheim ansehen. Gesagt! Getan! Wir sahen eine äußerst kunterbunte Produktion mit alternden Pappkulissen von 1957 (!) im Jahre 2007 (?)! Wir gingen verstört, verärgert und sprachlos nach der Vorstellung  ins Hotel zurück und fragten uns: Was wahr da mythisch? Was war da einmalig? Nichts! Absolut nichts! Nur Fadheit! Später verstanden wir, dass das ein sogenannter jährlicher Pilgerort für reaktionäre Regietheater-Gegner geworden ist. Natürlich kann nicht jede Inszenierung des Regie-Theaters immer gut gelingen! Aber dagegen eine verstaubte Pappmaché-Geschichte von Anno-Zopf jedes Jahr zu programmieren, ist für uns nichts weiter als reine Demagogie und Menschen-Verdummung im wahrsten Sinne des Wortes. Das Theater ist unserer Meinung eine aktuelle lebendige Kunstinstitution und kein vermottetes Museums-Archiv. Auch der „Meister“ dreht sich nicht im Grabe um! Alles Blödsinn und dummes Gerede!

Dagegen sahen wir vor einem Monat hier in Paris in einer Kino-Aufzeichnung: Parsifal aus der Wiener Staatsoper in der Inszenierung des russischen Regisseurs Kirill Serebrennikov. Das war eine Offenbarung für uns! Das ging in alle Eingeweide und brachte eine schlaflose Nacht! Hier war eine Vision…, eine Botschaft… ein tiefes Schürfen bis an die Wurzeln des Werks! Ein völliges Überdenken und Erneuern! Auch die politischen Aspekte wurden voll herausgearbeitet. Denn Wagners Werk ist mehr als politisch: Politisch im positiven wie auch leider im negativen Sinne! Dazu alles völlig natürlich ohne verkünstelten Zwang. Eine ungemein musikalische Regie, in der die Musik fühlbar alles durchflutete…

Man verzeihe uns für das lange Vorwort, aber jetzt geht’s los: Blutbad in Montsalvat…
Ja! Die neue Inszenierung von Parsifal des deutschen Regisseurs Michael Thalheimer am Grand Théâtre de Genève ist besonders blutig…! Sehr blutig…! Aber auch sehr ästhetisch! Wohl ein Paradox? Schmutziges Blut? Reines Blut? Ästhetisches Blut? Unter gewissen strengen Aspekten ist diese szenische Lesart grausam streng. Die Verletzung von Amfortas betrifft hier die gesamte Bevölkerung von Montsalvat: Die Ritter und Knappen bewegen sich alle schwer in blutgetränkter Kleidung und zeigen ein unberechenbares Verhalten, wie etwa beim Anmalen von Kreuzen an die schon blutigen Wände mit ihrem eigenen Blut im Finale von 1. Akt. Wir würden sagen es sind sogenannte Zombies, lebendige Tode, die da herum irren. „Déjà vue“ in amerikanischen Horrorfilmen! Angeführt werden sie von Gurnemanz, der auf Krücken über die Bühne taumelt und dessen mühsames Hinsetzen diese schmerzhafte und verstörende Atmosphäre noch mehr bestätigt. Hier ist ein Mann, der in seinen Bewegungen sehr behindert ist, der am ganzen Körper zittert und bei der geringsten Gelegenheit stürzen würde ohne seine Krücken. Selbst Kundry kritzelt sogar im 3. Akt Slogans mit Blut an die Wand, die von „Durch Mitleid wissend…“ über „der reine Tor…“ bis zu dem Wort „Parsifal“ reichen. Alles spielt sich in einer ebenso minimalistischen wie auch imposanten Umgebung ab, die von dem deutschen Bühnenbildner Henrik Ahr entwickelt wurde: Die aus zwei großen rechteckigen Blöcken besteht, die sich leicht auseinander bewegen, um als Mittelpunkt für die ersten Auftritte der Protagonisten zu dienen. Die cremefarbenen Kostüme von der deutschen Kostümbildnerin Michaela Barth, so einfach sie auch sind, ermöglichen sie doch das Blut während der Handlung gleichmäßig aufzutragen. Die Bewohner des verwünschten Schloss sind unterschiedlich gekleidet: Klingsor als alternder Rockstar, Kundry im roten oder schwarzen Hosenanzug, je nachdem wie stark ihre Verführung ausfallen muss, während die Blumenmädchen anschmiegsame silberne Roben tragen, die den 1920er Jahren sehr nahe sind, aber auch haben sie verschiedene Prothesen und Anzeichen von unschönen Beulen, Knoten und anderer Behinderungen. Besser gesagt für uns waren es sogenannte „Monster“-Blumen: Mit überbreiten Hüften, riesengroßen Brüsten, großen Buckeln und vielen anderen Unförmigkeiten!

Blut, Blut, viel Blut! Allerdings gelangten wir schnell in eine Art Blut-Überdruss, der den Eindruck an einen Besuch in einem übervollen Krankenhaus für Kriegs-Schwerverletzte erinnernde oder eines üblen Kinobesuch mit zweitklassiger Zombie-Film-Atmosphäre und dem lächerlichen Anblick von den ruckartigen Bewegungen der vielen Krüppel entstehen lässt. Aber dieses Blutbad des 1. Akt hindert glücklicherweise nichts daran, die große Vorfreude für die Gralszeremonie zu genießen. Wenn Parsifal und besonders Gurnemanz nach vielen schmerzhaften Verrenkungen sich am Rande des Orchestergrabens niederlassen und sich dem Publikum zu zuwenden. Kein Schwan, der heute Nacht von Parsifal getötet wurde, kein Gral, außer einem grellen Lichtschein in der Mitte der Bühne.

Der 2. Akt ist weniger blutig-knallrot und klassischer im Sinne des Regie-Theaters: Klingsor zeigt sich gegen das Licht in der schmalen zentralen Öffnung zwischen den beiden Rückwänden. Parsifal hat die Heilige Lanze natürlich zurück erobert, aber Kundry tötet Klingsor schließlich mit mehreren Pistolenschüssen (?). Zurück zum ständig fließenden Blut der Wände für den 3. Akt, wo es Kundry ist, die nach ihren letzten Worten: „Dienen! Dienen!“ tatsächlich damit beschäftigt ist, die blutroten Graffitis an den Wänden abzuwischen und dann in schnellen hektischen Bewegungen ohne jeden Sinn alles blutig zu verschmieren. Gewissermaßen sorgt sie für eine etwas alberne stumme Unterhaltung auf der Bühne, indem sie schnell mit einem blutigen  Pinselstrich  die Füße von Parsifal! wäscht. Blut! Überall Blut!

Le Grand Théâtre de Genève und sein Co-Produzent, die Deutsche Oper am Rhein Düsseldorf Duisburg sind ein riskantes Wagnis eingegangen, aber es ist dennoch enorm gelungen, denn von den  sieben Hauptrollen wurden  sechs zum ersten Mal von den jeweiligen Sängern verkörpert. Nur die deutsche Mezzo-Sopranistin Tanja Ariane Baumgartner hat schon mehrmals die Rolle der Kundry interpretiert, eine Rolle die sie als „wie eine Achterbahnfahrt“ beschreibt. „Die Schwierigkeiten von Kundry ist sowohl musikalisch“, erklärt die sympathische Sängerin, „weil ich im 1. Akt die Stimmlage vom Mezzo bis zum großen dramatischen Sopran singe. Kundry ist auch schwer zu spielen, weil sie so viele Frauen in sich hat und auch in so vielen Facetten“. Warm und verzaubernd in den tiefsten Tiefen, leuchtend in den extremen Höhen und perfekt ausbalanciert zwischen den beiden Stimmlagen, scheint Tanja Ariane Baumgartners Stimme besonders gut für die wechselnde Natur ihres Rollen-Charakters geeignet zu sein. Baumgartner bewohnt gewissermaßen Kundry und ihre Bühnenpräsenz ist in allen Variationen ihres Bühnencharakters intensiv  und eingängig.

In der Rolle des Parsifal lieferte der schwedische Tenor Daniel Johansson eine gemessene Interpretation ab, solide in der ganzen Bandbreite, aber keineswegs übergewaltig und protzig. Trotz seiner lustigen „Unterwäsche“-Bekleidung, die nicht gerade intuitive an ein messianisches Königtum erinnerte, schaffte es Johansson seinem Charakter eine gewisse menschliche Würde zu verleihen und das ist alles zu seiner Ehre. Vor allem aber war seine Stimme für uns die eindrucksvollste Entdeckung des Abends: Solide und stark in der Basis, aber nie ein brüllender Wagner-Held, nein ganz im Gegenteil er baute seine Rolle mit wunderschönen lyrischen Tönen auf. So sollte man Wagner interpretieren! Warum aber Parsifal im 3. Akt mit einem grimassenhaften Clownsgesicht erscheinen muss? Einer der vielen Rätsel des Abends! Mein Nachbar antwortete  lakonisch in der Pause: „Das steht wohl in den Sternen…“. Nein das steht nicht in den Sternen, das steht beim Horror-Spezialisten aus Hollywood: Der böse Clown mit dem übergroßen schwarzen erschreckenden Maul…, der Schrecken aller kleinen und großen Kinder ist Pennywise, the Dancing Clown (1986) Film von Stephan King (*1947).

Aber das wahre Wunder dieses Parsifal ist wohl der deutsch-ägyptische Bass Tareq Nazmi in der Rolle des Gurnemanz. Seine Stimme bleibt in den samtigen Tiefen so souverän und großzügig, desgleichen in den Höhen strahlend-leicht und überaus wirkungsvoll. Obwohl er gewissermaßen den ganzen Abend in zwei Teile gebogen ist und so weiter auf seinen zwei Krücken mühsam laufen muss. Wir kennen ihn schon von der Bayerischen Staatsoper München, wo er viele Rollen seines Fachs mit viel Erfolg gesungen hat. Seit einiger Zeit wendet er sich auch dem Wagner-Fach zu! Seine körperliche und stimmliche Leistung ist so erstaunlich und einmalig, dass ihm selbst der zurückhaltenste Zuschauer überaus herzlich applaudierte. Das ist wohl der Anfang einer großen internationalen Karriere!

Die beiden Baritone: Der englische Sänger Christopher Maltman als Amfortas und der deutsche Sänger Martin Gantner als Klingsor verkörpern ihre Charaktere mit viel Überzeugung und projizieren ihre Stimmen mit gewaltiger Energie. Maltman ist sehr ausdrucksstark und kraftvoll, findet eine natürliche Balance zwischen dem Mann, der ein grausames und extremes Leid  erdulden muss und der auch bereitwillig seine Selbstmordgedanken zu  äußern. Somit bereitwillig riskiert die gesamte  Ritterschaft mit sich in den Abgrund zu ziehen! Die absolute Inkarnation des Bösen und Gewalttätigen wird in vielen Farbnuancen von Gantner extraordinäre interpretiert.

Der 1. und 2. Gralsritter wurde von Louis Zaitoun, Tenor, sowie von William Meinert, Bass ritterlich gesungen.

Die verbeulten und verformten Blumenmädchen machten den vergeblichen Versuch mit großem sinnlichen Eklat und viel stimmlicher Präsenz den Helden des Abends zu verführen. Jedoch uns haben sie mit ihren wunderschönen Stimmen vollkommen überzeugt: Julieth Lozano, Sopran; Ena Pongrac, Mezzo-Sopran; Tineke van Ingelgem, Sopran; Louise Foor, Sopran; Valeriia Savinskaia und Ramya Roy, Mezzo-Sopran.

Auch in den kleinen Rollen waren exzellente Sänger am Werk. Die Knappen wurden von Julieth Lozano, Sopran, Ena  Pongrac, Mezzo-Sopran; Omar Mancini, Tenor und José Pazos, Tenor gesungen.

Eine feine Darbietung des Choeur du Grand Théâtre de Genève unter der Leitung des englischen Chordirektor Alan Woodbridge, während der englische Dirigent Jonathan Nott an der Spitze des Orchestre de la Suisse Romande für eine ordentliche und aufmerksame Leitung sorgt, aber eher oft ohne jegliche ausgeprägte farbliche Kontraste oder besondere dramatische Ereignisse. Wir hören vom Beginn des Vorspiels an eine vor Details strotzenden Partitur, die ohne viel übertriebenes Klingklang-Lametta vorgetragen wird. Auf jeden Fall weiß der Dirigent, wie er sich in den Dienst der Protagonisten auf der Bühne stellen kann, indem er die Lautstärke im Graben mäßig klingen lässt um sie nicht in Schwierigkeiten zu bringen.

Wie schon gesagt die Interpretation der gesamten Sänger-Besetzung vor ein außergewöhnlicher großer Glückstreffer und jedes renommierte internationale Opernhaus einschließlich die Bayreuther Festspiele sollte das absolut als Vorbild nehmen.

Zur Inszenierung möchten wir noch einen Satz hinzufügen: Wenn man schon als einzigen Leitfaden die kostbare Lebensquelle Blut gewissermaßen als Konsumware darstellt, sollte man auch in seiner Vision und Darstellung bis zum Ende des Tunnels gehen. Das Blut hat in Verbindung mit Wagner und insbesondere Parsifal hat eine erdrückende und unauslöschliche Vergangenheit: Reines Blut…! Unreines Blut…! Unserer Meinung fehlt hier ein aufklärendes pädagogisches Ende! Denn dieses Blutbad  könnte man falsch verstehen! Letztendlich einen Rat an diejenigen, die vom  Anblick des Blut  verstört sind: Verzichten Sie also… obwohl die Musik Sie mit geschlossenen Augen mitreißt. Aber leider ist das sehr trügerisch, denn auch mit geschlossenen Augen verfolgt sie dieser bittere Geschmack von Blut…! Blut…! Überall Blut…!

 

 

PARSIFAL – 2 februar 2023 – Grand Théâtre de Genève

PARSIFAL: Eine neue christliche Legende ?

 

KARFREITAGSZAUBER
Du siehst, das ist nicht so.
Des Sünders Reuetränen sind es,
die heut mit heil’gem Tau
beträufet Flur und Au‘:
der liess sie so gedeihen.
Nun freut sich alle Kreaturuf
des Erlösers holder Spur,
will ihr Gebet ihm weihen.
Ihn selbst am Kreuze kann sie nicht erschauen:
Da blickt sie zum erlösten Menschen auf;
Der fühlt sich frei von Sündenlast und Grauen,
durch  Gottes Liebesopfer rein und heil.  (Auszug: Szene des Gurnemanz)

 

Eine Neu-Interpretation des Christentums nach Wagner…
Die in Bayreuth zur Zeit der Entstehungsgeschichte von Parsifal aufgenommenen Fotografien, sind einwandfreie Zeugnisse eines mürrischen und frömmelnden Saint Sulpice Sévère (363-425 n. J. C.) Erbarmen, das einwandfrei nur ins 19. Jahrhundert gehört. Sie sind voller Beredsamkeit und lassen wenig Zweifel an den Absichten von Richard Wagner (1813-1883), was sein Bühnenweihfest betrifft: Sie zeigen in der Tat den gleichnamigen Helden, gekleidet während des berühmten Karfreitag-Zaubers als Ebenbild von Jesus Christus und Kundry präsentiert sich als eine Reinkarnation von Maria-Magdalena, der reuigen Sünderin. In der Tat ist es dieses Bekenntnis zum Katholizismus eines Künstlers, der der christlichen Religion im Allgemeinen ( man denke nur an seine Aufsätze über die Religionen aus den Jahren 1840/1850) und dem Katholizismus im Besonderen bis dahin äußerst kritisch – ja sogar sehr bissig – gegenüberstand, was wohl Friedrich Nietzsche (1844-1900) sehr irritierte. Wir wissen, dass zum Zeitpunkt der Entstehung von Parsifal der Komponist auf sehr präzise und methodische Weise sich über den liturgischen Ablauf einer katholischen Messe  dokumentierte. Heißt das, Wagner hätte gerne aus seinem letzten Werk, in dem sich die Artussage mit vermeintlichen Anleihen aus den Evangelien vermischt, eine Art Apologie des Christentums zu machen? Von der späten und spektakulären Bekehrung eines Künstlers zu sprechen, der in den 1840er Jahren im Christentum wie auch Karl Marx (1818-1883) ein kapitalistisches Instrument der großen Ausbeutung der ärmsten unter den Bevölkerungsschichten sah, wäre sicherlich eine zu starke Vereinfachung.

Tatsächlich hatte Wagner bereits 1849 zur Zeit der Dresdner Revolution mit der Arbeit an einem erstaunlichen Opern-Projekt begonnen, das leider unvollendet blieb, Jesus von Nazareth, WWV80 (1848). Darin erzählt er eine ziemlich getreue Geschichte, durchsetzt mit großen Zitationen  aus dem Neuen Testament: Die letzten Tagen aus dem Leben von Jesus. Nur bei näherer Betrachtung erkennen wir, dass dieses unvollendete Libretto keine „orthodoxe“ Darstellung ist, sondern eher eine „sozialisierende“ Neulektüre des Lebens von Jesus mit der Anspielung auf einen kaum verbrämten berühmten Slogan von Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) wird folgendes zitiert: „Eigentum ist Diebstahl!“. Wagner hatte daher immer Interesse an den Evangelien, die er nicht nach christlicher Orthodoxie verstand. Doch jedoch glaubte er, dass sie ebenso wie die Mythen Wahrheiten enthielten, die für alle Zeiten gültig waren! So sollte man sie auch ständig im Lichte der Zeit lesen und neu interpretieren für unsere aktuelle Welt. Wir finden in Parsifal diesen Geist des Synkretismus, diese disparate Neigung und sogar das antagonistische Denksystem wird zusammen gebracht. Die Artussage und die christliche Symbolik werden neu interpretiert und korrigiert  im „Lichte“ von Arthur Schopenhauer (1788-1860). Indem er sich auf einen Philosophen beruft, dessen Denken in mehr als einer Hinsicht auf den Antipoden des Christentums steht, ist Wagners Ziel nichts weniger als das zu retten, „was das Herz der Religion“ ist. So jedenfalls sind die rätselhaften Worte zu verstehen, die das Werk beschließen: Erlösung dem Erlöser.

Der radikale Pessimismus von Schopenhauer
Im Jahre 1854, als er nach dem Scheitern des Dresdner Aufstands und seinem Exil in der Schweiz eine Zeit der tiefsten Zweifel durchlebte und er glaubte nicht mehr daran, dass seine Werke eines Tages doch noch das Bühnenlicht erblicken werden. In dieser schwierigen Zeit entdeckte Wagner das Werk von Schopenhauer und insbesondere Die Welt als Wille und Vorstellung (1818/1844). Das Werk des  von einem großen radikalen und spektakulären Pessimismus geprägten Philosophen, der in der Welt nur Schmerz und Illusion sieht, wird zum philosophischen Substrat der Denkweise und Ästhetik von Wagner: Der damals  entstehende Der Ring des Nibelungen (1876), dazu Tristan und Isolde (1865) und auch Parsifal (1882) sind äußerst stark von Schopenhauers Pessimismus durchdrungen, auch wenn Wagner schließlich versuchen wird die Werke in eine positivere Richtung zu lenken. So erweist es sich jedoch als notwendig, wenn man sich in diesem undurchdringlichen Wald von Zeichen, Symbolen und Anspielungen etwas zurecht finden will. So sollte man sich trotz scheinbarer und trügerischer Einfachheit des Musikdrama von Wagner wenigsten etwas mit dem Denken des Philosophen vertraut zu machen, denn umso schneller und besser wird man dann mit klarem Kopf durch dieses Wald-Labyrinth leicht seinen Weg finden.

Seine Philosophie, die dem Menschen eine Wahlmöglichkeit innerhalb der Natur verweigert, stellt sich strikt gegen eine Transzendenz, die der Geschichte einen Sinn verleihen würde: Schopenhauer stellt sich damit auf die Antipoden der christlichen Eschatologie, für die die Perspektive des Jüngsten Gerichts der Welt ihre ganze Bedeutung gibt für eine historische Zukunft. Die Geschichte und das menschliche Abenteuer haben nach Die Welt als Wille und Vorstellung weder einen Ursprung noch irgendeinen Begriff, noch besondere Endgültigkeiten. Wir dürfen also in der geschichtlichen Welt weder Evolution noch Fortschritt mit Sinn sehen, sondern nur die endlose Ausdehnung eines ewig unerfüllten Verlangen, das sich völlig selbst ernährt und das auch erleidet was es hervorbringt. Das metaphysische Prinzip, das die Welt regiert, ist nach Schopenhauer immer ein unbefriedigtes Verlangen. Das Prinzipe von allem aber ist der Wille, der Wille zum Leben!  Garantiert überhaupt nichts! Ganz im Gegenteil, nur die Einheit oder die Harmonie der Welt: Es wird tatsächlich ständig in die Individuen fragmentiert, in denen es objektiviert und verkörpert wird kraft dessen, wie der Philosoph es nennt principium individuationis (Prinzip der Individuation). Individuen sind keine autonomen und freien Realitäten, sondern nur zum Leiden verurteilte Manifestationen des universellen Willens, der sich durch diese Individuen, die sich gegenseitig zerreißen und töten! Sogar selbst verschlingen! Das Prinzip der Individuation gilt daher als das absolut Böse, gleichzeitig ist es nur eine Repräsentation, eine Illusion, von der wir uns befreien müssen und die der Philosoph mit einer Buddhistischen Weisheit entlehnten Metapher: Der Mâyâ-Schleier bezeichnet wird! Um dem Leiden zu entgehen, ist es notwendig, den Mâyâ-Schleier zu lüften, also dem Lebenswillen abzuschwören.

