Richard Strauss
Salomé
Opéra en 1 acte
du 22 janvier au 2 février 2025

Direction musicale Jukka-Pekka Saraste
Mise en scène Kornél Mundruczó
Collaborateur à la mise en scène Marcos Darbyshire
Scénographie Monika Korpa
Costumes Monika Korpa
Lumières Felice Ross
Dramaturgie Kata Wéber
Chorégraphie Csaba Molnár
   
Salomé Olesya Golovneva
Jochanaan Gábor Bretz
Herodes John Daszak
Herodias Tanja Ariane Baumgartner
Narraboth Matthew Newlin
Le page d’Herodias Ena Pongrac
Premier soldat Mark Kurmanbayev
Deuxième soldat Nicolai Elsberg
Premier Juif Michael J. Scott
Deuxième Juif Alexander Kravets
Troisième Juif Vincent Ordonneau
Quatrième Juif Emanuel Tomljenović
Cinquième Juif Mark Kurmanbayev
Premier Nazaréen Nicolai Elsberg
Deuxième Nazaréen Rémi Garin
Un cappadocien Peter Baekeun Cho

Orchestre de la Suisse Romande

Salomé

Grand Théâtre de Genève

Vos critiques

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Revue de presse

Le pur et l’impur

Hélène Pierrakos - webtheatre.fr - 3 février 2025

source: https://www.webtheatre.fr/Salome-au-Grand-Theatre-de-Geneve

 

Kornél Mundruczó explore les méandres les plus obscurs du désir dans une relecture à l’américaine du chef-d’œuvre de Strauss.

Dans tout nouvelle lecture d’un opéra du grand répertoire par un metteur en scène d’aujourd’hui, les cartes sont rebattues : ce qui semblait la thématique de premier plan peut se voir relégué à l’arrière-plan au profit d’enjeux inattendus, comme pour interroger (dans le meilleur des cas, et ce fut celui de ce spectacle genevois) les évidences premières ou (dans le pire des cas) métamorphoser l’original en un objet nouveau et en faire ainsi le lieu de tous les dangers. Axes, perspectives, points de vue, angles : ce sont après tout des outils que manipule avec profit un réalisateur de cinéma. On ne s’étonne donc pas que le cinéaste hongrois Kornél Mundruczó, dont on a pu voir plusieurs mises en scène d’opéra, avant cette nouvelle production de Salomé au Grand Théâtre de Genève, se livre avec délectation à ce jeu.

Entre néons et cocktails

Pas de Judée, ni de palmiers, ni de mer à l’arrière-plan, mais la lumière des néons et les banquettes glacées d’un bar de luxe, au sommet d’un grand hôtel américain. Entourée d’interchangeables barmaids hypersexuées et d’hommes d’affaires, Salomé, en adolescente désœuvrée, le casque vissé sur les oreilles, erre entre ennui et frustration indéterminée, consciente de sa féminité mais encore inconsciente du pouvoir qu’elle lui donne... Jusqu’à l’apparition d’une espèce masculine inconnue dans son milieu, hirsute, débraillé, sweat-shirt à capuche d’une propreté douteuse – bref la représentation de la pauvreté dans ce monde hyperargenté : Jochanaan, le prophète, le pur et l’incorruptible, dont on entend les premières phrases venues non pas de la citerne où il est enfermé dans le livret original, mais... de l’ascenseur où deux vigiles ont l’œil sur lui. Au point de vue purement visuel, on croit comprendre, du moins dans les premières scènes, que le metteur en scène glisse là un premier indice. C’est de grand capital, de corruption et de son lien étroit avec une sexualité débridée qu’il s’agit – Hérode apparaîtra d’ailleurs un peu plus tard en avatar de Donald Trump (était-il utile d’aller jusque-là ?).

L’homme misérable sera ainsi identifié à l’homme pur de toute sexualité, celui qui semble haïr la féminité en ce qu’elle représente d’impureté mais aussi de puissance financière. Jusque-là on s’ennuie un peu, on s’agace aussi, tant sont nombreux les ingrédients visuels « antipathiques » : froideur de la lumière, du décor, aspect un peu « tête à claques » de l’adolescente Salomé, crudité des couleurs, laideur des vêtements de Jochanaan. La musique de Strauss semble surtout ne pouvoir se satisfaire de ce fossé (cet abîme pour le spectateur et auditeur) entre la sensualité de l’écriture orchestrale (et la splendeur des lignes vocales imaginées par le compositeur, en particulier pour le personnage de Jochanaan) et l’élégance très conventionnelle de ce bar d’hôtel. Quant à Gábor Bretz dans le rôle du prophète, à la voix pourtant fascinante de profondeur et de beauté, on le sent emprunté dans ces anti-atours, cet uniforme prolétaire plutôt caricatural.

Violence du désir

Étrangement, c’est à partir de l’entrée d’Hérode, excellemment interprété par le ténor John Daszak, dans une vulgarité théâtralement très travaillée, que l’intérêt s’éveille. Comme si le lien se reformait entre le personnage tel que conçu par Oscar Wilde et Strauss et son interprète, même dans cette vision hypermoderne proposée par le metteur en scène. La soprano Olesya Golovneva donne également toute sa mesure à partir du milieu de l’opéra, meilleure dans son dialogue avec Hérode qu’elle ne l’était dans les monologues croisés qui l’opposaient à Jochanaan dans la première partie. Comme dans la mise en scène de Lydia Steier présentée récemment à l’Opéra national de Paris, c’est un viol effectif qui forme l’aboutissement de la Danse des sept voiles, ici dans l’ascenseur. Idée assez ingénieuse que de faire de cette cabine le lieu commun à l’enfermement du prophète et au viol de celle qui le désire. On saisira d’ailleurs dans la scène finale, extraordinaire sur le plan visuel, toute l’ampleur de cette idée d’un espace partagé entre Salomé et Jochanaan, qui est celui de la violence du désir : d’une certaine manière ce que donne à entendre la mise en scène, c’est que dans la perspective de Salomé, la pureté du prophète, sa chasteté sont aussi des formes paradoxales du désir et de la violence. Et que cette violence est à contenir et à enfermer.

Mais surtout, l’apparition sur scène, après la décapitation de Jochanaan, d’une immense tête coupée, horizontalement placée sur le plateau et d’où sortent, par les oreilles, les narines, les yeux, la bouche, des formes vermiculaires qui sont autant de femmes lascives et nues, ouvre tout un champ d’interprétations et de fantasmes. Les pensées lubriques que le prophète contenait de son vivant, lui sortent littéralement de la tête, après sa mort. Et la conjonction hyper morbide du vers de terre et de la femme nue dit, mieux que ne pourraient le faire de longs discours, toute la charge morale posée sur la sexualité et la menace de mort et de décomposition qu’elle porte.

En revanche, la représentation de Salomé elle-même, dès la danse des sept voiles, et des femmes-danseuses qui sortent de la tête de Jochanaan en « Femen » (féministes nues ornant leur torse de slogans, ici « Stop it » pour « stop au viol », croit-on comprendre), me semble compliquer le propos inutilement. L’image est forte et la signification clairement féministe, mais le personnage de Salomé, tel que l’a conçu Oscar Wilde, est bien autre chose qu’une femme victime de la violence masculine : d’une certaine manière, c’est bien parce qu’elle obtient ce qu’elle souhaite (la tête de Jochanaan sur un plateau d’argent) qu’elle va contre la bienséance féminine de l’époque. Pas uniquement parce qu’elle est meurtrière (et d’un genre plutôt nauséabond, puisqu’elle va jusqu’à baiser la bouche de cet homme décapité), mais parce qu’elle viole, au fond, l’homme qu’elle désire. Wilde fait d’elle, en ce sens, le double féminin d’une masculinité dévastatrice. Vision nettement plus subtile que celle d’une simple victime... Et si la musique de Strauss relaie de façon si géniale toute cette ambivalence, il est dommage, à mon sens, de la réduire à une dimension militante, même si tout à l’honneur du metteur en scène. D’autant que l’orchestre de la Suisse romande, sous la direction très inspirée de Jukka-Pekka Saraste, fait merveille, tant dans l’accompagnement tout en finesse des voix que dans l’ampleur symphonique extraordinaire qu’a voulue Strauss dans des moments choisis.

SALOME am Grand Théâtre de Genève

Marcel Emil Burkhardt - onlinemerker.com – 3 février 2025

source: https://onlinemerker.com/genf-grand-theatre-de-geneve-salome/

 

Salome von Richard Strauss ist eine der markantesten und provokantesten Opern des 20. Jahrhunderts. Strauss nutzt eine sehr moderne Orchestrierung, die zu seiner Zeit als revolutionär galt. Die Musik ist extrem ausdrucksstark und spiegelt die intensiven Emotionen der Charaktere wider. Besonders auffällig sind die dichten Klangfarben, die die Psychologie der Figuren vertiefen, sowie die oft atonalen und dissonanten Elemente, die die aufgeladene Atmosphäre verstärken.

Die Charaktere, insbesondere die Titelheldin, sind äusserst komplex. Salome wird nicht nur als eine Frau dargestellt, die von Leidenschaft und Verlangen getrieben wird, sondern auch als jemand, der von einem inneren Konflikt zwischen Lust und Tod getrieben wird. Ihre Obsession mit Jochanaan (Johannes dem Täufer) und ihr Wunsch nach Macht und Kontrolle sind zentrale Themen, die in der Musik perfekt zur Geltung kommen.

Der „Tanz der sieben Schleier“ ist eines der bekanntesten und am meisten diskutierten Elemente der Oper. Es ist nicht nur ein Tanz, sondern ein Moment voller Erotik, Manipulation und symbolischer Bedeutung. Die Musik, die während dieses Tanzes gespielt wird, ist aussergewöhnlich kraftvoll und steigert die Dramatik auf eine fast hypnotische Weise. Leider wurde diese Dimension in dieser Interpretation verpasst, eine verschenkte Gelegenheit. Anstelle von einem erotischen Tanz wird Salome als trinkende und Kokain konsumierende Person dargestellt die ihren Körper als Sexsymbol wahrnimmt. Eine entzauberte Version des Schleiertanzes.

Jede Szene ist ein intensiver Moment der emotionalen Explosion. Die Oper konzentriert sich auf die Entfaltung von Salomes Leidenschaft und die daraus resultierenden Katastrophen. Besonders die letzten Minuten, in denen Salome mit dem Kopf von Jochanaan konfrontiert wird, sind packend und beinahe surreal. Der Kopf wird überdimensional gross dargestellt und beeindruckt deshalb. Man bekommt ein beklemmendes Gefühl, wenn man den Kopf in dieser Grösse vor sich hat und die Tänzerinnen aus Augen und Mund hervorkriechen.

Die Inszenierung am Grand Théâtre de Genève durch den ungarischen Regisseur Kornél Mundruczó verlegt die Handlung in eine luxuriöse Penthouse in New York City. Diese moderne Interpretation betont die Dekadenz und den moralischen Verfall der Figuren, indem sie die biblische Geschichte in einen zeitgenössischen Kontext setzt. Mundruczó nutzt dabei Elemente des filmischen Realismus und des Surrealismus, um die inneren Konflikte und psychologischen Tiefen der Charaktere hervorzuheben. Die Bühne und Kostüme, gestaltet von Monika Pormale, sowie die Lichtgestaltung von Felice Ross, tragen zur Schaffung einer Atmosphäre bei, die sowohl die Opulenz als auch die Abgründe der dargestellten Welt einfängt. Die musikalische Leitung liegt in den Händen des finnischen Dirigenten Jukka-Pekka Saraste, der mit dem Orchestre de la Suisse Romande die expressive und farbenreiche Partitur von Strauss zum Leben erweckt. In der Titelrolle überzeugt die russische Sopranistin Olesya Golovneva mit einer Mischung aus stimmlicher Kraft und zerbrechlicher Anmut. Gábor Bretz verkörpert Jochanaan, eine Rolle, die er bereits 2018 in Salzburg mit grossem Erfolg interpretierte. John Daszak als Herodes und Tanja Ariane Baumgartner als Herodias komplettieren das hochkarätige Ensemble.

Die Inszenierung ist lobenswert. Besonders hervorgehoben sind die Aktualität der Thematik und die gelungene Verbindung von Vergangenheit und Gegenwart. Die Darstellung der Salome als komplexe Figur, die zwischen kindlicher Unschuld und bewusster Verführung schwankt, ist besonders gelungen. Insgesamt bietet Mundruczós „Salome“ eine provokative und tiefgründige Neuinterpretation des klassischen Stoffes, die sowohl visuell als auch musikalisch beeindruckt.

Olesya Golovneva debütierte in der Titelrolle. Ihre Interpretation ist sehr lobenswert, insbesondere für den Einsatz ihres schlanken, beweglichen Soprans, der in den höheren Lagen berührend zur Geltung kommt. Ihre Vielseitigkeit und stimmliche Ausdruckskraft machen sie zu einer überzeugenden Wahl für die komplexe Rolle der Salome. Zusammenfassend kann gesagt werden, dass Olesya Golovneva eine beeindruckende Interpretation der Salome bietet, die sowohl stimmlich als auch darstellerisch überzeugt.

Gábor Bretz hat die Rolle des Jochanaan bei den Salzburger Festspielen verkörpert und dabei das Publikum mehr als nur überzeugt. Seine Darstellung in Genf ist grandios und er überzeugt durch eine wunderbare dunkle Stimme und grosser Bühnenpräsenz.

John Daszak hat die Rolle des Herodes mehrfach verkörpert bereits auch an den Salzburger Festspielen, wo er als getriebener Anzugträger mit glattem dunklem Haar und ölig-ängstlicher Ausstrahlung überzeugte. Seine helle Tenorstimme erhebt sich in Genf deutlich über das Orchester und verleiht der Figur eine besondere Präsenz. Seine Fähigkeit, die komplexe Persönlichkeit des Herodes sowohl stimmlich als auch schauspielerisch darzustellen, macht ihn zu einem herausragenden Interpreten dieser Rolle.

Tanja Ariane Baumgartner ist eine herausragende Mezzosopranistin, und ihre Darstellung der Herodias ist intensiv, facettenreich und vokal beeindruckend. Sie bringt die komplexe Mischung aus Macht, Frustration und Manipulation dieser Figur perfekt auf die Bühne. Ihre dunkle, warme Stimme verleiht Herodias eine besondere Tiefe, die sie nicht nur als kaltherzige Gegenspielerin, sondern auch als vielschichtige, in sich zerrissene Frau erscheinen lässt.

Das hervorragende Ensemble wird glänzend unterstützt von Narraboth Matthew Newlin, Le page d’Herodias Ena Pongrac, Premier soldat Mark Kurmanbayev, Deuxième soldat Nicolai Elsberg, Premier Juif Michael J. Scott, Deuxième Juif Alexander Kravets, Troisième Juif Vincent Ordonneau, Quatrième Juif Emanuel Tomljenović, Cinquième Juif Mark Kurmanbayev, Premier Nazaréen Nicolai Elsberg, Deuxième Nazaréen Rémi Gari nun Un cappadocien Peter Baekeun Cho.

Jukka-Pekka Saraste ist ein erfahrener Dirigent, bekannt für seine Vielseitigkeit und seine Fähigkeit, sowohl das klassische als auch das moderne Repertoire meisterhaft zu interpretieren. Obwohl er vor allem für sein Engagement im Bereich der Orchestermusik und insbesondere der sinfonischen Werke bekannt ist, hat er auch Erfahrung im Dirigieren von Opern. Saraste bringt die expressive und farbenreiche Partitur von Richard Strauss mit viel Präzision und Emotionalität zur Geltung. Für eine Oper wie Salome die eine aussergewöhnliche Komplexität sowohl in der Orchestermusik als auch in der dramatischen Intensität verlangt, ist Saraste gut geeignet. Er versteht es, emotionale Tiefe und dramatische Spannung zu vermitteln, was für eine solch intensive Oper sehr wichtig ist. Seine Führung des Orchesters konnte den schwierigen, oft dissonanten und sehr expressiven Musikpassagen von Strauss gerecht werden. Allerdings ist Salome ein Stück, das nicht nur technisches Können verlangt, sondern auch ein starkes Verständnis für die psychologische und emotionale Entwicklung der Charaktere. Kurz gesagt, Saraste ist ein sehr guter Dirigent für Salome, insbesondere ist er in der Lage, die komplexe Wechselwirkung zwischen Orchester und Gesangspartien zu meistern.

SALOMÉ à Genève : Opera great again

Pierre Géraudie - classykeo.com – 1 février 2025

source: https://www.classykeo.com/2025/01/28/salome-a-geneve-opera-great-again/

 

Le Grand Théâtre de Genève lance son année 2025 avec Strauss. Non pas le roi de la valse (les fêtes sont finies, hein), mais Richard, le compositeur d’un opéra, Salomé, qui trouve ici une résonnance résolument moderne. Direction les States, pour un spectacle qui perturbe, qui dérange, mais qui fascine et séduit, surtout.

Mais what ? Une œuvre censée se dérouler voici 2.000 ans, en plein désert de Judée, et qui se trouve finalement transposée dans une soirée de débauche organisée sur le rooftop d’un hôtel new-yorkais ? Il fallait y penser : le metteur en scène Kornél Mundruczó l’a fait. Le Hongrois n’est pas un homme de cinéma pour rien : il en a, de l’imagination à revendre, et pour lui, donc, le propos de Salomé, cet opéra inspiré de l’œuvre d’Oscar Wilde, est assurément atemporel et propre à pouvoir s’ancrer dans notre époque moderne. Le propos ? Celui-ci a au moins le luxe d’être bien moins tarabiscoté que bien d’autres livrets d’opéras.

Salomé : késako ?

En version courte, cela donne ceci : Salomé est la fille d’Herodias et la belle-fille d’Hérode, c’est une jeune femme franchement capricieuse et persuadée d’être irrésistible, alors quand un homme ne cède pas à ses charmes (fut-ce un Prophète), elle se fâche. Et sa sanction est sans appel : que l’on coupe la tête de l’effronté qui ose refuser de la regarder !

Shame on him, donc ! Honte à ce pauvre homme qui ose rejeter Salomé, hier princesse juive, et aujourd’hui (en tout cas ici à Genève) jeune fille à papa fréquentant bien plus les sofas des boites de nuit que les bancs des grandes écoles, et qui ne doit guère savoir ce qu’est un Dry January. Il suffit de voir la mise en scène, avec la scénographie ultraréaliste de Monika Korpa, pour s’en convaincre. L’acte unique de l’opéra prend ainsi pour décor ce bar ultra-luxueux perché sur quelque gratte-ciel, avec fauteuils molletonnés et tables basses où le champagne coule à flot, le tout dans une atmosphère rendue brumeuse par les fumées de cigarette (et autres substances illicites)  entre lesquelles des partenaires de débauche se font bisous et caresses très intimes au vu et au su de tous. Il y a la des jeunes, des adultes, et même des supporters de Trump avec leur casquette MAGA (« Make America Gréat Again »), tout ce beau monde se trouvant joyeusement régalé par un  seul homme, Hérode, avec ses cheveux blonds rabattus en frange et sa belle cravate orange. Ce qui rappelle un certain Donald, non ?

