Don Giovanni
Wolfgang Amadeus Mozart
Wagner savait ce qu’il disait quand il appelait le Don Giovanni de Mozart l’« opéra des opéras » : non point seulement que le Don Giovanni est « le plus parfait » des opéras ou l’ « absolu du genre lyrique », mais qu’il l’est peut-être justement parce que le personnage de Don Giovanni est déjà tout entier d’essence musicale, et parce que la « puissance démoniaque de sa sensualité » ne peut trouver d’expression adéquate que dans l’émotion des sens et donc précisément dans l’expérience musicale.
Nul mieux que le philosophe danois Sören Kierkegaard, grand spécialiste de la séduction, n’a su dire en quoi consiste l’identité quasi naturelle de Don Giovanni et de la musique : « Seule la musique est capable d’exprimer cette force inhérente à Don Giovanni, cette puissance souveraine, cette vie ; la parole, la réplique ne lui appartiennent pas ; avec elles, il deviendrait tout de suite un être réfléchi. Il n’a pas, en somme, d’existence propre, mais il se hâte dans un perpétuel évanouissement —justement comme la musique, dont on peut dire qu’elle est finie dès qu’elle a cessé de vibrer et qu’elle ne renaît qu’au moment où elle recommence à vibrer. » C’est donc par la seule écoute de la musique que nous pouvons nous faire une idée de Don Giovanni, de sa mobilité scintillante, de sa vertigineuse irréflexion, de la fulgurance de sa vie, « mousseuse comme le champagne », et plus généralement de toutes les modulations de l’éros triomphant : « Écoutez-le se précipiter dans la diversité de la vie et se heurter à ses solides remparts, écoutez ces légers accents du violon au bal, l’appel de la joie, l’allégresse du plaisir, la solennelle félicité de la jouissance ; écoutez son essor fougueux où il se dépasse lui-même, toujours plus rapide et toujours plus irrésistible ; écoutez la convoitise effrénée de la passion, le murmure de l’amour, le chuchotement de la tentation, le tourbillon de la séduction, le silence de l’instant — écoutez, écoutez, écoutez le Don Giovanni de Mozart ! »
TC (Extraits de Sören Kierkegaard, Stades immédiats de l’éros ou l’Éros et la musique, 1843).