Ist es nicht das: Was Amfortas tut, wenn er sich weigert das Grals-Amt als das Prinzip des Lebens zu zelebrieren und Kundry im 3. Akt auf das Wort und den Gesang verzichtet, Ausdruck sowohl ihrer Sehnsucht als auch ihrer großen Kraft der Verführung? Sie will nichts weiter als eine einfache Dienerin in der Grals-Gemeinschaft sein! Der von Amfortas gewollte und von Kundry akzeptierte Tod ist nach Schopenhauer der Moment, wo „sich der Wille (…) vom Leben abwendet: Der Mensch erkennt dann seine Lustbegierden mit grossem Grausen und erkennt in ihr die Bejahung dieses Lebens. Der Mensch begibt sich freiwillig in einen Zustand der nur noch Entsagung, Resignation und wahre Gelassenheit und völlige Willenlosigkeit ist. Durch ihren Verzicht gelingt es Kundry, der Individuation und somit dem höllischen Kreislauf der Reinkarnationen zu entkommen, dem sie seit Anbeginn der Zeit unterworfen war. Die totale und ehrlich gesagt verblüffende Gleichgültigkeit des Orchesters zum Zeitpunkt ihres Todes hat keine andere Erklärung: Sie ist jenseits des principium individuationis angekommen und ihr Tod ist nichts anderes mehr als die Auslöschung aller Begierden und allem Wollen des Lebens. Dies nennen die Buddhisten, von denen Schopenhauer und Wagner glühende Verehrer waren: Nirvana (wörtlich: Aussterben).

Das Zerreißen des Mâyâ-Schleiers…
Wenn Amfortas und Kundry, jeder auf seine Weise in dem Drama von Wagner das unerträglichste Leiden des Menschen verkörpern, dann deshalb, weil sie diesem ständig ausgesetzt sind. Für Schopenhauer war dass die größte unerträglichste Manifestation, die stärkste gewalttätige und unwiderstehlichste des Willens im Prinzip der Individuation: Das ständige sexuelle Verlangen! Ohne Parsifal auf eine Illustration der Philosophie von Schopenhauer zu reduzieren, können wir sagen, dass Klingsors verzauberter Garten von Wagner als der Ort konzipiert wurde, an dem das Prinzip der Individuation vom Komponisten dem Egoismus gleichgesetzt wurde und in seiner ganzen herrlichen Kraft und seiner trügerischen Pracht bestätigt wird. Es ist zugleich das Reich der Begierde, des Lebenswillens und des Willens zur Macht. Der Zauberer hat tatsächlich den Heiligen Speer von seiner primären Funktion (er war ein heiliges Objekt im Dienst der Gemeinschaft des Heiligen Grals) abgelenkt, um ihn zu einem Instrument für die Eroberung persönlicher und selbstsüchtiger Macht zu machen. Aber wir werden am Ende des 2. Akt Zeuge eines spektakulären Moments sein, dem der großen Ernüchterung und dem Zerreißen des Mâyâ-Schleiers: Als Parsifal mit dem Heiligen Speer das Zeichen des Kreuz macht! Die vergängliche Pracht einer Welt von schmerzhafter Wollust bricht buchstäblich in sich zusammen und wir nehmen wahr, was hinter dem trügerischen Schleier von principium individuationis liegt: Eine Welt der Verwüstung, übersät mit den verblühten Blumen unserer Illusion.

Aber wenn es Parsifal gelingt den Mâyâ-Schleier zu zerreißen, dann nicht weil er sich auf dem Weg der Entsagung und des Todes begeben hat. Nein, es gibt tatsächlich ein positiveres Mittel um das Prinzip der Individuation zu überwinden: Es ist die Liebe! Wagner führt hier eine Unterscheidung ein, – die Schopenhauer sehr am Herzen liegt, die aber auch freilich in einem ganz anderen ideologischen Kontext steht – die in seinen ersten Opern und insbesondere in Tannhäuser (1845) skizziert wird. Es handelt sich um den Gegensatz zwischen: Eros-Liebe und Agape-Liebe! Am Antipoden des Eros finden wir den Agape-Liebe, also die Liebe, die sich im Mitleid manifestiert (christliche Caritas), eine Liebe in der sich der Einzelne der Identität bewusst wird, die ihn an seinen Nächsten bindet und somit erkennen wir auch das Gebot der buddhistischen Veden: Tat twam asi („du bist auch das“). In der Agape-Liebe verzichtet der Mensch auf seinen selbstsüchtigen Lebenswillen, verallgemeinert sich und erlangt so die höchste Weisheit. In diesem Sinne müssen wir die Prophezeiung von Parsifal verstehen: „Durch Mitleid wissend der reine Tor“. Paradoxerweise erlangt Parsifal durch den Kuss von Kundry den Zugang zu dieser höchsten Weisheit, dem Bewusstsein der Identität aller Wesen und ihres Leidens. So kann er den principium individuationis überwinden und den Speer, der umgelenkt wurde, um einem individuellen Willen zu dienen, wieder seiner primären Funktion zu zuführen: Die darin besteht, der Gemeinschaft zu dienen. Das wilde Kind, – dessen Verhalten an das des jungen Siegfried erinnert – das im 1. Akt einen Schwan tötet und auch Kundry heftig angreift, wird im 3. Teil des Triptychon zum Weisen. Der auch erkennt, dass alle Kreaturen – ob es die Ritter des Grals sind, Kundry, oder die Tiere und Blumen, die die Natur während des Karfreitagszauber (ohne Zweifel sind sie die Reinkarnation der Blumenmädchen von Klingsor) bedecken – an der  Schöpfung  in gleicher Weise teilnehmen. Es ist daher kein Zufall, dass Kundrys Kuss, durch den sich alles ändert, geometrisch im Zentrum des Dramas steht, das Wagner symmetrisch um diesen entscheidenden Punkt herum konstruiert.

Die Apologie des Mitleids, in der Nietzsche nur eine Geste der Schwäche und Dekadenz sah, ist auch der Punkt, an dem der Synkretismus von Wagner in Parsifal operiert: Mit den Anleihen aus dem Christentum (Nächstenliebe), der Philosophie von Schopenhauer und der buddhistischen Weisheit somit zusammenführt. Nebenbei sei bemerkt, dass Wagner in seinem opus ultimum eine Revision des Denkens von Schopenhauer vornimmt, dessen Pessimismus er teilweise zurückweist, wohl weil er unerschütterlich an die rettende Kraft seiner Kunst glaubt. Er zeigt in der Tat, dass das principium individuationis, das für ihn zum Paradigma des Egoismus und Utilitarismus geworden ist und das die ihn umgebende Welt der Dekadenz charakterisiert, auch anders als im Tod aufgehoben werden kann. Das heißt, indem sie den Egoismus aufgeben sollte und zu einer Religion zurückkehren, die ihre historischen Schlacken und ihre Dogmen abgeschüttelt hat: Eine Religion, die durch die Kunst gerettet wird!

Das Thema des unreinen Blut und die Frage des Rassismus in Parsifal!
Hier führt der Komponist einen gelinde gesagt zweifelhaften Begriff ein, indem er in den rassistischen Theorien von Arthur de Gobineau (1816-1882) eine Illustration finden wird, die ihn in den letzten Jahren seines Lebens beschäftigen wird, nämlich der Gedanke der Regeneration. Die Rückkehr der Heiligen Lanze zum Gralstempel, die mit dem Tod von Kundry zusammenfällt und den Gral wieder in seiner vollen Pracht zeigen wird, ist in Wagners Vorstellung als eine Verwirklichung der regenerierten Wiedergeburt gedacht. Sicher ist, dass der heutige Zuschauer angesichts dieser Problematik des unreinen Blut (im Gegensatz zum reinen Blut des Heiligen Grals) ein Unbehagen verspürt: Das Blut des Königs Amfortas ist befleckt, weil er mit Kundry ein erotisches Abenteuer hatte. Wenn im Libretto nichts ausdrücklich gesagt wird, dass Kundry eine jüdische Figur ist, so erinnert ihr Schicksal doch zweifellos an das des wandernden Juden, der bereits von Wagner in Der Fliegende Holländer behandelt wurde. Der dazu verdammt ist auf ewig ruhelos zu wandern bis er die Frau trifft, die ihn aus Mitleid vor seinem Fluch errettet: Er symbolisiert den Charakter von Ahasvar (der wandernde Jude) in der Legende die jüdische Diaspora. Es sollte auch nebenbei bemerkt werden, dass in einer der vielen literarischen Erscheinungen und Adaptionen, die Wagner von dieser Legende kannte Le Juif errant (1844) von Eugène Sue (1804-1857), in der Protagonist ständig von Herodias begleitet wird, von der Kundry, wenn wir Klingsor glauben wollen, eine Reinkarnation wäre.

Der rassistische und antisemitische Charakter von Wagners Bühnenwerken wurde nie endgültig bewiesen oder auch widerlegt. Außerdem ist die Frage seit einigen Jahren mit ziemlich lebhafter Polemik zwischen den besten Wagner-Spezialisten verbunden. Andererseits bietet der heftige antisemitische Inhalt einiger seiner theoretischen Aufsätze keine Zweideutigkeit und bleibt, wie Daniel Barenboim (*1942) kürzlich bemerkte, absolut unentschuldbar. Gewisse Äußerungen von Wagner zur Zeit der Komposition von Parsifal werfen einen besorgniserregenden Schatten auf dieses sogenannte Heilige Drama, wie in diesem folgenden Satz aus einem Brief an König Ludwig II von Bayern (1845-1889)  vom 22. November 1881: „Ich betrachte die jüdische Rasse als ein angeborener Feind der reinen Menschlichkeit und alles Edle darin: Es ist sicher, dass wir Deutschen ihretwegen vernichtet werden und ich bin vielleicht auch der letzte Deutsche, der als Künstler dem Judentum bewusst gegenüber tritt, denn diese werden bald alles dominieren.“ Sicher ist, dass der Antisemitismus des 19. Jahrhunderts, von dem Wagner nur ein Vertreter unter vielen war, kann jedoch nicht mit der NS-Barbarei gleichgesetzt werden und auch die Idee des Genozids war Wagner wahrscheinlich nie in den Sinn gekommen. Tatsache bleibt, dass Parsifal über seinen ausserordentlichen künstlerischen Reichtum hinaus eine unglaubliche Mischung der großzügigsten und gefährlichsten Ideen enthält und heute mit unendlicher Umsicht angegangen werden muss. Deshalb ist die Rolle des Regisseurs noch mehr als in den anderen Opern von Wagner sehr wesentlich: Zwischen allen Interpretationsspuren zu wählen, die das Werk natürlich selbst vorschlägt und es nicht zu entfremden, aber er hat keinen Fall das Recht sich auf eine  gefährliche ideologische Ebene zu verirren.

Chaste Joker : Le Parsifal de Genève entre Brecht et Batman

Guy Cherqui — wanderersite.com - 31 janvier 2023

source: https://wanderersite.com/opera/chaste-joker-le-parsifal-de-geneve-entre-brecht-…

 

Nous l’avons déjà souvent écrit : le Grand Théâtre de Genève a une longue histoire avec Wagner. Plusieurs éditions du Ring, des productions qui ont pu faire date comme le Tristan und Isolde ou le Tannhäuser d’Olivier Py, la venue jadis de stars naissantes comme Anja Harteros ou Klaus Florian Vogt… tout cela compte dans la mémoire d’un théâtre.

Si Hugues Gall avait fait très fort en confiant la production de Parsifal à Rolf Liebermann en 1982 dans une hallucinante distribution (Siegfried Jerusalem/Jon Vickers, Yvonne Minton, Franz Mazura, Tom Krause) l’œuvre ultime de Wagner n’a pas été présentée depuis une quinzaine d’années et le souvenir de la dernière production (Roland Aeschlimann) n’est pas marquant scéniquement même si la présence en fosse d’Armin Jordan a durablement éclairé nos souvenirs.

Il y avait donc toutes les raisons pour attendre avec une certaine impatience cette nouvelle édition de l’opéra de Wagner.

D’abord, depuis l’arrivée d’Aviel Cahn à la tête du théâtre, c’est le premier Wagner, ensuite, le metteur en scène Michael Thalheimer est très peu connu à Genève et en général dans le monde francophone, enfin le GTG offrait à presque toute la distribution l’occasion d'une prise de rôle. Beaucoup d’arguments pour attirer un public curieux. Mais visiblement, ni la tradition wagnérienne locale, ni la curiosité n’ont été des arguments pour attirer un public genevois décidément calfeutré chez lui en ces journées froides.

Un titre qui aurait fait le plein dans presque toutes les maisons d’Europe a été inexplicablement un peu snobé lors de la première.

Je ne cesse de le répéter. Wagner résiste à tout. Une représentation de répertoire italien mal distribuée court à la catastrophe. La pire des représentations wagnériennes reste une sorte d’îlot de résistance parce qu’au bout du compte la musique surnage.

Et l’on entend souvent : « oui, les chanteurs étaient médiocres, le chef n’était pas vraiment intéressant, la mise en scène discutable, mais quelle sublime musique !»

La musique de Wagner a cette caractéristique de tenir fermement la barre dans la tempête. C’est la raison pour laquelle en général il n’y a pas grand risque à programmer Wagner y compris dans bien des maisons allemandes de format réduit.

Dans ce Parsifal genevois, bien des atouts ont été réunis pour faire de cette production un moment important de la saison.

D’abord L’Orchestre de la Suisse Romande est dirigé par son chef Jonathan Nott dont on connaît le goût pour la musique de Wagner, et dont on connaît la précision quand il s’agit de la diriger.

Ensuite Aviel Cahn a fait appel à Michael Thalheimer, un metteur en scène certes pas très connu sur nos rivages mais qui a une solide réputation en Allemagne, notamment dans le domaine du théâtre. Ce n’est pas du tout un nouveau venu et on lui doit aussi quelques productions d’opéra qui ont eu un bon accueil.

J’ai par exemple vu à Hambourg Les Troyens de Berlioz, une production qui ne manquait pas d'allure dans une certaine sobriété sanguinolente aussi, marque de fabrique de ce metteur en scène.

Le choix de Michael Thalheimer est une manière pour Aviel Cahn de proposer un nom peu connu et en même temps une des valeurs incontestables du théâtre allemand, ce choix a donc toute sa légitimité.

Enfin, la curiosité du mélomane pouvait être stimulée par une série de prises de rôles de l’essentiel de la distribution par des chanteurs dont certains sont très connus sur la scène internationale.

Et pourtant, même si l’ensemble est très loin de l’indignité, cela n’a pas toujours bien fonctionné.

Thalheimer est un metteur en scène de l’épure et de la sobriété, murs nus, vastes espaces vides, importance des éclairages et goût pour le signe symbolique.

La sobriété scénique et l’épure sont des concepts déjà labourés chez Wagner depuis les frères Wieland et Wolfgang Wagner, notamment autour de Parsifal .

L’abstraction a été au centre de nombreuses  lectures wagnériennes des 70 dernières années et on a dans Parsifal vu des productions parfaitement minimalistes.

Mais on a vu  aussi depuis une quinzaine d’années des visions beaucoup plus circonstanciées, qui ont complètement délaissé l’abstraction pour raconter une histoire beaucoup plus détaillée, beaucoup plus narrative et circonstanciée, ou faire de Parsifal le véhicule de messages humanistes face aux agitations du monde.

Ce n’est pas neuf non plus, les nazis en leur temps avaient  déjà banni Parsifal pour son message trop « pacifiste », c’est dire que l’œuvre a une portée idéologique qui peut faire florès.

C’est  le cas des deux dernières productions de Bayreuth, celle de Stefan Herheim qui racontait à travers Parsifal l’histoire de Bayreuth dans le siècle, celle de Uwe Eric Laufenberg qui inscrivait Parsifal dans un géopolitique des religions d’ailleurs encore d’actualité. Plus en arrière, toujours à Bayreuth, Christoph Schlingensief proposait une sorte de performance artistique intense, inspirée par Joseph Beuys, luxuriante, foisonnante qui a désarçonné le public.

Hors de Bayreuth, Dmitry Tcherniakov à Berlin avec sa communauté fermée et un peu sclérosée, et son Klingsor pédophile, et Kirill Serebrennikov à Vienne dans une prison dont Parsifal était le libérateur, inséraient l’œuvre dans un contexte très historié, sans parler de la production de Paris de Krzysztof Warlikowski, très marquée par l’Allemagne nazie, qui fut prématurément retirée du répertoire parisien, et remplacée il y a quelques années, par une inutilité signée Richard Jones ni sobre, ni abstraite, ni rien d’ailleurs.

Le choix de Michael Thalheimer est un peu à rebours des tendances d’aujourd’hui, par son retour à une vision dépouillée qui a priori ne manque pas de séductions.

Il part de ce qu’on pourrait appeler un concept cosmique qui serait le malheur structurel du monde. Ce malheur, il le symbolise par des personnages au physique détruit, rongés par le mal et couverts de sang. Le sang devenant la marque  paradoxale d’une souffrance, et en même temps d’un effort de rédemption, puisque comme on sait la cérémonie du Graal est le partage du sang du Christ. Cette question du sang a été traitée aussi par d’autres mises en scène notamment à Bayreuth celle d’Uwe Eric Laufenberg et celle de Christoph Schlingensief,  où pendant la cérémonie du Graal, les participants plongeaient leurs mains dans le sang menstruel en une sorte de cérémonie fortement inspirée par les cultes vaudou. Bref, le sang qu’on verse en abondance n’est pas nouveau dans Parsifal. Ici l’hémoglobine est bien concrète, un fil (rouge évidemment) du monde du Graal : il est ici l’éclaboussure mystique de la blessure d’Amfortas, qui rejaillit sur toute la communauté, prenant sa part du péché du roi, de son expiation, et pas simple spectatrice de ses souffrances qui attend passivement le dévoilement du Graal pour se refaire une santé.

Les décors de Henrik Ahr sont limités à de très hauts murs qui écrasent les personnages (murs extérieurs) et les enferment (murs intérieurs) avec des jeux de proportion assez réussis aidés par des éclairages qui travaillent avec précision les jeux d’ombres et de lumières (beaux éclairages de Stefan Bolliger)

Il y a deux espaces enchâssés : un très large dont nous venons de parler et un plateau tournant au centre duquel les personnages principaux se meuvent, lui aussi plus ou moins limité par d’autres cloisons, comme une sorte de nef ecclésiale de béton sur le modèle de la Bruder  Klaus Feldkapelle illustrée dans le programme de salle de l’architecte Peter Zumthor à Merchenich (Nordrhein-Westfalen).

C’est aussi le décor du monde de Klingsor, copie en noir du monde du Graal pour les messes noires qui s’y officient.

Dans sa recherche de sobriété absolue, le metteur en scène évite tout ce qui pourrait être distraction esthétique comme la cérémonie du Graal, qui n’est plus du tout ce cortège ordonné de chevaliers qui vont se mettre en cercle autour d’un autel (Wieland Wagner), mais  qui entrent presque furtivement, en désordre, les uns et les autres un peu éclopés et avec Amfortas en surplomb au centre d’un mur qui figurerait une croix .

La symbolique est forte, même si Amfortas christique, ce n’est pas là non plus une nouveauté.

Amfortas est en exposition dans sa douleur symbolique qui rejaillit évidemment sur l’ensemble des chevaliers, d’où le sang partout.

Du point de vue structurel, Thalheimer choisit pratiquement toujours d’isoler les personnages sur le plateau rectangulaire central, et de mettre le chœur sur les côtés. C’est encore plus clair dans la scène finale du troisième acte qui est en fait réduite au plateau central pendant que les chevaliers sont complètement rejetés latéralement, quasiment invisibles

Une autre manière de refuser de raconter l’histoire dans son déroulement, est aussi de refuser la progression entre le premier et le troisième acte.

Dès le premier acte, les chevaliers sont en mauvaise posture éclopés et blessés, avec un Gurnemanz emmêlé dans ses béquilles.

Thalheimer fait de ce Parsifal une tragédie grecque à quelques personnages, et de Parsifal un être surgi comme d’un néant (dès l’ouverture), sorte de Lohengrin bis (après tout c’est son père…) immaculé.

Ce point originel est essentiel pour comprendre la vision de Michael Thalheimer.  Le Parsifal sans taches (immaculé) des origines est innocent (il est « nicht wissend », ne sachant pas) et peu à peu il va s’imprégner du savoir (un peu maculé de sang quand il arrive chez Klingsor, déjà moins innocent) et surtout au troisième acte il aura embrassé tout le malheur du monde, d’où l’insistance de Kundry sur Mitleid (Mit-Leid, souffrir avec dans sa démonstration au tableau final en lettres de sang) d’où aussi le masque de Joker, on le verra. Là encore, rien de bien neuf, mais une autre manière de montrer le parcours parabolique de Parsifal. Il ne peut partager la souffrance au premier acte, il faut qu’il connaisse le mal pour comprendre le monde. La connaissance est une des données de la chute.

Le rôle scénique du chœur est réduit dans chaque acte, y compris au deuxième dans la scène des filles-fleurs où sur le plateau ne restent les six filles fleurs, Parsifal et Kundry, tandis que le chœur féminin évolue (avec des gestes un peu ridicules et stéréotypés) dans une galerie au-dessus, comme s’il assistait à une messe noire dans une église déconsacrée, mais comme si la mise en scène accentuait les aspects un peu ridicules de ce moment.

Ainsi Thalheimer refuse que la trame soit narrative entre premier et troisième acte, sans vieillissement, sans vision du temps qui passe, laissant le récit aux personnages, et notamment à Gurnemanz, sans alimenter la vision il procède par tableaux presque démonstratifs et symboliques : souffrance, pitié (Mit-Leid ) et enfin rédemption-solution aidée par la démonstration didactique au tableau que Kundry écrit en lettres de sang. La ruine, l’épreuve, la solution.

Un triptyque, comme dans un retable.

Il y a – et c’est conforme à la qualification de l’œuvre quelque chose d’un drame sacré dans toute la représentation, car le plateau rectangulaire est une nef d’église contemporaine, on l’a vu plus haut, et en même temps immense blockhaus isolé du monde. Sans être absurde ni abscons, cela ne nous dit rien de plus qu’une bonne mise en scène traditionnelle.

Dans un théâtre aussi épuré, aussi essentiel (au sens propre, théâtre de l’essence), Thalheimer introduit des gestes symboliques qui prennent immédiatement plus de force, parce qu’isolés.

Gurnemanz arrive détruit et cassé, se tenant péniblement sur ses béquilles avec des contorsions singulières qui renforcent la performance du chant, tant elles sont nombreuses et un peu gênantes : lors de la Verwandlungsmusik, il tourne comme emporté par une sorte de vent cosmique dans un geste chorégraphique d’ailleurs réussi,- on pense aux derviches tourneurs-  et il s’accroupit ensuite plaçant sa béquille de telle sorte qu’on a l’impression, à côté de Parsifal, de voir le cadavre d’un cygne avec sa flèche, une métaphore de la destruction du monde et du sens qu’on donne aux choses, une préfiguration de la fin :  c’est très bien fait et exécuté (il faut en complimenter Tareq Nazmi), comme une succession de gestes qui soulignent l’idée d’un malheur physique et métaphysique, d’une épreuve permanente et partagée aux pieds de murs écrasants, intérieurs et extérieurs.