Le show et l’effroi

And then ? Et alors, cela fonctionne ! Ils sont loin, le désert, la Judée, le lac Jourdan. Et l’on est bien dans cette Amérique de tous les excès, où l’on vient même jouer avec une mappemonde géante en forme de ballon façon Chaplin, manière de figurer plus encore l’impérialisme d’un pays et de son dirigeant. Mais ce Trump là ne conquiert pas les terres voisines, il conquiert les femmes, et en premier lieu sa propre belle-fille, qu’il invite à faire le show devant lui (la fameuse Danses des Sept voiles), avant d’abuser d’elle dans l’ascenseur (un viol, mais oui), et de lui apporter sur un plateau d’argent la tête de l’homme s’étant refusé à elle. Une tête géante formidablement représentée, d‘ailleurs, comme si elle avait été réellement sectionnée lors de la « décollation » (dixit le Nouveau testament) de ce mystérieux prophète transformé ici en ivrogne mal fagoté dont on assiste même au début du scalp. Shocking ? Sans doute. Mais le fait est là : l’affaire capte l’attention d’un bout à l’autre. Why ? Parce que cette transposition est poussée jusqu’au bout. Parce qu’ici tout n’est que cynisme et libertinage assumé (au point de voir des corps nus sur scène). Et, surtout, parce qu’il s’agit de faire de cette Salomé l’incarnation absolue d’une jeune femme tourmentée et promise à l’enfer. Un enfer brûlant comme jamais.

Et sur cette Highway to Hell, donc, Olesya Golovneva est une Salomé plus vraie que nature dans sa manière adolescente de se croire irrésistible face aux hommes, et dans ses façons de danser lascivement entre deux verres pour mieux tourner les têtes. Surtout, il y a cette évolution du personnage, genre de nepobaby d’abord simplement fêtard et aguicheur, et puis franchement psychopathe et en tout cas torturé, évolution qui saisit autant que cette voix large et sonore qui en vient à enivrer elle aussi. La captivante scène de folie finale, d’une quinzaine de minutes, est le sommet dramatique et musical d’une performance haut de gamme. De cette jeune femme qui vire dans le délire total, Gábor Bretz fait donc les frais, lui qui campe ici un Prophète des temps modernes, c’est-à-dire un genre d’ivrogne qui parle un peu trop fort, le tout avec une voix percutante et saisissante, d’une couleur sombre du meilleur effet.

Highway to hell

And mister Président ? A défaut d’un sosie physique parfait, il trouve en John Daszak un disciple de belle facture, avec ses manières d’arrogance plus vraies que nature et son goût immodéré pour la séduction (des femmes comme du peuple). Vocalement, la voix porte haut et loin, aussi, avec ce ténor sonore qui sait se faire obéir de tous, y compris de sa propre belle-fille pourtant si rebelle. Tanja Ariane Baumgartner est une Hérodiade impitoyable et insensible, jouant d’une froideur qui contraste largement avec une voix chaude que l’on croit ici enrouée par l’abus de cigarette. Le reste du casting se fond lui aussi pleinement dans cette ambiance de dépravation, avec un Matthew Newlin au charismatique et sonore Narraboth, une Ena Pongrac en page d’Hérodias au mezzo chatoyant, et des soldats, juifs et nazaréens devenus ici fêtards invétérés et qui tous font valoir des instruments vocaux autant que des talents théâtraux d’égale belle facture.

Last but not least : le chef Jukka-Pekka Saraste, qui dirige là son premier opéra de Strauss, fait bien plus qu’en sortir avec les honneurs. Sous sa houlette, l’Orchestre de la Suisse romande, aux rangs fournis (mais cette intense musique l’exige), sait dépeindre toutes les ambiances, qu’elles soient festives, angoissantes, et puis terrifiantes, à renfort de cordes survoltées, de cuivres triomphateurs et de timbales chevaleresques. Le motif final, tel un orage soudain, est un ultime saisissement dans un spectacle qui a de quoi déranger, choquer même, mais qui réussit finalement l’essentiel : captiver le public (qui applaudit généreusement après une courte huée venue d‘on ne sait où), et provoquer le frisson. Make opera great again : là était sans doute l’objectif de l’équipe artistique de cette Salomé. Le pari est réussi. So, what else ? 

SALOMÉ miroir contemporain à Genève

Gilles Charlassier - classicagenda.fr - 24 janvier 2025

source: https://classicagenda.fr/salome-miroir-contemporain-a-geneve/

 

Après L’Affaire Makropoulos, Sleepless et Voyage vers l’espoir, le Grand-Théâtre de Genève présente une nouvelle production lyrique de Kornel Mundruczo. L’homme de théâtre et cinéaste hongrois resitue la Salomé de Strauss dans un milieu riche et décadent, ignorant les menaces contemporaines et les colères de la rue. Cette relecture cohérente, qui glisse vers des accents militantistes, est portée par un plateau engagé, sous la direction soignée de Jukka-Pekka Saraste.

Pour sa quatrième production à Genève, Kornel Mundruczo fait de la Salomé de Strauss, dont le livret est inspiré de la pièce de Wilde, un miroir à notre monde contemporain. Le metteur en scène et cinéaste hongrois a puisé dans une expérience lors d’une invitation à New York par AppleTV pour une émission, où il était logé au Standard. Ainsi la scénographie dessiné par Monika Korpa évoque-t-elle l’ambiance d’un bar panoramique au dix-huitième étage d’un établissement de grand standing où se réunit une société aussi décadente que celle de la Judée d’Hérode. La similitude de l’acajou des boiseries avec celles de Grand-Théâtre renforce l’effet spéculaire vis-à vis du public d’une ville accueillante pour les expatriés s’ils sont riches. Le prologue muet, qui fait entendre un instant la rumeur de la rue, souligne l’isolement d’une caste face aux menaces sociales et environnementales qu’elle préfère ignorer, comme cette Amérique Make America Great Again sous les casquettes rouges que portent même les cinq Juifs disputant à propos du prohète Elie – à n’en pas douter la réélection de Trump a coloré le spectacle, en faisant également à Hérode la même cravate orange que le président populiste d’Outre-Atlantique.

Ces circonstances appuient l’assimilation de New York avec une Babylone moderne résumant tous les vices consuméristes par lesquels notre époque court à sa perte, et que dénonce avec une véhémence passablement brouillonne un Jochanaan vêtu d’un sweat de l’université Columbia, retenu par deux gardes de sécurité dans la cage d’ascenseur pour ne pas troubler les loisirs dispendieux de la cour du tétrarque. Dans ce réduit, Hérode donnera libre cours à sa lubricité et violera la fille d’Hérodias, à la fin d’une danse des sept voiles variant habilement les tableaux et la tension érotique tragi-comique – avec les mouvements chorégraphiques de Csaba Molnar, et surtout les lumières de Felice Ross, dont les clignotements stroboscopiques accompagnent les climax qui font chavirer l’ordre établi en même temps que la sensualité de l’héroïne, dont la nudité sexuelle, poitrine et pubis, en collant couleur chair, est grimée au feutre noir. C’est dans cette même « tenue » qu’une chaîne de femmes abusées, ayant écrit stop sur leur corps, s’avancera lors de la scène final où le roi ordonne la mort de Salomé. Si le glissement vers une explicitation militante post-Me too s’écarte du cadre littéral du livret où la sensualité est d’autant plus morbide qu’elle reste impuissante, le spectacle réinvente habilement l’atmosphère de fascination fantasmatique dans laquelle baigne le drame et qui, après des débuts un peu placides, prend toute sa mesure dans l’immense tête coupée – qui rappelle une peu la scénographie de La Fura dels Baus pour Le Grand Macabre de Ligeti – où se confondent le palais et l’accomplissement du désir, la topographie et la psychologie, en un délire onirique non dénué d’accents psychanalytiques.

La cohérence de la lecture est relayée, dans la fosse, par la vitalité et la précision de la direction de Jukka-Pekka Saraste. Les pupitres de l’Orchestre de la Suisse Romande mettent en avant la richesse de l’écriture straussienne, tout en évitant de charger les couleurs de ce péplum sur un rythme de valse à l’heure des découvertes du docteur Freud. Pour sa première Salomé, Olesya Golovneva, adolescente dans sa bulle sous son casque audio, contraste, par une certaine crudité juvénile, avec les princesses à la maturité plus capiteuse que, pour les distributions vocales, la générosité sonore de la partition induit souvent. Tanja Ariane Baumgartner rafraîchit également l’incarnation d’Herodias avec une séduction que des timbres plus émérites fanent généralement davantage. Dans ce même registre de santé vocale, John Daszak impose un Hérode concupiscent jusqu’à la violence obscène, avec une présence qui défie la Jochanaan de Gabor Bretz, aux imprécations peut-être moins terrifiantes que de coutume, au bénéfice d’une complexité accrue dans l’errance psychologique du personnnage.

Parmi les personnages secondaires qui forment la toile de fond de la pièce, seuls les deux premiers Juifs, Michael J. Scott et Alexander Kravets, ténor virtuose dans la stridence comique, ne sont pas en prise de rôle. Matthew Newlin condense la fascination tourmentée de Narraboth, accompagné du page campé par Ena Pongrac. Mark Kurmanbayev, premier soldat et cinquième Juif appartient, comme Emmanuel Tomljenovic, quatrième Juif, au Jeune Ensemble du Grand-Théâtre – le troisième Juif revient à Vincent Ordonneau. Second soldat, Nicolai Elsberg assume par ailleurs les répliques du premier Nazaréen, aux côtés du second par Rémi Garin. L’apparition du Cappadocien est dévolue à Peter Baekeun Cho, membre du Choeur. Comme la mise en scène, la partie musicale assume ses partis pris.

SALOMÉ électrise Genève

Claudio Poloni - concertonet.com – 30 janvier 2025

source: http://www.concertonet.com/scripts/review.php?ID_review=16723

 

La nouvelle production de Salomé proposée par le Grand Théâtre de Genève est un spectacle choc qui ne laisse personne indifférent. Le metteur en scène Kornél Mundruczó a certes détourné quelque peu l’intrigue, mais force est de reconnaître qu’il a réussi à concevoir une version forte, intelligente et cohérente, avec un concept dramaturgique qui se tient de bout en bout, et pas simplement quelques idées lancées en vrac çà et là, éclairant l’ouvrage de Strauss d’une lumière contemporaine. Le palais d’Hérode est ici un bar design luxueux situé au sommet d’un gratte‑ciel de New York. Des clients fortunés passent la soirée sans lésiner ni sur l’alcool ni sur la drogue. Ils sont interrompus par des bruits venant de la rue, où une émeute a éclaté, et se précipitent aux fenêtres pour voir ce qui se passe. Le prophète, qui est retenu prisonnier dans un ascenseur gardé par deux agents de sécurité, apparaît alors, allure athlétique, cheveux longs, casquette vissée sur la tête et sweat‑shirt à capuche. Marginal, idéaliste, anticapitaliste, il déverse ses insultes sur les clients du bar, qui ne l’écoutent guère. Intriguée, Salomé – qui chasse son ennui devant un verre – enlève ses écouteurs de ses oreilles ; elle tombe instantanément amoureuse de lui et veut l’embrasser coûte que coûte. Survient alors Hérode, qui fait immédiatement penser à Donald Trump avec ses cheveux blonds, son costume bleu et sa cravate rouge, sans compter qu’un groupe de clients arborent des casquettes rouges portant le slogan MAGA. Pendant la Danse des sept voiles, à laquelle participent sept doubles de Salomé dénudées, Hérode viole sa belle‑fille dans l’ascenseur, laquelle en ressortira avec une tache de sang sur une cuisse. Ensuite se déroule la scène la plus kitsch du spectacle, qui fait sourire bien des spectateurs : les cadeaux qu’Hérode veut offrir à Salomé pour avoir dansé pour lui. On voit d’abord un bourreau dont la tête est recouverte de paillettes vertes pour représenter une émeraude, puis quatre drag‑queens coiffées de plumes blanches pour figurer les paons, et enfin une grosse pomme verte (Big Apple ?), deux cerises et une banane en guise de bijoux, totalement ridicule, le point faible de la soirée. Salomé n’a cure de tous ces présents, elle demande la tête du prophète et, à partir de ce moment, le décor change du tout au tout, donnant au public l’impression d’assister à un second spectacle. Salomé est alors seule sur le plateau totalement nu ; derrière elle, une tête décapitée énorme, celle de saint Jean Baptiste, se rapproche lentement. De la bouche, des narines, des yeux et des oreilles sortiront sept jeunes filles dénudées, les doubles de Salomé, qui portent toutes sur leur corps, à des endroits différents, l’inscription « stop ». Une image choc qui clôt un spectacle particulièrement fort.

Silhouette frêle et menue, Olesya Golovneva incarne une Salomé davantage enfant que femme, qui se réfugie dans son monde sous ses écouteurs. Si la voix n’est pas extrêmement puissante, la chanteuse irradie néanmoins le plateau par sa présence magnétique, son engagement entier dans le personnage, ses regards intenses et interrogateurs, ses tremblements ainsi que sa fragilité, ses aigus transparents, une Salomé qu’on n’oubliera pas de sitôt. Gábor Bretz fait, lui aussi, très forte impression en prophète à la voix ronde et puissante, parfaitement projetée, ainsi qu’à la diction impeccable. Le personnage est ici souvent entièrement visible, contrairement à la tradition, où il est constamment enfermé dans son cachot ou sa citerne. Familier du rôle, John Daszak est un Hérode grotesque de suffisance et de vanité, qui regarde Salomé avec des yeux particulièrement concupiscents. L’Hérodiade de Tanja Ariane Baumgartner, mère excessive et dénaturée, a la particularité ici d’avoir seulement quelques années de plus que sa fille et d’être encore une très belle femme, ce qui change les rapports mère‑fille. On admire aussi le splendide Narraboth de Matthew Newlin, à la voix claire et incisive. Jukka‑Pekka Saraste, qui se fait rare à l’opéra, dirige sa première Salomé. Sous sa baguette, l’Orchestre de la Suisse Romande est précis et rutilant, parfaitement fluide et clair, démontrant de surcroît un art consommé des contrastes, mais la conception musicale du chef reste un brin trop sage, sans les coups de poing sonores qui caractérisent habituellement la partition et qui auraient été parfaitement au diapason de la mise en scène.

Ein gewaltiges Crescendo im New Yorker Penthouse

Thomas Rauchenwald - rauchenwald-classic.com – 30 janvier 2025

source: https://www.rauchenwald-classic.com/rezensionen/ein-gewaltiges-crescendo-im-new…

 

SALOME op. 54, Oper in einem Akt, eine der ersten Literaturopern, beruhend auf dem gleichnamigen Drama von Oscar Wilde, in der deutschen Übersetzung von Hedwig Lachmann, uraufgeführt am 9. Dezember 1905 am Königlichen Opernhaus Dresden, stellt mit ihrer ungemein farbigen, sinnlich expressiven Musik einen Meilenstein im Schaffen von Richard Strauss dar.

Am Pult des am Abend des 27. Januar 2025 im Grand Théatre de Genéve insgesamt hervorragend disponierten Orchestre de la Suisse Romande geht Dirigent Jukka-Pekka Saraste das Stück zunächst genüsslich verhalten an, lässt die Formation zu Beginn sanft und mild funkeln, dass die geniale Musik derart in sanft mediterranes Licht getaucht wird. Ausdruck und Dynamik werden im Laufe des Abends aber mehr und mehr gesteigert, die Musik brodelt, schillert, glänzt mehr und mehr, und, auch wenn die ganz große Orchesterekstase letztlich ausbleibt, steigert sich in einem immer gewaltiger anschwellenden Crescendo zu groß flutendem, mächtigem Klang; macht, derart wiedergegeben, richtig trunken. Diese Lesart unterstützt natürlich die Stimmen auf der Bühne, niemand wird zugedeckt, alle sind und bleiben immer hörbar und präsent, was eine Wohltat für die Textverständlichkeit darstellt. Eleganz, Klarheit und Noblesse verleiht der Dirigent dieser abgründigen Partitur, unter der die seelischen Abgründe lauern und ausbrechen.

Letzteren spürt auch der Regisseur der Genfer Neuproduktion erschütternd auf den Grund. Kornél Mundruczó, ungarischer Film- und Theaterregisseur, der sich in den letzten Jahren zunehmend auch diskussionswürdigen Operninszenierungen – zum Beispiel VEC MAKROPULOS in Antwerpen, LOHENGRIN in München – gewidmet hat, verlegt die biblische Handlung aus der in der Zeit von Jesus von Nazareth und Johannes des Täufers angesiedelten Stoffes in das 18. Stockwerk eines New Yorker Penthouses der Jetztzeit, wo Superreiche eine mit attraktiven jungen Frauen aufgepeppte Party feiern und, neben Komasaufen, Geld die Welt regiert. Salome ist ein verwöhntes, mit Koks vollgepumptes Girlie, der kein Wunsch abgeschlagen wird. In den Lift des Hochhauses hat sich auch Jochanaan verirrt, ein Gammler, Student an der Columbia-University, an der zuletzt antisemitischer Aktionismus von Ultralinken für Aufruhr sorgte. Der Tetrarch Herodes ist eine Figur, die stark an den neuen, alten amerikanischen Präsidenten Donald Trump erinnert: für wieviel Operninszenierungen wird der in den nächsten vier Jahren seiner Amtszeit herhalten müssen? Mundruczó gestaltet seine Inszenierung aber mit einer schon beklemmend intensiven, zwingenden Personenregie, die Personenführung ist subtil, schreckt auch vor irritierenden Exzessen nicht zurück: die Kindfrau Salome wird von ihrem Stiefvater Herodes brutal im Aufzug während des Schleiertanzes vergewaltigt und der findet das „herrlich“, „wundervoll“: der Regisseur bleibt trotz überbordernder Aktualität und Modernität seiner Inszenierung – die Ausstattung stammt von Monika Korpa, das Licht von Felice Ross – ganz hart am Libretto. Auf zwei Ebenen erzählt die Regie die Geschichte um die traumatisierte, missbrauchte Kindfrau, die sich in dieser Inszenierung sehr wohl darüber bewusst ist, was passieren wird, wenn sie den geilen Patriarchen und Despoten derart auflädt, und am Ende dann doch das erhält, was sie begehrt: zunächst auf einer krassen naturalistischen Ebene des dekadenten Festes, in der letzten Szene nach der Ermordung Johannes des Täufers dann surrealen Ebene gleich einem Film noir, wo ein überdimensionierter Kopf des Propheten auf die Bühne fährt und diese Installation begehbar und bespielbar ist. Diese intellektuell anregende, vielschichtige Inszenierung einer Endzeitgesellschaft, die in wohlstandsverwahrlosender Dekadenz verkommt, bespielt – gekonnt wie überzeugend – gleich drei zeitliche Ebenen: das biblische Palästina um Christi Geburt, das Fin de Siècle um die Wende zum 20. Jahrhundert der Uraufführung der Oper mit der aufkommenden Psychoanalyse Sigmund Freuds und die Zeit der Inauguration Donald Trumps zum amerikanischen Präsidenten 2025. Sarastes französisch angehauchte Nervenmusik und Mundruczós exzessive Übertreibungsszenerie gehen eine gelungene Symbiose ein, sodass echtes, wahrhaftes Musiktheater entsteht.

Die Oper Genf kann auch mit einer hervorragenden, ja exzellenten Besetzung aufwarten. Sämtliche kleinere Rollen sind sehr gut besetzt, lediglich die fünf Juden sollten noch ein wenig an der deutschen Artikulation arbeiten. Ena Pongrac gefällt mit schönem Mezzo als Page der Herodias, Matthew Newlin mit einnehmend schmelzreichem Tenor als Narraboth. Herodias ist nicht als hysterische Keife besetzt: Tanja Ariane Baumgartner singt sie mit jugendlich sinnlichem, vollem Mezzosopran. Herodes ist nicht nur ein neurotischer Perverser: John Daszak verleiht der Rolle des Vierfürsten heldentenoralen Applomb und begeistert mit seiner trumpartigen Darstellung, sodass es überhaupt nicht ins Gewicht fällt, wenn er hin und wieder nicht die richtige Tonhöhe trifft. Baritonal auftrumpfend, mit stimmlich großer Geste, gepaart mit dem Wohlklang des Predigers, gibt Gabor Bretz den Täufer. Höchst attraktiv, mit darstellerischem wie stimmlichem Totaleinsatz, gestaltet Olesya Golovneva die Titelrolle und findet zu einer schon toxischen Studie zwischen der Selbstherrlichkeit einer verzogenen Göre und der Tragik eines missbrauchten Kindes. Ihre Sopranstimme ist exzellent geführt, lediglich in der Mittellage ist hin und wieder unsicheres Tremolieren zu vernehmen, die dramatischen Ausbrüche aber gleichen Leuchtraketen, gehen durch Mark und Bein, provozieren Gänsehaut beim Hörer. Musikdrama vom Feinsten in Genf – zum Hören wie zum Sehen!

Ouragan chez les Trump

Guy Cherqui — WandererSite.com - 29 janvier 2025

source: https://wanderersite.com/opera/salome-a-geneve-ouragan-chez-les-trump/

 

Ces dernières années, et notamment depuis la production désormais culte de Castellucci à Salzbourg en 2018, nous avons vu des Salomé nombreuses, et souvent exceptionnelles, comme à Munich (Warlikowski, 2019) et à Hambourg (Tcherniakov, 2023). Ce sont des productions fascinantes qui feront date.

D’autres sans démériter alimentent la chronique de l’opéra sans vraiment apporter d’idées neuves, ou en ravalant de vieilles lunes sous une couche de modernité ou d’actualité immédiatissime pour faire croire au neuf. C’est un peu le cas de cette nouvelle production genevoise, signée Kornél Mundruczó bien faite, bien réalisée dans d’impressionnants décors de Monika Korpa mais qui n’apporte rien de neuf au niveau conceptuel. Depuis bien avant l’aventure de Salomé, nous savons en effet que richesse, pouvoir et sexe (ou luxure) sont des mots qui vont si bien ensemble, les mythologies en offrent de nombreux exemples. Était-il alors pertinent de mettre en scène un Hérode sous les traits de Trump au sommet d’une tour de Manhattan donnant sur Central Park (comme la Trump Tower…) et reproduisant le bar d’un hôtel de grand luxe que Mundruczó a fréquenté, le Standard High Line Hotel pour donner une nouvelle vérité au mythe ? Était-il si nécessaire de coiffer les juifs de casquettes « MAGA » et de faire du prophète un marginal un peu paumé pour donner à cette histoire une nouvelle vigueur ? Qui peut croire à cette farce ?

Si vocalement la distribution tient la route sans être de celles qui vous époustouflent, musicalement la fosse déçoit malgré la présence sur le podium d’un chef aussi respectable que Jukka Pekka Saraste dont on attendait plus.

Ainsi c’est une soirée de hauts et de bas qui a ouvert cette série de Salomé, On en sort indifférent, pas un instant remué, malgré une dernière image puissante mais qui ne rattrape pas le reste.

 

Le mythe de Salomé est bien plus artistique et littéraire que religieux, et en tant que tel, il permet un large spectre d’interprétations visuelles (du moyen-âge au décadentisme du XIXe) ou littéraires à partir du conte de Flaubert, Hérodias, et de ses déclinaisons théâtrales ou musicales (Massenet ou Strauss).

Le personnage même de Salomé est traité de l’adolescente perverse à la jeune femme blessée et violée dans son enfance (Tcherniakov), ou objet d’un dernier spectacle d’un théâtre juif d’une communauté qui choisit le suicide en pleine deuxième guerre mondiale (Warlikowski). Tout est presque possible.

On ne va donc pas reprocher à Kornél Mundruczó de transposer l’histoire et de l’installer dans une ambiance très contemporaine où pouvoir et richesse impliquent tous les excès de la loi du plus fort.

La transposition est d’ailleurs visuellement réussie, grâce au monumental décor de Monika Korpa, particulièrement détaillé, qui rappelle l’hyperréalisme d’un décor de série Netflix, dans lequel se déroule l’essentiel du drame. Il reproduit le bar du Standard High Line Hotel transféré au sommet d’une tour d’où l’on voit toute la Skyline de Manhattan, et qu’on suppose être un succédané de la Trump Tower dans la mesure où Hérode en costume bleu et cravate orange fait penser directement à qui vous savez.

Le projet de Mundruczó est ensuite de faire basculer le réalisme initial, qui couvre les deux tiers de la représentation vers la représentation mentale, vers le fantasme, vers la montée d’images, grosso modo après la danse des sept voiles, au moment où Hérode est prêt à donner toutes ses richesses pour éviter de trancher la tête de Jochanaan. D’images en images, le décor s’ouvre et disparaît pour laisser apparaître une tête décapitée gigantesque qui constituera l’image finale de la production. On bascule donc d’un réalisme télévisuel à une montée d’images psychanalytiques, dont je ne discute ni la justesse, ni les effets ni la puissance, mais la cohérence avec la première partie.

Mais au-delà de la transposition, il s’agit pour le metteur en scène de lui donner un sens, et surtout d’insérer les événements du drame dans une sorte de nouveau récit, ni tout à fait le même et ni tout à fait un autre qui puisse élargir et préciser notre vision de cette histoire.

Pour Mundruczó qui le déclare dans le programme de salle, « Salomé est l’histoire d’une jeune femme qui n’a jamais été vraiment entendue et qui voudrait finalement tout changer ». Alors il la représente au départ avec son casque, enfermée dans son monde et coupée du monde qui l’entoure et qu’elle déteste.

Il pose ensuite la question d’Hérodias, la mère, qu’il voit plus jeune qu’elle n’est habituellement représentée et de qui Salomé se demande pourquoi elle est avec Hérode… Pour Mundruczó, Hérodias est le modèle « imposé » en quelque sorte à Salomé, un modèle où pouvoir et richesse effacent tout sentiment, toute sensibilité, rendent « froid » en quelque sorte, et qui produisent le comportement suicidaire de la jeune fille.

Mundruczó constate que cette famille est « dysfonctionnelle », reconnaissons que c’est un constat qu’on a fait depuis longtemps, et qu’Hérodias instrumentalise sa fille pour prendre le pouvoir sur Hérode, elle la met pratiquement dans les pattes du Tétrarque.

Que le personnage puisse être tiraillé entre sensualité et désir de pureté, qu’elle puisse utiliser son corps pour séduire d’abord Narraboth, puis le prophète, et les menant chacun à la mort dans des modes différents, fait parler de nécrophilie, de « romantisme morbide », souligne Mundruczó qui finit par souligner que, je cite, « cette dynamique de pression sociale et le rôle imposé aux femmes sont au cœur de l’histoire ».

J’ai voulu reprendre de manière précise les termes de Mundruczó, d’abord parce que ce qu’il dit, non dénué d’intérêt, n’est tout de même pas vraiment neuf : dans un mode plus épuré, la mise en scène d’Ivo van Hove à Amsterdam en 2014 ne disait pas autre chose. Il pense lui donner une évidence nouvelle en nous mettant sous les yeux un Hérode-Trump, comme exemple de la perversion froide du pouvoir et de la richesse, avec son passé louche, un Hérode-Trump qui au sommet de sa Trump-Tower, entend des manifestations d’une populace tout en bas qui pourrait être les indignés de Wall Street de 2011. Mélangeant des strates de l’histoire américaine récente, il fait du prophète une sorte de prise de guerre, sans doute piquée aux manifestants, qu’on a enfermé dans l’ascenseur en attendant mieux.

Dans son texte du programme de salle, il affirme que le Prophète est un personnage « grotesque » et sans idéologie, et sur scène il en fait un paumé, un errant avec sweet à capuche, cheveux longs et qui n’apparaît jamais grotesque, mais plutôt une caricature d’opposant, une sorte d’échantillon de pauvre que la riche société se met sous la dent, comme les cinq juifs avec leur casquette « MAGA » sont des caricatures de trumpistes (il faut évidemment filer la métaphore).

Alors il faut donner à chacun un os à ronger, pour montrer au spectateur qu’on construit une vision cohérente, à défaut d’être nouvelle ou utile. Jochanaan sorti de son ascenseur va assez vite réunir autour de lui les jeunes servantes très court-vêtues qui ne cessent de parcourir la pièce en servant à boire et des amuse-gueule, il va leur servir lui-même l’alcool et leur faire partager les amuse-gueule, c’est sa manière de pratiquer la lutte des classes, à moins que ce ne soit une action mimétique de la cène, le partage du pain et du vin, le dernier partage avant la fin, comme le mouvement du groupe semble l’indiquer (on va encore crier au blasphème…). Ça ne va pas bien loin, mais ça fait profond.

Dans les déclarations de Mundruczò on lit « elle accuse même Jochanaan de voir Dieu mais de ne pas la voir. Elle pense que s’il la voyait, il l’aimerait » et de fait ne pas être regardée par le prophète est une plainte récurrente de Salomé. Nous avons naguère mis en regard ce reproche avec un vers de la Phèdre de Racine, quand elle s’adresse à Hippolyte (Acte II, sc.V)

J’ai langui, j’ai séché dans les feux, dans les larmes :

Il suffit de tes yeux pour t’en persuader,

Si tes yeux un moment pouvaient me regarder…

L’absence de regard dit l’absence d’amour ou de considération, dit l’inexistence. Et c’est aussi de cela que se plaint Salomé.

Mais de manière surprenante, lorsqu’Hérode pendant la danse des sept voiles emporte de force Salomé pour la violer dans l’ascenseur (si si, comme dans les pornos), le prophète esquisse un mouvement (arrêté par les sbires) pour l’aller libérer, ce qui signifie qu’il y a un regard. Cela me paraît à la fois contradictoire et avec le prophète spectral et statufié de l’histoire traditionnelle, et avec le paumé (grotesque) qui ne la regarde pas et qui néanmoins veut aller la sauver…

Le viol justement, dans l’ascenseur où Salomé a écrit au rouge à lèvres, « Stop it » (arrêtez ça), qu’elle réécrira sur son corps à la toute fin de l’œuvre quand elle apparaît dans sa presque nudité (recouverte d’un collant couleur chair sur lequel elle dessine ses seins puis son sexe, terrible provocation…), est une démonstration d’un Hérode violent et violeur, une grosse bête (John Daszak est parfait en grosse bête à grosse voix) et pendant ce temps Hérodias se vautre avec les jeunes hommes qui peuplent la salle, en minirobe ultracourte et en coiffure déliée, comme une jeune fille, sauf qu’elle n’a pas l’âge de son allure, et qu’elle a l’air d’une sorte de maquerelle consommable et ultra-consommée. C’est ainsi que Mundruczó la voit pour montrer que ces gens ultra-riches n’ont pas de morale (il cite aussi dans son texte de programme Elon Musk… qui manque un peu à l’appel dans ce tableau vivant).

Mais le viol de Salomé (allusion aux accusations qui pèsent sur Trump ?) est devenu une sorte de cliché plus ou moins intelligemment travaillé par les metteurs en scène, il est la clef de la Salomé de Cyril Teste dans sa mise en scène viennoise (reprenant vaguement ce qu’il avait fait avec sa production de Festen ) et surtout de la sublime vision de Dmitri Tcherniakov à Hambourg, où Salomé femme-enfant remet en scène son viol par Hérode, enfoui dans le passé de l’enfance dans une danse des sept voiles à la limite du supportable.

Au lieu de vrai théâtre, nous avons droit ici à des mouvements divers qu’on devine acrobatiques dans un ascenseur et à un Hérode-Trump qui remonte son pantalon… laissant sur le corps de la jeune fille une tache de sang, comme celle que portait « structurellement » la robe blanche de la Salomé de Castellucci à Salzbourg… Car ce viol est aussi une défloration…

Comme quoi circule une intertextualité scénique qui n’invente plus rien, mais qui ici ne manque pas son petit effet-frisson. Sans intérêt dans le contexte parce que le viol dans ce cas n’est pas cause structurante (comme chez Teste et surtout Tcherniakov), mais simple épiphénomène, simple illustration d’un Hérode très riche et très méchant… un peu affligeant, un peu simpliste et pour tout dire pas très malin.

À partir de la danse des sept voiles à la chorégraphie accidentée, commence la dernière partie où le registre change. On était dans la série TV, du genre dernier tango à Tibériade, on passe cette fois dans l’image mentale, puisque chaque richesse promise par Hérode à Salomé pour éviter de tuer le prophète devient un objet de plumes et paillettes, de revue de Broadway, avec quelques bonnes idées, comme le bourreau au masque (Tarnhelm ?) vert émeraude qui représente l’émeraude promise, et donc la vision d’un vrai désir de Salomé (de bourreau et pas de pierre précieuse), le défilé de tous les personnages disparus ou qu’on ne voit plus emplumés comme des « valettes »  de revues du Lido (quand il existait) : on reconnaît Narraboth à sa chemise tachée de sang…) avec d’autres visions des désirs de la jeune femme (ou d’Hérode ?), plus grossières, comme une banane gigantesque et scintillante précédée de deux cerises (!!!), bref au fur et à mesure qu’ Hérode évoque de possibles cadeaux compensatoires se construit une sorte de vision où Salomé fait une sorte de revue spectacle, réduisant les montagnes de richesses promises à plumes paillettes et strass de revue de cabaret., autant dire à rien…

Enfin, telle une préparation pour l’exécution, Hérodias commence à raser la tête de Jochanaan, aidée par Salomé, si bien que Jochanaan apparaît chauve avant la scène finale.

Il y a bien sûr l’idée de l’exécution, préparée par les deux femmes qui l’ont exigée, mais comment ne pas voir dans ce geste une allusion à une autre histoire biblique, celle de Samson et Dalila, où Samson perdant sa chevelure (coupée par une femme) perd sa puissance et dans le cas présent, sa nuisance.

Plusieurs éléments contradictoires ou peu explicables dans le contexte apparaissent quand même, dont trois m’interpellent vraiment :

    Dans un tel contexte, le suicide de Narraboth n’est pas vraiment cohérent, chez Trump, on ne s’ouvre pas les veines de manière sanglante (même s’il faut justifier ensuite l’entrée d’Hérode avec le sang qui colle), s’il doit y avoir suicide, au pays des cow-boys et des pionniers, si chers à Trump, un Colt ferait l’affaire… Mais plus encore, dans l’histoire telle qu’elle est vue, ce suicide chez les riches et puissants n’apparaît pas aussi « nécessaire » que dans la vision traditionnelle. Quant au page vu comme femme (et non plus un homme avec la relation trouble qu’il entretiendrait avec Narraboth, encore une perversion de ces maisons trop riches…), on le voit désormais très fréquemment, comme par exemple chez Warlikowski…Encore une fois rien d’original…

    Dans un tel contexte aussi, si ce Prophète est paumé, s’il est grotesque, et s’il ne vaut pas grand-chose on se demande pourquoi Hérode continue à en avoir peur. S’il est prisonnier comme échantillon d’une sous-humanité, sa vie ne devrait pas avoir de valeur…Encore une incohérence à mon avis, et de toute manière toute la vision du personnage de Jochanaan n’a pas été résolue et pose problème.

    Enfin, l’allusion à Samson par l’histoire des cheveux (abondants) qu’on coupe nous renvoie à la Bible, alors que tout ce qui précède voulait justement s’en éloigner… on n’arrive jamais à identifier une ligne dans ce travail, qui paraît aller à saut et à gambades au gré d’une idée ou de l’autre.

Décidément, au-delà du bon fonctionnement théâtral de l’ensemble, d’un décor somptueux et d’une vraie mise en scène travaillée et précise, je n’arrive pas à trouver un intérêt réel à toute la machine mise en place parce que les idées remuées sont ou banales, ou déjà vues, ou contradictoires, ou incohérentes. On touille un peu du vide.

Mais arrive le moment où la tête est tranchée. Le décor s’ouvre, le plateau se vide, et apparaît progressivement une tête décapitée gigantesque, impressionnante, qui va marquer toute la scène finale.

De cette tête décapitée, chauve, aux yeux mi-clos, va sortir du nez comme une morve, comme une vermine, une jambe et peu à peu un corps féminin, et Salomé accompagnée de ses doubles va se mettre à chanter et danser devant ou dans la tête, où les corps minuscules apparaissent comme des vers qui dévorent, comme une vermine qui a eu le dessus et qui dévore maintenant la victime, l’image est particulièrement forte, notamment quand le baiser sur la bouche est en fait un glissement du corps de Salomé en bouche, avec toute les connotations fantasmatiques et sexuelles possibles : cette vision de corps qui sortent de tous les orifices, oreilles, bouche, yeux a une puissance incontestable et c’est la vision et l’idée qu’on retiendra de cette ensemble, image d’une force étonnante à mettre à l’actif du metteur en scène et la production, sans aucun doute.

Mais Salomé, seule avec sa tête chérie, ou même démultipliée, pouvait suffire à nous asséner cette fin et nous impressionner : c’était une vision effrayante et puissante du « dialogue » final de Salomé avec son « stop it » écrit sur le corps.

Mais pourquoi faire sortir de l’oreille Hérode en hauteur, comme une Winnie dans Oh les beaux jours, qui casse la puissante impression finale, tout comme s’extrait aussi Hérodias plus bas. Les voir dans cette scène contredit le dialogue solitaire de Salomé et la puissance de l’image de la rencontre avec la tête et l’effet sur le public. Il eût été plus fort que la voix d’Hérode se fasse entendre sans qu’on voie le personnage. N'importe, en dernière image, elle ressort de la bouche aimée avec le sweet shirt du prophète, qu'elle retourne : il a une doublure blanche et immaculée, elle l'enfile, elle retrouve la pureté.

Ainsi l’impression est donnée que tous les personnages font de la tête du prophète leur monument qu’ils dévorent chacun, comme si chacun avait sa part de chair en décomposition à dévorer, ce peut être vrai d’Hérodias qui a poussé sa fille, mais pas d’Hérode qui a résisté. De plus, cela « monumentalise » un prophète qu’une fois de plus on s’était ingénié à rendre « grotesque ». Or, il est rendu ici à une grandeur presque mystique quand les autres sont réduits à des vers, des insectes, de la vermine. L’idée est juste, elle frappe, mais elle n’est pas forcément (et une fois de plus) cohérente avec ce qu’on avait vu précédemment.

Mundruczò sans aller au contresens comme dans sa Tosca munichoise, n’a pas réussi à trouver une ligne cohérente, passant par des styles très différents, sans qu’on sache vraiment au total ce qu’il veut nous dire. Le travail est précis, notamment avec les chanteurs qu’il dirige très bien sur scène, l’espace est bien structuré, c’est sans contredit un spectacle attentif et particulièrement soigné. Reste à trouver vraiment au service de quelle idée…

 

La direction musicale

On se souvient que Jonathan Nott avait eu des difficultés à nous convaincre de son Elektra. En faisant appel à Jukka-Pekka Saraste, bon spécialiste de Mahler, très bon chef d’orchestre symphonique, on pouvait espérer entendre la luxuriance de la musique et tout particulièrement les couleurs. Malheureusement, cela ne se vérifie que très partiellement. Tout le début notamment est particulièrement terne, lent, sans éclat et ne donne pas du tout l’impression étrange d’une musique aux volutes orientalisantes. À d’autres moments et notamment plus la situation devient dramatique, le chef d’orchestre réussit à imposer une vraie tension et retrouve cette symphonie de couleurs si caractéristique de l’écriture de Strauss. La Danse des sept voiles est à ce titre bien réussie, avec un Orchestre de la Suisse Romande visiblement en confiance avec ce chef qui par ailleurs a soin d’exalter les instruments solistes (les bois notamment toujours de grande qualité). Il reste que l’ensemble manque d’une homogénéité de ligne, d’un certain sens du crescendo et du théâtre, pour tout dire, sauf par instants, de relief. C’est dommage, j’attendais plus de cette rencontre avec un chef particulièrement estimable.