De l’autre côté, la blessure d’Amfortas ayant inondé de son sang les gens et les murs, perd sa fonction singulière, devenant blessure collective, ce qui donne du même coup à Parsifal un rôle encore plus affirmé au troisième acte.

Le deuxième acte est vu assez traditionnellement comme un espace copié sur le domaine du Graal, mais en version noire, Klingsor ayant des airs de Schwarz-Parsifal (ou Amfortas) au petit pied.

Dans ce contexte, la scène des filles-fleurs perd beaucoup de sa couleur érotisée, le chœur de femmes perché en galerie assiste au ballet de ces jeunes femmes au formes renforcées (costumes de Michaela Barth), qui des fesses un peu stéatopyges, qui des épaules rehaussées, un peu monstrueuses, dans des robes déstructurées très contemporaines : Thalheimer a refusé le mystère et la magie du jardin enchanté, laissant voir une sorte de ballet non dénué d’agressivité (et il y a ici une vraie osmose entre musique et scène, qui m’a laissé quelques doutes), ce parfum-là a perdu son odeur de fleurs… Kundry arrive pour séduire Parsifal en robe rouge, qui tranche sur l’ambiance générale, mais qui n’est pas inhabituelle symboliquement (la femme fatale aime le rouge), avec une technique de séduction peut-être plus maternelle que dans nos habitudes. Cette Kundry-là a quelques idées derrière la tête, notamment quand elle brandit le révolver contre Parsifal puis en fait une sorte de sex-toy dont elle caresse le corps du jeune homme (le fameux je t’aime je te tue) en un jeu assez traditionnel de la séduction aux limites du gouffre, avec des positions ambiguës (les bras en croix quand Parsifal prononce Erlöser). Très belle idée en revanche au moment du baiser que le jeu lumineux qui couvre Parsifal d’une ombre noire, comme si par le baiser il touchait à la face sombre du monde…

Ce Parsifal du deuxième acte n'est d’ailleurs plus tout à fait immaculé, le sang l’a aussi éclaboussé : Thalheimer signifie de manière très janséniste qu’être au monde, c’est déjà être sur le chemin de la culpabilité, et dans le mal.

C’est Kundry qui tue Klingsor avec le fameux revolver qui sert un peu à tout, et sans doute l’idée vient-elle de la production viennoise de Serebrennikov qui achevait l’acte de la même manière, mais ce n’est pas la seule : dans cette mise en scène aussi, Kundry fume au premier acte durant le récit de Gurnemanz en un signe de méditation moderne, ou d’indifférence de celle qui sait, emprunté à la figure très particulière de la Kundry du metteur en scène russe.

Sans être jamais hors de propos, la mise en scène continue de ne jamais surprendre et semble de se contenter avec son style, de consacrer un certain nombre d’idées reçues et de choses vues.

Le troisième acte est peut-être scéniquement le plus pauvre des trois, et conceptuellement le plus surprenant, car Thalheimer a choisi d’être encore plus épuré, plus symbolique, plus cryptique mais cassant singulièrement l’émotion que l’œuvre diffuse. Ce qu’on voit en effet n’est à aucun moment un enchantement.

C’est sur le plateau central un ballet à quatre personnages (dans la deuxième scène, le chœur est totalement rejeté sur les côtés derrière un jeu de projecteurs (les « Svoboda », du nom du grand décorateur tchèque maître de l’épure géométrique qui aurait pu signer ces décors…) et il ne se passe pas grand-chose, sinon les efforts de Kundry (vêtue d'un simple imperméable, presque désormais anonyme) dont le dienen se limite à écrire sur le mur du fond de scène Durch Mitleid wissend, der reine Tor puis le nom Parsifal comme si elle illustrait le retour du héros, en expliquant ce qui est le tenant et l’aboutissant de l’œuvre.

Cet aspect démonstratif, didactique, de l’institutrice qui écrit au tableau l’essentiel ou la militante qui badigeonne les murs (on choisira selon ses fantasmes) est un acte. Il pose ce qu’on va découvrir du nouveau Parsifal, qui est nommé (tragédie nominaliste aurait dit Roland Barthes) parce que donner le nom (un nom que le royaume du Graal a ignoré jusqu’ici) c’est faire exister, et seule Kundry le connaissait (c’est même elle qui le nomme…): la pécheresse suprême est détentrice du savoir total. Et ainsi au troisième acte, c’est Kundry qui révèle Parsifal par son nom et lui donne une existence face aux autres.

En proposant un Parsifal grimé en Joker, à la fois clown et « fou », mais aussi figure du mal (dans Batman) Thalheimer montre que le « fol » a acquis une identité qu’on vient de voir révélée par Kundry. Le fol revient, mais il a appris, il a éprouvé le mal dans sa chair, mais il l’a embrassé aussi et il porte donc lui aussi une béquille. Avec son rictus, il montre qu’il a connu la malédiction du rire, ce rire sardonique qui caractérisait aussi Kundry. C’est parce qu’il porte sur son visage la trace de l’absolu du mal qu’il peut enfin, de retour dans le royaume du Graal, se démaquiller, perdre sa singularité un peu inquiétante et exister dans un univers qui a peut-être trouvé sa rédemption ( ?) : Amfortas est en fond de scène aux côtés de Kundry et Parsifal est le personnage central, mais pour quel avenir ?  La mise en scène reste très ambiguë à ce sujet.

La résolution garde quelque chose de dubitatif, de mystérieux. Un Parsifal en suspens, en quelque sorte. Et pas vraiment ouvert. Ce Parsifal ne libère rien, il constate que le partage du malheur du monde est seul gage d’humanité. Il y a plus joyeux…

Ce travail très respectable en soi n’emporte pas ma conviction, car entre des idées vues ailleurs et d’autres qui semblent sans issues véritables, on reste un peu sur sa faim, sans percevoir jamais d’émotion, dans un spectacle qui reste assez glacial dans sa vision, où l’homme du début à la fin est écrasé et où le sauveur attendu n’a pas l’air si vaillant pour sauver un monde fait d’aveugles et de paralytiques.

Michael Thalheimer propose un jeu très symbolique et très hiératique, tout en introduisant des aspects très concrets voire anecdotiques (le revolver), comme s’il hésitait entre deux pôles ou comme s’il laissait le spectateur prendre sa part de regard, sa part de déduction, dans une démarche didactique assez brechtienne au demeurant, et laissant un singulier espace aux images psychanalytiques (le sang, la mère…) et aux lectures personnelles.

Entre Brecht, Freud et Batman, ce Parsifal laisse un peu conceptuellement sur le carreau, sinon sur le béton.

Gesamtkunstwerk ?
La direction musicale nous aide-t-elle à rentrer dans cet univers et offre-t-elle des clefs de lecture qui accompagneraient ou enrichiraient la vision ?

La direction de Jonathan Nott est très précise et particulièrement nuancée, notamment durant le premier acte, à mon avis le plus réussi, la partition est lue avec clarté, rendue sans accrocs et avec une certaine grandeur par l’Orchestre de la Suisse Romande, notamment les cordes, très bien menées, chaleureuses et souples avec les bois et les cuivres incontestablement au rendez-vous. On entend le travail approfondi qui a dû être mené.

La prestation de l’Orchestre de la Suisse Romande est ainsi pleinement convaincante, parmi les grandes réussites de cet orchestre dans cette fosse.

Mais au long de l’œuvre, on ne va jamais au-delà d’une exécution de très bon niveau, très « carrée » qui respecte scrupuleusement le texte, qui donne à la partition sa grandeur mais sans jamais, comme on dit, percer le plafond de verre de l’adhésion. On reste un peu à distance, et le reste de chaleur n’est jamais vraiment prêt à s’exhaler.

C’est ainsi que la musique soutient certes les chanteurs, mais sans vraie dynamique, sans donner à cette exécution une âme qui servirait le projet commun, la Gesamtkunstwerk, sauf au deuxième acte où il y a un parti pris clair notamment dans la scène des filles-fleurs, de rompre les charmes et donner une couleur plus agressive et acide que dans la plupart des interprétations habituelles. Des filles-fleurs plus bulbes que fleurs (vu les costumes) et un peu plus walkyries que fleurs (vu le côté incisif des voix) pour une chevauchée d’un autre ordre… Je ne suis décidément pas convaincu, même si l’agressivité relative du groupe des filles-(bulbes)fleurs prépare en compensation l’intervention de Kundry, toute de sensualité maternelle, le charme velouté de l’inceste…

Quand Wieland ou Wolfgang Wagner mettaient en scène Parsifal, il y avait le plus souvent en fosse Hans Knappertsbusch, dont la lenteur majestueuse donnait au cérémoniel parsifalien une couleur particulière qui créait en soi une fusion, une sorte de mysticisme qui emportait le spectateur.

Entre Wieland Wagner et Pierre Boulez, qui dirigeait à l’opposé de Knappertsbusch, il y avait une autre dynamique, bizarrement aérienne et terrienne, mais les deux visions s’interpénétraient également (c’est toute la plasticité de cette œuvre incroyable). Même quand Boulez a de nouveau dirigé Parsifal à Bayreuth dans la mise en scène de Schlingensief, à l’opposé du hiératisme wielandien comme le nadir l’est au soleil, la musique semblait aussi parler un langage charnu, plein, qu’on pouvait associer à certaines images, même si Boulez restait quand même circonspect ( mieux vaut trop d’idées que pas d’idées, m’avait-il répondu à propos du travail de mise en scène de Schlingensief). Ce soir à Genève, les langages vivent une sorte de froideur parallèle : la direction de Jonathan Nott, très respectable et très approfondie, ne vibre pas, ne pénètre pas les interstices de l’âme, et il n’y a pas pour mon goût d’interaction lisible entre ce qu’on voit et ce qu’on entend, en particulier au troisième acte, moins convaincant, trop distant, trop cryptique et trop peu résolutif. On voit des scènes, des mouvements, des chanteurs, on entend une sublime musique, mais on n’arrive pas à tisser tous les liens, comme des univers séparés, comme ces couples qui vivent séparés dans le même appartement, ce qui pour cette œuvre, est quelquefois problématique.  Entre l’approche cérébrale de Thalheimer et un certain géométrisme de la direction de Nott, on pourrait voir une parenté et entendre plus d’osmose, mais ça n’arrive qu’à de rares moments.

Le chœur, essentiel ici, s’en sort avec honneur, même traité par la mise en scène comme une sorte de fond sonore dans les deux scènes du Graal, sous la direction experte d’Alan Woodbridge, même si du côté des voix féminines, il y a quelques stridences et un certain manque d’homogénéité.

Sans être totalement remarquable dans tous les rôles, le plateau montre vraiment l’engagement d’artistes qui pour la première fois entrent dans leurs rôles, il faut encore le souligner.

La distribution est ainsi de celles qui savent vraiment défendre l’œuvre. Mais, effet d’une direction musicale plus centrée sur la fosse, les chanteurs semblent un peu seuls à se gérer, sans véritablement être portés par un engagement de l’orchestre à leurs côtés mais seulement par leurs ressources propres. Peut-être aussi est-ce l’effet induit de la Première et que les autres représentations me démentiront.

Les rôles de complément sont très bien tenus, aussi bien les écuyers (Julieth Lozano, Ena Pongrac, Omar Mancini et José Pazos) que les filles fleurs, même si ces dernières pèchent un peu dans la manière de fusionner les voix entre elles, mais je crois qu’il s’agit de ce parti pris musical et de mise en scène que je persiste à ne pas partager (Julieth Lozano,Tineke van Ingelgem, Louise Foor, Valeriia Savinskaia, Ena Pongrac et Ramya Roy), saluons d’ailleurs une fois encore Ena Pongrac , voix céleste de belle facture à la fin du premier acte. Les chevaliers William Meinert (qui chante aussi un beau Titurel) et Louis Zaitoun n’appellent pas de reproches.

Martin Gantner, bien connu des distributions wagnériennes (il chante souvent Beckmesser ou Telramund) abordait Klingsor pour la première fois. On sait combien le personnage est difficile, et souvent mal distribué. Il faut des immenses personnalités pour faire de cette courte intervention une figure pleine de relief.

Ici, c’est un Klingsor un peu fade, sans aspérités, qui chante le texte en le disant clairement, mais avec peu d’accents et de couleur, et la scène avec Kundry perd ainsi de sa force. Gantner est un bon chanteur, très professionnel, qui dans ce rôle devrait inventer plus, persifler plus : il n’en fait pas assez.

L’Amfortas de Christopher Maltman était très attendu, on sait le chanteur spécialiste des rôles de personnages déchirés ou blessés, de ces héros torturés victimes des Dieux, et il ne déçoit pas : le timbre est toujours séduisant, la diction est parfaite et l’expressivité est au rendez-vous : ses deux airs  sont sculptés avec soin, dans un genre très différent que d’autres Amfortas (un Mattei ou un Gerhaher, plus chanteurs de Lieder)  et c’est très bien que les palettes d’interprétation s’enrichissent : ici, c’est la chair et sa souffrance qui sont mises à nu et c’est un personnage plus expressionniste qui en sort, mais aussi plus fataliste et presque sans espoir. C’est très réussi. Parsifal ne le guérit pas, il achève de le faire souffrir, comme dans une fin de vie accompagnée et digne, une douce morphine palliative.

La Kundry de Tanja Ariane Baumgartner fait preuve de son intelligence coutumière, avec un sens aigu du texte, du phrasé, de l’expression, d’autant plus que la mise en scène n’en fait pas la femme une peu sauvage qu’on voit quelquefois, ni la Venus sensuelle émergeant de sa coquille. Elle est ici plus manœuvrière et moins sensuelle, plus mûre, c’est-à-dire plus chargée d’histoire et de savoir (rappelons les qualificatifs de Klingsor). Le personnage est magnifiquement campé. Elle est un vrai mezzo, ce qui donne un magnifique registre central, souverain dans la récitation (c’est déjà frappant au premier acte), et des aigus certes présents, un peu moins puissants et tenus cependant. On reste fasciné par le personnage qu’elle offre, guide conscient de Parsifal vers son destin, et en même temps conscient qu’en le sauvant elle se sauve. C’est elle qui déjà « sert » Pärsifal (dienen…) en le bousculant, le menaçant, le séduisant, le suppliant, elle le guide dans le mal présent en vue du bien futur.

Chacune de ses apparitions fait découvrir un pan différent des personnages qu’elle incarne, c’est ce qui rend cette artiste vraiment singulière et passionnante.

Prise de rôle pour Tareq Nazmi avec un Gurnemanz réussi, qui frappe par le phrasé, par la manière dont le texte est distillé, et par la clarté de l’émission. Peut-être approfondira-t-il les couleurs, car son récit a tendance quelquefois à manquer un peu d’accents vibrants, mais dès maintenant, c’est un Gurnemanz qui compte et mérite d’être salué, d’autant que la mise en scène exige de lui un jeu appuyé et des mouvements (fatales béquilles) pas toujours adaptés au rôle de « sage » et de récitant qu’on attend de lui. Tareq Nazmi est promis à un très bel avenir.

Moins convaincante la prise de rôle de Daniel Johansson en Parsifal. Si le rôle n’est pas si difficile vocalement (à part Amfortas die Wunde du deuxième acte) il est très difficile à rendre passionnant. Or, c’est un rôle évolutif : Parsifal est un roman d’éducation de Parsifal et le personnage n’est plus le même entre premier et troisième acte. Il faut savoir rendre cette évolution, il faut savoir intérioriser, savoir aussi donner du poids à la voix sans jamais chanter en force. Bref maîtriser la couleur, soigner chaque accent sachant que chacun dit quelque chose du personnage. Dans ma longue carrière de mélomane, j’ai à peu près entendu tous les grands Parsifal des cinquante dernières années, de James King à Jon Vickers en passant par Peter Hoffmann, Siegfried Jerusalem et Placido Domingo, sans oublier Klaus Florian Vogt, Jonas Kaufmann et Andreas Schager. Ce sont des Parsifal tous différents, jamais neutres, jamais fades, du déchirement d’un Vickers à la lumière d’un Hoffmann ou à l’intensité méditative d’un Kaufmann…

Ici, Daniel Johansson n’a pas encore défini de ligne réelle.

La voix est forte, trop forte quelquefois et sans avoir la subtilité nécessaire (il chante Erlöser au deuxième acte d’une manière tellement neutre, tellement absente), il a la fougue, il a une certaine assise, mais pas encore dans la voix les couleurs différentes du personnage, ce qui rend la performance certes chantée mais pas ressentie, avec la vigueur, mais pas la suavité ni la profondeur : un Parsifal encore en construction. Mais il a le temps d’aller au fond du personnage.

Au total, il est clair qu’il faut aller voir ce Parsifal si on en a la possibilité, d’abord parce que c’est Parsifal et que c’est en soi inratable. Ensuite, parce que sans être exceptionnelle, la production du Grand Théâtre a une vraie tenue, aussi bien scéniquement que musicalement, au-delà de ce qu’on peut légitimement discuter ou apprécier. Enfin, on y entend des chanteurs engagés qui servent bien le projet d’ensemble.

Mais le vrai mage de la soirée, une fois encore, Joker et Batman tout à la fois, ensorceleur et toujours vainqueur, c’est Richard Wagner.

 

Bloody Friday

David Verdier – AltaMusica.com – 1 février 2023

source: http://www.altamusica.com/concerts/document.php?action=MoreDocument&DocRef=7063…

 

Cette nouvelle production de Parsifal signée Michael Thalheimer laisse une impression d'inachevé due à une mise en scène hiératique qui fige l'action en une série de symboles traditionnels. Le plateau est dominé par Christopher Maltman et Tanja Ariane Baumgartner tandis que la direction de Jonathan Nott confond raffinements et sophistication.

Ce Parsifal figurait en bonne place parmi les événements de la saison 2022-2023 du Grand Théâtre de Genève. C'était sans compter une mise en scène de Michael Thalheimer qui hésite entre Regietheater muséal et symbolisme didactique. La scénographie est tout entière construite sur l'insistance de la thématique du sang à la fois comme souillure originelle et élément motivique. Entre délabrement et ébranlement, la société des chevaliers du Graal s'incarne dans ce Gurnemanz cacochyme promenant sa souffrance d'un bout à l'autre de la soirée en tremblant de tout son corps sur une paire béquilles. Le décor de Henrik Ahr est à l'avenant, offrant au regard de hauts murs d'où ruisselle le sang et qui coulissent pour encadrer l'action.

Progressivement, ils se divisent pour former une croix au sein de laquelle on trouve le personnage emblématique de chaque acte – Amfortas au I et III, Klingsor au II. Le sang est à la fois celui des stigmates du Christ/Amfortas, mais également la substance avec laquelle les chevaliers dessinent avec frénésie et obsession des croix et Kundry les mots du livret annonçant le « chaste fol » dont l'écho est ce Parsifal grimé en bouffon sinistre au dernier acte.

Le rapport du blanc au noir signe sans surprise le basculement entre Montsalvat et le jardin de Klingsor tandis que le tailleur rouge de Kundry est un rappel discret de l'hémoglobine et qu'on comprend tout de suite que le pistolet qu'elle brandit servira à tuer son maître maléfique. La mise en scène ne sollicite qu'à la marge le regard du wagnérien éprouvé et laissera sans doute le néophyte sur sa faim, avec des points d'interrogation comme ce pénible ballet de Filles-fleurs dont les protubérances évoquent de mystérieux bulbes végétaux…

Le plateau est de meilleure qualité avec en tout premier plan la prise de rôle de Christopher Maltman en Amfortas. Le profil émacié déploie tel un arc une douleur et une incarnation véritablement pénétrantes. Le timbre est magnifique, porté par une projection et une ligne tendue impressionnante. Tareq Nazmi est un Gurnemanz un brin monolithique dans son phrasé et son expression mais soutenu de belle manière par un souffle et une tension remarquables.

La Kundry de Tanja Ariane Baumgartner n'a pas en Kundry l'aisance et l'évidence de la Clytemnestre qu'elle chantait l'an dernier in loco. L'instrument demeure absolument convaincant dans la façon de faire éclater l'ébranlement psychologique fait de sauvagerie et de douceur confondues. Seul le Parsifal de Daniel Johansson décevra par la façon dont il laisse entendre les limites d'un ambitus qui rétrécit dans l'aigu et demeure très terne dans l'ensemble.

La direction de Jonathan Nott joue la carte d'une lecture aérée dans le prélude mais dont la trop ostensible régularité d'expression finit par gommer toute aspérité et tout théâtre. Les moiteurs et les émolliences du II butent sur un raffinement devenu sophistication, à l'envi d'un geste à l'ampleur certes démonstrative mais totalement neutre au moment du Vendredi saint et de l'ultime rédemption.

Wagner, une mise en scène à haut risque

Christian Merlin – Le Figaro – 2 février 2022

source: https://www.lefigaro.fr/musique/wagner-une-mise-en-scene-a-haut-risque-20230201

 

Tristan et Isolde à Nancy et à Bastille, Parsifal à Genève… Produire le maître de Bayreuth reste toujours un défi. D’ailleurs, certains tombent régulièrement à côté.

Les opéras de Wagner sont d’une telle richesse de significations qu’il n’est guère étonnant qu’ils restent aujourd’hui un inépuisable terrain de questionnement pour les interprètes. On vient encore de s’en apercevoir en faisant en une semaine trois expériences contrastées, qui posent la question du rapport entre théâtre et musique à l’opéra.

Au Grand Théâtre de Genève, c’est l’Allemand Michael Thalheimer, beaucoup plus connu des amateurs de théâtre que des lyricophiles, qui se lance dans Parsifal. Spectacle d’une nudité exigeante mais éloquente. Les décors de Henrik Ahr permettent d’ouvrir ou de refermer l’espace, une machinerie impressionnante transformant bientôt deux hautes parois lisses en un temple suggérant un enfermement tragique. Les cloisons resserrées du deuxième acte l’accentueront avec de subtils jeux d’éclairage clairs-obscurs, rendant encore plus inquiétantes des filles-fleurs difformes.