 

Les voix

Du point de vue vocal, la distribution réunie a donné tous les gages de bonne tenue scénique, tous sont particulièrement engagés, vivent parfaitement la mise en scène, et sont très justes dans leurs mouvements et leur expression, on signalera les juifs engagés dans une danse un peu excessive avec leurs casquette MAGA rouge, qui arrivent à bien rendre la confusion, l’inquiétude et la folie pinailleuse qui prend le groupe, qui reflète les innombrables groupes qui discutaient et disputaient à l’époque en Palestine – et que l’arrivée du Christ avait essayé d’unifier, ici, l’aspect « historique » ou « biblique » est gommé au profit d’une vision de « fans » un peu inconditionnels et pas très crédibles, mais vocalement, Michael J.Scott, Alexander Kravets, Vincent Ordonneau, Emanuel Tomljenović et Marc Kurmanbayev, ces deux derniers membres de l’ensemble de jeune, s’en sortent avec tous les honneurs dans une scène qui n’est pas si facile. Mark Kurmanbayev fait entendre sa basse sonore et son timbre chaud aussi dans le premier soldat, avec Nicolai Elsberg (qui est aussi le premier Nazaréen) à la voix pleine de relief aussi. Remi Garin (Deuxième Nazaréen) et Peter Baekeun Cho (Un Cappadocien) complètent sans déparer l’ensemble de ces rôles bien tenus.

Ena Pongrac séduit en page, comme toujours et comme dans tous les rôles qu’on lui confie à Genève. S’ouvre pour elle sans nul doute une carrière à suivre.

Narraboth est considéré par certains ténors comme un petit rôle, ce qu’il n’est pas. C’est un rôle qui doit marquer en tout début d’œuvre, et la voix doit sonner. Et dans le cas de Matthew Newlin, elle sonne si bien qu’on en garde le souvenir d’une des plus belles prestations de la soirée : elle a la projection, la diction, le phrasé et surtout l’expression, c’est un vrai personnage et scénique et vocal, particulièrement émouvant. Une superbe présence.

Tanja Ariane Baumgartner a visiblement pris plaisir à cette vision d’Hérodias un peu à rebours des visions traditionnelles d’un personnage vieilli, plein de breloques, une sorte de Clytemnestre à l’orientale (je me souviens de la production viennoise de Boreslaw Barlog). Avec sa robe très mini et sa coiffure, elle personnifie à merveille la « fausse jeune » et vraie perverse, genre nympho sur le retour. Incontestable personnage qui remplit la scène à peine elle se déplace, elle sait ce qu’expression veut dire, avec un texte ciselé, mais jamais jusqu’à la caricature comme certaines Hérodias, elle garde une certaine tenue, une certaine grandeur, et son incarnation est particulièrement réussie, avec un sens musical aigu et une impeccable diction, comme d’habitude.

Hérode est John Daszak. Pour cet Hérode-Trump, il n’est pas mal distribué, car on ne lui demande pas d’être le ténor de caractère que peut être Hérode aux mots sculptés, aux couleurs multiples, aux expressions sans cesses changeantes. Non, il est un hurleur, linéaire, sans expression, sans couleur, chantant bien trop fort, à la limite du désagréable. C’est un chanteur qui ne sait jamais colorer un texte, au chant monochrome qui n’arrive jamais à incarner vocalement, et ici Urlando furioso…

Si Gábor Bretz n’est pas a priori mon Jochanaan de l’île déserte, il m’avait beaucoup déçu à Salzbourg, sa prestation genevoise est plus réussie. Il m’a d’ailleurs très récemment particulièrement plu dans Vodnik, l’esprit des eaux dans la Rusalka napolitaine (production Tcherniakov) et ici, malgré le personnage peu dessiné qu’on essaie de lui faire jouer, il a une vivacité, une humanité, une puissance vocale jamais monolithique qui séduit et impressionne. Son incarnation est une réussite, avec une belle diction et une manière de dire le texte, très clairement particulièrement appréciable. Il y a dans l’intelligence des personnages qu’il incarne un vrai saut qualitatif depuis quelques temps.

Pour Olesya Golovneva, Salomé est une prise de rôle et on mesure pour une chanteuse le défi scénique et vocal que cela représente. C’est pourquoi il y a fort à parier que le personnage mûrira vocalement avec le temps.

Scéniquement elle est incroyable d’engagement, sans limites physiquement et elle ose tout ce qui est possible : elle est vraiment impressionnante dans son incarnation, chapeau bas. Vocalement, c’est moins convaincant.

D’abord la voix n’a pas l’assise voulue, insuffisamment large, et l’engagement physique l’empêche quelquefois de bien projeter, si bien qu’on ne l’entend pas toujours. Les aigus sont présents, jamais éludés, mais pas forcément tenus, pas forcément puissants.

Ce qui pèche c’est surtout la phrasé et la diction. Elle pourrait à l’instar d’une Marlis Petersen compenser le manque de volume par une science du dire, une projection qui permette de faire entendre les mots. Mais on ne comprend rien : c’est incontestablement le choc des photos, parce qu’elle est juste et belle en scène, mais sûrement pas le poids des mots, parce que le texte n’est ni distillé, ni ciselé, ni prononcé… Beaucoup de travail en perspective.

Au total une soirée très hétérogène, qui ne convainc pas, mais qui ne laisse pas forcément un mauvais souvenir, simplement de l’indifférence et un peu de perplexité ; une Salomé est passée, une autre viendra.

Vienne la nuit, sonne l’heure

Les Salomé s’en vont, je demeure.

(D’après Apollinaire…)

SALOME à Genève

Emmanuel Andrieu - classiquenews.com – 28 janvier 2024

source: https://www.classiquenews.com/critique-opera-geneve-grand-theatre-du-22-janvier…

 

Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Familier des metteurs en scène les plus sulfureux du moment, Aviel Cahn fait revenir au Grand-Théâtre de Genève – après sa décoiffante “Affaire Makropoulos” en 2020 -, le trublion hongrois Kornél Mondruczo, pour une lecture toute aussi “hors-piste” de la Salomé de Richard Strauss.

De fait, nul Judée antiquisante ici, mais l’étage cossu d’un building new-yorkais, qui s’avère être la Trump Tower, ce que nous révèle l’arrivée pétaradante d’un Hérode grimé en Donald Trump, coiffure similaire et cravate orange à l’appui, tandis que ses patibulaires acolytes portent des casquettes rouges où s’affichent des “MAGA” (Make America Great Again) !… En contrebas, des manifestants crient leur mécontentement, auxquels les sbires de Hérode/Trump et les nombreuses escort-girls qui les accompagnent prêtent parfois l’oreil… entre deux lignes de coke et quelques rasades de whisky ! Salomé ressemble aux girls, en affichant la même vulgarité, tandis que Iokanaan est attifé comme un gaucho de base, confiné dans un ascenseur qui lui sert de prison, et dans lequel Hérode culbutera de la plus violente façon Salomé après qu’elle ait effectué la fameuse Danse des 7 voiles… Après le viol de l’héroïne, la scène passe de la violence à la folie, et l’on assiste à une bacchanale de notre temps, avec des objets symboliquement phalliques qui tombent des cintres, images cependant bien moins impressionnantes que l’étonnante scène finale où émerge progressivement, dans le noir depuis le fond de scène, la tête tranchée en format géant de Iokanaan. Salomé et ses sœurs de souffrance en sortent par tous les orifices (nez, bouche et même ses oreilles…), en se livrant à des contorsions à la fois morbides et lascives…

La soprano ruse Olesya Golovevna s’empare du rôle-titre avec une présence exceptionnelle. La voix n’est pas en reste, claire, admirablement projetée, qui restitue toute la monstruosité de cette femme-enfant et sait s’autoriser des raucités vulgaires (avec quel mépris elle énonce les syllabes de « Tetrach ! »). Elle forme en plus un couple d’une séduction irrésistible avec le magnifique Iokanaan de la basse hongroise Gabor Bretz, au chant plein de charisme et de grandeur, malgré son ridicule accoutrement. De son côté, le ténor britannique John Daszak, aussi excellent acteur que chanteur, campe un Hérode à la voix superbement projetée, tandis que le personnage de Hérodiade trouve dans la mezzo allemande Tanja Ariane Baumgartner une interprète de haute volée, aux moyens amples et au timbre chaud. Loin de la traditionnelle harpie dans laquelle nombre de metteurs en scène enferment volontiers le rôle, elle dessine une Hérodiade terriblement humaine dont la voix révèle sans cesse la détresse. Matthew Newlin est tout simplement superbe dans le rôle de Narraboth, tandis que la mezzo Ena Pongrac se montre très convaincante dans la tessiture du Page.

Excellente, enfin, la direction musicale du chef finlandais Jukka-Pekka Saraste qui sait souligner les sortilèges et les luxuriances de l’orchestration, ainsi que ses contrastes entre pur lyrisme et dramatisme exacerbé. Sans jamais laisser retomber la tension, le jeune chef allemand parvient à ne jamais couvrir les voix, ne déchaînant un Orchestre de la Suisse Romande, magnifique de cohésion et de clarté, que dans les séquences instrumentales ou les imprécations de Iokanaan.

Salomé dans la Herod Tower

David Verdier – Altamusica.com – 27 janvier 2025

source: http://www.altamusica.com/concerts/document.php?action=MoreDocument&DocRef=7447…

 

Le Grand Théâtre de Genève présente une Salomé délocalisée dans le New York contemporain, impressionnante scénographiquement mais au fil dramaturgique assez étroit. Gábor Bretz et Tanja Ariane Baumgartner triomphent en Iokanaan et Hérodiade, tandis que la Salomé d’Olesya Golovneva et la direction de Jukka-Pekka Saraste déçoivent.

Kornél Mundruczó déplace le drame biblique au sommet d'un immeuble dont on comprend très vite qu'il s'apparente à la Trump Tower de New York lorsqu'on voit le célèbre propriétaire des lieux débarquant en costume bleu et cravate orange, entouré de ses partisans en casquettes rouges MAGA. De la rue montent les protestations d'une foule d'opposants que cet aréopage de nouveaux riches observe par les fenêtres en vidant des whiskys au milieu d'un salon au luxe aussi faux que tapageur.

Hérodiade promène une vulgarité plus appuyée que son personnage-référence tandis que la figure de Iokanaan renvoie à la fois aux hobos vagabonds et militants gauchistes. Ni sa dégaine ni surtout son arrivée en ascenseur ne justifient la fascination que le personnage exerce sur Salomé. Plus prévisible, la dénonciation de la conduite libidineuse d'Hérode conduit à des codes symboliques qui font éclater de façon spectaculaire le cadre du décor après une Danse des sept voiles où l'on devine que l'héroïne mûrit déjà sa décision de se venger de celui qui passe à l'acte et devient son agresseur sexuel.

Ce sacrifice transformateur déclenche un basculement dans la folie symbolique, depuis les suspensions de fruits-objets phalliques géants jusqu'à la tête tranchée du prophète – reproduite avec un réalisme et à une échelle impressionnante sur la scène du Grand Théâtre. Salomé et ses doubles sortent par les orifices de cette dépouille morbide, traçant sur leurs corps nus le mot STOP en référence aux coups d’éclat des activistes russes FEMEN.

Le plateau est dominé par l'Hérodiade fulminante et hallucinée de Tanja Ariane Baumgartner, qui donne une véritable leçon de phrasé et de projection à un John Daszak (Hérode) concentré dans sa posture de clown sinistre mais aboyant aux limites du supportable. Gábor Bretz retrouve le personnage de Jean-Baptiste qu'il connaît parfaitement depuis les festivals d'Aix et de Salzbourg, prêtant au prophète biblique un instrument sonore et très dense.

Pour sa prise de rôle en Salomé, Olesya Golovneva fait mieux que démériter mais la voix trahit une grande nervosité sur les montées dans l'aigu, avec une endurance parfois prise en défaut malgré l'évidence de l'engagement. On citera également la toujours excellente Ena Pongrac (le Page d’Hérodiade) et le convaincant Matthew Newlin (Narraboth).

La direction assez monolithique de Jukka-Pekka Saraste peine à maintenir les équilibres de l'Orchestre de la Suisse Romande en faisant notamment des cordes un élément somme toute assez neutre du discours harmonique, tandis que les cuivres écrasent souvent les premiers plans, contraignant le plateau à hausser artificiellement le volume.

SALOMÉ ou la masculinité toxique

Julian Sykes – Le Temps - 27 janvier 2025

source: https://www.letemps.ch/culture/musiques/salome-ou-la-masculinite-toxique-un-ope…

 

A Genève, le metteur en scène hongrois Kornel Mundruczo transpose le mythe de «Salomé» à l’ère de Donald Trump en forçant un peu le trait de la corruption, au prix de certaines incohérences. C’est intrigant, mais pas entièrement réussi

Salomé, c’est le mythe d’une adolescente au sein d’un milieu familial toxique, maltraitée par sa mère Hérodias et victime de la violence d’un mâle prédateur – son beau-père Hérode, roi de Judée. Sa féminité est ressentie comme néfaste, vénéneuse. Elle affole les libidos des hommes, et après avoir exécuté la «danse des sept voiles» pour satisfaire son Hérode, elle lui réclame la tête de Jochanaan (le prophète saint Jean-Baptiste) sur un plateau d’argent, afin de baiser sa bouche si désirable. Un épisode biblique teinté de sexualité morbide, repris par l’Irlandais Oscar Wilde dans sa fameuse pièce de théâtre Salomé, originalement écrite en français, et que le compositeur Richard Strauss a adaptée à l’opéra dans une traduction allemande de la poétesse Hedwig Lachmann.

Or, au Grand Théâtre de Genève (GTG), le metteur en scène hongrois Kornel Mundruczo contourne le mythe pour l’actualiser. Il transpose l’action au sommet d’une tour – qui pourrait être la Trump Tower – dans la skyline new-yorkaise, à l’ère des multimilliardaires corrompus, des golden-boys et des jeunes femmes abusées. Sans vraiment choisir, il opte pour un double traitement d’abord hyperréaliste, puis soudain surréaliste. Il dénonce une masculinité toxique qui a pris le pas sur les vraies valeurs morales. Salomé prend sa revanche sur les hommes; elle leur rend la monnaie de leur pièce en demandant la décapitation de Jochanaan, ce qui en fait une adolescente rebelle et irrecevable.

La majeure partie du spectacle se déroule dans un bar chic et clinquant où l’on boit beaucoup, où l’on se touche les uns les autres et d’où se font entendre parfois des manifestations de l’extérieur. Hérode est représenté sous les traits de Donald Trump, cheveux blond platine, costume bleu marine, cravate orangée. Le prophète Jochanaan est un contestataire anticapitaliste, aux cheveux longs filasses et aux baskets sales, enfermé dans la cage d’un ascenseur, qui pousse un cri au moment où Salomé est violée par son beau-père – un choix du metteur en scène. Salomé, au corps menu, est une sorte de femme-enfant qui se réfugie parfois sous son casque pour écouter de la musique. Les juifs portent des casquettes rouges munies du sigle MAGA (Make America Great Again), et dans la scène où Hérode essaie de contenter Salomé par des bijoux, ceux-ci sont des objets kitschissimes, aux allusions sexuelles marquées, dans une esthétique à la Jeff Koons assez déjantée.

Evidemment, il est très tentant de vouloir faire un parallèle entre le monde corrompu des multimilliardaires et celui du palais d’Hérode, qu’on imagine envahi de richesses et grouillant d’intrigues souterraines. Mais l’agitation sur le plateau et les caractères dessinés de manière un peu superficielle ne suffisent pas à développer un propos cohérent de bout en bout. Difficile de croire aux imprécations de Jochanaan qui perdent de leur portée spirituelle. Au fil du récit de Salomé, le contexte extérieur est relativement secondaire par rapport aux pulsions qui minent de l’intérieur les personnages de la pièce d’Oscar Wilde adaptée à l’opéra. L’avidité du pouvoir, l’inceste, le désir morbide confondu avec l’extase sexuelle, les mouvements de l’inconscient sont des choses complexes à mettre en scène: le mythe sera toujours plus fort que la réalité. Et l’on passe en l’occurrence un peu à côté du mythe.

Voilà pourquoi le plus beau, c’est l’apparition de la tête monumentale de Jochanaan dans la seconde partie, qui bascule dans le surréalisme. La scène s’ouvre, et progressivement se détache du plateau noir cette tête aux yeux éteints. Peu à peu, des femmes en collants de chair, la plupart exhibant leur poitrine nue, sortent des cavités de la tête, narine, bouche, paupière, etc. Hélas, le ballet de ces femmes-objets finit par lasser. Mais le mot de la fin revient à Salomé et ses sept autres doubles, qui refuse la mainmise des hommes sur leurs corps. Elles ont inscrit au feutre sur leurs torses et leurs jambes: «Stop it», comme Salomé auparavant dans la cage de l’ascenseur. Un acte de résistance pour dénoncer la violence des mâles prédateurs. Du reste Salomé et ses sœurs – appelons-les ainsi – ne mourront pas à la fin comme le veut le dénouement de l’opéra: elles resteront debout face au public.

Côté orchestre, l’Orchestre de la Suisse romande déroule de très belles couleurs musicales. Le chef finlandais Jukka-Pekka Saraste obtient des textures soyeuses et moirées des cordes, mettant en relief les magnifiques motifs à la petite harmonie, et laissant exploser les cuivres quand il le faut. Il veille à ne pas couvrir les chanteurs, à commencer par la Salomé d’Olesya Golovneva, qui n’a pas l’envergue vocale du rôle et qui est gênée aux entournures, mais dont l’incarnation théâtrale est admirable. On la sent à son meilleur dans la scène finale, où elle gère ses atouts et ses limites. Gabor Bretz est un puissant Jochanaan, au timbre riche, à la diction excellente. Meilleur acteur que chanteur, le ténor John Daszak se heurte aux difficultés du rôle d’Hérode, poussant des aigus pas toujours justes. Matthew Newlin fait ressortir le désir de Narraboth pour Salomé, et le reste de la distribution est globalement bon. Une production qui fait réfléchir, donc, même si elle ne rend pas pleinement justice à la richesse du mythe.

SALOMÉ et la fascination vénéneuse

José Pons – Olyrix.com – 26 janvier 2025

source: https://www.olyrix.com/articles/production/8057/salome-strauss-grand-theatre-ge…

 

Salomé de Richard Strauss s’offre un retour sans concession et qui tétanise, dans la mise en scène du cinéaste hongrois Kornél Mundruczó, sous la baguette du chef finlandais Jukka-Pekka Saraste.

Bien connu désormais du public du Grand Théâtre de Genève sur les planches duquel il a mis en scène L'Affaire Makropoulos de Janáček, Sleepless de Peter Eötvös, Voyage vers l'espoir de Christian Jost, Kornél Mundruczó récidive avec une Salomé délibérément contemporaine et pleinement ancrée dans l’actualité.

Le rideau s’ouvre sur un décor unique, vaste bar à la mode situé en étage au sein d’un building newyorkais, avec ses assises confortables, ses hôtesses court-vêtues et sa clientèle faussement chic, mais comme déjà passée de mode. Dans ce lieu où l’alcool coule à flots, un Hérode avatar de Donald Trump, avec ses cheveux mordorés, sa cravate orange et sa dégaine reconnaissable entre toute (comme les casquettes de ses acolytes), tient salon en compagnie de son épouse Hérodias qui, se croyant toujours jeune et désirable, tente d'aguicher avec persistance les mâles en présence.

Salomé, casque sur les oreilles, s’ennuie ferme dans cette ambiance décadente et faussement réjouissante. Les cris et clameurs de la foule -un brouillard d’hommes- qui manifeste en bas de l’immeuble à plusieurs reprises au cours de la représentation, n’affectent en rien l’humeur des participants à cette soirée glauque, bien au contraire.

Mais tout change, en premier lieu pour la Princesse Salomé, lorsque la voix de Jochanaan résonne depuis l’ascenseur où il est enfermé. Salomé, fascinée par ses imprécations et ses révélations n’a de cesse de le contempler de près, de le toucher même. Avec une habileté diabolique, elle vampirise et séduit de façon lascive le jeune chef des gardes, Narraboth, amoureux transi de la Princesse et lui-même d’une beauté toute singulière tel que le souligne Hérode. Mais l’intérêt de Salomé se porte ailleurs et s’exacerbe à la vue du Prophète. Narraboth épouvanté se noie dans l’alcool, puis s’ouvre les veines devant une Salomé indifférente.

La confrontation entre le prophète Jochanaan (Jean-Baptiste), sorte de va-nu-pieds hirsute doté de cheveux longs filasses, et Salomé, femme-enfant qui obtient habituellement tout ce qu’elle demande, prend une dimension parasismique que transcendent les deux interprètes (Gábor Bretz et Olesya Golovneva). Pour enfin parvenir à ses fins, Salomé accepte de danser devant le Tétrarque et les courtisans présents, tout en imposant la présence de Jochanaan (menant à se demander alors pour qui elle danse réellement). Salomé revêtue d’une longue robe vaporeuse, se prépare à l’épreuve en sniffant la poudre qu’un garde lui offre, en buvant un breuvage réconfortant au goulot avant d’entamer une danse onduleuse et tentatrice, puis de se retrouver en body sur lequel elle dessine ses deux seins et son pubis.

Hérode n’y tenant plus l’entraîne violemment vers l’ascenseur. Et lorsqu'il lui propose de lui offrir (plutôt que la tête du prophète) le bien le plus précieux, le voile du saint des saints, les juifs et les nazaréens présents totalement avinés et aux ordres ne se récrient même pas, se lançant même à sa suite dans une sorte de pas de danse ridicule. Elle persiste, plus que jamais forte et obstinée. Aidée de sa mère Hérodias, elle scalpe même la tête du Prophète. Lorsqu'Hérode cède, le décor s’ouvre en deux et disparaît en coulisses. Salomé restée seule dans la pénombre guette avec anxiété les bruits de la décollation de Jochanaan. Peu à peu, la tête immense du Prophète se dessine puis s’impose mortifère au centre de la scène. Émanant de ses cavités, des doubles de Salomé esquissent une danse morbide, un peu comme des vers sur un fruit trop mûr. Salomé peut alors baiser les lèvres de ce fruit jusqu’alors défendu dans une ivresse qui dépasse l’entendement.

La mise en scène, nette et précise, sans concession certes mais passionnante de bout en bout prouve qu’une approche moderniste d’un ouvrage lyrique est possible sans pour autant dénaturer le propos ou le ramener essentiellement à son propre vécu. Il faut dire que l'équipe entière œuvre pleinement au résultat, Monika Korpa pour la forte scénographie et les costumes, Felice Ross pour les lumières toujours en parfaite adéquation, Kata Wéber pour la dramaturgie essentielle et Csaba Molnar pour la chorégraphie aboutie.

Dans le rôle-titre et pour une prise de rôle, la soprano d’origine russe Olesya Golovneva fait forte impression. Si la voix ne possède pas tout à fait la largeur d’autres interprètes actuelles de Salomé -comme Elza van den Heever ou Lise Davidsen entendues récemment à l’Opéra Bastille-, Olesya Golovneva offre un portrait alliant la fraîcheur des moyens exposés et l’intensité déployée. L’aigu s’avère aisé et totalement ancré, le timbre séduisant et le soutien constant. Pour autant, elle déploie des graves bien assis et une palette de couleurs qui trouve son acmé lors de la périlleuse scène finale, qu’Olesya Golovneva traverse avec une facilité, tant vocale que scénique, déconcertante.

Gábor Bretz pour sa part, habitué du rôle du Prophète, déploie un matériau vocal impressionnant et une plénitude de chaque instant qui irradient le personnage. L’intense projection vocale n’occulte en rien chez lui le sens de la ligne ou le respect du legato, trop souvent négligé par d’autres chanteurs dans ce rôle particulier.

Lui aussi fidèle au rôle d’Hérode depuis de longues années, John Daszak parvient encore à surprendre par le portrait concupiscent et décadent qu’il parvient à insuffler à ce personnage grinçant, tant au travers de sa prestation vocale que par sa présence scénique qui frise la caricature, mais demeure diablement redoutable. Tanja Ariane Baumgartner campe une Hérodias un peu en retrait, comme déjà ancrée dans un autre monde. Matthew Newlin rayonne en Narraboth à la voix fière et d’une belle clarté, tandis qu’Ena Pongrac lui donne une très juste réplique en page d’Hérodias de son mezzo velouté.

Les deux soldats incarnés par les basses Mark Kurmanbayev et Nicolai Elsberg remplissent leurs rôles en participant avec efficacité et justesse à la grande scène d’ensemble si délicate à ajuster au plan musical. Ils sont accompagnés dans cette tâche complexe par les ténors solides Michael J. Scott, Alexander Kravets, Vincent Ordonneau, Emanuel Tomljenović et Rémi Garin, ainsi que par le baryton-basse Peter Baekeun Cho en cappadocien.

Salomé vient confirmer un moment décisif où l’opéra prend désormais plus de place dans le répertoire du chef finlandais Jukka-Pekka Saraste. Sa direction en clair-obscur tantôt enflammée tantôt plus irisée, mais toujours pleinement attentive à ne pas couvrir les chanteurs ou à les bousculer, s’appuie sur les qualités intrinsèques de l’Orchestre de la Suisse Romande avec ses cordes soyeuses, sa rutilance maîtrisée, ses subtilités qui occupent l’ensemble des pupitres de cette grande phalange de tradition.

Cette soirée, certes exigeante et dérangeante sur bien des aspects, est toutefois vivement saluée par le public du Grand Théâtre de Genève.

SALOME, ou le vice chic new-yorkais

Stéphane Lelièvre - premiereloge-opera.com - 26 janvier 2025

source: https://www.premiereloge-opera.com/article/compte-rendu/production/2025/01/26/s…

 

Le réalisateur Kornél Mundruczó situe sa Salome dans un hôtel chic new-yorkais, et centre sa vision de l’œuvre sur les relations toxiques entre les personnages : une lecture qui convainc le public, portée par une interprétation musicale de qualité.

Après Le Château de Barbe-Bleue ou L’Affaire Makropoulos, Kornél Mundruczó revient à l’opéra avec Salome. Sensualité, sexualité, relations familiales tendues voire toxiques : a priori, le chef-d’œuvre de Richard Strauss correspond bien à la sensibilité et aux préoccupations ou obsessions du réalisateur hongrois – et l’accueil chaleureux réservé au spectacle à l’issue de cette deuxième représentation au Grand Théâtre de Genève semble le confirmer.

Il n’y a bien sûr, dans cette relecture, ni Judée, ni tétrarque, ni tensions religieuses autour de la venue annoncée du Messie. L’histoire est transposée dans un hôtel chic new-yorkais : nous sommes entre gens de la haute société, et la mise en scène de  Kornél Mundruczó donne surtout à voir la violence et l’amoralité de leurs relations, uniquement régies par leur quête de l’argent et du pouvoir (pouvoir social en tant que domination d’une caste, celle des gens aisés, sur les gens modestes ; pouvoir psychologique, Salomé, Hérode et Hérodias essayant tous à leur façon de manipuler telle ou telle personne en utilisant leurs failles, leurs fragilités).

Une direction d’acteurs travaillée, mais aussi le fait d’avoir fait de Jochanaan un marginal aux propos particulièrement dérangeants dans cet univers capitaliste aux règles intangibles rendent le propos convaincant. Le spectacle offre par ailleurs quelques tableaux particulièrement forts : le suicide de Narraboth, la danse des sept voiles, fort bien interprétée par Olesya Golovneva, la scène finale, avec l’immense tête de Jochanaan reposant sur le sol et de laquelle sortent  (par les narines, les yeux, la bouche) divers avatars de Salomé ; ou encore le viol de Salomé par Hérode, et la scène où la princesse  scalpe, littéralement, Jochanaan. Pour respecter la règle de la bienséance qui est celle du public du XXIe siècle, la scène du viol reste bien sûr invisible du public (seule une tache de sang sur le collant portée par la chanteuse en témoigne) ; mais la torture infligée à l’homme est exhibée longuement, minutieusement, à l’avant-scène.

Deux scènes certes choquantes, mais après tout, le but premier de Salome, un opéra donnant à voir le désir lubrique et incestueux d’un vieillard, la décapitation d’un homme, une jeune fille animée de pulsions nécrophiles, la mise à mort d’une femme broyée sous des boucliers, n’est-il pas avant tout de heurter, frontalement, le public ? C’est finalement moins le caractère choquant de ces scènes que leur signification qui, selon nous, pose question. Le texte d’Oscar Wilde est en effet l’un des rarissimes livrets d’opéras faisant des femmes non pas des victimes (Salomé est bel et bien mise à mort à la fin de l’œuvre, mais elle a auparavant, continûment, dominé les hommes, soit en les faisant chanter grâce à son pouvoir de séduction, soit en les faisant exécuter) mais des êtres de pouvoir : elles s’y font les égales des hommes jusque dans certains traits de caractère détestables  (lubricité, insensibilité, goût du pouvoir, violence gratuite, incapacité à comprendre que « quand c’est non, c’est non ! ») que les librettistes d’ordinaire réservent exclusivement au sexe masculin. Or en faisant de la princesse de Judée la victime d’un viol (comme dans la récente mise en scène de Lydia Steier à Bastille), la décapitation de Jochanaan peut être perçue comme une forme de vengeance, non pas contre Jochanaan, « coupable » d’avoir refusé les avances insistantes et déplacées dans leur insistance de Salomé, mais contre les hommes en général, et se trouve presque, en quelque sorte, « justifiée ». Le geste terrible de la princesse perd ainsi selon nous beaucoup de sa force, laquelle réside précisément dans le mystère indéchiffrable d’une cruauté extrême et gratuite.

Musicalement, le succès est avant tout celui de l’orchestre de la Suisse romande, vraiment superbe de coloris, de précision, de dramatisme, et du chef Jukka-Pekka Saraste : obtenant des musiciens une pâte sonore d’une densité remarquable – sans que les détails de l’orchestration s’en trouvent pour autant écrasés, ni la projection vocale des chanteurs mise en difficulté –, il remporte aux saluts finals un grand succès amplement mérité.

C’est la première fois que nous entendions Olesya Golovneva : on lit dans le programme que la soprano a à son répertoire les rôles de Violetta, Lucia ou Konstanze, ce qui ne laisse pas de nous surprendre tant sa voix semble solidement ancrée dans le bas de la tessiture,  avec un médium et un grave particulièrement fermes (superbe « Und das Geheimnis der Liebe ist grösser als das Geheimnis des Todes » lors de la scène finale). De fait, la voix est ample, pulpeuse, projetée avec facilité si ce n’est dans quelques aigus, qui plafonnent parfois un peu ou flirtent avec la justesse (« nichts in der Welt ist so weiss wie dein Leib »). L’articulation se fait par ailleurs parfois un peu cotonneuse, insuffisamment incisive dans le haut du registre. Mais l’investissement vocal et physique de l’artiste force l’admiration, d’autant qu’il s’agit là d’une prise de rôle. Son Jochanaan est un admirable Gábor Bretz. Que ceux qui n’avaient pas été entièrement  convaincus par son Don Quichotte à Bastille l’écoutent dans le répertoire allemand : il convient décidément remarquablement à ce baryton-basse hongrois, dont nous avions déjà apprécié le Wotan à la Monnaie de Bruxelles. La voix est longue, ample, l’accent noble et autoritaire comme il se doit dans les imprécations lancées contre la cour de Judée en général et Hérodias en particulier. Autour d’eux gravite une solide équipe de chanteurs : Hérode est campé par John Daszak dont la voix, claire et légèrement trompétante est, dans ce rôle, fidèle à une certaine tradition. Hérodiade (Tanja Ariane Baumgartner) en revanche surprend par la jeunesse de sa voix et de sa silhouette, renouvelant considérablement notre perception du personnage. Des seconds rôles se distinguent notamment l’émouvant Narraboth de Matthew Newlin, impeccable vocalement, et les excellents page d’Ena Pongrac, premier soldat de Mark Kurmanbayev et deuxième soldat de Nicolai Elsberg.

À  la fin du spectacle, Salomé et ses doubles, face au public, écrivent au feutre sur leur corps un sibyllin « STOP » : stop aux violences faites aux femmes ? Aux décapitations d’hommes ? À la concupiscence des vieillards libidineux ? Aux mères dépourvues de morale ? À moins que ce mot ne signe tout simplement la fin de la représentation… mais pas du spectacle, qui se donnera au Grand Théâtre jusqu’au 2 février !

Une Salomé qui tient tête

Elodie Martinez – opera-online.com – 24 janvier 2025

source: https://www.opera-online.com/fr/columns/elodie/une-salome-qui-tient-tete-au-gra…

 

Pour ce début d’année, le Grand Théâtre de Genève offre à son public une œuvre qui n’avait plus foulé ses planches depuis la saison 2008-2009, Salomé de Strauss. Pour ces retrouvailles, la maison a fait appel à un nom déjà connu des habitués, à savoir Kornél Mundruczó – qui a déjà signé in loco Sleepless, L’Affaire Makropoulos, ou encore Voyage vers l’Espoir dont nous rendions compte en 2023. Ici, selon le programme de salle, le metteur en scène « éclaire Salomé d’un jour contemporain que la psychanalyse ne renierait pas. En guise de palais galiléen, lieu de stupre et de pouvoir, (il) installe les personnages dans le faste perverti du bar d’un hôtel chic, dominant la skyline d’une Babylone de luxe ». Le tout pour un message qui interroge.

Le décor – signé Monika Korpa – est assez efficace dans sa transposition, aidé du jeu des acteurs qui prennent soin de regarder en contre-bas lorsqu’ils sont à la fenêtre, afin de confirmer la hauteur de l’étage auquel ils se trouvent. Le plateau offre plusieurs niveaux, ce qui permet également de jouer sur les hauteurs et d’occuper l’œil ainsi que l’espace de différentes façons. Il fallait bien cela, dans cette unicité de décor qui, autrement, aurait pu lasser. Le fond du bar, côté cour, de même que les longues banquettes en devant de scène, permettent à quelques saynètes de prendre vie afin de créer un mouvement visuel tout aussi fugace et souvent futile que semblent être ces existences dans l’œuvre. On bouge, on s’agite sans que cela ne soit utile : le privilège du pouvoir repose bien souvent sur l’air qu’il ne cesse de brasser.

La geôle de Jochanaan est ici davantage une sorte d’ascenseur dans lequel il demeure enfermé, permettant d’entendre sa voix résonner particulièrement. Ce même lieu, fermé derrière une porte dont un hublot laisse toutefois voir l’intérieur, sera également le lieu du viol de Salomé que l’on voit sans réellement le voir, allant bien plus loin qu’une simple suggestion. La Danse des sept voiles n’en est plus une. Difficile d’ailleurs de dire ce qu’elle est : si Salomé arrive bien dans un nouveau costume, qui n’a plus rien d’adolescent mais expose au contraire ses formes et sa sensualité de femme, elle ne danse pas pour autant – ou du moins bien peu. Elle s’agite, et sa mère finit la danse. La page musicale, pourtant toujours très attendue et d’une beauté atemporelle, semble ne servir que de fond sonore à une intrigue qui se poursuit. Difficile de voir une séduction particulièrement appuyée. Non pas qu’elle ne soit pas présente, mais elle n’est pas aussi exacerbée que ce que l’on pourrait s’y attendre. Ici, les femmes sont des objets, mais les hommes aussi : lorsque Hérodes énumèrent ses richesses, ce sont des hommes masqués, déguisés, qui apparaissent et prennent la pose.

La grande trouvaille de la scénographie est probablement l’ouverture du décor unique démantelé en trois parties (de chaque côté et le plafond) afin de livrer la scène nue et noire, plateau géant sur lequel repose la tête immense du prophète. Le travail de Monika Korpa est incroyable : aidé des lumières de Felice Ross, celle-ci est d’un réalisme désemparant et s’avance lentement, couchée sur le côté, dans un mouvement presque irréel. On se demande même durant les premières secondes s’il s’agit d’une projection en trois dimensions ou d’un vrai décor. Plusieurs femmes, habillées seulement de boxers ou culottes couleur peau (à l’exception d’une en combinaison chair) finissent par sortir du nez, de la bouche, de l’oreille et de l’œil fermé. Ces sortes de doubles de Salomé l’entourent et évoluent à ses côtés durant son monologue final. Puis elles rentrent dans cette tête, d’où apparaissent ensuite Herodes et Herodias pour la condamnation à mort. Une condamnation apparemment sans effet, Salomé se rebellant jusqu’au bout, ses doubles la rejoignant à nouveau et s’écrivant sur la peau « Stop ». Un « stop » qui fait écho à celui inscrit avec un rouge à lèvre sur le miroir de l’ascenseur par l’héroïne un peu plus tôt dans la soirée.

Néanmoins, on s’interroge : « stop » à quoi ? Aux violences faites aux femmes ? A leur exploitation ? A ce pouvoir sale et immoral ? A la luxure et à l’excès dans tous ses états ? Le message n’est pas vraiment clair.

Olesya Golovneva se livre ici bec et ongles dans sa première Salomé. Entre allure désabusée adolescente et folie capricieuse, on assiste au démantèlement psychologique d’une jeune femme victime de tous les excès, tant les siens que ceux de sa famille. « Perchée », au sens propre comme au figuré dans cette haute tour, elle paraît à mille lieux de la réalité et bascule petit à petit dans sa folie obsessionnelle. Une obsession qui, bien qu’elle soit présente dès que résonne la voix du prophète, prend des allures d’ivresse quand avance la pièce. Elle ne s’adonne pourtant pas particulièrement aux débauches qui l’entourent, contrairement aux autres personnages. La sienne est finalement plus profonde, moins visible. Le viol est-il le point de bascule, comme si la tête de Jochanaan lui servait de refuge psychique ? Ce qu’il y a de certain, c’est que la soprano russe peint une Salomé dans toute cette complexité, sans caricature, malaisante par sa vérité glaçante. Si son aspect juvénile est un plus, c’est avant tout le travail de la tragédienne que l’on admire ici, doublé d’un chant ciselé qui parvient à dompter cette difficile partition. Elle laisse entendre notamment des graves sidérants aux côtés d’aigues graciles. La palette vocale est impressionnante et joue avec les couleurs de la partition.

Son obsédant Jochanaan, loin d’une figure de sainteté dans cette mise en scène, est interprété par Gábor Bretz dont la voix résonne et se répercute dans la salle avec une profondeur quasi spectrale. Le souffle est puissant et la ligne solide ; on comprend que sa simple voix suffise à happer l’esprit de Salomé.