La mise en scène ne laisse pas beaucoup d’espoir. Supprimant tout accessoire suggérant le rapport au sacré, elle se concentre sur une symbolique qui ne connaît guère que le désenchantement : dépouillement sans doute discutable, mais bien en phase avec l’époque ! Dans son univers, c’est toute la communauté du Graal qui est blessée, et non seulement Amfortas, d’où une insistance particulière sur le sang qui finira par maculer les murs du temple. Les chevaliers y sont vacillants, à l’image de Gurnemanz sur ses béquilles, et le soi-disant sauveur, qui arrive comme un enfant tâtonnant, n’en sera finalement pas un.

Un procédé lassant

Après son errance, Parsifal revient grimé en clown, rappelant le Joker de Batman, et se retrouve tout seul. Image intrigante et saisissante lorsqu’il retire son maquillage, comme un pendant à Kundry effaçant le nom du rédempteur qu’elle avait écrit en lettres de sang sur le mur du temple. Cesse-t-il dès lors de jouer le rôle d’imposteur qu’on lui avait assigné, en parvenant à la clairvoyance ? La mise en scène est riche de ce point d’interrogation en suspens. Le public a réservé un accueil glacial à ce spectacle qui ne caresse pas dans le sens du poil mais dont l’abstraction symbolique continue à nous hanter.

À Nancy aussi, l’Opéra national de Lorraine s’est adressé à un homme de théâtre pour Wagner: c’est Tiago Rodrigues, nouveau directeur du Festival d’Avignon, qui réalise son premier opéra, ni plus ni moins que Tristan et Isolde. Lui aussi opte pour une forme de distanciation où l’on croit sentir l’influence du théâtre de Brecht, lui aussi opte pour le dépouillement, mais la comparaison s’arrête là. Car, s’il cherche à éviter l’anecdotique, la solution qu’il propose se révèle un échec. C’est qu’il y a souvent loin de l’intention à la réalisation !

L’idée ? Tristan étant un drame sans action, qui existe essentiellement dans les récits, donc dans les mots, le spectacle se déroulera dans une salle d’archives aux étagères remplies de dossiers. Deux danseurs-acteurs (excellents Sofia Dias et Vitor Roriz) les sortiront un à un pendant que les solistes chantent : sur chaque panneau, une phrase explique où nous en sommes. Remplaçant les surtitres, ces intertitres de cinéma muet racontent, mais surtout commentent l’action, comme dans le théâtre épique. Intéressant au début, le procédé devient vite lassant. Pour finir par exaspérer.

Intention pédagogique
Parce que les commentaires sont d’une platitude sans nom. Parce que le ballet des deux coryphées allant chercher leurs panneaux est littéralement saoulant. Parce que l’intention pédagogique risque de se transformer en mépris du public à qui l’on donne une explication de texte au cas où il n’aurait pas compris: équilibre délicat! Plus grave encore, le temps de lecture, morcelé par le rythme des panneaux que l’on sort de leur étagère pendant quatre heures, entre en conflit permanent avec le temps de la musique, comme si Rodrigues n’avait pas intégré la spécificité de l’opéra. Un spectacle irritant, qui aura réussi à faire sortir de ses gonds le très ouvert public de Nancy. Au même moment, le Tristan du tandem Peter Sellars-Bill Viola, hué en 2005, est repris pour la sixième fois en dix-huit ans à la Bastille: il est devenu un classique, indémodable dans sa poésie métaphysique.

Trois situations différentes pour l’interprétation musicale. Jouer Wagner est un défi pour Nancy, dont le théâtre est petit et les moyens pas illimités. Stimulé par cet enjeu, l’orchestre donne tout ce qu’il peut sous la direction de Leo Hussain, qui tient compte du cadre et joue la carte de la musique de chambre. Cela manque bien sûr de cordes, au détriment des grands élans, mais la clarté obtenue sert l’intimisme du propos avec un beau sens de l’enchaînement des tempi. Et quel cor anglais que celui de Florine Hardouin ! Rien de comparable avec l’Orchestre de l’Opéra de Paris, dont Wagner est le pain quotidien. À nouvelle reprise, nouveau chef : Gustavo Dudamel y déploie un lyrisme certain et de magnifiques sonorités, sans toutefois creuser la profondeur du drame et du son comme l’ont fait certains de ses prédécesseurs.

C’est, là encore, de Genève que l’on gardera les impressions musicales les plus durables. Car Jonathan Nott, qui ne nous avait pas convaincu dans Elektra, propose dans Parsifal une direction contemplative dont on a admiré d’un bout à l’autre le legato infini et les irisations sonores. La lenteur ne se délite pas, et l’Orchestre de la Suisse romande, qui dispose certes d’une longue tradition wagnérienne, offre une palette de coloris instrumentaux d’une grande subtilité. Le chœur, comme souvent au Grand Théâtre, confirme son excellence.

Côté chant, la grande déception vient de l’Opéra Bastille, avec la distribution la plus faible depuis que Tristan y est repris : pour les rôles principaux, on n’est tout simplement pas au niveau attendu à Paris. À Nancy, attentes différentes, défi autre. C’était sur le papier une jolie idée que d’offrir à Dorothea Röschmann, qui fut la mozartienne que l’on sait, sa première Isolde ; même dans une petite salle, le rôle lui pose malheureusement des problèmes difficiles à surmonter. Pour son premier Tristan, Samuel Sakker économise ses forces pour ne pas se mettre en danger, mais il lui faudra plus d’expérience et une autre mise en scène pour se libérer. On notera l’élégance de la basse Jongmin Park et le timbre prenant d’Aude Extrémo.

C’est Genève qui offre le plateau wagnérien le plus digne. Le premier Gurnemanz de Tareq Nazmi est de toute beauté : chant noble, humain, intelligent, de la part d’un artiste au parcours sans faute. Kundry subtile et intense de Tanja Ariane Baumgartner, aussi à l’aise dans le grave que dans l’aigu, Parsifal sensible et délicat de Daniel Johansson, solides Christopher Maltman et Martin Gantner dans les deux rôles de baryton. Ces expériences contrastées confirment que monter Wagner est toujours une aventure, et l’on y préférera toujours l’audace, quitte à prendre le risque de tomber à côté… Rendez-vous à Toulouse dans un mois pour un nouveau Tristan au Capitole ?

 

Un Parsifal flamboyant à Genève

Christian Wasselin – WebTheatre.com - 2 février 2023

source: https://www.webtheatre.fr/Parsifal-a-Geneve-un-spectacle-flamboyant

 

Michael Thalheimer et Jonathan Nott, une équipe gagnante au Grand Théâtre de Genève.

Tout est écrit dès le prélude. Dans la fosse, c’est le règne de la musicalité, toute en finesse, faite de tempos légèrement allongés, de pauses bien marquées, de mélodies finement ciselées. En résumé, une parfaite perception de chaque pupitre ; on goûte l’harmonie musicale générale, grâce aussi à la qualité sonore de la salle. Jonathan Nott signe son travail comme s’il s’agissait de le calligraphier en lettres anglaises ; les pleins et les déliés donnent ainsi tout son sens à la phrase musicale. Le chef mène la soirée jusqu’au bout, caressant la partition, respectant toujours les possibilités des chanteurs et s’appuyant le chœur avec fermeté. Il est le pilier majeur de ce somptueux spectacle.

La scénographie d’Henrik Ahr ne fait pas dans le détail : des blocs de ciment rectangulaires disposés au fond et des deux côtés de la scène font office, très efficacement, à la fois de forêt, de jardin, de Montsalvat et de sombre château enchanté. La mise en scène de Michael Thalheimer, originale, courageuse, respectueuse de l’histoire, va droit à l’essentiel : ni arc, ni flèche, ni cygne mort. Ainsi, elle rend visible ce qui en général ne l’est pas : la profonde souffrance, le désespoir des chevaliers du Graal après avoir vu leur roi Amfortas humilié et blessé. Pour le metteur en scène, le sang versé par Amfortas a taché durablement tous les chevaliers : à Monsalvat, le désespoir est total depuis la blessure du roi. L’arrivée du héros, la lance à la main, mais affaibli par une nouvelle crise de cécité, ne semble pas pouvoir changer grand ’chose au triste avenir de la communauté. L’allusion à la situation explosive mondiale que nous vivons semble évidente.

Leçon de phrasé

Tareq Nazmi (Gurnemanz), blessé dans son corps et dans son âme dès le début, offre au premier acte une leçon de phrasé de haut niveau. Il conquiert le public avec sa voix sonore, son timbre uniforme, son émission virile, élégante, tendre par moments, presque toujours violente, mais aussi par sa présence et son travail dramatique élaboré. Son expression, tendue et obscure, contraste avec le côté brillant de Christopher Maltman (Amfortas). Ce baryton aux grandes capacités vocales, n’a malheureusement pas la possibilité de déployer entièrement ses talents dramatiques en raison des limites du rôle.

Martin Gantner (Klingsor), bien qu’annoncé malade avant le lever du rideau, ne semble pas accuser de difficultés, ni vocales ni dramatiques. Bien au contraire, il assure le début du deuxième acte avec autorité et fermeté. Tanja Ariane Baumgartner (Kundry) montre clairement ce dont elle est capable lors de son intense dialogue avec Parsifal. Daniel Johansson (Parsifal) se maintient lui aussi à un très haut niveau lors de cette séquence-clef de l’œuvre. Sa présence physique et vocale au troisième acte fait de lui un héros doté de toutes les qualités vocales et dramatiques, capable de se maîtriser, mais désarmé devant la gravité des problèmes de la communauté.

William Meinert interprète avec conviction le personnage de Titurel (hors scène), et en tant que premier chevalier accompagne Louis Zaitoun (deuxième chevalier). L’un et l’autre montrent une crainte probablement fondée envers le personnage autoritaire de Gurnemanz. La scène du jardin avec les filles-fleurs, vocalement équilibrée, souligne la qualité vocale des six filles-fleurs ; elle est vécue dans la salle comme une oasis de paix bienvenue. Quant au chœur, bien préparé par Alan Woodbridge, il met en relief avec efficacité et sens dramatique le malaise régnant à Montsalvat après la chute de leur roi.

Michael Thalheimer livre un Parsifal désespéré et sanglant

Emmanuel Andrieu – Opera-OnLine.com – 30 janvier 2023

source: https://www.opera-online.com/fr/columns/manu34000/michael-thalheimer-livre-un-p…

 

Signataire d’un retentissant Macbeth à l’Opéra Ballet des Flandres en juin 2019 (la dernière production de l’ère flamande d’Aviel Cahn avant son départ pour le Grand-Théâtre de Genève), le metteur en scène Michael Thalheimer propose une lecture tout aussi radicale de Parsifal, le testament lyrique de Richard Wagner. Comme pour le premier ouvrage, le sang est l’élément central sur lequel repose son travail et sa réflexion. L’hémoglobine coule à flot dès le premier acte, dans laquel Gurnemanz apparaît le crâne rasé, se déplaçant avec des béquilles et dans une redingote ensanglantée. Après son long monologue, les chevaliers entrent sur scène (en claudiquant) dans la même tenue, et se mettent à barbouiller de sang les immenses parois de marbre blanc – les uniques éléments d’une scénographie particulièrement spartiate (signée Henrik Ahr), représentant sommairement le château de Monsalvat puis celui de Klingsor –, certains formant des croix sanguinolantes. « Wagner ou la douleur du monde », le titre des notes d’intention du programme de salle, résume bien ce qui nous est donné à voir : un monde en déshérence, frappé par quelques malheurs apocalyptiques, où règnent la souffrance et le désespoir. Au III, Gurnemanz apparaît encore plus mal en point, tandis que Kundry écrit – en lettres de sang – la phrase « Durch Mitleid wissend » (« Comprendre par la compassion »). Michael Thalheimer signe là une vision choc du chef d’œuvre de Wagner, qui reste longtemps dans la tête après la fin du spectacle.

Après avoir fait sensation in loco dans Guerre et Paix en 2021 (rôle de Pierre Bezukhov), le ténor suédois Daniel Johansson (grimé en ado mal fagotté au I puis en clown triste au III) renouvelle notre enthousiasme dans le rôle-titre de Parsifal, avec son timbre viril gorgé de clarté et de jeunesse, d’autant que l’émission ne trahit jamais l’effort, jusque sous la pression de ses élans les plus héroïques (fantastique « Nur ein Waffe taugt » !). La mezzo allemande Tanja Ariane Baumgartner offre une Kundry de la même eau, lui prêtant, pour commencer, une plastique physique avantageuse (dans sa superbe robe noire, puis rouge, et ses chaussures à talons), tout autant qu’une plastique vocale surnaturelle, avec un « Lachte ! » dardé comme un javelot d’airain, cri apprivoisé à faire trembler les murs ! De son côté, le baryton germano-koweïtien Tareq Nazmi bouleverse en Gurnemanz, y compris dans les longs récits du I et du III, qui peuvent pourtant vite se transformer en tunnels : il déploie une telle splendeur de timbre, une telle noblesse de phrasé, une telle variété dans les inflexions, que l’auditeur ne peut que succomber. Le baryton britannique Christopher Maltman incarne un Amfortas tout en souffrance brûlante, qui consume sa voix, tout simplement éblouissant d’intensité dramatique. Le Klingsor de Martin Gantner, grimé en rock-star hippie sur le déclin, n’a rien perdu de l'autorité qu'on lui connaît, tandis que William Meinert campe un puissant Titurel. Quant aux Filles-Fleurs, elles se montrent splendides, avec une mention pour la Seconde (Tineke van Ingelgem, récemment interviewée dans nos colonnes), les deux Chevaliers et les quatre Ecuyers n’appelant aucun reproche. Enfin, le Chœur du Grand-Théâtre de Genève se montre, de bout en bout, exceptionnel de cohésion et de qualité de timbre.

La plus grande satisfaction de la soirée est néanmoins bien la baguette de Jonathan Nott, directeur musical et artistique d’un Orchestre de la Suisse Romande en état de grâce ce soir, qui s’avère littéralement être un rêve éveillé ! Dès le premier thème du Prélude, l’extraordinaire sostenuto que le chef britannique obtient des cordes annonce la couleur : tout est fouillé en tension, et chaque voix se pose, comme par miracle, sur un écrin orchestral d’un raffinement prodigieux. Et pourtant, sans jamais traîner, le temps apparaît comme aboli.

Heureux public de la Deutsche Opera am Rhein où cette coproduction, dont on ne sort pas indemne, poursuivra sa route !

«Parsifal» privé de sa régénérescence salutaire

Julian Sykes – Le Temps – 29 janvier 2023

source: https://www.letemps.ch/culture/grand-theatre-parsifal-prive-regenerescence-salu…

 

Un parti pris radical anime le metteur en scène Michael Thalheimer, qui gomme les didascalies de Wagner pour privilégier une approche plus conceptuelle dans une scénographique aux lignes épurées, au Grand Théâtre de Genève

Un monde qui périclite, sans espoir de rédemption ni de véritable régénérescence. La conversion finale n’a pas vraiment lieu, et on se sent un peu comme orphelins à l’issue du spectacle. Une atmosphère de fin du monde hante le nouveau Parsifal au Grand Théâtre de Genève. Le metteur en scène Michael Thalheimer a choisi de gommer les didascalies proposées par Wagner pour privilégier une lecture plus conceptuelle, terriblement sombre, dans un geste radical.

Sur les parois grises d’un sanctuaire stylisé, comme sur les mains des chevaliers du Graal, le sang coule, jeté et badigeonné de toutes parts. Ce sang ne cesse de rappeler la faute commise par le roi Amfortas ayant cédé au désir charnel et blessé par la sainte lance, qui a jadis percé le flanc du Christ. C’est lourd, pesant et une ambiance morne se dégage de l’entier du spectacle, comme pour suggérer les ravages de pulsions non maîtrisées et de fautes commises pour des péchés jugés impardonnables.

Qu’on y adhère ou non, le Parsifal de Michael Thalheimer semble interroger le devenir d’une société hantée par le désastre. On pourra y lire quelque parallèle avec les grandes problématiques d’aujourd’hui: la crise climatique (aucune nature verdoyante dans ce Parsifal), la perte de repères sur le plan religieux, des êtres déracinés. Un spectacle éprouvant, imparfait, qui n’esquive pas totalement la question du sacré, puisque c’est précisément l’absence de sacré qui grève un ordre de chevaliers dépérissant dès le premier acte.

Sentiment d’oppression
Evidemment, on peut trouver cela «à côté de la plaque». C’est pourtant à la fin du premier acte que la dramaturgie atteint un paroxysme, lorsque Amfortas semble pris en étau – ou en croix – entre les parois d’une vaste enceinte oppressante. Un filet de lumière l’éclaire, tandis qu’au bas une foule obscure rampe à ses pieds comme pour appeler cette lumière salvatrice (les chevaliers du Graal pareils à des zombies). Un sentiment d’oppression domine, rehaussé par les éclairages blafards et la musique de Wagner, qui vous prend littéralement à la gorge.

Jusque-là, le spectacle aura démarré lentement, avec un orchestre privilégiant des couleurs diaphanes sous la direction de Jonathan Nott – lignes étirées, mélange de sonorités presque impressionnistes. Le jeune Tareq Nazmi – excellent comédien-chanteur, creusant le texte et faisant ressortir certaines paroles clés – tient le rôle écrasant de Gurnemanz. D’emblée, on le voit marcher sur des béquilles, se déplaçant péniblement en traînant les pieds, son vêtement taché de sang. Le dépérissement n’ira que de mal en pis. Les rares rapprochements physiques entre les protagonistes prennent dès lors une force quasi surnaturelle.

Le deuxième acte, inscrit dans une sorte de cube noir, convainc davantage dans la scène des Filles-Fleurs – musicalement, à vrai dire – que dans la séquence où Kundry essaie d’envoûter Parsifal. On la souhaiterait plus enjôleuse et féline, et la voix de Tanja Ariane Baumgartner est insuffisamment troublante. Cette voix – au galbe rond – prend davantage de densité quand Parsifal lui résiste. Hormis le signe de la croix que dessine avec son corps Parsifal et le sang qui s’écoule de son cœur, la fin de l’acte n’est guère très réussie.

Cloches qui transportent
Enfin, le troisième acte fait fi de l’épisode du double baptême pour nous montrer Kundry peinturlurant des lettres sur une paroi. «Durch Mitleid wissend, der reine Tor»… Un tic de mise en scène contemporaine. Appuyé sur sa lance devenue béquille, Parsifal a le visage grimé en clown évoquant le Joker de Joaquin Phoenix: dès lors, sa mission de sauveur du monde serait-elle trop lourde? Ou ne serait-il qu’un imposteur ? Tout un lot de questions demeure sans réponses comme pour renvoyer le spectateur à lui-même. L’héroïsme que suggère la musique de Wagner est ici esquivé ; un vide béant subsiste.

La musique comble les trous de compréhension – et d’appréhension – par sa beauté miraculeuse. Jonathan Nott, que l’on pourra trouver anémique par endroits, construit une formidable courbe dramatique à la fin du premier acte. Il tire profit des belles couleurs de l’OSR, vents, cordes, en particulier dans le mélange des sonorités fondues. Les éclats de cloches nous transportent, et les chœurs sont splendides ! Christopher Maltman est un Amfortas puissant et habité, en dépit d’un vibrato un peu gênant. Daniel Johansson manque de candeur juvénile tout comme d’un lyrisme resplendissant en Parsifal – seule la vaillance de ses accents en fait un héros. Un Parsifal à digérer, donc, et à apprécier à l’aune de sa sensibilité.

Un Parsifal de sang et de larmes

Hannah Starman – TouteLaCulture.com – 29 janvier 2023

source: https://toutelaculture.com/spectacles/opera/un-parsifal-de-sang-et-de-larmes-ou…

 

La mise en scène minimaliste et saturée de sang, du metteur en scène allemand, Michael Thalheimer, ne convainc pas le public genevois. La nouvelle production de Parsifal est intense et inutilement pesante. En revanche, le casting de haut vol et une performance juste et attentionnée de l’Orchestre de la Suisse Romande sous la direction de Jonathan Nott, nous offrent une expérience musicale exceptionnelle.

L’ultime œuvre sacrée et exclusive de Wagner
Parsifal, la dernière œuvre de Richard Wagner, est l’aboutissement d’une vie. C’est à Dresde, en 1845, que Wagner lit le poème Parzival de Wolfram von Eschenbach, la première source de cette œuvre d’art totale. Il présente l’esquisse en prose de Parsifal à son mécène, Louis II de Bavière, en 1865, et à Friedrich Nietzsche en 1869. Louis II est enchanté. Il financera le projet et mettra à disposition du compositeur les ensembles du Théâtre de la Cour de Munich. En revanche, Parsifal provoquera la rupture avec Nietzsche. Dans son essai intitulé Nietzsche contra Wagner [Le cas Wagner], le philosophe reprochera à son ancien ami de défendre “la régression dans l’obscurantisme chrétien malsain.” Presque quarante ans se seront écoulées entre l’inspiration à Dresde et la première représentation de Parsifal à Bayreuth en juillet 1882, quelques mois seulement avant le décès de Wagner le 13 février 1883.

Révolté par l’idée que Parsifal puisse être “présenté au public en divertissement,” Wagner impose l’exclusivité des droits d’exécution. Toutes les représentations de Parsifal devront se faire à Bayreuth, le théâtre pour lequel l’œuvre a été conçue, à l’exception des spectacles privés donnés pour le roi. Cette exclusivité s’éteindra 30 ans après la mort du compositeur et la veuve de Wagner (et fille de Franz Liszt), Cosima Wagner, la défendra bec et ongles. Elle bannira les chanteurs participant aux productions “interdites” de se produire à Bayreuth et intentera un procès contre le Metropolitan Opera qui avait réalisé une version pirate de Parsifal en 1903. La justice américaine rejettera sa requête au motif que les États-Unis n’avaient pas encore adhéré à la Convention de Berne (chose faite en 1989 seulement).

La création de Parsifal, se fera au Palais des festivals à Bayreuth, le 26 juillet 1882, sous la direction de Herman Levi et en présence d’Anton Bruckner, de Franz Liszt, de Richard Strauss et d’Eduard Hanslick. La production monumentale nécessitait un orchestre de 107 musiciens, un chœur de 135 personnes et 23 solistes. Apparaissant au-devant de la scène après le deuxième acte, Wagner interdit au public d’applaudir entre les actes afin de préserver l’émotion et le caractère recueilli de la pièce. En conséquence, personne n’ose applaudir à la fin et l’ultime chef d’œuvre de Wagner est accueilli avec un enthousiasme silencieux.