Le couple Hérodes/Hérodias est pour sa part incarné par John Daszak et Tanja Ariane Baumgartner. Le premier, dont le personnage est un véritable écho à Trump, fait entendre une voix puissante, parfois peut-être un peu trop sonore, dans un excès qui finalement colle bien avec le tétrarque. Détestable, écœurant et ridicule, son Hérodes est parfaitement bien incarné, de même que l’Hérodias de sa partenaire dont la voix profonde et miroitante laisse transparaître les anciens charmes dont elle a pu user.

Matthew Newlin et Ena Pongrac livrent respectivement leurs premiers Narraboth et page d’Herodias avec talent. Le soldat est charismatique, amoureux transis à la voix ample et solaire, il ne laisse pas de marbre, tandis que la page s’acquitte avec brio de sa tâche. La panique et les cris suivant le suicide de celui qui était son ami sont criants de vérité. On ne citera pas l’ensemble des comprimari, fort nombreux, mais tous accomplissent leurs rôles avec talent.

Enfin, difficile de ne pas s’attarder sur la fosse, où l’Orchestre de la Suisse Romande brille particulièrement sous la baguette experte du chef finlandais Jukka-Pekka Saraste, trop rare à l’opéra ! Les vents s’élèvent harmonieusement, notamment pour soutenir et porter Jochanaan, les cordes se déversent en parfait équilibre, les cuivres apportent leur dimension ambrée discrète, tous les pupitres participent à cette peinture musicale mouvante. Le flot de l’orchestre s’avère tantôt menaçant, tantôt impétueux, tantôt enveloppant lorsqu’il le faut. La noirceur s’extrait des âmes par la musique diffuse ; sous la direction du chef, les musiciens extirpent de la partition la complexité des personnages, dans un jeu de clair-obscur savant et pénétrant.

Si la tête gigantesque marque les esprits, de même que l’interprétation du rôle-titre par Olesya Golovneva, la fosse laisse finalement une empreinte plus indélébile encore, profondément ancrée, comme une cicatrice que l’on se plait à caresser en se remémorant ce qui l’a créée.

Une SALOMÉ trumpisée, mais qui résiste

Charles Sigel - Forum Opera.com – 24 janvier 2025

source: https://www.forumopera.com/spectacle/strauss-salome-geneve/

 

Le roof bar d’un hôtel new-yorkais de demi-luxe, à la décoration très seventies, de longs canapés blancs, des luminaires un peu désuets aussi, une flopée d’hôtesses en mini-robes juchées sur des sandales à plate-forme dorées, une ambiance évoquant Casino (de Scorsese). Un faux-chic, un peu passé de mode, un Hérode dont le costume bleu marine, la cravate orange brillante et la blondeur artificieuse rappellent furieusement (c’est la cas de le dire) qui vous savez… Une Hérodiade habillée trop court pour son âge, et surmontée d’un casque de cheveux crêpés, tout à l’heure des Juifs en casquettes MAGA…

Les photos qui circulaient de la mise en scène de Kornél Mundruczó nous avaient prévenus : ce Salomé serait trumpisé et poserait à nouveau la lassante question de l’anachronisme et de ce qu’il apporte (ou pas) aux opéras du répertoire.

Une énième transposition

Mais bref, nous sommes au dix-huitième étage d’une tour et il y a du monde au bar, les serveuses qu’on a dites, des messieurs en costume qui boivent un verre (la pause d’une journée de congrès, peut-être) dont un homme jeune de belle allure, flanqué de son assistante. On devine que c’est Narraboth (dont le page est ici devenu une jeune femme, ce qui soit dit en passant gomme l’ambiguïté des relations entre ces deux personnages).

Il y a là aussi une petite jeune femme, en blouson de cuir et pantalon flottant, à la situation imprécise. Sans doute qu’elle s’ennuie vaguement, qu’elle attend qu’il se passe quelque chose (« Il peut arriver un malheur », dit le/la page à trois reprises). Hérode vient se faire servir un whisky (disons). « Le tétrarque a l’air sombre », remarque un des hommes vautrés.

Soudain en arrière-fond une voix sort on ne sait d’où, ah oui, c’est de l’ascenseur, et comme on connaît l’œuvre on cherche Jochanaan et on l’entrevoit, bouclé derrière le hublot, sous la surveillance de deux gardes aux Rayban noires. Il fallait bien un substitut à la fosse. Dommage que les premières imprécations du prophète en sonnent assourdies, à peine audibles dans le brouhaha de ce fichu roof bar.

Quand la musique balaie l’anecdotique

C’est d’ailleurs quand pour la première fois le prophète sera extrait de sa cabine et qu’enfin la grande voix de Gábor Bretz pourra déployer ses larges phrasés qu’on aura le sentiment que le drame commence vraiment. Il y a toujours un moment où la force de la musique balaie l’anecdotique, en l’occurrence ce sera avec les « Wo ist er ? » de Jochanaan, sur de superbes accords des cors et trombones.

De longs cheveux filasses, une barbe hirsute, un sweet à capuche et des baskets sales, bref le cliché. En revanche, une plénitude vocale, un sens de la ligne, une force intérieure, une vérité, contrastant avec le clinquant de tout ce qui l’entoure. C’est une voix très longue, cuivrée, d’une projection dominant sans difficulté les forte de la fosse. Gábor Bretz a notamment été l’impressionnant Jochanaan de la Salomé de Salzbourg mise en scène par Castellucci en 2018, disponible en DVD.

Son apparition coïncide avec le premier des trois interludes, moment où l’Orchestre de la Suisse Romande dans un de ses très grands soirs peut déployer la marqueterie orchestrale de Strauss dans tout son luxe : les grands phrasés des cordes (avec toujours la tentation de la valse), d’impérieux chorals des cuivres, d’une rutilance vibrante, des bois fruités, la direction de Jukka-Pekka Saraste tient la gageure d’être toujours fluide et claire, mais capiteuse en même temps, jamais écrasante, étirant les lignes jusqu’à leur terme et quasi chambriste dans son souci de restituer toute la palette des couleurs, appuyée sur des textures graves (contrebasson, contrebasses, tuba) formidables.

C’est le moment aussi où la voix d’Olesya Golovneva donnera le sentiment de prendre véritablement son envol, après avoir paru dans sa toute première apparition peiner à trouver son homogénéité. Il est vrai que Strauss ne facilite pas la tâche des chanteurs en entretissant dans la première scène les interventions très courtes de multiples personnages (et la mise en scène non plus qui les éparpille aux quatre coins du bar).

Mais très vite son numéro de charme avec Narraboth lui avait donné prétexte à déployer sa voix et à dérouler de longues phrases envoûtantes. Aguicheuse et fragile à la fois, elle n’avait pas eu de mal à circonvenir Narraboth, incarné avec beaucoup de finesse par l’excellent Matthew Newlin (méconnaissable avec des cheveux…) dont la voix claire avait envoyé fièrement les « Comme la princesse Salomé est belle ce soir » qui ouvrent le drame.

On le verra construire avec justesse le désarroi du personnage, témoin impuissant de l’assaut mené par Salomé contre la vertu de Jochanaan. Réfugié derrière le bar, il essaiera de faire taire sa jalousie ravageuse, d’abord en sifflant force petits verres, puis en buvant carrément à la bouteille…

La superbe Salomé d’Olesya Golovneva

Mais c’est surtout la performance magnifique d’Olesya Golovneva qui subjugue, la façon dont elle mobilise ses ultimes ressources, son implication éperdue pendant les différentes étapes de cette longue entreprise de détournement de prophète (son corps, les cheveux, ses lèvres…) tandis que les futurs thèmes de la danse des sept voiles défilent à l’orchestre. Frêle, menue, elle dessine une Salomé audacieuse et solitaire, femme-enfant se réfugiant sous ses écouteurs pour s’isoler du monde, mais la longueur de la voix, l’aisance des aigus, la maîtrise des longues phrases, la puissance des forte, font contraste avec sa mince silhouette. Jochanaan a beau clamer ses « Arrière fille de Babylone, fille de Sodome ! », elle monte à des sommets, portée par le formidable crescendo orchestral que conduit Jukka-Pekka Saraste, jusqu’au climax du second interlude.

Et c’est sur cette nouvelle déferlante sonore éblouissante que s’inscrira la scène violente du suicide de Narraboth qui dans un moment de délirium s’ouvrira les veines. Son cadavre sanguinolent sera abandonné un moment au coin de l’ascenseur, avant qu’on ne l’évacue en le traînant par les pieds.

Hérode, c’est John Daszak, lui aussi familier du rôle (il était également de la version Castellucci de Salzbourg). Il assume avec humour la concupiscence et le grotesque de son personnage à la Trump, dont il glapit les répliques en acteur consommé. Le tétrarque essaie de séduire sa belle-fille en lui offrant des fruits, mais c’est plutôt sa main qu’elle mord, fillette et tigresse à la fois. Puis il l’assoit sur ses genoux (« Je t’offre le trône de ta mère », dit-il.…)

La mise en scène continue de filer sa métaphore américaine, somme toute assez bénigne par rapport au moindre flash d’information ces jours-ci. Et la scène de la dispute des Juifs y ajoutera sa touche de burlesque : on aura vu s’approcher du bar cinq personnages pittoresques, costauds ou gringalets, avec lesquels viendront polémiquer deux Nazaréens (on remarque au passage la belle voix de basse de Nicolai Elsberg). Jochanaan lançant ses imprécations depuis sa cabine et Hérodiade (Tanja Ariane Baumgartner) essayant de le faire taire se joindront à cet ensemble d’une redoutable difficulté et mené par tous avec brio.

Un viol

Enfin Salomé acceptera de danser et, après avoir retiré ses écouteurs de ses oreilles, sortira un instant pour revenir en longue robe fluide et sandales dorées. Sur la première partie de la danse des sept voiles on la verra, dans un halo lumineux, se barbouiller les lèvres en noir, sniffer la poudre que lui aura donnée un des gardes, boire au goulot de quoi se donner du courage, puis aller chercher Jochanaan dans son ascenseur pour qu’il la voie commencer une manière de danse gymnique avec les sept barmaids, ses doubles en somme, puis commencer à onduler lascivement pour se laisser enfin emporter par la frénésie de la musique, enlever sa robe et rester dans un body sur lequel elle dessinera au feutre deux seins et un pubis, de quoi exacerber le désir d’Hérode qui, n’y tenant plus, l’entrainera vers l’ascenseur.

Pas besoin d’insister, c’est bien d’un viol qu’il s’agit. L’orchestre s’emballe et on devine ce qui se passe derrière le hublot.

Cette danse des sept voiles est un nouveau grand moment orchestral : le tempo très lent, très ondulant de la première partie, les premiers appels de hautbois ou de flûte, les houles des violons, le tempo de valse lente, la grande phrase voluptueuse des violoncelles, la lente montée de l’exaspération, les variations de dynamique, les convulsions finales… C’est une page symphonique superbe que trace à nouveau Jukka-Pekka Saraste.

Pendant ce temps, de l’autre côté de la scène l’atmosphère tourne au franchement décadent. Non moins échauffée qu’Hérode, Hérodiade, qu’on aura d’abord vue autoriser quelques privautés sur la banquette à l’un des gardes, dont la tête se sera enfoncée sous sa robe, entreprendra d’exciter tous les mâles présents, Juifs, Nazarééens, soldats en tous genres, tous lui tournant autour dans une espèce de ronde, jusqu’au moment où la musique retombera.

Alors Hérode réapparaît en reboutonnant son pantalon.

Et on attrape au vol une image furtive très intrigante : la porte de l’ascenseur s’ouvre et on y voit Salomé et les sept filles, dans une manière de hurlement muet, une manière de happening explicitant le « Stop it » qu’on l’avait vue un moment plus tôt écrire au rouge à lèvres sur le miroir de l’ascenseur : « Stop it », sous-entendu : la violence des mâles-prédateurs.

Violence dont attestera aussi la trace d’hémoglobine sur la cuisse de Salomé. Qui demandera le prix de ce viol, à savoir la tête de Jochanaan.

Un sommet de kitsch

Son obstination suscitera le moment le plus croquignolet de la soirée, un sommet de kitsch réjouissant : la scène des offrandes qu’Hérode proposera à sa belle-fille en guise de substitut au malheureux Jochanaan (dont Hérodiade aura déjà rasé le crâne).

On verra d’abord entrer un bourreau revêtu d’une cagoule de paillettes vertes (un Tarnhelm ?) en guise d’émeraude, puis quatre drag-queens masquées et emplumées figurant les paons blancs (sous les masques desquelles on reconnaîtra entre autres Narraboth et un Nazaréen) et pour ce qui est des bijoux une big apple, une grosse pomme verte miroitant (style boule au plafond de dancing), une paire de cerises puis une banane du même acabit, tout aussi démesurées, tout cela suspendu aux cintres au-dessus d’un final avec toute la troupe, girls et boys d’un music-hall de sous-préfecture… Un spectacle si extravagant qu’on en oubliera presque d’écouter le grandiose John Daszak pourtant monumental dans ce morceau de bravoure.

Un autre spectacle

Alors on va avoir le sentiment de changer de mise en scène. Le vaste décor de bar d’hôtel se scinde en deux, chaque moitié partant en coulisses. Sur la scène toute noire, Salomé reste seule, toujours en body. On entend le simple accord de la décapitation. Et l’on voit lentement, dans la pénombre et quelques fumées, avancer une colossale tête coupée de Jochanaan. C’est devant elle que Salomé va commencer son monologue final, cette scène qui semble l’aboutissement de l’opéra (et finalement ce qui intéresse le plus Strauss, comme bientôt les scènes finales du Rosenkavalier, d’Ariadne auf Naxos ou Capriccio).

D’abord furibarde, sur un orchestre en fusion, de crainte que son tribut ne lui soit refusé, elle se calmera dès que la tête lui apparaîtra.

À nouveau, Olesya Golovneva fascine dans cette longue harangue qu’elle adresse à ces paupières qui ne veulent pas la regarder, à cette bouche qui ne veut pas lui parler…

Et tandis qu’à nouveau elle montera à des sommets d’expression, et que l’orchestre rejouera aux cordes le plus voluptueux de la danse des sept voiles, on verra lentement sortir d’une narine, de la bouche, de l’oreille les doubles de Salomé, et même d’une paupière qui s’écartera.

Parfois l’invective flamboyante s’apaisera, et c’est plus amoureuse que jamais que s’élèvera la voix formidable de la chanteuse. Dix-huit minutes incandescentes, très souvent sur les confins de la voix, et magnifiques de tenue, de fermeté, de phrasé, de force. Et d’incarnation.

Les sept doubles de Salomé, seins nus, s’aligneront avec elle. Sur l’une ou l’autre, on verra inscrits à nouveau les « Stop it ! », par conviction ou précaution, on ne sait.

Une ultime bouffée lyrique souveraine s’élèvera, superbe, rayonnante : « Ich habe deinen Mund geküsst, Jochanaan », avant que, surgissant grotesquement de l’oreille de Jochanaan, Hérode ne beugle son « Man töte dieses Weib – Qu’on tue cette femme ! »

Conclusion d’un spectacle superbe musicalement, et d’abord par la grâce de sa formidable interprète principale (pour qui c’est une prise de rôle), et par la performance de l’orchestre, autre protagoniste essentiel.

À Genève, le mythe de Salomé détourné

Jacques Schmitt – ResMusica.com – 24 janvier 2025

source: https://www.resmusica.com/2025/01/24/a-geneve-le-mythe-de-salome-detourne/

 

Avec un choix scénique s'éloignant du propos original de cet opéra, la production genevoise de Salomé de Richard Strauss sombre dans les travers des mises en scène d'opéra actuelles qui cherchent à plaquer le regard personnel du metteur en scène sur une œuvre qui raconte autre chose.

Après Parsifal de Wagner changé en clown, après Saint-François d'Assise de Messiaen se promenant dans un hammam, voici le prophète Jochanaan, le saint Jean Baptiste de l'opéra Salomé de Richard Strauss, caricaturé sous les traits d'un chauffeur de poids-lourd égaré dans l'univers doré du dernier étage de la Trump Tower. Décidément, au Grand Théâtre de Genève, on n'accepte guère les mythes sacrés. Et quitte à dénaturer l'esprit d'un opéra, on force la conception qu'on peut avoir d'une œuvre dans le discours scénique au lieu de raconter ce que le livret et la musique nous offrent à voir et à entendre.

Dès le lever de rideau, le spectateur est transporté dans un gigantesque et luxueux appartement-terrasse où de jeunes femmes court-vêtues servent boissons et autres amuse-gueules à quelques hommes d'affaires. Salomé, des écouteurs sur les oreilles, déambule nonchalamment au milieu de cette petite société. Elle est totalement indifférente au chant de Narraboth, un jeune Syrien éperdument épris de la princesse. C'est du moins ce que l'argument de l'opéra donne à comprendre. Sauf qu'ici, alors qu'on a à peine entendu deux mesures de musique, que l'agitation autour de ces deux personnages est telle qu'on peine à distinguer de quelle bouche sort ce «Wie schön ist die Prinzessin Salomé heute nacht!», une superbe intervention du ténor Matthew Newlin avec une voix qui n'est pas sans rappeler celle de Gösta Windbergh qui avait enchanté le Grand Théâtre de Genève dans ce même rôle en février 1983 dans la mise en scène de Maurice Bénard.

Les conversations superficielles se croisent dans un embrouillamini de discours. Personne ne s'écoute quand, soudain résonne la voix du prophète. Du fond du décor, confiné derrière une lourde porte fermant un réduit aussi vaste qu'une cabine d'ascenseur, on perçoit péniblement la voix assourdie de Gábor Bretz (Jochanaan) lançant ses premières invectives. On comprend mal ce confinement vocal étouffé. Mais qu'importe le chant puisque seule compte la mise en scène. Tout cela est bien malheureux car lorsqu'enfin il est extirpé de sa prison vocale, on découvre un chanteur à la voix claire, chargée d'harmoniques, puissante sur tout le registre, à la diction parfaite et à l'investissement total, quand bien même on l'aurait préféré plus statique, digne et christique. Prophète il est, mais la mise en scène a malheureusement décidé que le statut de débardeur mal vêtu, suffit aux besoins de ce qu'on tente de raconter, en dépit de l'esprit du personnage. À noter cependant que, lorsque Gábor Bretz chante, l'orchestre semble plus présent. Il joue mieux, comme si la voix de la basse galvanisait l'orchestre. Il confirme ici la bonne impression qu'il avait laissée lors des représentations de Salomé à Aix-en -Provence en juillet 2022.

Comme si l'argument d'Oscar Wilde et de Richard Strauss ne suffisait pas à raconter le drame de Salomé, on rajoute au passage le viol de la jeune femme par son beau-père Hérode (incarné furieusement et avec un ténor hurlant jusqu'à l'exaspération par John Daszak). Uune longue cravate rouge laisse à penser qu'on a voulu imprégner cet opéra de la personne de Donald Trump. C'est le salaire de cette infamie, que le livret limite pourtant à la danse des sept voiles, sera la tête de Jochanaan.

On reste sur sa faim avec la prestation de la mezzo-soprano Tanja Ariane Baumgartner (Hérodias, femme d'Herode) laissée un peu pour compte scéniquement. Insupportables sont les cinq Juifs qui, laissés sans direction d'acteurs, sautent et pestent comme des pantins sans que leurs facéties ne fassent sourire.

Enfin, les deux grands moments de cet opéra se vivent avec la fameuse danse des sept voiles et la macabre scène finale de Salomé jouant et embrassant la tête décapitée de Jochanann. Pour la première, la production genevoise offre un simulacre de ballet plus proche d'une gesticulation désordonnée que d'une danse lascive et provocatrice en adéquation avec la musique lancinante et magnifique de Richard Strauss. Jusqu'alors, la soprano Olesya Golovneva (Salomé) a fait preuve d'une belle vaillance vocale sans pour autant habiter son personnage avec la conviction qu'on pourrait espérer d'un caractère aussi impressionnant que celui de Salomé. Quelques gestes échevelés, quelques tremblements des mains, quelques regards absents laissent supposer une Salomé atteinte de démence précoce. L'occasion de relever que la psyché des personnages n'a pas été approfondie laissant ainsi quelques protagonistes à peine ébauchés.

Soudain, le décor se fracture en deux laissant place à une scène vide et noire qui voit Jochanaan (brusquement chauve !) s'enfoncer vers le fond de scène marchant vers son destin de mort. Seule sur le devant de la scène, Salomé entonne son air final, véritable performance vocale de près d'une quinzaine de minutes où la musique de Strauss s'enflamme dans un crescendo infernal. D'un brouillard naissant et épais apparait peu à peu une immense représentation de la tête de Jochanaan de la bouche de laquelle, des narines du nez ou des oreilles s'extirpent tels des vers, sept jeunes femmes nues qui rejoignent Salomé, dans un ballet sans fin. Passé l'effet de surprise, pour saisissante qu'elle puisse être, l'image lasse vite, forçant le spectateur à focaliser son attention sur la soliste pour admirer une voix qui jusqu'ici était dans une expressivité contrôlée. La jeune soprano chante certes avec vaillance sans toutefois convaincre totalement dans l'expressivité de son personnage. Sans doute, après cette prise de rôle, elle aura la possibilité de parfaire son chant dans un rôle l'un des plus harassants du répertoire.

Du côté de la fosse, force est de constater que le chef Jukka-Pekka Saraste n'est pas toujours à la hauteur des exigences enflammées de cette partition. Sous sa baguette, l'Orchestre de la Suisse Romande apparait timide à maintes reprises.

SALOMÉ, entre surréalisme et malaise

Gianluigi Bocelli – Le Courrier – 23 janvier 2025

source: https://lecourrier.ch/2025/01/23/salome-entre-surrealisme-et-malaise/

 

Au Grand Théâtre de Genève, Salomé de Richard Strauss profite d’une distribution impeccable. Mais la mise en scène de Kornél Mundruczó est sombre, non sans quelques contradictions.

C’est au festin d’un millionnaire trumpiste, dans un lounge bar new-yorkais, que Kornél Mundruczó situe sa mise en scène de Salomé, opéra de Richard Strauss à voir au Grand Théâtre de Genève. Le canevas du mythe est simple: un papy (Hérode) ­désire sa belle-fille (Salomé). Que veut-elle en échange d’un strip-tease? La tête du prophète (Jochanaan) qui a repoussé ses avances.

Salomé (Olesya Golovneva, vocalement lumineuse, avec une couleur incarnée et pleine) devient ici une adolescente compliquée, écouteurs vissés sur les oreilles; Hérode (John Daszak, tout simplement parfait, grand jeu d’acteur, justesse de nuance et de gestion vocale) un patron berlusconien de la vieille génération; Hérodias, mère de Salomé (Arjane Baumgartner, dont la voix se chauffe peu à peu pour arriver à une luxure de timbres et de nuances en deuxième partie), une hédoniste un peu froissée; Jochanaan, ou Jean-Baptiste (Gàbor Bretz, magnifique puissance et couleur, jeu aussi sublime) un splendide prophète pouilleux, moitié altermondialiste, moitié clochard, enfermé par la sécurité dans une cabine d’ascenseur – si elle est belle scéniquement, la trouvaille s’avère infernale musicalement.

On est gâté par cette distribution vocale impeccable, dotée d’une caractérisation des personnages qui fonctionne bien. Le rythme de la mise en scène souffre par contre d’inégalités marquantes: si le début est juste, hyperréaliste, claustrophobe et bien chorégraphié, la suite s’effrite peu à peu jusqu’à des scènes qui frisent le grotesque – les bagarres des ivrognes –, ou des moments d’un surréalisme kitsch et laid – les surenchères d’Hérode personnifiées en parades à plumes et paillettes, des chorés bancales. Le pari du surréalisme total fonctionne beaucoup mieux dans le final: plutôt qu’un macabre objet, la tête de Jean-Baptiste devient gigantesque et se fait scène – une prouesse de Monika Korpa.

Pour éviter les malentendus, la nudité est ­barrée de ­«Basta» et de «Stop»

On se questionne aussi à propos de certaines contradictions et sur les limites que pose la mise en scène d’un tel livret dans le monde d’aujourd’hui. La Salomé de la pièce de théâtre homonyme d’Oscar Wilde, sur laquelle Strauss a basé son opéra, est fameuse pour son éloge du «mystère de l’amour plus grand que le mystère de la mort». Ici, l’amour est bien ­caché: on ne voit que de la violence. On suit Mundruczó dans sa dénonciation d’un système capitaliste et patriarcal abuseur, où Salomé devient victime d’un modèle imposé qui confond mort et amour.

A l’image de la séductrice se substitue l’adolescente encore immature et enfantine: loin de la lolita, elle est traumatisée et brisée, lunatique et presque hystérique – la caractérisation est saillante, même si surjouée et répétitive dans la gestuelle. Le choix de changer la danse de ­séduction en expression de maladresse et de la faire virer en viol, après que la protagoniste esquisse au marqueur des seins et un sexe sur son justaucorps, vont dans cette direction. Et si l’érotisme d’habitude associé à Salomé est ici entièrement supprimé, il ne fait que se reporter sur les danseuses nues. Quand bien même cette nudité, pour écarter tout malentendu, est barrée de «Basta» et de «Stop».

La violence manque aussi de catharsis. On s’y essaye brièvement avec un finale où Salomé, bourreau et martyr, renverse et endosse la blouse de Jean-Baptiste. Mais l’image de son sexe ensanglanté et autres éléments crus s’imposant sur le plateau, tout comme l’érotisation des personnages féminins secondaires, questionnent un regard qui reste masculin; et interrogent sur le bien-fondé de tant de morbidité dérangeante.

SALOMÉ par Mundruczó, une princesse « fric »

Yaël Hirsch - cult.news – 23 janvier 2025

source: https://cult.news/scenes/opera/salome-par-mundruczo-une-princesse-fric-au-grand…

 

Ce mercredi 22 janvier, le réalisateur et metteur en scène hongrois Kornél Mundruczó était de retour au Grand Théâtre de Genève. Avec Jukka-Pekka Saraste à la direction de l’Orchestre de la Suisse Romande et la soprano russe Olesya Golovneva dans une prise de rôle, proposition est faite d’une Salomé de Strauss au 18ᵉ étage du Standard de New-York.

Un roofbar époustouflant

Lorsque le rideau s’ouvre sur la reproduction du bar du 18e étage du Standard avec un brin d’art déco et beaucoup de seventies, l’effet waouh fonctionne. Si le prophète Jochanaan (charismatique Gábor Bretz) est cantonné dans l’ascenseur qui s’irradie de néons aux moments clés, tout le reste est boisé, tamisé et bourgeois, tandis qu’en bas, le peuple crie. Cela ne dérange pas beaucoup la princesse Salomé, qui boude, écouteurs sur les oreilles, ni sa mère, qui vient draguer au bar, tandis que Hérode est encore à table. Tout le symbolisme de la lune passe un peu à la trappe, mais le décor est bien planté et va rester tel quel les trois quarts du spectacle : riche et engoncé. Avec un look d’adolescent également – un sweat shirt de l’université de Columbia, mais des propos pas woke du tout, condamnant la luxure, les femmes et les homosexuels – Jochanaan provoque le désir de Salomé. Cheveux châtains, un peu pâle, il n’a du prophète que la voix qui domine à la fois Salomé et l’orchestre, tandis que la jeune femme déclame sa fameuse tirade de désir face au public.

Un féminisme qui déborde Salomé

Très mobile et gracile, avec une voix claire de jeune femme, Olesya Golovneva incarne une princesse adolescente et capricieuse. Elle est la plus jeune de toute une tribu de femmes. Or, toute l’histoire de Salomé au 19e siècle, c’est d’échapper à sa mère, de se faire un prénom et d’affirmer avec son désir — et un insigne, le plateau — une individualité. Mais ici la princesse qui marque ses seins et son sexe au feutre est entourée par les serveuses du bar qui incarnent les corps désirables et exploités, et sa mère (puissante Tanja Ariane Baumgartner) termine sa danse, moins vieille qu’il n’y paraît. Il y a plein d’idées intéressantes pour camper cette Salomé gosse de riche abusée et violée, mais il y en a trop pour qu’on les suive toutes.

Rien que pour la fameuse danse des sept voiles la ligne directrice est difficile à décrypter. Salomé commence à danser au fond du bar avant d’y être invitée par Hérode, elle marche dans tous les sens en refusant l’obstacle de la danse, elle fait installer le prophète à côté de Hérode pour danser pour lui aussi, puis elle danse allongée avec ses comparses, puis elle se lance à la verticale seule, puis elle finit entre les jambes de Hérode qui l’emmène dans l’ascenseur pour la violer et sa mère finit la danse… Évidemment, les changements de position suivent les syncopes géniales de la musique de Strauss transmises par l’OSR. Quant à la question de la nudité, importante dans cet opéra orientaliste, ce n’est pas tranchée non plus : Salomé peint son sexe et ses seins comme pour se les réapproprier, une image forte. Et en même temps on revient à la revue classique string et seins nus pour les danseuses. Nous propose-t-on de trouver cela «sexy» ? On ne sait plus…

La Judée de Trump

On sait en revanche que le daron-tétrarque (extraordinaire John Daszak, qui maîtrise le rôle sur le bout des doigts et est aussi un merveilleux acteur comique) campe un Trump tout-puissant qui résonne avec notre actualité. On y perd un peu les querelles de clocher entre sectes juives et la saveur des passages antisémites de l’opéra, on y perd aussi en majesté et en symbolisme, mais on y gagne en burlesque.

Le prophète lui-même est un gauchiste un peu comique. Et on entre dans ce monde pitoyable et apparemment confortable où les femmes sont des objets et des symboles de réussite sociale comme les autres. Cette langueur dure jusqu’à l’exécution du prophète. Et là, exit le plateau d’argent, le décor se déchire et une immense tête décapitée du Baptiste remplit la scène nue et les anciennes serveuses dénudées rejoignent Salomé pour agiter cette grande sculpture sanglante comme des vers. L’image est forte et le malaise commence. Encore une fois, d’ailleurs, cela a lieu en décalé, bien avant que Salomé finisse par baiser les lèvres trop grandes de l’objet de son désir.

Dans cette dernière partie visuellement très marquante, Olesya Golovneva se déploie comme actrice et sa voix prend une autre dimension. Il y a encore un ultime pied de nez de la femme fatale : la Salomé de Mundruczó ne meurt pas, elle est rejointe par les autres femmes pour lever le poing. Un art du décalage qui nous fait revisiter un personnage résolument fascinant.

Au Grand Théâtre, SALOMÉ révulse encore

Matthieu Chenal – Tribune de Genève – 23 janvier 2024

source: https://www.lemanbleu.ch/fr/Actualite/Culture/Guy-Cherqui-Une-Salome-a-voir-mai…

 

Transposition à New York, chez les superriches, du brûlot antique de Strauss. Kornél Mundruczó à la manœuvre, Jukka-Pekka Saraste à la baguette. Effroi garanti.

«Salomé» est un supplice en forme d’opéra, ou l’inverse, ou les deux. La production du chef-d’œuvre de Richard Strauss à l’affiche du Grand Théâtre de Genève depuis mercredi n’échappe pas à la règle et réussit même l’exploit d’ajouter encore une couche d’abjection. Il faut bien admettre qu’on s’inflige, en une heure quarante-cinq d’apnée, un déferlement d’ondes sonores saturées au point d’en paraître visqueuses et étouffantes, tout cela pour retracer l’une des histoires les plus troubles de l’art occidental.

Alors pourquoi se l’imposer? Parce que chaque représentation de l’œuvre n’épuise pas cette fascination à plonger dans les pires noirceurs de l’âme humaine, associées à une quête de pureté et d’extase. Il y a sans doute aussi quelque perversion à goûter ce concentré de perversité, d’érotisme incestueux, d’abus sexuel, de débauche sensuelle, et même, dans cette nouvelle vision, d’un hybride de cannibalisme et de nécrophagie… Sur ce point, la mise en scène de Kornél Mundruczó ne trompe pas sur la marchandise, sans pour autant transiger sur la qualité d’un spectacle vocalement et scéniquement très abouti, scindé entre hyperréalisme et symbolisme.

Le cinéaste hongrois est devenu un habitué des scènes genevoises, avec des spectacles prégnants, explorant les recoins lugubres de la modernité, que ce soit la quête de l’immortalité («L’affaire Makropoulos»), d’hospitalité («Sleepless»), de sécurité des migrants («Le voyage vers l’espoir»), d’identité («Parallax» à la Comédie). Toutes quêtes vaines, bien entendu. Celle de reconnaissance et de transgression de Salomé étant peut-être la plus désespérée.

Luxe, rage et extase

Dans la transposition qu’opère Kornél Mundruczó, le palais d’Hérode des Évangiles fait place à un bar luxueux de la skyline de New York, où l’oligarchie des hyperriches exprime sa décadence. Alcool, drogue et sexe animent froidement la party nocturne, interrompue régulièrement par les clameurs d’une révolte urbaine montant de la rue.

Le tétrarque (John Daszak, glaçant), aussi imbu de lui-même qu’un puissant magnat de l’immobilier, harcèle sans complexe la jeune Salomé (Olesya Golovneva, incandescente), fille rebelle de son épouse, l’infidèle Hérodiade (Tanja Ariane Baumgartner). Pas de lune ici, ni de citerne où croupit Jochanaan (Gábor Bretz, intimidant et grotesque). Le prophète apparaît comme un marginal illuminé et anticapitaliste, improbable prisonnier retenu dans l’ascenseur (!) et qui déverse ses imprécations sur les péchés de cette caste. Salomé en tombe raide dingue amoureuse.

Peu importent les incohérences d’un saut de deux millénaires. Il offre à Kornél Mundruczó la jubilation féroce de faire allusion à l’actualité brûlante (les docteurs juifs querelleurs portent des casquettes rouges) ou au cinéma. Avec ses cheveux noirs et sa coupe au carré, la filiforme Salomé évoque la Mathilda de Natalie Portman dans «Léon».

Par sa morphologie, Olesya Golovneva n’a pas les graves d’une voluptueuse walkyrie et des aigus parfois tendus; elle peine aussi à faire sonner la langue allemande. Mais sa présence et son magnétisme fascinent, jusque dans la danse lascive des sept voiles, qui se matérialiseront en sept avatars dénudés.

Coup de théâtre

Et c’est là que le réalisme jusqu’ici maniaque de la scénographie éclate au profit d’un plateau vide, progressivement envahi par la tête décapitée et gigantesque de Jochanaan, prétexte aux ultimes et extrêmes transgressions.

Le dispositif audacieux ne passerait probablement pas la rampe s’il n’y avait dans la fosse un OSR orgiaque et rutilant qui fait lui aussi le grand écart, et à sa tête Jukka-Pekka Saraste, expert en sortilèges symphoniques. Le chef finlandais est rare à l’opéra, et signe ici sa première plongée dans la partition effrayante de Strauss. Avec un sens saisissant des contrastes, du silence au cri, de la paume au poing.

New York penthouse decadence for a shattering new SALOME

Mark Pullinger - bachtrack.com - 23 janvier 2025

source: https://bachtrack.com/fr_FR/review-salome-mundruczo-golovneva-bretz-grand-theat…

 

“Grab ’em by the pussy!” When Kornél Mundruczó translates the action of Salome to a penthouse bar modelled on the Boom Boom Room with panoramic views across New York, we know exactly what world we’re in. Guests snort cocaine, bouncers in dark glasses with baseball bats manhandle an anti-capitalist protester. A giant gold-sequinned banana is raised priapically over the dancefloor, where Salome writhes and gyrates, before Herodes carries her into the lift and rapes her. The Jews – and Nazarenes – wear MAGA baseball caps. Herodes doesn’t need an orange tan for us to know who he is and what he represents.

Under Aviel Cahn, the Grand Théâtre de Genève is certainly not risk-averse, sometimes courting controversy. Here, the risks pay off powerfully. Before a note is played, we hear the sounds of rioting in the streets, jeers and sirens, a world away from the decadent lifestyles being played out 18 floors up. The hoodie-wearing Jochanaan, heavily bearded and with greasy hair, is being held captive in the lift. Herodias makes out with the male guests, the preening Herodes puffs on a cigar.

Salome is already a lost soul, seeking escape in the headphones clamped to her head, evading the wandering hands of her stepfather. After the besotted Narraboth slits his wrists, Salome comforts the distraught page by applying red lipstick onto her before scrawling “Stop it!” onto the mirror. To steel herself for the Dance of the Seven Veils, she drugs up on coke and booze, the dance taking on a psychedelic quality.

And when Salome demands the head of Jochanaan? Herodias daubs his hair in shaving foam as Salome plays the barber. The penthouse parts and the clean-shaven prophet of doom wanders off into the darkness, replaced – in Mundruczó’s pièce de résistance – by a giant severed head out of which seven naked Salome clones crawl: through his mouth, a nostril, an eye, an ear. When Salome announces she has kissed his mouth, she is wedged snugly between his lips.

Mundruczó’s message is unequivocal. As the horrified Herodes demands her death, Salome – donning a white hoodie – offers a gesture of defiance, along with her seven clones who have all scrawled the word “STOP” over their bodies.

The Hungarian director had committed support from his cast, led by Olesya Golovneva in a shattering role debut as Salome. She pushed her essentially lyric soprano to the limits, occasionally uncomfortably with wiry top notes, but an ability to float phrases softly. She was truly invested in the production, her acting outstanding, particularly in the giggling hallucinogenic aftermath of the Seven Veils, queasily lit by Felice Ross.

Gábor Bretz sang with tremendous power and conviction as Jochanaan, even better than in Romeo Castellucci’s knockout 2018 Salzburg staging. His bass-baritone has never sounded so dark, his cursing of Salome hurled out vehemently. John Daszak is no stranger to the role of Herodes – this is the eighth different production where Bachtrack has reviewed him. With his clarion tenor and expressive delivery of the text, he played up to the oligarch’s vanity, almost cartoonish were he not so repulsive.

Tanja Ariane Baumgartner’s Herodias was well sung, possibly too tastefully in a role where taste goes out the window, but she was a fine foil for Daszak. Matthew Newlin’s stylishly sung Narraboth was a highlight, as was Ena Pongrac’s supple mezzo as Herodias’ page.

Finnish conductor Jukka-Pekka Saraste isn’t an opera pit regular, but he paced this performance grippingly, turning the screw of Strauss’ psychodrama. He drew thrilling playing from the Orchestre de la Suisse Romande, from the first slithering clarinet scale to satin strings to the crushing brass that snuffs out the opera.

SALOME - Grand Théâtre de Genève

Geoffrey Grand - opera-diary.com – 26 janvier 2025

source: https://opera-diary.com/2025/01/26/salome-grand-theatre-de-geneve/

 

As you all know, my heart belongs to Verdi and any composer whose name ends in “-i,” but every once in a while, I like to step out of my comfort zone. With the Grand Théâtre de Genève just a stone’s throw from home, I decided it was high time I gave Salomé a try. After all, the best way to truly discover an opera is by diving in headfirst: going to the theater, switching off the outside world, and surrendering to the music and the story. No phone ringing, no cat scratching at the door, no noisy neighbor doing renovations—just you and the magic of the stage. It’s like being in the cinema, but better.