 

Parsifal selon Michael Thalheimer
Fidèles aux injonctions de Wagner, les spectateurs genevois n’applaudissent pas entre les actes, mais la mollesse de l’accueil final ne laisse pas non plus croire à un triomphe. Pendant le premier entracte, une spectatrice déplore déjà la mise en scène “épouvantable” de Thalheimer. “Une horreur !” renchérit sa voisine. “Pour ma part, je ferme les yeux et j’écoute la musique.” C’est d’ailleurs le conseil que Wagner lui-même a donné à Nietzsche qui n’appréciait pas les mises en scène à Bayreuth.

Au premier acte, dans la forêt qui entoure le château du Graal, représenté par de hauts caissons en deux niveaux conçus par Henrik Ahr, le vieux chevalier Gurnemanz, raconte l’histoire du malheur qui a frappé le roi Amfortas et la communauté du Graal. Incapable de respecter le vœu de chasteté des chevaliers du Graal, Klingsor se châtre lui-même, mais le père d’Amfortas, Titurel, le rejette de l’Ordre. Par vengeance, Klingsor crée un jardin luxuriant où il installe des créatures magiques d’une irrésistible séduction, les Filles-Fleurs, pour y attirer et débaucher les chevaliers du Graal. Subjugué par une femme, Amfortas y perd la Sainte Lance, l’arme qui aurait percé le cœur du Christ, et reçoit à son tour une blessure christique qui ne se referme pas. Protégé par le Graal, le Calice qui aurait recueilli le sang du Christ, Amfortas est immortel et condamné à la souffrance éternelle. Selon la prophétie, seul “un fou au cœur pur” pourra le guérir et sauver la communauté du Graal.

Le metteur en scène allemand opte pour une extension de la blessure à la communauté entière du Graal. On admire la capacité de Tareq Nazmi en Gurnemanz à projeter sa voix alors qu’il passe son temps sur scène plié en deux sur ses béquilles et vêtu d’une épaisse tunique maculé de sang, tel un revenant à qui on aurait oublié de restituer le squelette. A l’instar de Gurnemanz, tous les chevaliers et écuyers se déplacent péniblement, portent des robes trempées dans le sang et s’inclinent devant les parois dégoulinant de sang. L’ensemble titubant et abasourdi ressemble plus à une équipe de nuit dans un abattoir qu’à une communauté de chevaliers, aussi éprouvée soit-elle par le destin.

Le récit de Gurnemanz est interrompu par l’apparition de Kundry, une cavalière sauvage et mystérieuse, et un peu plus tard, par un cygne, transpercé par une flèche, qui tombe à ses pieds. Le coupable est un jeune étranger qui, devant le désarroi des chevaliers, se répand vite de son geste, brise son arc et jette loin ses flèches. Toute cette action est sublimée dans la vision de Thalheimer et le spectateur est invité à se contenter de l’ajout sur scène d’une élégante femme vêtue de noir et fumant une cigarette (Kundry) et d’un homme, pieds nus, en marcel et caleçon long blanc qui ignore jusqu’à son nom (Parsifal). Soupçonnant que l’étranger pourrait être le cœur pur, sauveur de la communauté, Gurnemanz l’invite à assister à la cérémonie du Graal. On y retrouvera la même équipe de bouchers zombie qui fera couler le sang sur les parois arrangées en croix, dessinera des croix avec le sang, jettera du sang contre les murs et agitera les bras vers la blessure sanguinolente d’Amfortas.

Thalheimer nous offre un répit de ce bain de sang pendant le deuxième acte. Face à un décor noir, Klingsor, vêtu d’un manteau en cuir bordeaux, les Filles-Fleurs arborant des couleurs pastel et Parsifal presque propre, seule Kundry en rouge sang nous rappelle des mauvais souvenirs du premier acte. Klingsor, cheveux au vent et le look 1970s, instruit son esclave Kundry de séduire Parsifal comme elle a autrefois séduit et perdu Amfortas. Seul un homme pur qui défiera ses charmes pourra la délivrer des griffes de Klingsor et Parsifal fera peut-être l’affaire. Il résiste vaillamment les Filles-Fleurs qui cherchent en vain à le séduire. Essayant à son tour, Kundry l’appelle par son prénom, lui raconte la mort de sa mère et, profitant de sa vulnérabilité, l’embrasse. Mais au lieu d’éveiller en lui le désir, son baiser lui révèle la connaissance de la souffrance d’Amfortas. Il se tord de douleur et une grande tâche rouge apparaît sur son marcel. Furieux de cet échec, Klingsor est censé attaquer Parsifal avec la Sainte Lance, sauf que Thalheimer choisit une issue différente pour ce deuxième acte. A la place de la Sainte Lance qui s’immobiliserait dans les airs devant Parsifal, Kundry, braque son révolver, d’abord sur Parsifal, ensuite sur elle-même, avant de tirer trois coups de feu sur Klingsor. “N’importe quoi !” vocifère la spectatrice du premier entracte. “Je vous ai dit de ne pas regarder,” rétorque sa voisine qui, à en juger par son sourire béatifique, n’a pas ouvert l’œil depuis le début du spectacle.

Après le deuxième entracte, on ne retrouve pas tous nos voisins, mais le mur dégoulinant de sang qui sert de décor est de retour. C’est vendredi saint et Gurnemanz, encore plus estropié qu’au premier acte, tombe sur Kundry gémissante par terre. Telle une araignée géante, il chancelle un long moment au-dessus d’elle avant de déposer péniblement ses béquilles pour l’aider à se relever. Une silhouette noire s’approche. Gurnemanz reconnaît la Sainte Lance et le chevalier qui est appuyé dessus. Pendant que Parsifal, arborant un masque de Joker, sera oint nouveau roi, célébrera son premier office du Graal, refermera la plaie d’Amfortas et sauvera la communauté, Kundry, vêtue d’un trench beige, passera son temps à plonger ses mains dans un saut rempli de sang et à dessiner et effacer des bribes de phrases, tels que “Durch Mitleid wissend,” “der reine Tor” et “Parsifal.” On se demande si ce sort est vraiment préférable à la mort que Wagner lui a destinée dans la version originale.

Une distribution vocale dominée par des prises de rôle
Le Grand Théâtre et son coproducteur, le Deutsche Oper am Rhein Düsseldorf Duisbug, ont pris un pari risqué, mais formidablement réussi, car six sur sept rôles principaux sont interprétés par les chanteurs pour la première fois. Seule la mezzo-soprano allemande, Tanja Ariane Baumgartner, a déjà interprété Kundry, un rôle qu’elle décrit “comme un tour sur les montagnes russes.” La difficulté de Kundry est à la fois musicale, explique Baumgarnter, car “dans l’acte I, je chante dans le registre du mezzo-soprano, mais dans l’acte II, je passe du mezzo au grand soprano.” Kundry est difficile à jouer “parce qu’elle a tant de femmes en elle, tant de facettes.” Chaude et ensorcelante dans les graves, lumineuse dans les aigus et parfaitement dosée entre les deux, la voix de Tanja Ariane Baumgartner semble particulièrement bien adaptée au caractère changeant de son personnage. Baumgartner habite véritablement Kundry et sa présence sur scène est entraînante dans toutes les déclinaisons de son personnage.

Dans le rôle de Parsifal, le ténor suédois Daniel Johansson, livre une interprétation mesurée, solide sur toute la tessiture, mais en rien surpuissante. Malgré son accoutrement, qui n’évoque pas intuitivement une royauté messianique, Johansson arrive à infuser son personnage d’une certaine dignité et c’est tout en son honneur. Mais le véritable miracle de ce Parsifal est Tareq Nazmi dans le rôle de Gurnemanz. Sa voix reste aussi souveraine et généreuse dans les graves qu’elle est légère dans les aigus, alors qu’il est plié en deux et chancelant sur ses béquilles. Sa performance physique et vocale est tellement stupéfiante que même les spectateurs les plus réservés lui applaudissent chaleureusement. Les deux barytons, Christopher Maltman dans le rôle d’Amfortas et Martin Gantner en Klignsor, incarnent leurs personnages avec conviction et projettent leurs voix avec énergie. Maltman, expressif et puissant, trouve l’équilibre entre l’homme qui subit une souffrance extrême et le suicidaire prêt à entraîner tout le monde dans l’abîme.

Dans la fosse, Jonathan Nott et l’Orchestre de la Suisse Romande offrent un son finement mixé, velouté la plupart du temps, mais aussi lumineux ou voilé au besoin. Jonathan Nott assure une direction soignée, sans grands contrastes et dans un tempo relativement rapide. Il maintient un excellent équilibre avec le plateau et accompagne les chanteurs avec attention et de bienveillance, permettant à chacun de déployer sa voix sans se faire écraser par un orchestre trop puissant. Le Chœur du Grand Théâtre de Genève complète agréablement cette belle et solide prestation musicale.

À Genève, Parsifal est un clown

Jacques Schmitt – ResMusica.com – 29 janvier 2023

source: https://www.resmusica.com/2023/01/29/a-geneve-parsifal-est-un-clown/

 

Le metteur en scène allemand Michael Thalheimer offre une vision minimaliste et sanguinolente du Parsifal de Richard Wagner.

Il fallait s’y attendre. Le spectacle d’opéra qui fait rêver, qui s’attache à l’exercice du beau, qui soulève le spectateur de son siège par sa poésie, ses décors, ses costumes, son chant même, c’est du passé. A l’Opéra de Genève pour le moins. Hormis quelques rares exceptions le Grand Théâtre de Genève est devenu un temple du « regie theater » allemand. Et ce spectacle de Parsifal de Richard Wagner en est la triste démonstration. L’esprit de l’œuvre de Parsifal s’inscrit dans une dimension mystique incontestable qui appelle à une élévation spirituelle. Ce n’est malheureusement pas la vision du metteur en scène Michael Thalheimer qui se complait dans l’abaissement d’une œuvre symbolique. A Monsalvat, le roi Amfortas, en charge du Graal, la coupe qui a recueilli le sang du Christ, et de la lance qui perça le flanc de Jésus, souffre d’une blessure qu’il a reçue de Klingsor lorsque celui-ci lui a dérobé la lance sacrée. Amfortas ne guérira que lorsqu’il aura recouvré cette relique. C’est à Parsifal qu’incombe le devoir de ramener la lance sacrée dans la communauté et d’accomplir la rédemption. De quelque côté qu’on regarde Parsifal, le sacré, le divin, le mysticisme en est la substance profonde.

Mais alors, que vient faire cette congrégation de bouchers et d’équarrisseurs vêtus de tuniques et de pantalons blancs tachés de sang dont l’activité principale est de souiller les murs du sang qu’ils ont sur les mains ? D’où sort ce Gurnemanz lui aussi souillé de sang, courbé sur lui-même, s’appuyant en tremblotant sur deux béquilles qui profère ses injonctions en marchant jusqu’à l’exaspération d’un coin à l’autre d’un plateau ? Qui est encore cet Amfortas, dégoulinant de sang lui aussi, qui du haut d’un promontoire harangue ses compagnons tel un syndicaliste ? Bientôt, les murs eux-mêmes sueront de flots de sang qui s’écouleront le long des parois. Une débauche d’hémoglobine à faire pâlir le cinéaste américain Quentin Tarantino ! Et ces filles-fleurs ? Fallait-il qu’elles soient difformes pour être crédibles ? Elles sont d’ailleurs d’insupportables mégères émettant leurs stridences vocales ! Et qu’est cette Kundry écrivant sur les murs en lettres de sang des maximes en allemand non traduites qu’elle efface aussitôt parasitant l’attention du spectateur à l’écoute de la musique ?

Et Parsifal ? Dans l’idée de Michael Thalheimer, ce personnage serait un anti-héros. Le «fou-candide» de Wagner s’affiche ici comme un benêt, un idiot du village. Pour bien montrer qu’il n’est pas l’homme du mythe de Perceval, on l’attife d’un legging de coton blanc et d’un « marcel », comme un lutteur, activité chère aux campagnes de Suisse allemande. Lorsqu’enfin, au terme de quatre heures de musique et de chant, Parsifal revient auprès de la communauté, fatigué, s’appuyant sur la lance sacrée retrouvée, il lève lentement la tête et l’on découvre : un clown ! Quelle récompense, quelle promotion ! C’en est fait de la rédemption. Le mythe est détruit. D’ailleurs, selon les critères scéniques de Michael Thalheimer, il n’a jamais existé. CQFD, en dépit des gesticulations scéniques qui s’apparentent plus à des cours d’initiations à l’expression corporelle qu’à une véritable direction d’acteurs, des décors tournant souvent sans raison, des litres de sang déversés, tout cela ne tient pas la route. Le début égale la fin. Misère, où est ta victoire ?

Cette œuvre aride demande la présence de quelques grosses pointures du chant wagnérien, sans lesquelles il devient difficile d’élever le discours, de transporter l’auditeur vers les hauteurs mystiques de cette musique.

Ici, à l’exception du rôle féminin, tous les protagonistes, jusqu’aux derniers des écuyers font des prises de rôle ! De tous, seule la basse Tareq Nazmi (Gurnemanz) semble pleinement concernée. Avec sa très belle voix, bien conduite, solide, il fait figure du personnage idoine du rôle. Des autres protagonistes, aucun ne démérite et chacun se donne beaucoup de peine pour remplir ses obligations. On note toutefois que le baryton Michael Maltman (Amfortas) force sa voix et fait montre de quelques flottements de vibrato dans le registre grave alors que Martin Gantner (Klingsor), lui aussi baryton, jouit d’une voix beaucoup trop claire et trop «gentille» pour crédibiliser le Mal qu’il incarne. On pensera de même de la mezzo-soprano Tanja Ariane Baumgartner (Kundry) qui, bien que possédant le rôle depuis bientôt cinq ans, nous est apparue sans la hargne, l’ironie, la folie, voire la provocation amoureuse que son personnage requiert. Quant au rôle-titre, le ténor suédois Daniel Johansson (Parsifal), peut-être parce qu’on lui impose un rôle scénique d’anti-héros, ne convainc pas restant dans un chant sans soleil.

Dans la fosse, l’Orchestre de la Suisse Romande fait merveille. Le chef Jonathan Nott ne ménage pas ses efforts pour donner vie à ce Parsifal à travers une direction dynamique offrant quelques sublimes moments musicaux, en particulier lors du prélude du premier acte, comme dans le final où la douceur des cordes étreint. Parfaitement préparés, le Chœur du Grand Théâtre de Genève et la Maîtrise du Conservatoire populaire de Genève nous rappellent avec bonheur qu’ils ont conscience du travail bien fait. Et tant pis si, au moment des saluts, son chef Alan Woodbridge n’a pas droit au devant de la scène !

Richard Wagner, qui ne manquait jamais de prétention, avait indiqué qu’il ne fallait pas applaudir à la fin du premier acte de Parsifal car la solennité de la communion imposait un silence respectueux. Cette tradition perdurait lors des précédentes productions auxquelles votre serviteur assista. Ici, cette cérémonie est si galvaudée qu’il aurait été malvenu d’imposer pareille obligation.

Parsifal selon Michael Thalheimer – Les chevaliers zombies

Vincent Borel – ConcertClassic.com – 28 janvier 2023

source: https://www.concertclassic.com/article/parsifal-selon-michael-thalheimer-au-gra…

 

Qu’est-t-il arrivé aux chevaliers du Graal ? Une guerre ? Une épidémie ? Un holocauste ? Comme surgis d’un présent d’apocalypse, ils arborent des crânes rasés, des corps meurtris, des redingotes poisseuses de sang. Car le metteur en scène, Michael Thalheimer, aime le sang, comme vient de le démontrer, à Anvers et à Düsseldorf, un Macbeth radical et controversé où, déjà, l’organe liquide jaillissait des bouches et tapissait les corps.

Ce Parsifal, également coproduit avec Düsseldorf, interroge notre monde et la possibilité de le sauver. Ou pas. Sans spolier un final tout de lumière et de pureté, le spectacle, en parfaite adéquation avec le Festival sacré du sorcier de Bayreuth, s’avère un cérémonial inscrit au cœur de monolithes tournant sur le plateau. Ils s’ouvrent parfois sur le néant et, comme les torii japonais, dessinent un espace cruciforme où se jouent les souffrances d’Amfortas et les séductions de Kundry. Ce sera l’unique référentiel christique de la production.

L’intégralité du premier acte abonde en giclures de sang et en graffitis abscons. Chez Thalheimer, Gurnemanz a un rôle de premier plan, il est l’initiateur, le prédicateur, le commentateur. Apparu en infirme, traînant des jambes mortes, appuyé sur des cannes anglaises, la jeune basse allemande Tareq Nazmi est condamné à des prouesses physiques qui n’altèrent pas son timbre profond, confortable, au souffle ample, à l’émotion constante. Avec une telle prestation, le temps passe sans lasser durant les roboratifs monologues de l’acte I. Il est l’une des belles découvertes d’un casting de haut vol hélas que ne salue pas comme il se devrait un public à la politesse bien réservée. L’Amfortas déchiré de Christopher Maltman méritait plus d’attention et de ferveur. Peut-être que la relative neutralité du timbre n’a pas su séduire, au contraire du mordant Klingsor de Martin Gantner, grimé comme un mage asiatique et pervers.

Le deuxième acte comble quiconque trouve l’actuel chant wagnérien en déshérence. La Kundry de Tanja Ariane Baumgartner est une soprano tendance mezzo, confortable sur toute la tessiture, aux aigus jamais perçants, et dont les rondeurs de timbre évoquent Christa Ludwig dans ce même rôle. Son « Ich sah das Kind an seiner Mutter Brust » est davantage maternel que séducteur. La dramaturgie lui réserve l’honneur d’abattre Klingsor à coups de revolver. C’est l’une des belles idées de la mise en scène que d’en finir avec ce lieu commun de la pécheresse repentante, destinée à absoudre les péchés du mâle. Ici, sa révolte et sa présence renversent un ordre masculin corrompu, abonné à la castration ou à son peu ragoutant cérémonial de sanies qui les transforme en zombies.

Tanja Ariane Baumgartner trouve en Daniel Johannsson un Parsifal comme on rêverait d’en entendre souvent. Le ténor suédois avait déjà séduit le public genevois dans le rôle de Pierre Bézoukhov dans Guerre et Paix en 2021. Exploit renouvelé. Dans la catégorie des ténors wagnériens, si difficile à renouveler, Daniel Johannsson montre un timbre clair et puissant, charnu et jamais beuglant, capable de toutes les finesses que réclament l’héroïque fragilité des Lohengrin, Parsifal et Siegmund. Loin d’une prestation athlétique et forcée, son « Nur ein Waffe taugt » est chanté sur le fil, avec une finesse rayonnante.

En fosse, Jonathan Nott livre un Wagner limpide, aérien, à la tête d’un Orchestre de la Suisse Romande qui poursuit la tradition d’Ansermet et d’Armin Jordan, même si on aurait préféré une musique de transformation plus acérée dans son pathétique. On songe plus d’une fois à l’enregistrement Erato du Parsifal de Syberberg (1982). Les chœurs du Grand Théâtre stupéfient par leur ampleur, leur transparence, sous la direction d’Alan Woodbridge. La cérémonie du Graal est une effusion, le final une assomption. Quant aux filles-fleurs en robes moulantes et flashy, Julieth Lozano, Tineke van Ingelgem, Louise Foor, Valeriia SavinskaIa, Ena Pongrac, Ramya Roy, forment un bouquet savamment équilibré.

Parsifal intensément pessimiste

Mark Everist – Olyrix.com – 27 janvier 2023

source: https://www.olyrix.com/articles/production/6482/parsifal-wagner-25-janvier-2023…

 

Le dernier opéra de Wagner, mis en scène par Michael Thalheimer au Grand Théâtre de Genève met profondément en avant les questions de handicap, porté par l'investissement scénique et la prime qualité du plateau vocal constellé de prises de rôles

Sous certains aspects austères, cette lecture scénique est d'une cruelle rigueur. La blessure d'Amfortas affecte ici toute la population de Montsalvat : les chevaliers et les écuyers se déplacent tous avec difficulté dans des vêtements trempés de sang et adoptent des comportements erratiques, comme lorsqu'ils dessinent des croix sur les murs au finale de l'Acte I. Ils sont menés par Gurnemanz qui traverse la scène en titubant avec des béquilles, et dont les efforts laborieux pour s'asseoir confirment cette ambiance douloureuse et inquiétante. Kundry même finit par gribouiller des slogans avec du sang sur le mur à l'acte III, allant de "Par la compassion, la connaissance" à simplement "Parsifal".

Le tout se déroule dans un décor à la fois minimaliste et imposant, composé de deux grands blocs rectangulaires qui s'écartent légèrement pour servir de point de mire aux premières apparitions des protagonistes. La scénographie d'Henrik Ahr n'en est pas moins subtilement réalisée, et les deux masses de pierre tournent de manière à permettre un large éventail d'actions scéniques. Les couleurs crème des costumes de Michaela Barth, aussi simples soient-ils, permettent d'appliquer avec régularité le sang au fur et à mesure de l'action. Les habitants du château sont habillés différemment : Klingsor en rock-star vieillissante, Kundry en costume rouge ou noir selon le degré de séduction qu'elle est censée exercer, alors que les filles-fleurs ont des robes argentées moulantes dignes des années 1920, mais aussi diverses prothèses et signes de handicaps.

La mise en scène sauvage de Thalheimer est rendue encore plus parlante par le contraste avec la prestation vocale des solistes, et les performances ravissantes du Chœur maison et de l'Orchestre de la Suisse Romande. Les solistes principaux tiennent leur rôle pour la première fois, à l'exception de Tanja Ariane Baumgartner dont le mezzo-soprano, flexible à l'extrême, est idéalement adapté au caractère changeant du rôle : les phrases fragmentées et haletantes du premier acte sont ciselées sur toute la tessiture, et dans le deuxième acte, les lignes plus lyriques ont une forme et une ligne qui soulignent les qualités de séduction de la musique autant que du personnage. Rayonnante dans le registre supérieur, ses notes graves sont soyeuses et, bien entendu, séduisantes.