What’s the Story of Salomé?

For those of you unfamiliar with Richard Strauss’s Salomé, here’s a quick and fun summary. Based on Oscar Wilde’s play, it’s a spicy, scandalous tale of obsession, power, and a healthy dose of weirdness. Salomé, the stepdaughter of King Herod, becomes fascinated with the imprisoned prophet Jochanaan (John the Baptist). She’s got a bit of a thing for him, but he’s having none of it. In a dramatic twist, Salomé agrees to perform the infamous Dance of the Seven Veils for Herod in exchange for a grisly reward: Jochanaan’s head on a silver platter. The opera climaxes with Salomé’s chilling solo, where she sings to the severed head in a scene so intense it’ll leave you stunned.

First Impressions and Highlights

I won’t lie—at first, I wasn’t entirely sold. The music felt overwhelming, and it took me a little while to settle into Strauss’s sound world. But as the opera unfolded, I began to appreciate its intensity and brilliance. Certain moments truly stood out, especially the Dance of the Seven Veils, which is just as captivating and provocative as its reputation suggests. And the final 15 minutes? Wow. Salomé’s solo with the giant severed head (a striking centerpiece in the modern staging) was absolutely wild. It’s a moment of pure theatrical electricity that makes the entire evening worth it.

The Staging and Costume

The production itself was an intriguing one. The static, modern set—a sleek penthouse apartment that evoked a New York City bachelor pad—added a contemporary edge to the ancient tale. It’s not the traditional biblical aesthetic, but it worked surprisingly well, giving the story a gritty, almost voyeuristic quality. And the costumes? Impeccable. They felt fresh, stylish, and well-suited to this updated vision of the opera.

A Note on Geneva’s Audience

I can’t help but mention the elephant in the room: the Grand Théâtre de Genève continues to struggle with ticket sales. It’s surprising, considering Geneva has such a passionate audience for opera. Is it the choice of repertoire? The productions? Something isn’t clicking, though there are exceptions. Case in point: La Traviata in June is already nearly sold out! When you pair a big-name opera with a stellar cast, the seats fill up. It’s proof that when you give the audience what they crave, they show up.

Should You See Salomé?

Absolutely. While it’s not your typical feel-good night at the opera, Salomé is an unforgettable experience. The production is bold, the music is gripping, and the story will stay with you long after the curtain falls. Whether you’re a Strauss fan or just curious about this provocative masterpiece, it’s well worth a visit to the Grand Théâtre de Genève. Plus, with such a strong and striking staging, it’s a chance to see something daring and different.

So, grab your tickets, immerse yourself in Strauss’s world, and enjoy an evening of opera that’s as thought-provoking as it is thrilling.

 
 

 

 

Vergewaltigung im Fahrstuhl

Peter Krause - concerti.de - 24 janvier 2025

source: https://www.concerti.de/oper/opern-kritiken/grand-theatre-de-geneve-salome-22-1…

 

Dieser starke Musiktheaterabend gerät weniger emotional erschütternd als intellektuell anregend. Regisseur Kornél Mundruczó schließt dazu 1905 mit 2025 kurz. Dirigent Jukka-Pekka Saraste entdeckt in Richard Strauss die französische Noblesse, Eleganz und Clarté.

Während das liberale und linke Amerika in Schockstarre verharrt und wie beim Erwachen aus einem bösen Traum nicht so genau realisieren kann, ob die Amtseinführung ihres 47. Präsidenten doch so etwas wie eine Machtergreifung war, da prallen nun in der Neuinszenierung der „Salome“ am Grand Théâtre de Genève die gesellschaftlichen Fronten so krass aufeinander, dass man sich am erschütternden Ende fragt, welcher apokalyptische Unterton wohl in den Worten des Herodes lauert: „Es wird Schreckliches geschehn.“ Noch bevor sich die erste Klarinettenlinie irrlichternd in die Hörnerven schleicht, dringt die Klangkulisse des im aktuellen Amerika noch ausbleibenden Protests hinauf in das Nobeletablissement eines New Yorker Hochhauses. 18. Stock. Unten Demo, oben Party.

Zwei Welten, die sich so unvereinbar gegenüberstehen wie Demokraten und Republikaner. Kornél Mundruczó konnte während der Konzeptionsphase seiner Inszenierung nicht gewusst haben, wer denn ab dem 20. Januar 2025 die USA regieren würde. Doch seine Sicht auf Richard Strauss‘ und Oscar Wildes Abrechnung mit einer in Dekadenz verkommenen Endzeit-Society, die im biblischen Palästina des Jesus von Nazareth und Johannes des Täufers sowie ihres Widersachers König Herodes so sehr spielt wie im freudianischen Fin de Siècle des frühen 20. Jahrhunderts zur Zeit der Uraufführung anno 1905, diese Sicht passt nachgerade perfekt auf die Wiederholung der Geschichte im Jahr 2025 nach Christi Geburt.

Konsum ist alles, auch in der männlichen Triebabfuhr

Ist Herodes also Trump? John Daszak legt dies nahe, wenn er in Genf, alias New York, mit zwar nicht roter, dafür knallorangefarbener Krawatte und zwar nicht gelber, aber doch verdächtig hochgefönter Perücke einen Machtmenschen mit zu vielen Milliarden Dollar auf die Bühne bringt, der eben macht, was er will (und nicht nur, was er nach Recht und Gesetz darf), der Salome am Ende ihres Schleiertanzes mal eben im Fahrstuhl vergewaltigt und dies dann „herrlich!“ und „wundervoll!“ findet. Konsum ist alles, auch in der männlichen Triebabfuhr, immerhin steht dieser König hernach zu seinem Wort und will die sexuelle Dienstleistung bezahlen: „Komm her, du sollst deinen Lohn haben.“ Der bittere Realismus einer nach dem Missbrauch durch Herodes blutverschmierten Salome geht an die Nieren, zumal Daszak den Teatrarchen-Präsidenten diesmal eher heldentenoral auftrumpfend denn charaktertenoral schmierig gibt. Dies verleiht seiner Figur auch vokal eine krasse Glaubwürdigkeit.

Die „MAGA“-Bewegung und die Vision „Es wird Schreckliches geschehn.“

Da oben im (Trump-)Tower ist man ja eigentlich unter sich, die Klangkulisse der Andersdenkenden da unten auf der Straße tönt aus sicherer Entfernung in die Edeletage mit Security und großen Mengen dienstbaren Personals, das für Spaß, hochprozentige Drinks und Koks sorgt. Doch einer der „Anderen“ von da unten hat es zu Beginn der Handlung in den Lift geschafft: ein langhaariger Fundi-Linker in olivgrüner Schlabberhose, ausgelatschten Sneakers und einem Hoodie mit der Aufschrift „Columbia“ (die gleichnamige Universität sorgte zuletzt durch Aktionen linker Antisemiten für Schlagzeilen). Er will das System des Konsums sprengen, trägt ungefragt seine streng christlichen Thesen von einer nahenden Endzeit angesichts all dieser Verruchtheit des Kapitalismus vor. Bei den langbeinigen Damen in sehr kurzen Röcken im Hause Herodes erweckt der Revoluzzer durchaus gewisse Sympathien. Sie lassen es sich gern gefallen, mit dem hungrigen Eindringling das Brot zu brechen und sich die Drinks nun mal von ihm kredenzen zu lassen.

Doch ansonsten wird dieser Jochanaan natürlich in seine Schranken gewiesen, muss seine lästerlichen Thesen streng bewacht in jenem Fahrstuhl-Gefängnis kundtun, das Herodes später für die brutale Sex-Nummer mit Salome nutzen wird. Gábor Bretz singt Christi Propheten herrisch, gewaltig, mit metallischer Höhe, weit weniger baritonbalsamisch, als dies ein Bernd Weikl einst vermochte. Da fügt sich die stimmliche Anlage sehr genau mit der szenischen Anlage der Figur: zunächst durchaus faszinierend in seiner Dominanz einer linken Alternative, dann jedoch auch vermittelnd, dass sich einst und heute klar zwei Ideologien gegenüberstehen, die nicht auf Austausch, Vermittlung und Kompromiss zielen, sondern auf Abgrenzung zum Gegner – und im Zweifel auch auf das Mittel der Gewalt keineswegs verzichten. „Es wird Schreckliches geschehn.“ Gerade die nicht zur Bildungselite zählenden Partygäste mit nun dezidiert roten „MAGA“-Kappen lassen jedenfalls Böses ahnen.

Der stumme Protest der Salome

Salome, die Kindfrau aus sehr reichem, nicht zwingend auch aus sehr gutem Hause, steht dazwischen. Sie hört und träumt sich mit ihren Kopfhörern in andere Sphären. Im Rückzug schafft sie sich ihre eigene Welt. Ihr Protest ist zunächst stumm, geht nach innen. Jochanaan wäre ein Partner für sie, und wir dürfen in der durchaus von gegenseitigem Interesse getragenen Auseinandersetzung der beiden kurz mal davon träumen, dass aus dieser Liaison aus Geld und Geist eine dritte Kraft erwachsen könnte. Doch beide bleiben Gefangene ihrer fatalen Prägung. Und wir verstehen, dass in den USA all jene, die es sich denn leisten können, quasi ein Leben lang den Psychiater konsultieren. Strauss, Wilde und Freud wirken hier so gegenwärtig wie nur möglich. 1905 und 2025 kommen sich ganz nah.

Vom krassen Realismus hinein ins Surreale

Den Kampf der Systeme und Weltanschauungen verknüpfen Kornél Mundruczó sowie sein Team aus Monika Korpa (Bühne & Kostüme) und Marcos Darbyshire (Regie-Mitarbeit) mit einem Kampf der Geschlechter, der auch im Postfeminismus nichts von seiner Heftigkeit verloren hat. Nur, dass Salome eben kein schlichtes Opfer mehr ist, wenn sie Herodes im Schleiertanz gefügig ist, sie weiß nun, was sie tut und wohin es führen wird, wenn sie den alten Geilen sexuell derart auflädt. Die naturalistische Drastik ihrer Vergewaltigung, die der Regisseur mit seinen bekannten Mitteln des filmischen Realismus auf die Bühne bringt, endet dann freilich. Und Mundruczó überführt diese „Salome“ im Finale ins Surreale.

Der Umweg dahin ist die operettige Revue im Stile eines Barrie Kosky: Des Herodes Alternativangebote für den Kopf des Jochanaan, so die Salome angebotenen weißen Pfauen, stolzieren nun leibhaftig in die schicke Partyetage. Den Kopf des Jochanaan aber hatte Salome zunächst eigenhändig zur Glatze rasiert. Dass Herodes ihm dann doch das Haupt abschlagen lässt, sehen wir nicht – allerdings das Ergebnis. Zum Finale fährt ein riesiger begehbarer und bespielbarer Kopf des Propheten auf die nun leere schwarze Bühne. Sieben kesse, fast nackte Damen mutieren zur multiplen Salome, entsteigen der Kopf-Installation, vereinen sich mit dem seinerseits übermächtigen, aber toten Jochanaan. Der Konsequenz („Man töte dieses Weib“) entzieht sich Salome. Sie zieht sich einen weißen Hoodie über den Kopf und setzt sich als letzten Akt der Regression die Kapuze über die Ohren. Das Licht schaltet auf Schwarz. Und wir ahnen einmal mehr: „Es wird Schreckliches geschehn.“

Fein ziselierter Strauss-Soundtrack

Die drahtig schlanke Olesya Golovneva debütiert in der Titelpartie, setzt ihren schlanken, beweglichen Sopran zumal in der silbrigen Höhe berührend ein. Nur in der Mittellage kommt sie in den dramatischen Passagen mitunter ins Vibrato-Flackern. Das mag dem Premierendruck geschuldet sein. Eine Alternative zur großen Asmik Grigorian wächst da so langsam dennoch heran. Jukka-Pekka Saraste als Stargast am Pult liefert für ihr Debüt einen fein ziselierten Strauss-Soundtrack voller berückend ausgehörter Details. Der Finne beginnt bewusst mit Understatement, steuert nie zu früh auf den Strauss-Rausch hin.

Doch letztlich fehlen dem glänzend disponierten Orchestre de la Suisse Romande dann doch die bissigen Töne, das Aufbäumen und Aufschäumen der Höhepunkte, unter denen die psychischen Abgründe lauern. Das Klangbild bleibt innerhalb der Grenzen einer französischen Noblesse, Eleganz und Clarté. So sind die Sänger zwar nie gefährdet, es fehlt aber doch auch die düstere Magie dieser eigentlich weiterhin schockierenden Partitur. So gerät dieser starke Musiktheaterabend weniger emotional erschütternd als intellektuell anregend.

Ginevra, Grand Théâtre – SALOME

Federico Capoani – Connessi all’opera – 25 janvier 2025

source: https://www.connessiallopera.it/recensioni/2025/ginevra-grand-theatre-salome/

 

Un lussuoso attico newyorchese, una folla vociante all’esterno mentre dei ricchi annoiati sorseggiano cocktail: così si apre, al Grand Théâtre de Genève, la nuova produzione della Salome di Richard Strauss. Una Salome decisamente atipica, in cui l’allure decadentista e orientaleggiante dell’opera lascia spazio a un espressionismo freddo e crudele, a un nervosismo e senso di straniamento che mettono a disagio lo spettatore.

Salomè allora non è la femme fatale che normalmente conosciamo: è un’adolescente ribelle cresciuta in una famiglia abusiva e disfunzionale. In prima analisi, si direbbe che a Olesya Golovneva manca l’ampiezza vocale, la sicurezza negli acuti o la pienezza dei gravi che dovrebbero normalmente contraddistinguere le interpreti di questo ruolo. Ha una voce fredda, minuta, il suo canto è rotto e slegato, pungente. Ma presto ci rendiamo conto che invece è la voce giusta se vogliamo credere a una Salomè vittima prima che carnefice, che conosce solo un mondo in cui il denaro e la violenza permettono di ottenere qualunque cosa. Come dovrebbe cantare, d’altronde, una Salomè per cui la danza dei sette veli non è che il disturbante preludio a uno stupro incestuoso da parte di Erode?

Intorno a Salomè (che infatti cerca rifugio nelle cuffie che indossa quasi sempre, quasi a voler silenziare il mondo circostante), ci sono persone che sanno solo esprimersi cercando di gridare più forte: c’è l’Erode di un John Daszak reso estremamente somigliante a Donald Trump che si distingue per gli acuti penetranti (non sempre precisissimi, per la verità) e per l’ottima prova attoriale — sembrerebbe un personaggio comico se non mostrasse fin da subito la sua inumana crudeltà. Le dispute teologiche dei cinque ebrei con cappello MAGA quasi non le sentiamo, tanto si sommano in una cacofonia che innervosisce tutti gli astanti, pubblico compreso. E Jochanaan? È un giovane attivista (rappresentazione forse un po’ stereotipata) che Erode tiene chiuso in un ascensore forse divertendosi ad ascoltare le sue filippiche contro i costumi dell’élite. Ma anche la voce del Battista, più che clamantis in deserto, è un altro disturbo, un rumore ulteriore. Il baritono Gábor Bretz infatti non gli dà un sapore ultraterreno, neppure nelle premonizioni evangeliche: è un canto di forza, esagerato, privo di quella nobiltà e di quel legato delle interpretazioni canoniche. È solo un’altra voce che grida per farsi ascoltare e di cui nessuno tiene conto (e però ha qualche problema a sposarsi con l’accompagnamento che l’orchestrazione di Strauss spesso affida ai corni e ai tromboni). Solo il Narraboth di Matthew Newlin mantiene un po’ di grazia: e il suo suicidio avverrà nella completa indifferenza di tutti.

Resta Erodiade (Tanja Ariane Baumgartner), che può sembrare leggermente più in ombra sul piano vocale, sovrastata dai decibel degli altri interpreti, ma che passa così per l’unica che vorrebbe far qualcosa per far tacere questo mondo così rumoroso, compreso il profeta che le rinfaccia la sua vita dissoluta.

Quello che stupisce, allora, nella distribuzione vocale di questa Salome non sono le capacità di questo o quel protagonista, ma l’ottima coerenza tra l’idea dello spettacolo e le caratteristiche vocali degli interpreti, anche quando ci si allontana dalla tradizione esecutiva dell’opera. Siamo insomma, prima di tutto, di fronte a una pièce teatrale di natura psicologia, in cui la scenografia dettagliatissima, ma così statica, non fa che aggiungere peso a un senso di oppressione — una sensazione che non fa che amplificarsi in questo appartamento lussoso e però fortificato, chiuso nelle sue perversioni mentre là fuori il mondo brucia.

Ma quando Salomè chiede a suo padre la testa del Battista, la scena inizia a virare verso il surrealismo: dapprima, nei tesori elencati da Erode che altro non sono che uomini travestiti da smeraldo o da pavoni, o enormi palle da discoteca a forma di frutta — e il contrasto è man mano più vivido mentre Salomè continua, sempre con maggiore straniamento, a esigere la decapitazione di Jochanaan quasi volesse cercare di colpire Erode, che non dobbiamo dimenticare averla da poco violentata, in ciò che ha di più caro.

E poi il colpo di scena, quando le pareti si aprono lasciando Salomè sola su uno sfondo nero in cui appare un’enorme e inquietante testa tagliata: in questo mondo onirico si svolgerà il grande monologo in cui Olesya Golovneva, una volta liberata dal “rumore” circostante, sembra ritrovare anche una più variegata gamma vocale, portando, per una volta, le dinamiche anche al piano: ma è un monologo che ricorda, in fin dei conti, più le grandi scene di follia che un canto di amore e morte. Forse Salomè si rende conto dell’inutile crudeltà di cui anche lei si è macchiata, forse si convince veramente di aver baciato la bocca del profeta, mentre ballerine seminude che fungono da molteplici Salomè escono dalle cavità del volto di Jochaanan.

Il regista, l’ungherese Kornél Mundruczó, afferma di essersi ispirato alla cinematografia di Luis Buñuel per questa transizione surrealista del finale dell’opera (d’altronde, alcune idee della messinscena hanno qualcosa in comune con L’angelo sterminatore). Ma di Buñuel non si riprende solo l’assurdo, il fantastico, l’onirico: c’è anche la rappresentazione di un’umanità senza speranza, in cui anche le vittime sono carnefici, in cui fondamentalmente nessuno si salva.

Una lettura che condivide anche la direzione di Jukka-Pekka Saraste al timone della sempre impeccabile Orchestre de la Suisse Romande (che esegue però la versione con orchestrazione ridotta dell’opera di Strauss — peccato, perché in altre occasioni nello stesso teatro avevamo visto l’OSR schierare l’organico completo con tanto di heckelphone nelle più esigenti partiture straussiane). Il direttore finlandese ricerca sonorità secche e crude, che guardano appunto più all’espressionismo che all’estetica fin de siècle. Insomma, più Schiele che Klimt per fare un paragone con la pittura viennese del periodo: gli archi saranno meno lussureggianti, il corno inglese rifiuterà la nostalgia orientale delle sue melodie: saranno invece i colpi veloci delle percussioni, le note penetranti e quasi fastidiose di un clarinetto piccolo o ancora i suoni sinistri della tuba o del controfagotto a dominare la scena.

Non è insomma la Salome che ci si aspetta, non è nemmeno la Salome perfetta. È uno spettacolo scomodo, che urta e che fa male, e che merita di essere visto.