Les filles-fleurs offrent des prestations riches et une prestation d'ensemble assortie, réunissant les sopranos Tineke van Ingelgem, Louise Foor et Valeriia Savinskaia, la mezzo-soprano Ramya Roy rejointes par deux membres du Jeune Ensemble du Grand Théâtre : la soprano Julieth Lozano et la mezzo-soprano Ena Pongrac. Ces deux dernières peuvent en outre montrer leur placement vocal car elles incarnent aussi des écuyers, rejointes par les ténors Omar Mancini et José Pazos aux mêmes qualités. Complétant la distribution en chevaliers, le ténor Louis Zaitoun et la basse William Meinert (également Titurel) dominent l'acoustique depuis une position désavantageuse au fond de la scène, avec la brillance du premier et les graves sonores du second.

Difficile d'incarner un héros maquillé en clown, mais Parsifal prend ainsi des allures de sombre Joker et Daniel Johansson apporte au rôle-titre la profondeur de son incarnation réfléchie avec la fiabilité de sa voix de ténor, marquée par sa brillance autant que par sa puissance. Restant toujours loin des exagérations, il discipline son registre supérieur pour l'harmoniser avec ses notes inférieures. La dynamique reste subtile (avec même quelques pianissimi fracassants), enrichissant d'autant le portrait du personnage.

Contrairement au rôle de Parsifal, celui d'Amfortas est si nettement déterminé (par sa souffrance) qu'il laisse peu de place à l'interprétation du metteur en scène. Le personnage repose donc d'autant sur la voix de Christopher Maltman, dont la souplesse du registre médian capture les lignes angulaires trempées dans la douleur. Mais il déploie également sa puissance dans le registre supérieur, lorsqu'il ne parvient pas à dissuader les chevaliers, d'un saut vers l'aigu complétant la palette vocale de cette incarnation.

Le Klingsor de Martin Gantner ne s'est pas seulement habillé comme une rock star vieillissante, il agit aussi comme tel. D'un caractère louche et flamboyant à la fois, son baryton a la flexibilité tendue pour négocier les lignes mélodiques tortueuses avec conviction. Ses premières phrases assises sur un registre moyen voluptueux capturent l'autorité épuisée avec laquelle il commande, mais pour les déployer ensuite à travers la gamme avec facilité et un style ombrageux, moqueur même du medium à l'aigu.

Tareq Nazmi en Gurnemanz reçoit le meilleur accueil du public genevois, qui salue son investissement au service de ce rôle et de cette vision scénique. Sa finesse gestuelle répond à celle de sa voix, conservée à travers l'immensité de l'ambitus, de la déclamation angulaire au parlando sinueux vers des legatos soutenus.

Le chef Jonathan Nott offre une interprétation extrêmement rythmée, avec des moments de pure poésie musicale à la hauteur des voix solistes déployées sur la scène. Le Chœur du Grand Théâtre et les voix de la Maîtrise du Conservatoire populaire de musique de Genève s'en font l'écrin et le soutien, en justesse et attentions. L'Orchestre de la Suisse Romande s'impose par la richesse des cuivres, la qualité soliste des bois, le tout soutenu par l'effet de ravissement (élévation céleste) produit par les cordes.

Parsifal à Genève

Bertrand Bolognesi – Anaclase.com – 27 janvier 2023

source: http://anaclase.com/chroniques/parsifal-perceval-21

 

Voilà déjà treize ans que le lyricophile genevois n’avait vu in loco de représentation de l’ultime ouvrage wagnérien. Le Grand Théâtre reprenait alors la production de Roland Aeschlimann que nous avions découverte à sa création, quelques années auparavant. Ce soir, il retrouve Parsifal dans une mise en scène nouvelle, confiée à Michael Thalheimer. Pour ce faire, l’institution a convoqué une équipe vocale de belle tenue, où aucun artiste fait vilaine figure. Avec un engagement exemplaire à défendre les options dramatiques, tous magnifient leur rôle auquel ils offrent l’organe idéal et un chant remarquable. Il est rare que l’on quitte la salle si pleinement satisfait quant à cet aspect de l’événement.

Inutile de chercher la petite bête parmi les Filles-fleurs, par exemple, puisqu’il n’en est pas une à démériter. Ainsi apprécie-t-on les mezzo-soprani Ramya Roy et Ena Pongrac, cette dernière chantant également la partie du Second Écuyer, de même que les quatre soprani Louise Foor, Tineke van Ingelgem, Valeriia Savinskaïa et Julieth Lozano qui assume aussi le rôle du Premier Écuyer. Leurs collègues ténor à former le quatuor possèdent des timbres complémentaires, celui de José Pazos étant le plus incisif quand Omar Mancini offre un phrasé d’une saine ampleur. Les Chevaliers ne sont pas en reste, avec le ténor claironnant de Louis Zaitoun et la basse sonore et fort ronde de William Meinert que l’on entend avec bonheur en Titurel.

Le quintette de tête est pur ravissement. En Klingsor, on reconnaît le timbre fermement impacté de Martin Gantner qui semble beaucoup s’amuser avec le personnage. Très en voix en ce soir de première, le baryton britannique Christopher Maltman donne un Amfortas de grande stature artistique. Avec la fougue qu’elle sait mettre dans chaque intervention, Tanja Ariane Baumgartner fait merveille en Kundry : la voix brûle, littéralement, et bouleverse. La jeune basse Tareq Nazmi mène un Gurnemanz confortablement pourvu dont il favorise la douceur bénie. Il signe une très grande incarnation, dominée par une facilité à nuancer qui tient du grand art. Enfin, le rôle-titre revient au ténor suédois Daniel Johansson, qui maîtrise incontestablement ses moyens. La voix est saine, l’intonation toujours extrêmement précise, la couleur claire, autant de qualités grâce auxquelles il livre un Parsifal et tendre. Encore féliciterons-nous les artistes du Chœur du Grand Théâtre de Genève, efficacement préparés par Alan Woodbridge, qui donnent à leurs passages toute la musicalité requise.

Là s’arrête le ravissement, avouons-le.

À la tête d’un Orchestre de la Suisse Romande à jour avec la partition, par-delà quelques approximations des cuivres, Jonathan Nott dirige une lecture moins que peu habitée. Sans relief, sa proposition est lisse, y compris dans l’acte médian, le plus théâtral, sans pour autant atteindre une quelconque portée spirituelle. L’inspiration ne visite pas la fosse, même si certains moments bénéficient d’une tentative de ciselure qui retient l’écoute.

Avec la complicité de Stefan Bolliger pour les lumières, de Michaela Barth quant à la vêture et dans une scénographie d’Henrik Ahr, la mise en scène de Thalheimer, dont nous avions diversement apprécié Les Troyens et l’Otello, interroge la fin de ce premier quart de nouveau siècle avec une lucidité que les esprits les plus joyeux qualifieront d’alarmiste. « Nous avons subi tellement de catastrophes, explique-t-il (brochure de salle), et nous vivons encore au cœur même de la catastrophe : la pandémie, la crise économique, une guerre en Europe. […] Nous savons que la crise du climat peut être sans issue ». Sur une vaste estrade que borde un mur à deux panneaux, Parsifal apparaît dès le Vorspiel, en marcel et caleçons longs, un grand désarroi dans le regard. Une tournette s’active lorsque la musique s’engage elle-même dans un mouvement, une tournette trop invasive, croyons-nous. En guenilles, Gurnemanz fait son entrée, s’aidant avec peine de béquilles. Sa difficulté à se mouvoir est celle d’un homme physiquement brisé dont l’extrême force est mentalisée, admirablement volontaire. De même que les chevaliers et écuyers qui surgissent bientôt, sa tenue, simple et neutre quant à la coupe, est maculée de sang. Kundry nous arrive de dos, en costume noir, presque masculin. Le corps d’Amfortas est essentiellement arqué par la douleur, ce qui paraît indifférer celle qui est fatiguée, installée au bord du dispositif scénique, souveraine, jusqu’à rire pendant le récit de Gurnemanz à propos de la perte de la lance chez Klingsor. Sur le côté, elle fume, voluptueusement. Et l’Innocent d’alors atterrir comme de nulle part. Rite du sang, la cérémonie du Graal s’effectue dans une vaste coulure morne, les officiants projetant des caillots sanglants sur le mur.

La structure ne changera pas pour le deuxième acte, à ceci près que le monde du magicien se résume à de noires ténèbres. D’intrigantes hypertrophies (épaule, hanche, etc.) caractérisent les Filles-Fleurs – le spectacle gagnerait à renoncer au concert de talons aiguilles qui entrave l’impact musical de ce moment. Venant de Montsalvat, Parsifal arbore les rouges mains du rite ; de même ses ourlets sont-ils tachés. Kundry entre avec un revolver dont elle ne semble pas vraiment savoir ce que c’est ni, par conséquent, quoi en faire. On peut imaginer que le fourbe et ambitieux magicien le lui a mis entre les mains pour détruire l’Innocent, projet qui échoue puisque, si pour un temps elle lui remet l’arme afin qu’il se suicide (ce qu’il ne fait pas), elle la retourne finalement contre Klingsor lui-même, dès lors abattu sans lutte aucune.

Le dernier chapitre fait une nouvelle fois usage de l’immense Hermann Nitsch de la fin du premier. D’abord couchée à la proue de l’estrade, la sauvageonne rejoint le mur sur lequel elle écrit, au sang, DURCH MITLEID WISSEND : savoir par compassion. Durant le récit de Gurnemanz, elle brouille les lettres, donnant à l’inscription une dimension secrète qui tient de l’œuvre d’art. Le héros revient de sa longue errance, en pardessus noir. Utilisant la lance reconquise comme une canne de marcheur, il gagne peu à peu le bord du dispositif. C’est alors qu’on découvre une face grimée, celle du Joker de Batman… ainsi le champion du plus noir humour fait-il incursion dans l’œuvre de compassion. Tour à tour psychopathe assassin, sadique prenant son plaisir à la souffrance des plus faibles, enfin redoutable rieur de tous les malheurs du monde, ce mythe apparut au second XXe siècle survient-il pour jouir de la douleur d’Amfortas ? Kundry vient évaluer par une connexion souterraine l’ancien tueur de cygne afin de modifier ce qu’elle écrit sur la paroi. À l’écoute d’une intériorité sur laquelle Wagner lui-même a tant insisté, sa main trace DER REINE TOR : l’imbécile absolu. Toute la question de la connaissance que Parsifal aurait acquise depuis sa première survenue se trouve posée par le metteur en scène lorsque le jeune homme floute son maquillage à mains nues, ainsi que celle qu’il vient de baptiser a brouillé les lettres. N’est-ce par l’alliance avec le mal que certains moments de la Kabbale entrevoient de rédimer l’impureté du monde, portant ainsi en germe le sacrifice christique ? Michael Thalheimer demeure implicite, laissant à chacun sa propre méditation.

Parsifal, abstraction scénique

Frédéric Rossi -PremiereLoge.com - 27 janvier 2023

source: https://www.premiereloge-opera.com/article/compte-rendu/production/2023/01/27/g…

 

Nouvelle production de Parsifal au Grand Théâtre de Genève : une lecture scénique puissante, une interprétation musicale aboutie.

C’est un spectacle d’une pureté incroyable qui nous est présenté par le Grand Théâtre de Genève. Même si la mise en scène ou plutôt à la mise en abîme déconcerte et va mettre à distance tout un public qui redoute Wagner, indéniablement le spectacle présenté est destiné à un public informé.

Cet opéra, introduit comme un festival scénique sacré de Richard Wagner, est coproduit par la Deutsche Oper am Rhein Düsseldorf Duisburg avec la même distribution de qualité, en renfort de l’orchestre de la Suisse Romande, des chœurs du Grand théâtre de Genève et de la maîtrise du conservatoire populaire de Genève.

D’emblée, on est séduit par la qualité des voix avec toutefois une réserve, la littéralité nuit incontestablement à la musicalité. L’orchestre tout à sa joie d’interpréter cette œuvre d’art total (Gesamtkunstwerk) passe souvent par-dessus les chanteurs, alors que l’on attend une symbiose.

Que nous dit Parsifal ?

Ce testament créatif est une suite de questionnements devenus légendaires – qu’est le Graal ? Qui sont Parsifal, Kundry, Amfortas ? Comment s’articulent-ils dans le cycle wagnérien. Ce champ interrogatif renvoie la question centrale : peut-on jouer Parsifal en dehors la période pascale ?

C’est là 140 ans après sa présentation que l’histoire de l’œuvre rejoint celle de cette création. Initialement imaginée lors d’une cure à Baden Baden, maintes fois reportée, son intrigue est basée sur un incunable strasbourgeois de Wolfrom von Eschenbach, daté du XIIIe siècle. Ce petit texte considéré comme faisant partie à la fois du cycle de la légende arthurienne et codicille du Livre du Graal pourrait faire en soi l’objet d’un article. Il est remarquable que le maître de Bayreuth, après la lecture de ce texte de quelques lignes, ait eu l’intuition d’un opéra de qualité de plus de quatre heures.

La création du Grand Théâtre porte le signe de la maladie (c’est son thème central), elle fait partie de la longue liste de ces événements anniversaires reportés du fait de la pandémie (le renouveau comme signature finale). Alors faut-il comprendre comme une urgence cette programmation en plein hiver (le temps de la mort wagnérienne) et non comme la renaissance annoncée du vendredi pascal (le temps de la rédemption) ?

« Quand j’entends du Wagner, j’ai envie d’envahir la Pologne » nous dit Woody Allen ! Heureusement cet opéra ne produit pas toujours le même effet. Même s’il est vrai que beaucoup détestent, d’autres, dont je fais partie, sombrent et chavirent dès l’ouverture, fatiguent par moments, se surprennent toujours au même instant, s’envolent et frôlent les cintres… et on se dit au final que l’on en veut encore. Effectivement même si l’on connaît bien l’œuvre, son livret, ses phrases et ses airs, chaque interprétation offre une expérience différente.

La mise en abîme voulu par Michael Thalheimer est une abstraction qui prend un sens particulier par ce mur d’où émergent et se réfugient les protagonistes. On ne peut pas ne pas voir une référence au mur des Réformateurs qui se situe à quelques dizaines de mètres de là. Bien sûr, les spectateurs qui découvriront pour la première fois cette œuvre seront déconcertés par une esthétique plus référente à James Russell, qu’à l’imaginaire de William Scott.

Une réserve pourtant sur l’abondance de sang, trop littérale, donc inutile au propos.

Sur la prestation des acteurs/chanteurs : le duo formé par Daniel Johansson – Parsifal – et Tanja Ariane Baumgartner – Kundry – est tout à fait remarquable. Ces deux rôles constituent en soi un paradoxe. Il faut de la maturité pour les chanter mais de la jeunesse pour les interpréter.

Parsifal est un enfant pur, innocent et immature que la compassion magnifie. L’évolution portée par Daniel Johansson en pèlerin aux pieds nus est parfaitement adéquate.

Kundry porte la tâche de culpabilité biblique de toutes les femmes, marque à laquelle Wagner ajoute la duplicité. Tanja Ariane Baumgartner (mezzo habituée, entre autre rôles, à ceux de Fricka ou d’Herodias dans la Salome straussienne) sublime ce personnage et en fait, par son talent, le pivot de l’intrigue. Les autres interprètes offrent une prestation de qualité, mais s’imposent difficilement en marge de ce duo. Sur scène, aux côtés de Kundry et Parsifal, se distinguent notamment Tareq Nazmi – Gurnemanz – et Christopher Maltman – Amfortas -, tous, ainsi que les forces du Grand Théâtre, étant remarquablement dirigés par Jonathan Nott.

Au final, on ne peut regretter qu’une chose, la brièveté de cette programmation (6 dates) dont l’ambition, la pureté et qualité, auraient mérité une plus grande amplitude pour trouver son public. Gageons que le Grand Théâtre fasse entrer cette production dans son répertoire – et espérons des reprises lors des futures saisons !

Parsifal : bain de sang à Montsalvat

Irma Foletti - Bachtrack.com - 26 janvier 2023

source: https://bachtrack.com/fr_FR/critique-parsifal-thalheimer-nott-johansson-nazmi-m…

 

Du sang, du sang, beaucoup de sang ! À l’entrée en scène de Gurnemanz, on pense plutôt reconnaître Amfortas et sa blessure inguérissable, tant le premier souffre dans ses habits maculés de sang. Gurnemanz est ici un homme très handicapé dans ses déplacements, tremblant de tout son corps et qui tomberait à la moindre occasion s’il ne s’aidait de ses béquilles. Mais il n’a pas le monopole du sang dans la nouvelle production de Michael Thalheimer au Grand Théâtre de Genève : tous les chevaliers et écuyers sanguinolents barbouillent également d’hémoglobine les parois des décors conçus par Henrik Ahr, constitués principalement de hauts caissons en deux niveaux qui forment les murs de Montsalvat, le château du Graal, puis de celui de Klingsor, ainsi que d’une tournette, curieusement peu utilisée durant les actes I et III. Au-delà du rapport évident avec la plaie d’Amfortas, qui suinte et ne se referme pas, Thalheimer justifie sa mise en scène en avançant dans le programme de salle que toute la confrérie des chevaliers est marquée par la « blessure ».

On arrive cependant rapidement à une saturation qui nous donne l’impression soit d’une visite dans un hôpital pour grands blessés de guerre, soit d’un mauvais film de zombies à la vue des mouvements saccadés des éclopés. Mais ce bain de sang du premier acte n’empêche heureusement pas l’émotion de s’installer pour la cérémonie du Graal, quand Parsifal et Gurnemanz viennent s’asseoir au bord de la fosse d’orchestre face au public, après maintes douloureuses contorsions pour ce dernier. Pas de cygne tué par Parsifal ce soir, ni de Graal, sinon un halo de lumière au centre du plateau.

L’acte II est moins rouge vif et plus classique : Klingsor en habits de hippie des années 1970 se montre à contre-jour dans l’embrasure étroite entre les deux parois du fond, les six Filles-fleurs portent des difformités corporelles sous leur robes brillantes et leurs consœurs à l’étage sont habillées de robes à fleurs. Parsifal récupère bien la Sainte Lance, mais Kundry tue finalement Klingsor de plusieurs coups de pistolet. Retour au sang pour l’acte final, où c’est Kundry qui assure l’animation sur scène après ses derniers mots « Dienen, dienen » : elle s’affaire en effet en peignant au sang des mots (« Durch Mitleid wissend », « der reine Tor », « Parsifal »), les effaçant, barbouillant par-dessus… et passe un rapide coup de peinture rouge sur les pieds de Parsifal pour les laver.

La distribution vocale réunie est solide : en tête, Daniel Johansson ne fait pas entendre un Parsifal surpuissant mais la voix est assez homogène en qualité sur son étendue. Il faut dire que son accoutrement, en maillot de corps et caleçons longs, évoque davantage le « chaste fol » du début du livret que le guérisseur et sauveur de la suite. Tareq Nazmi est quant à lui absolument formidable dans le rôle-marathon de Gurnemanz : outre la performance physique de chanter plié en deux pendant toute la représentation, la voix est puissante et richement timbrée, tout particulièrement dans la partie centrale de sa tessiture. L’Amfortas de Christopher Maltman montre quant à lui de l’énergie dans les interventions de sa superbe voix de baryton.

Moins puissant intrinsèquement, l’autre baryton Martin Gantner en Klingsor projette toutefois vigoureusement, aidé par les surfaces des décors. Le personnage de Kundry contraste fortement sur le plan visuel, se présentant en costume noir ou rouge et chaussures à talons, sans une goutte de sang. La voix de Tanja Ariane Baumgartner est chaude et donne de la profondeur à son registre grave, tout en sachant déchaîner ses notes les plus aiguës (« und lachte »). La basse William Meinert délivre les quelques répliques d’outre-tombe de Titurel, alors que les six Filles-fleurs, prises ensemble ou séparément, chantent correctement mais n’enchantent pas vraiment.

Belle prestation du Chœur du Grand Théâtre de Genève, tandis que Jonathan Nott, placé à la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, assure une direction musicale soignée et attentionnée, mais sans contrastes très marqués, ni fulgurances particulières. On y entend une partition qui fourmille de détails, dès l’ouverture, donnée sans clinquant excessif. Le chef sait en tout cas se mettre au service des protagonistes sur scène, en modérant le volume de la fosse pour ne pas les mettre en difficulté.

En définitive, conseil à ceux que la vue du sang dérange : s’abstenir… quoiqu’en fermant les yeux, la musique vous transporte !

Un Parsifal pour des temps tragiques

Charles Sigel – ForumOpera.com - 28 Janvier 2023

source: https://www.forumopera.com/wagner-parsifal-geneve-geneve-un-parsifal-pour-des-t…

 

Ne pas se laisser effrayer par l’hémoglobine largement répandue sur les costumes. Ce n’est pas, comme on l’avait craint, un spectacle gore. Certes il y a du rouge partout et beaucoup, certes les Chevaliers du Graal portent de grandes blouses à capuche, ensanglantées comme celles des livreurs qu’on voit le matin à la porte des boucheries, mais en somme ce n’est pas bien méchant.

Il s’agit d’un Parsifal pour aujourd’hui. « Wagner ou la douleur du monde », tel est le titre de l’article signé par le metteur en scène Michael Thalheimer dans le programme de salle. C’est un Parsifal pour temps de désespérance, de guerre, de villes bombardées, de pandémie, d’extinction des espèces, de montée des eaux. « Que puis-je faire, en tant qu’individu, à part me retirer du monde ? demande-t-il, je me sens complètement dépassé, incapable de comprendre le monde actuel. »

Le royaume du Graal comme métaphore de notre monde actuel ? On s’en persuade dès l’apparition de Gurnemanz, un pauvre infirme, chancelant sur des béquilles, les jambes mortes ou presque, le peu de force qui lui reste se concentrant dans son regard. Image pathétique. On souffre physiquement avec lui, et avec Tareq Nazmi, qui soumet son grand corps à ce rude exercice d’expression corporelle, mais combien saisissant et douloureux. Et ce sera pire au troisième acte quand il sera encore plus vieux et décati. A ce moment-là, Kundry calligraphiera sur la paroi (en lettres de sang, évidemment) les mots « Durch Mitleid wissend », connaître par la compassion. Ce sera à peu près l’état d’esprit du spectateur. « Pour moi, le spectateur doit aussi travailler », dit encore Thalheimer. Et le chef d’orchestre, Jonathan Nott, est en accord avec lui quand il affirme que le spectateur qui vient à Parsifal est plutôt un « expérienceur », à qui cette œuvre révèle tout ce qu’il lui faut savoir au moment de sa vie où il en fait l’épreuve.

Un sacré (très) transposé
Tout sauf un spectacle léger ou rassurant donc. Et assez loin du « festival lyrique sacré » voulu par Wagner. Parfois, on se prend à s’interroger sur ce qu’il penserait d’une telle lecture, où précisément le sacré est sinon gommé, du moins (très) transposé. Mais on se souvient qu’il côtoya Bakounine sur les barricades de Dresde en 1848. Cette vision d’apocalypse, très peu sulpicienne, qui passe comme chat sur braise sur certains éléments non négligeables de son poème (le Graal, le double baptême de Parsifal et Kundry, et en général tout l’aspect chrétien de l’affaire), mais qui suggère un sacré autre, un sacré pour temps tragiques, aurait peut-être convenu au jeune Wagner, sinon au Wagner testamentaire de 1882.
Après ce préambule, essayons d’entrer dans le vif du sujet.
Un plateau nu, la pénombre, le noir. Le prélude commence, sur un tempo très très étiré, analytique, pour ne pas dire décharné, mettant à nu tous les pupitres d’un excellent Orchestre de la Suisse Romande. Ce sera un festival (là, oui) de timbres, de mariages de cuivres, de couleurs aux bois, de phrasés des cordes, dans un excellent rapport fosse-scène, ce qui dans l’acoustique insaisissable du Grand Théâtre de Genève ne va pas forcément de soi. Ici on entendra toute la minutie orchestrale de Wagner, qui n’est jamais tonitruant s’il est bien dirigé (« Notre devoir, c’est de ne pas couvrir les chanteurs », nous avait dit un jour Armin Jordan, familier de cette salle).

Clarté sur la fosse
L’impression première de lenteur s’estompera au fil d’un premier acte qui durera 1h40 environ, ce qui est au total relativement court (c’est à peu près sa durée par Boulez, à comparer aux 1h55 de Knappertsbusch et aux 2h05 de Toscanini – paradoxalement le plus lent de tous).
La lecture de Jonathan Nott privilégiera la fluidité, la transparence, la clarté. Lecture dépouillée, sans gras, presque pointilliste. Donnant ici à admirer l’éclat mordoré des trombones, le velours d’un basson, l’éclat astringent des trompettes. Clarté paradoxale si l’on songe que Wagner conçut sa partition sur mesure pour le fondu de la fosse enfouie de Bayreuth.

La naissance de l'innocent
Pendant le déroulé de ce prélude, on verra se faufiler entre les deux panneaux lisses du fond de scène la silhouette d’un homme en maillot « athlétique » et caleçon long (pas trop flatteurs). C’est Parsifal, bien sûr, dont il s’agit ici d’évoquer la naissance, homme sans passé, orphelin, innocent venu de nulle part pour sauver ce Montsalvat en déshérence, aux allures de cour des miracles.

Quand apparaîtra l’éclopé sanguinolent décrit plus haut, on le prendra un instant pour Amfortas, dont on sait qu’il est à l’agonie, sa blessure au flanc, signe de son péché, ne voulant pas se refermer. Mais non, c’est bien Gurnemanz, et l’incarnation vocale qu’en fera Tareq Nazmi sera constamment belle de timbre, de phrasé, de diction. Prise de rôle pour lui, et quel rôle, avec ses longs récits, conduits ici avec une fermeté qui contraste avec sa silhouette chancelante.

En revanche, on sera moins convaincu par Kundry dès ses premières interventions, vocalement assez transparentes, en tailleur-pantalon noir (total look rouge à l’acte II et trench-coat mastic au III, comme si la costumière, Michaela Barthe, était à court d’imagination pour elle). Et d’ailleurs le metteur en scène aussi qui la pose là, une cigarette au bec, sans lui dessiner un quelconque personnage. Elle n’a évidemment rien de la sauvageonne hirsute décrite par Wagner, mais alors quoi ? Est-ce qu’il n’y aurait pas de place pour une femme dans cet univers d’hommes douloureux ?

Les moments qui déchirent
La première apparition d’Amfortas donnera prétexte à un motif annonçant le futur Enchantement du Vendredi Saint, puis s’éleveront sa plainte sur un bel entrelacs de cors, et la première évocation de l’idée de compassion, « Durch Mitleid wissend », la compassion étant avec la rédemption le thème obsédant de cet opéra. Au passage, on sera d’abord un peu décontenancé par le vibrato de la voix de Christopher Maltman (Amfortas), mais il s’estompera au fil de la représentation.

Jonathan Nott note avec humour que ce premier acte est fait « d’interminables moments d’ennui jusqu’à ce qu’arrive un moment qui vous déchire en morceaux ». Le premier, ce sera (changement de tempo et de dynamique qui fait sursauter) la mort du cygne, assassiné par Parsifal, geste impie dans ce domaine du Graal où la vie est sacrée. Première apparition de ce jeune homme (assez mûr d’ailleurs) incarné par Daniel Johansson. A peine aura-t-il commencé à raconter deux ou trois choses de sa vie (mais Kundry en sait beaucoup plus que lui), à peine se sera-t-on un peu étonné du choix pour ce rôle d’un baryton (certes très clair) que commencera une stupéfiante séquence.

La Confrérie du Saint-Sang

Un immense crescendo, non seulement orchestral, mais dramatique, commencera avec la musique de  transformation. « Zum Raum wird hier die Zeit - Ici, le temps devient espace », commente Gurnemanz, comme s’il pressentait l’astrophysique actuelle. Peu auparavant, Parsifal aura posé, non moins énigmatiquement, une énigme sans réponse « Wer ist die Graal – Qui est le Graal ? »
Le spectateur n’aura pas eu le temps d’y réfléchir qu’entreront sur un rythme de marche, revêtus de leurs blouses de bouchers, les Chevaliers du Graal, qu’on aurait plutôt envie d’appeler la Confrérie du Saint-Sang, à l’image de celle de Bruges.

La boîte du fond de scène se sera ouverte pour devenir une manière de chapelle dont les murs clairs, d’abord propres, seront promptement recouverts d’hémoglobine par ces pénitents (le Chœur du Grand Théâtre, toujours magnifique, se surpassera ici, en plénitude, en noblesse, en grandeur – en abnégation aussi). Après avoir bariolé les murs, ils y traceront des croix, toujours de sang, avant que ne s’entrouvre la paroi du fond, où apparaitra sur une plate-forme, tel un stylite, Amfortas.

Un sacré autre
Paradoxe de cette scène finale. La voix de Titurel (William Meinert), venue d’ailleurs, a interrogé « Amfortas, mon fils, es-tu prête à officier ? » à quoi Amfortas a répondu par un cri d’angoisse qui glace le sang (justement) : « Wehe ! Wehe mir der Qual ! – Hélas, pour moi, que de tourments ! »

Et l’on va voir ce final du premier acte, où Amfortas déroulera sa plainte et qui culminera avec son « Erbarmen ! Erbarmen ! – Pitié, pitié ! », scène qui est en somme une communion, une Cène, devenir un étrange et fascinant cérémonial : le sang ruissellera des parois, sur des pénitents réduits à l’état de foule grouillant dans la pénombre, jusqu’à ce que la lumière blanche d’un projecteur tombe des cintres (le Saint-Esprit ?) sur ces silhouettes gisant à terre.

Image qui fait penser aux fantasmes solitaires de Goya, à la fois sordide et puissante, tandis que des voix angéliques tombent du ciel psalmodiant « Prenez mon sang, prenez mon corps en mémoire de moi ».

C’est le moment où Amfortas devrait élever le Graal et bénir le pain et le vin, dans une imagerie catholique assumée par Wagner. Rien de tout cela dans la conception de Thalheimer. Mais qui tout de même frôle à sa manière le sacré. Et d’abord par la puissance de cette musique, où les chœurs s’entremêlent avec les solistes dans une architecture sonore à laquelle il est impossible de ne pas se laisser prendre.

Célébration donc, fascinante certes, mais de quoi ? On ne sait.

On admire ici la force de l’Amfortas de Christopher Maltman, intense et pathétique dans ses « Wehe ! » et dans sa lancinante déclamation. « Je verse le sang brûlant des péchés, qui se renouvelle éternellement à la source d’un désir », chante-t-il. Donnant ainsi la clé de ce tableau, qui restera sans doute comme emblématique de ce Parsifal dans la mémoire de ceux qui l’auront vu.

Le domaine obscur du péché
Le deuxième acte sera moins convaincant. Le château de Klingsor, double obscur de Montsalvat, sera figuré par des parois noires (ou anthracite) des plus austères pour un lieu de délices. Martin Gafner, le maître de lieux, aura l’aspect d’un biker, manteau de cuir et longs cheveux. Baryton à la voix claire, il fera admirer une diction d’une netteté un peu coupante, parfois dure et parfois insinuante, caractérisant le personnage tout autant que sa dégaine. On verra bientôt une partie des murailles se soulever (bel effet de machinerie) pour laisser apparaître des galeries où onduleront deux chœurs de créatures en robes fleuries, tandis que les filles-fleurs, dans des costumes blancs extravagants aux formes variées, moitié Mae West moitié Minnie, commenceront à pousser Parsifal dans la voie du péché.

Des filles-fleurs acidulées
Musicalement, pour ce tableau des filles-fleurs, Jonathan Nott composera une palette de couleurs sonores très singulière. Un peu acidulée, insinuante, piquante. Contrastant en tous points avec l’opulence des chœurs virils ou séraphiques entendus au premier acte. On verra ces filles-fleurs s’agglutiner autour du pauvre Parsifal, qui n’en pourra mais. Et c’est là qu’on pourra être surpris par le choix de Daniel Johansson, donné comme baryton, pour le rôle de ténor écrit par Wagner. On a le souvenir de voix claires de ténors lyriques pour ce rôle, tels un James King, un René Kollo ou le Jonas Kaufmann d’il y a dix ans. Disons que Daniel Johansson est une sorte de baritenor. Si toutes les notes y sont, c’est un certain éclat qui nous manquera, et comme de surcroît Tanja Ariane Baumgartner ne nous semblera pas en grande forme vocale ce soir-là, parfois poitrinant, manquant de projection et donnant l’impression qu’elle essayera de rassembler plusieurs voix, leur grande scène de l’acte II, nous laissera sur notre faim.

Un baiser de collégiens
D’autant que le metteur en scène y semble aussi encombré qu’eux, les faisant voyager d’un mur à l’autre, ou s’y accrocher désespérément. A tel point que le baiser que Kundry impose, inflige, au pauvre garçon, moment capital puisqu’il symbolise le péché où il se croit sombrer, ce moment où elle le coince contre un mur, nous fera penser au baiser furtif de deux collégiens maladroits. Parsifal en sortira la chemise tachée par une décharge d’hémoglobine, illustration au premier degré de la compréhension de la souffrance d’Amfortas, à laquelle il accède enfin.

Mais c’est au plus éclatant de sa voix que Daniel Johansson fera appel pour le magnifique cri de la révélation : « Amfortas ! Die Wunde ! Die Wunde – la blessure, la blessure ! » La suite du duo nous laissera une impression de décousu, de manque de sensualité et de fusion entre les deux voix et les deux chanteurs.

Autre passage capital, le long monologue, où Kundry révèle enfin la raison de la pénitence sans fin à laquelle elle est condamnée : sur le passage du Christ elle a ri. « Je l’ai vu et j’ai ri I » Tanja Ariane Baumgartner en fait un moment de chant expressionniste, curieusement un peu en difficulté dans le grave, mais brillant dans le haut de la voix.

Procédure d'évitement
La fin de l’acte nous laissera perplexe. C’est l’une de ces fins foudroyantes qu’aime Wagner, qui se délecte à faire languir le spectateur puis à le foudroyer d’un trait rapide. Ici, après que Kundry s’est refusée à mener Parsifal à Amfortas, survient Klingsor, la lance en main. Il la projette vers Parsifal, qui s’en saisit et fait avec elle le signe de croix, et alors, écrit Wagner, « comme à la suite d’un tremblement de terre, le château s’effondre et le jardin devient rapidement un désert aride…»

Dans la conception de Thalheimer, Klingsor en effet surgira, mais ne projettera aucune lance. Quant à Parsifal, plaqué au mur, il mettra ses bras en croix. Image furtive. Klingsor tombera alors au sol où il se recroquevillera en boule. Rideau.

Entre le premier degré et l’évitement pur et simple, il devrait être possible de trouver une solution moins déconcertante. On a une pensée pour l’hypothétique spectateur qui ne saurait rien de Parsifal…

Le troisième acte, on le sait, se passe longtemps après. Le domaine du Graal va encore plus mal, à l’image de Gurnemanz, dont on craint qu’il ne s’effondre à chaque pas. Kundry est là, gisant à terre. Après avoir exhalé les deux seuls mots que Wagner a prévus pour elle (« Dienen, dienen ! – Servir, servir… »), on la verra s’approcher du mur du fond, encore sanguinolent du premier acte, et y tracer avec l’hémoglobine tirée d’un seau diverses inscriptions, dont « Durch Mitleid wissend » qu’elle barbouillera soigneusement avant d’y tracer « Der Redentor » et enfin « Parsifal ». Tout cela l’occupera gentiment jusqu’à la fin.

Der Redentor
Après un prélude d’abord suave puis franchement désolé, Gurnemanz commencera un énième monologue, dont Tareq Razmi fera une nouvelle démonstration de beau chant, de phrasé et de projection, et l’on verra paraître, sur un roulement de timbales et de soyeuses couleurs de cuivres jouant le thème de Parsifal, ledit Parsifal, vêtu d’un manteau noir de chez le fripier du coin, le visage peinturluré d’un sourire de clown, comme Joaquin Phoenix dans Joker. Allusion à Fal Parsi (le « chaste fol »), son ancien nom, peut-être ?

Le bâton dont il se fait une béquille n’est autre que la lance. L’accueil de Gurnemanz sera un modèle de solennité et d’humanité à la fois, notamment quand en somme il se placera sous la protection (« Ô Gnade ! Höchtes Heil ! – Ô  grâce, suprême salut ! ») de cette figure christique qu’il croit reconnaître en ce visiteur dont, quasi à la sauvette, Kundry viendra laver les pieds, comme pour lui prêter allégeance elle aussi.

Le refus de l'image pieuse
Le royaume du Graal est devenu le royaume de la mort. Titurel est mort et Parsifal s’en accuse. « Mon péché en est la cause. » Pour être lavé de ce péché, Parsifal demande à Gurnemanz de verser sur sa tête l’eau du baptême, puis c’est Parsifal qui à son tour va baptiser Kundry. Est-ce vraiment un baptême chrétien ? Est-ce que le couple Parsifal-Kundry est le miroir du couple Jésus-Marie-Madeleine ? A chacun sa lecture.
En tout cas, de ce moment essentiel on ne verra rien. Parsifal chante immobile au premier plan et Kundry continue à barbouiller de sang la paroi du fond.
Le refus de l’image (pieuse) est ici poussé à son comble par le metteur en scène. Seuls le livret et les surtitres continuent (avec la musique) à raconter cette histoire.
Et la musique en l’occurrence, c’est l’Enchantement du Vendredi Saint, dont Jonathan Nott et l’OSR font entendre une lecture merveilleusement diaphane.

Quant au cortège funèbre, il se réduira à l’entrée d’Amfortas soutenu par deux chevaliers. Qui précédera, annoncée par leur thème obsessionnel, celle des Chevaliers. Un peu de lumière dorée illuminera la scène, seule évocation du renouveau printanier voulu par Wagner.

La nuit de l'incertitude
Les ultimes plaintes d’Amfortas, ses « Weh’ über mich ! – Malheur à moi » seront saisissants, comme la noblesse de sa prière à son père Titurel. « Sterben ! Einzige Gnade ! - Mourir, unique grâce ! », psalmodiera Christopher Maltman sur un tapis de cordes douces.

« Dévoilez le Graal », chanteront les Chevaliers (on ne le verra évidemment pas) tandis que la lumière d’un projecteur blanc tombera des cintres, figurant sans doute la colombe rêvée par Wagner.
Et Daniel Johansson lancera avec une belle gravité son « Nur ein Waffe taugt » : seule la lance pourra guérir la blessure d’Amfortas et effacer le péché.
Et tandis qu’on aura entendu le sublime chœur « dans la coupole » chanter l’énigmatique « Rédemption au Rédempteur », on verra Parsifal se frotter vigoureusement le visage pour effacer son maquillage de clown (d’imposteur ?).

La dernière image le montrera tâtonnant dans le vide de ses mains impuissantes, un peu à la manière d’un aveugle dans le noir.

Image d’un héros démuni, traversant nos temps tragiques.
Comme pour mimer la phrase de Thalheimer : « Je me sens complètement dépassé, incapable de comprendre le monde actuel. »

Parsifal“ : Blutbesudelt bis zum Schluss

Jan Brachmann – Frankfurter Allgemeine.com – 26 janvier 2023

source: https://www.faz.net/aktuell/feuilleton/buehne-und-konzert/michael-thalheimer-in…

 

Jonathan Nott und Michael Thalheimer bringen in Genf „Parsifal“ von Richard Wagner auf die Bühne. Musikalisch ist der Eindruck stark, szenisch auch: Aus der Schuld gibt es keine Erlösung.

Tareq Nazmi, 1983 geboren, war bislang ein zumindest bemerkenswerter Sänger. In den letzten Jahren fiel er immer wieder auf, etwa als Papst in Hector Berlioz’ „Benvenuto Cellini“ unter der Leitung von John Eliot Gardiner, als Bass in Mozarts Requiem unter der Leitung von Teodor Currentzis oder in Robert Schumanns „Das Paradies und die Peri“ mit Enoch zu Guttenberg. Doch jetzt, mit dem „Parsifal“ von Richard Wagner am Grand Théâtre in Genf, hat vermutlich seine große Stunde geschlagen.

Er singt den Gurnemanz ohne einen Anflug von Schwerfälligkeit, behände wie ein flotter Osmin, dabei die Worte so achtsam deutend, als ginge es um Lieder von Schubert oder theologiegespickte Arien von Bach. So satt seine Tiefe ist, so leicht spricht seine Höhe an und dünnt dabei keineswegs aus. In Kuwait soll Tareq Nazmi geboren worden sein, liest man, nur hört man es nicht. Seine Diktion ist gestochen scharf und kommt dabei, ganz ohne Konsonantenspuckerei, so natürlich daher, dass einem der Satz „Gemeine Atzung muss uns nähren“ wie Umgangssprache erscheinen will.

Doch Nazmi reiht sich in Genf letztlich nur ein in eine durchweg beachtliche Besetzung. Wie er sind auch Daniel Johansson als Parsifal, Christopher Maltman als Amfortas und Martin Gantner als Klingsor Rollendebütanten, die einen erfreulichen bis erstaunlichen Eindruck hinterlassen. Maltman, hoch expressiv und kraftvoll, hält als Amfortas die Mitte zwischen demütigem Schmerzensmann und suizidalem Amokläufer, der in Verweigerung der Gralsenthüllung alles und alle mit in den Tod reißen will. In Worten wie „Herz“ oder „endlich“ könnte er freilich noch ein wenig an der Präzision der Schlusskonsonanten arbeiten. Johansson ist ein wetterfester Parsifal, kein säuselndes Jüngelchen, aber auch kein brüllender Waldbulle. Wenn ihm beim finalen, leiser werdenden Ruf „Öffnet den Schrein“ fast die Stimme wegbricht, ist das weniger ein Zeichen von Ermüdung als ein weiterer Beweis dafür, wie gut er die Verstörung seiner Figur, der andauernd Unverständliches widerfährt, zu gestalten weiß. Gantner hingegen ist ein Bilderbuchbösewicht: knackig, kernig, deutlich in Farbe und Diktion bei all seinen Schmutzeleien.

Tanja Ariana Baumgartner, an der Oper Frankfurt längst zur international begehrten Mezzosopranistin herangereift, hat als Kundry nicht nur Erfahrung, sondern die stimmlichen und darstellerischen Mittel für diese Figur: schwarzschlundige Tiefen für die Verachtung anderer und ihrer selbst sowie anziehende Wärme, die das Timbre der Mütterlichkeit manipulativ benutzt – eine lebensmüde Doppelagentin, die sich mit stetig erhöhtem Einsatz selbst zerstört.

Jonathan Nott erzeugt zu alledem mit dem Orchestre de la Suisse Romande auch ohne den verdeckten Graben von Bayreuth, für den das Stück konzipiert ist, einen fein abgemischten, überwiegend samtenen, wo nötig, verhangen leuchtenden Klang, der vorbildlich die Balance zur Bühne hält. Auch die Raumstaffelung unter Einbeziehung des Theaterchores und des Kinderchores vom örtlichen Konservatorium, einstudiert von Alan Woodbridge, gelingt mit den Fernwirkungen recht ansprechend.

Bühnenarchitektur ist historisch brisant
Die Regie von Michael Thalheimer konzentriert sich in diesem „Parsifal“ auf die Möglichkeit von Schuldvergebung oder der Reinigung von Schuld. Und diese Möglichkeit wird konsequent verneint. Ganz existenzialistisch begreift Thalheimer das Leben als Notwendigkeit zu handeln. Und Handeln als Auswahl zwischen Möglichkeiten im Zeithorizont der Endlichkeit heißt immer in irgendeiner Weise Schuldigwerden. Kundry sühnt im zweiten Aufzug ihre „Schuld“, bei der Kreuzigung Christi gelacht zu haben, damit, dass sie zur Mörderin wird: Sie erschießt Klingsor. Von der unbewussten Schuld geht sie über zur bewussten Täterschaft und stellt so ihre Souveränität als verantwortliches Subjekt wieder her.

Historisch brisant ist dabei die halb bunker-, halb stelenhafte Bühnenarchitektur von Henrik Ahr. Gurnemanz’ Satz „Zum Raum wird hier die Zeit“ vergegenständlicht sich darin zu einem Erinnerungsmonument, in dem die Gralsritter, von Michaela Barth in blutige Togen gewickelt, wie vor Klagemauern stehen und in einem dauerhaften Schuldkult kreisen. „Parsifal“, mit seinem Ruf „Erlösung dem Erlöser!“, ist von Antisemitismus durchtränkt, das Stück untermauert Wagners grässliche Ideologie, das Christentum von jüdischem Blut „reinigen“ zu wollen. Thalheimer geht mutig mit dem Thema um, wenn er zeigt, wie diese Phantasien der „Entjudung“ auf der Symbolebene historisch wieder zurückschlagen als Klagemauern und blutbefleckte Monumente, aus denen Schuld und Erinnern kein Entrinnen finden. Als Menschenwerk ist jede Erlösung unmöglich.

Es gibt auch keine Rituale der Reinigung, keine Fußwaschung, keine Taufe, kein erlösendes Abendmahl mehr. Damit verweigert sich Thalheimer der Idee von Wagners Kunstreligion ebenso konsequent wie beeindruckend.

«Parsifal» chemine entre le sombre et le saignant

Rocco Zacheo – Tribune de Genève – 26 janvier 2023

source: https://www.tdg.ch/parsifal-chemine-entre-le-sombre-et-le-saignant-165192258938

 

Plongé dans des décors ascétiques, le monument de Wagner trouve des alliés auprès d’une distribution inspirée et d’une fosse puissante. Un spectacle intense.

On quitte tard, mercredi soir, la salle du Grand Théâtre sans pouvoir s’empêcher de penser aux efforts que devront fournir les teinturiers pour ôter des costumes les volumineuses traces d’hémoglobine qui les ont maculés sans retenue. On se tourne aussi vers ceux qui se devront récurer, éponge et liquide détergent à la main, les parois et les planchers des décors, tout aussi ensanglantées. Parsifal est passé par là, dans ce royaume des Chevaliers du Graal très mal en point, et c’est un peu comme si le héros wagnérien, pur et innocent, avait traversé durant près de cinq heures un abattoir industriel en pleine activité. Voilà pour l’impression hâtive, voire superficielle, qu’on pourrait tirer de la production présentée par le Grand Théâtre.

Un dispositif sobre
Par-delà ces quelques zestes de gore, le spectacle signé par la maison genevoise aligne des tours de force saisissants, qui confèrent une densité impressionnante à l'ouvrage. Le plus voyant est là, dans ce dispositif imaginé par Henrik Ahr pour la scénographie. Il repose entièrement sur de volumineux parallélépipèdes aux façades en faux marbre, évoluant dans la profondeur et la largeur de la scène, et délimitant un environnement éloigné de tout naturalisme, résolument abstrait et géométrique. Ainsi conçu, cet espace ascétique réserve ici et là des tableaux d'une beauté plastique saisissante. On pense notamment à l'ouverture du deuxième acte, qui, par un jeu de lumières (celles de Stefan Bolliger) et de placement des volumes, semble évoquer l'univers expressionniste de Murnau. On pourrait ajouter la scène des Filles-fleurs, où les costumes - exceptionnellement colorés - et les mouvements d'ensemble sont d'une efficacité visuelle certaine.

Partout ailleurs, le «Parsifal» du metteur en scène allemand Michael Thaiheimer fait dans l'épure, privilégie la clarté du livret et approfondit le jeu de la distribution, quitte à renoncer ici et là à des éléments qu'on rattache par instinct à ce «festival scénique sacré». Le cygne tué par Parsifal au premier acte? Aucune trace du volatile, ni de la colombe descendant sur sa tête au troisième. Le retour au royaume du héros, après une errance interminable? Aucun cheval ne l'accompagne, aucune armure ne le défend.

Observés dans leur ensemble, les partis pris de l'équipe artistique déplacent les poids et les équilibres de l'ouvrage. La dimension spirituelle, l'élévation mystique à laquelle invite Wagner est dominée de bout en bout par le malheur des êtres, par la décrépitude d'un royaume qui, à l'image de Gurnemanz, avance avec peine, mal assuré sur ses béquilles. La couronne saigne, le roi Amfortas se vide de son sang, avec cette blessure refusant de se fermer, et c'est tout un peuple qui en endosse l'affliction, sur les habits et dans les âmes. La délivrance qui vient par Parsifal, la guérison du roi par cette même lance qui l'a blessé, n'a rien ici du geste grandiose. Le rideau tombe alors que le héros porte encore sur son visage les traces blanches et rouges d'un Joker malheureux dans «Batman».

Le spectateur pourra mesurer le poids de ces infortunes, et admirera aussi la justesse du jeu qui les incarne sur scène. La direction de Thalheimer est en ce sens magistrale, elle parvient à préserver les tensions sans effets de manches, par la simple incarnation théâtrale. La longue scène de séduction de Kundry, réclamant une heure d'amour à Parsifal, en est l'illustration la plus éclatante. Ici, rien n'embellit l'échange: les murs gris, le plateau vide et l'éclairage sans âme placent toute l'attention sur le duo. Qui s'en sort avec beaucoup de panache.

Il y a, enfin, l'allure musicale pour donner à ce «Parsifal» un élan puissant. Dans la fosse, l'Orchestre de la Suisse romande dirigé par Jonathan Nott a été un pur régal. Son approche, à la fois analytique, claire sur toutes les lignes, a ébloui par sa sensualité, par le soin apporté aux textures - des bois et des archets soyeux, des cuivres saignants. Le Chœur du Grand Théâtre, préparé par Alan Woodbridge, a été à l'avenant, d'une précision chirurgicale et d'une expressivité frappante.

Gurnemanz spectral
Dans la distribution, où les prises de rôle étaient quasi totales, Tareq Nazmi a crevé littéralement la scène en campant un Gurnemanz spectral dans le jeu et redoutable dans le chant, avec une projection et une précision solides. Dans le rôle-titre, Daniel Johansson ne foudroie certes pas par sa présence dans les premiers deux actes. Sa voix, par endroits forcée dans l'aigu, n'a pas l'envergure requise du héros, mais elle se défend avec vaillance, ne démérite jamais et acquiert du volume dans l'acte conclusif. En Kundry, Tanja Ariane Baumgartner a paru tendue, le grave et le médium serrés dans les premières scènes, mais elle s'est bonifiée progressivement. Quant à l'Amfortas de Christopher Maltman (un vibrato qui ondoie) et au Klingsor de Martin Ganter (un timbre brillant et un jeu saisissant), ils ont affiché des moyens notables. Point d'orgue de la saison lyrique genevoise, ce «Parsifal» répond entièrement aux attentes, par son exigence et par sa cohérence.

Le Grand Théâtre s'immerge dans l'univers du Graal

Andréanne Quartier-la-Tente – rts.ch – 26 janvier 2023

source: https://www.rts.ch/info/culture/musiques/13728244-avec-parsifal-le-grand-theatr…

 

Jusqu'au 5 février, le Grand Théâtre de Genève affiche "Parsifal" de Wagner avec en vedette le ténor suédois Daniel Johansson dans le rôle-titre. Une production dirigée par Jonathan Nott à la tête de l'OSR dans une mise en scène à la fois sobre et radicale signée Michael Thalheimer.

Œuvre monumentale qui allie symbolique chrétienne, inspiration bouddhiste et motifs arthuriens, "Parsifal" est le dernier opéra de Richard Wagner qui, au moment de sa création en 1882, est âgé de 68 ans. Malade du cœur - il décédera l'année suivante -, le compositeur de la "Tétralogie" insuffle dans cette œuvre toutes les réflexions spirituelles et métaphysiques d'un homme au terme de son existence.

Une intrigue dense et universelle
Il n'est pas aisé de présenter l'intrigue de "Parsifal"- construite sur des antagonismes tels que la faute et la rédemption, le pur et l'impur, le profane et le sacré -, tant les thématiques abordées sont denses et le livret sujet à diverses interprétations. On peut néanmoins tenter d'esquisser en quelques lignes et de manière très factuelle l'intrigue ainsi. L'histoire prend place dans l'univers arthurien. Selon une prophétie, seul le pur et innocent Parsifal peut récupérer la Sainte Lance, volée à Amfortas, roi des chevaliers du Graal, par le magicien Klingsor, alors qu'il était tombé sous le charme de l'enchanteresse Kundry. Ramener la relique permettra de sauver à la fois le roi qui, blessé par la lance sacrée lors de son combat contre le magicien, souffre terriblement de cette plaie inguérissable, mais aussi toute une communauté plongée dans la déchéance et le désespoir. D'abord totalement dépassé, Parsifal devra franchir différentes étapes initiatiques afin de tenter d'accomplir son destin.

Une distribution de haut vol
D'une durée de près de cinq heures (entractes compris), "Parsifal" est à voir actuellement au Grand Théâtre de Genève dans une distribution de haut vol. Choisis parmi les voix wagnériennes prestigieuses du moment et pour des prises de rôle, on trouve le ténor suédois Daniel Johansson dans le rôle-titre, la basse allemande Tareq Nazmi (le chevalier Gurnemanz), le baryton britannique Christophe Maltman (Amfortas), le baryton Martin Gantner (Klingsor). A leurs côtés, la mezzo-soprano Tanja Ariane Baumgartner, qui elle, a déjà tenu le rôle de Kundry. Ils sont accompagnés sur scène par le Choeur du Grand Théâtre de Genève et la Maîtrise du Conservatoire populaire de Genève et, dans la fosse, par l'Orchestre de la Suisse Romande. Le tout sous la direction de Jonathan Nott qui réussit à apporter toute l'intensité nécessaire à l'exécution d'une oeuvre aussi colossale.

Une mise en scène sobre et sanguinolente
La lourde tâche de la mise en scène a été confiée à l'Allemand Michael Thalheimer qui avoue dans le programme être face à "une oeuvre impossible". Devant toute cette complexité, il a pris le parti de proposer "des images très claires et très sobres". Une simplicité qui doit permettre au spectateur de "placer ses propres images" à l'écoute de cette oeuvre difficile d'accès. Pour cette production genevoise, le décor est donc très épuré et graphique. Une simplicité aussi dans les trois couleurs plus que symboliques choisies, à savoir le blanc, le noir et surtout le rouge. Car oui, il y a beaucoup de sang, aussi bien sur les vêtements et les corps des protagonistes que sur les murs où il est jeté et étalé, dans cette mise en scène qui, à l'image de Gurnemanz tout tremblotant sur ses cannes, montre des chevaliers du Graal bien mal en point dans un monde plus post-apocalyptique que moyenâgeux. Un choix radical que l'on apprécie ou pas, mais qui ne laisse pas indifférent.

Heavy long trip wagnérien au Grand Théâtre

Gianluigi Bocelli – Le Courrier – 26 janvier 2023

source: https://lecourrier.ch/2023/01/26/heavy-long-trip-wagnerien-au-grand-theatre/

 

En début de saison, le directeur de la maison, Aviel Cahn, nous confiait la portée mystique de ce «festival scénique sacré» (notre édition du 14 septembre 2022): «Parsifal est un pèlerinage, une recherche de l’illumination, une migration spirituelle.» A quoi le chef d’orchestre Jonathan Nott ajoute, dans le programme du Grand Théâtre, qu’«il révèle à ‘l’expérienceur’ tout ce qu’il vous faut savoir au moment donné de votre vie où vous en faites l’expérience.» Parsifal nous parle en effet d’un voyage d’exploration intérieure, sous le récit symbolique de la quête de la Sainte Lance et du Graal par le chevalier pur. La mise en scène de Michael Thalheimer s’enracine dans le sang et la douleur de la condition humaine, élément central de la Passion, du mysticisme chrétien, mais elle ne semble pas convaincre la salle du Grand Théâtre, qui subit des départs pendant les entractes.

Il faut dire que cette mise en scène au caractère visuel très fort insiste sur le sang et la déchéance de «la blessure des adieux au monde». La confrérie du Graal fait une entrée en scène cauchemardesque et post-apocalyptique, zombies de jeu vidéo, estropiés et malades en costumes blancs imbibés de sang. Du sang qui coule le long des éléments scéniques (monolithes nus en béton), utilisé pour y dessiner, écrire, oindre: une profusion omniprésente et redondante. Le visuel est épuré mais très dense, avec un fort expressionnisme dans la caractérisation des chevaliers ou des femmes-fleurs difformes. Expressionnisme qui vibre du contraste entre un goût appuyé pour la grimace chez les personnages et la grande lenteur des déambulations des souffrants. Cette recherche stylistique trouve des moments forts dans les scènes chorales: l’eucharistie des chevaliers et la séduction des femmes-fleurs sont d’un grotesque très efficace.

Le trip est sur la longueur lassant et écœurant, lourd de déchéance surexposée, tandis que le final manque de puissance cathartique dans ses effets: Parsifal revient à son tour blessé, boiteux et en Joker – court-circuit entre Batman et le fou du tarot, symbolisant l’illumination dans le voyage, le passage à une nouvelle conscience de l’être. Car il a pu accepter la condition humaine, avoir de la compassion pour la défaillance et la douleur qu’Amfortas n’arrivait pas à supporter. Lui, en se connaissant par le biais de Kundry, retrouve cet abîme de l’humain: le naïf a expérimenté et ne renie pas l’expérience, le fou peut se démasquer pour montrer l’homme – c’est peut-être ça le Graal? Aucun déclic libérateur sur le plateau, cependant, mais cet enracinement tenace dans le sang et la Passion.

Côté musique, l’OSR dirigé par Jonathan Nott affiche une couleur très transparente et légère, avec une patine plutôt moderne. La distribution vocale est à saluer: la basse Tareq Nazmi (Gurnemanz) offre la meilleure prestation de la soirée, portant son jeu de semi-paralytique vers extrême sans compromis, avec une expressivité et des mimiques parfaites. Daniel Johansson est un Parsifal solide, son jeu candide convaincant. Dans le rôle de Kudry, Tanja Arian Baumgartner remplit les exigences d’une performance vocale attendue, gagnant en intensité et en puissance au fil de la soirée, mais ne crevant le plafond des émotions que par instants. Le baryton Christopher Maltman (Amfortas), lui, s’avère particulièrement nuancé dans le final.

Blutige Wände

Joachim Lange – Neue Musikzeitung.com – 26 janvier 2023

source: https://www.nmz.de/online/blutige-waende-michael-thalheimer-und-jonathan-nott-f…

 

Da die Welt, in der Richard Wagners Werke leben, so etwas wie ein eigenes Universum ist, fragt man sich am Ende, nach dem eindrucksvollen „Parsifal“, der gerade mitten in der Woche im Grand Théâtre de Genève vor nicht ganz gefülltem Saal über die Bühne ging, ob man von diesem Regisseur auch einen „Ring des Nibelungen“ durchexerziert bekommen möchte. Gelegenheit für Blutbäder und die notorische Brutalobühnenbild-Metaphorik, die bei Michael Thalheimer zum Markenkern gehören, böte die Tetralogie.

Den „Fliegenden Holländer“ und jetzt auch den „Parsifal“ hat er immerhin so eigenwillig und radikal reduziert, wie bei ihm so Sitte, gestemmt. Aber die Erinnerung an seinen Hamburger Grand-opera-Versuch mit den „Trojanern“ lassen den Ring-Zweifeln viel Raum.

Dass ein dezidiert europäisch denkender Intendant wie Aviel Cahn, der schon die Flämische Oper fest in der Welt des europäischen Theaters (um nicht zu sagen Regietheaters) verankert hat, ausgerechnet Thalheimer für seinen zweiten Wagner in den so französischen Teil der Schweiz geholt hat, passt zur Entdeckerlust, die den Intendanten und den Regisseur offensichtlich umtreiben. Das Ergebnis gibt ihnen durchaus recht. Auch wenn die einhellig zustimmende Reaktion des Premierenpublikums eher fairen Respekt vor erbrachter Leistung, als unbändiger Begeisterung zuzuordnen ist.  

Zunächst war Jonathan Nott als Dirigent des Orchestre de la Suisse Romande bei dessen Ausflug ins Allerheiligste der wagnerschen Kunst-Religion Marke Eigenbau, die richtige Wahl. Nott braucht für den ersten Aufzug „nur“ eine Stunde 39 Minuten, wirkte aber trotzdem nicht überhastet, sondern in sich stimmig. Er imaginiert den großen Klangraum und wahrt allemal jenes Maß an Selbstbescheidung, das den fabelhaften Protagonisten alle Möglichkeiten lässt mit beispielhafter Textverständlichkeit zu glänzen. Was ausdrücklich auch die Blumenmädchen (Juliette Lozano, Tineke van Ingelgem, Louise Foor, Valeriia Savinskaia, Ena Pongrac, Ramya Roy) einschließt. Ein Privileg, von dem die deutschsprachige Abteilung des Publikums das Meiste gehabt haben dürfte.

Gesungen wird jedenfalls durchweg auf beglückendem Niveau. Natürlich von der rollenerfahrenen Tanja Ariane Baumgartner als geradezu emanzipierter Kundry. Die beherrscht, wenn sie auftritt, die Szene und verleiht ihren Offerten an Parsifal mit vorgehaltener Pistole Nachdruck. Dass sie am Ende des zweiten Aufzug kurzerhand nicht sich selbst, sondern Klingsor (kraftvoll: Martin Gantner) erschießt, treibt dieses Selbstbewusstsein auf die Spitze. Und verblüfft als jähe Wendung in einem sonst gemächlich zelebrierten Ablauf, in dem vieles nur durch die Musik oder die Mimik der Akteure imaginiert wird. Wie etwa der Karfreitagszauber, der mit Lichtveränderungen auskommt, die man sich selbst vielleicht nur einbildete. Bei der zweiten Enthüllung des Grals (die auch nicht mit einem Kelch oder etwas vergleichbarem beglaubigt wird) beeindruckt vor allem das sichtbare Mitleiden Parsifal. Der sitzt an der Rampe, während sich Amfortas gegen die erneut von den Gralsbewohnern erzwungene Enthüllung wehrt, und vollzieht dessen Leiden in seiner Mimik nach. Man könnte fast glauben, dass er selbst die Erfahrung macht und das Geschehen hinter ihm nur seine Imagination ist. Das sind starke Momente der reduzierten szenischen Umsetzung. Machtvoll aber weniger überzeugend ist dagegen die körperliche Versehrtheit, mit der sich der mit konditionsstarker Eloquenz aufwartende Tareq Nazmi als Gurnemanz an zwei Krücken über die Bühne schleppt. Man versteht die Absicht – aber ihre Konsequenz nervt. Soll es ja vielleicht auch. Dem Amfortas, mit dem sich Christopher Maltman das erste Mal diese Rolle mit atemberaubender vokaler Präsenz anverwandelt, genehmigt der Regisseur am Ende, nach der Berührung des Speers, immerhin die Rückkehr zum aufrechten Gang. 

Seinem Parsifal (unangestrengt geschmeidig und mit einnehmendem Timbre: Daniel Johansson) vergönnt Thalheimer zwar so etwas wie eine Reise zu sich selbst. Er zwängt sich während des Vorspiels – nur in langer weißer Unterwäsche aus dem Spalt zwischen den zwei wuchtigen Kuben, die die Bühne von Henrik Ahr solitär beherrschen. Die werden für die Enthüllung des Grals und (nur geringfügig variiert) auch für Klingsors Reich um Seitenwände zu einem Innenraum erweitert. 

Parsifal reift (hier wird der Raum halt auch mal zur Zeit) sichtbar. Er trägt lange Hosen, wenn er unter die durch die Kostüme von Michaela Barth im wahrsten Wortsinn aufgerundeten Blumenmädchen fällt. Zurück kehrt er im dunklen Gewand, gestützt auf den Speer (ohne den gehts eben doch nicht) und im Gesicht weiß geschminkt mit blutrotem Mund. Aber wenn Kundry, Gurnemanz und Amfortas fast unbemerkt abgehen, schminkt er sich nicht nur diese Maske ab, sondern zugleich jede Hoffnung auf irgendeine Art von Erlösung. Ist eben doch kein Joker für diese Welt. 

Wenn die Gralsbesatzung (der Chor des Hauses hat Alan Woodbridge zu machtvollem Stimmeinsatz geführt!) vorher gierig nach Leben (und Blut?) herumirrte, stehen jetzt alle erstarrt rechts und links am Rand und reagieren nicht auf Parsifals finale Offerte eines dauerenthüllten Grals. Niederschmetternder geht es kaum. Dass während des Gralsrituals die alle Wände mit Blut beschmiert werden und die im Hintergrund selbst zu bluten anfängt, während sich Amfortas dort auf halber Höhe windet, als wäre er Jesus am Kreuz, ist einerseits große Metaphorik, andererseits aber auch eine etwas kleinheiligere Reminiszenz. Es war Hermann Nitsch, der in Bayreuth vor zwei Jahren die „Walküre“ zu einer halbszenischen Aufführung und einer ausgiebigen Farbschüttorgie machte. So wie Kundry hier auf der blutverschmierten Wand mit „Durch Mitleid wissend“, dann „Der reine Tor“ und schließlich „Parsifal“ klärendes beisteuerte, hatte das schon einen selbstreferenziellen Witz, der am Genfer See und auf dem Grünen Hügel ein Schmunzeln hervorlocken könnte. Wo es doch sonst nichts zu lachen, aber doch Grund zur Freude gab.

«Parsifal»: Ist das der moderne Weg zu Wagner?

Christian Berzins – Luzernerzeitung – 26 janvier 2023

source: https://www.luzernerzeitung.ch/kultur/kultur-mantel/oper-parsifal-in-genf-ist-d…

 

Genf wagt sich an Richard Wagners geheimnisvollen «Parsifal» – es ist eine exemplarische, zeitgemässe Aufführung.

Irgendwann knien wir alle vor diesem Werk nieder, dessen Gattungsbezeichnung man heutzutage vermeintlich nur mehr schmunzelnd aussprechen kann: Richard Wagner (1813–1883) nannte «Parsifal» nämlich nicht Oper, sondern «Bühnenweihfestspiel». Und hätte sich Wagners furioser Wille (und Wahn) durchgesetzt, dass dieses Werk tatsächlich nur im Bayreuther Festspielhaus aufgeführt werden dürfte, ständen wir jetzt alle im Kaschmirmantel auf dem Grünen Hügel und würden auf den Knien um Einlass ins ungeheizte Zauberhaus bitten.

[…….]

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